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LETTRES ECRITES AVANT l'EPISCOPAT.

paroles du Seigneur : « Vous adorez ce que vous ne connaissez point ; mais nous, nous adorons ce que nous savons, parce que le salut vient des Juifs[1] » si, dis-je, renonçant à une erreur condamnée, ce Samaritain, déjà circoncis par des Samaritains, eût voulu devenir juif, assurément je n’eusse osé le circoncire une seconde fois, et j’aurais été contraint, non pas de recommencer, mais d’approuver ce qui était fait même chez des hérétiques, parce que c’était fait conformément à la loi du Seigneur. Je n’aurais pas trouvé dans un homme déjà circoncis de la place pour répéter la circoncision, parce que cette place est unique ; encore moins trouverait-on dans un même cœur de la place pour y répéter le baptême du « Christ, et pour le donner deux fois, cherchez, fin homme qui ait deux cœurs.

5. Si donc vous ne rebaptisez pas, criez que vous faites bien ; écrivez-le-moi, non-seulement sans crainte, mais même avec joie. Ne vous laissez pas effrayer, frère, par vos amis, quand ils tiennent conseil. Si cela ne leur convient pas, ils ne sont pas dignes de vous avoir ; si, au contraire, cela est de leur goût, nous espérons de la miséricorde de Dieu, qui n’abandonne jamais ceux qui craignent de lui déplaire et s’efforcent de lui plaire, que la paix se fera bientôt entre nous. Il ne faut pas que, pour garder ces honneurs pesants dont il nous sera demandé un compte formidable, des peuples chrétiens qui n’ont dans leurs demeures qu’une même nourriture, ne puissent pas se retrouver à la table du Christ. N’est-il pas déplorable que l’homme et la femme, qui ont juré par le Christ de se garder fidélité l’un à l’autre, déchirent le corps de ce même Christ par une communion différente ? Si par votre modération et, votre prudence, par cet amour que nous devons à Celui dont le sang a coulé pour nous, vous avez enlevé du milieu de ce pays un si grand scandale, un si grand triomphe du démon, une si grande cause de ruine pour les âmes, qui dira la palme que le Seigneur vous prépare en récompense : de ce salutaire exemple que vous aurez donné pour guérir les autres membres malades qui, de toutes parts, en Afrique, sèchent misérablement couchés dans la poussière ? Vous ne pouvez voir mon cœur, et combien je crains de paraître vous parler plus avec dérision qu’avec amour ! Mais que puis-je faire de plus que de vous montrer mon discours comme je montre à Dieu le fond de mon âme ?

6. Ecartons ces accusations vaines que les partis, dans leur ignorance, se jettent à la tête ; faites-moi grâce des temps Macariens[2], et je ne vous parlerai pas de la cruauté des Circoncellions[3]. Si l’un ne vous regarde pas, l’autre ne me regarde pas davantage. L’aire du Seigneur n’a pas encore été vannée ; elle ne peut pas être sans paille. Pour nous, nous prions et faisons tout ce que nous pouvons pour devenir le froment. Je ne puis me taire au sujet de notre diacre rebaptisé, car je sais tout ce qu’il y aurait de mauvais pour moi dans un tel silence. Je ne songe pas à passer inutilement mon temps dans les honneurs ecclésiastiques, mais je songe à rendre compte au Prince de tous les pasteurs des brebis qui m’ont été confiées. Si par hasard vous ne vouliez point que je vous écrivisse ces choses, il faudrait, frère, pardonner à mes craintes : j’appréhenderais beaucoup que d’autres catholiques fussent rebaptisés par vos amis, si je me renfermais dans le silence ou la dissimulation. J’ai donc résolu, autant que le Seigneur me donnera de pouvoir et de force, de conduire cette affaire de manière à ne laisser ignorer à aucun de ceux qui sont en communication avec nous dans nos conférences pacifiques combien grande est la différence entre l’Église catholique et les hérésies ou les schismes, et combien il faut éviter ces zizanies, ces sarments retranchés de la vigne du Seigneur. Acceptez de bon cœur une conférence avec moi, consentez à la lecture publique de nos lettres, et j’en aurai une joie ineffable. Dans le cas où vous n’accepteriez pas cela, frère, que dois-je faire, sinon lire, même malgré vous, nos lettres au peuple catholique, au profit de son instruction ? Si vous ne daignez, pas me répondre, je reste décidé à lire ma lettre, afin que les catholiques, connaissant au moins jusqu’à quel point vous vous défiez de votre cause, aient honte désormais de se faire rebaptiser.

  1. Jean, IV, 22.
  2. Les donatistes, dont les erreurs seront fortement réfutées dans beaucoup de lettres de saint Augustin, se plaignaient à tout propos d’une persécution qu’ils auraient eu à souffrir sous l’empereur Constant, vers le milieu du quatrième siècle, et qui, selon eux, avait été causée par la mission en Afrique, de Macaire et de Paul, deux personnages de la cour impériale. Les donatistes avaient appelé du nom de l’un de ces personnages l’époque de cette prétendue persécution. Mais leurs reproches à cet égard n’avaient rien de fondé. La mission de Macaire et de Paul fut toute pacifique ; les violences partirent des, rangs des sectaires, et s’il y eut ensuite des donatistes atteints, c’est que les catholiques avaient dû pourvoir à leur défense.
  3. Les Circoncellions représentaient, dans le parti de Donat, la violence furieuse et le brigandage.