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LETTRES ECRITES AVANT l'EPISCOPAT.

le disait pas ? Souvenez-vous de ce que vous éprouviez en m’écrivant ces choses, et dites-moi encore : « Vous n’avez qu’à ordonner. » Voici mes ordres : donnez-vous à moi, si c’est là tout ce que vous demandez, donnez-vous à mon Maître, qui est le maître de nous tous, et qui vous a donné ce génie. Et moi, que suis-je, si ce n’est votre serviteur par lui et son serviteur comme vous ?

5. Ne l’ordonne-t-il pas lui-même ? Écoutez l’Évangile : « Jésus, dit l’Évangile, était debout et criait : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes. Car mon joug est doux, et mon fardeau est léger.[1] » Si ces choses-là ne sont pas entendues, ou si elles s’arrêtent aux oreilles, attendez-vous, Licentius, qu’Augustin commande à un serviteur comme lui, et qu’il ne gémisse pas plutôt de ce que son Maître donne des ordres inutiles ! Et ce ne sont pas même des ordres que donne le Seigneur : il invite, il prie en quelque sorte pour que ceux qui souffrent soient soulagés par lui. Peut-être qu’un cou aussi fort et aussi fier que le vôtre trouve le joug du monde plus doux que le joug du Christ ; mais si le Christ nous imposait de force son joug, voyez donc quel est celui qui forcerait, et pour quelle récompense ! Allez en Campanie, apprenez de Paulin, cet illustre et saint serviteur de Dieu, de quel grand faste du siècle il a dépouillé sa tête, aussi humble qu’illustre, pour la soumettre au joug du Christ ; il est maintenant dans la paix et met sa joie à se laisser conduire par son divin guide. Allez., apprenez de quelle richesse d’esprit il fait à Dieu des sacrifices de louange, lui rapportant ce qu’il en a reçu de bon, de peur de tout perdre s’il ne le rend pas à celui de qui il le tient.

6. Pourquoi tant d’agitation et tant d’incertitudes ? Pourquoi prêtez-vous l’oreille aux accents des voluptés qui sont mortelles, et la détournez-vous de mes discours ? Elles mentent, elles meurent et entraînent à la mort. Elles mentent, Licentius. « Que le vrai, comme vous le souhaitez dans vos vers, se découvre ainsi à nous par la raison ; qu’il coule ainsi, plus que l’Eridan. » Le vrai n’est dit que par la Vérité ; le Christ est la vérité ; allons à lui de peur que la fatigue ne nous accable. Prenons son joug sur nous pour qu’il nous soulage, et apprenons de lui qu’il est doux et humble de cœur, et nous trouverons le repos pour nos âmes. Car son joug est doux et son fardeau est léger. Le démon cherche à faire de vous sa parure. Si vous trouviez un calice d’or, vous le donneriez à l’Église de Dieu. Vous avez reçu de Dieu un génie d’or, et vous le faites servir aux passions, et c’est en lui que vous vous donnez vous-même à Satan. Ne le veuillez pas, je vous en supplie ; puissiez-vous sentir avec quel cœur malheureux et digne de pitié je voies écris ceci ! Et si vous n’êtes plus rien à vos propres yeux, ayez au moins compassion de moi !

LETTRE XXVII.


(Au commencement de l’année 395.)

Saint Augustin met tout le parfum de son âme et de son génie dans cette réponse à saint Paulin. Il lui parle de trois de ses meilleurs amis : Romanien, Alype et Licentius. Saint Augustin est toujours charmant et touchant, quand l’amitié l’inspire.

AUGUSTIN A SON SEIGNEUR VÉRITABLEMENT SAINT ET VÉNÉRABLE ET TRÈS-DIGNE DES PLUS HAUTES LOUANGES, A SON FRÈRE PAULIN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. O homme bon et bon frère, vous étiez inconnu à mon âme, je lui dis de supporter que vous soyez encore inconnu à mes yeux, et c’est à peine si elle m’obéit, ou plutôt elle ne m’obéit pas. S’y résigne-t-elle, puisque je suis tourmenté par le désir de vous voir ? Si j’éprouvais des souffrances corporelles sans en être intérieurement ému, je pourrais dire à bon droit que je les supporte ; mais je ne subis pas avec un esprit tranquille la douleur de ne point vous voir ; il ne m’est pas permis de parler ici de ma patience. Mais ne serait-ce point intolérable qu’on se résignât à vivre loin d’un homme comme vous ? Il est donc bien que je le supporte mal : sans cela je ne serais pas supportable. Ce qui m’arrive est étrange et cependant bien vrai : je souffre de ne pas vous voir, et ma douleur elle-même me console. Je n’aime pas le courage qui fait supporter aisément l’absence de ceux qui sont lions comme vous. Nous désirons la Jérusalem future, et nous la désirons avec d’autant plus d’impatience que nous endurons plus patiemment

  1. Saint Jean, VII, 37 ; Saint Matthieu, XI, 28, 30.