Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/556

Cette page n’a pas encore été corrigée
544
LETTRES DE SAINT AUGUSTIN. — PREMIÈRE SÉRIE.

lorsqu’on le veut. Rebaptiser un hérétique déjà marqué de ce sceau de sainteté qui est une tradition de la discipline chrétienne, c’est tout à fait un péché ; mais rebaptiser un catholique, c’est un crime énorme. Cependant je refusais encore d’y croire parce que j’avais bonne. opinion de vous, et j’allai moi-même à Mutugenne ; je ne pus voir le malheureux, mais j’appris ; de ses parents que vous en aviez fait un diacre de votre secte. Et en ce moment encore, je suis si prévenu en votre faveur, que je ne puis croire que vous l’ayez rebaptisé.

3. C’est pourquoi, très-cher frère, je vous conjure, au nom de la divinité et de l’humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de m’écrire ce qu’il en est, et de m’écrire en pensant que votre lettre sera lue dans l’Église à nos frères. Je vous le dis à l’avance pour que votre charité ne soit pas offensée de ce que je compte faire à cet égard, et pour que vous ne vous en plaigniez point auprès de nos amis communs. Je ne vois pas ce qui pourrait vous empêcher de m’écrire ; si vous rebaptisez, vous n’avez rien à craindre des hommes de votre parti, puisque vous m’écrirez que vous faites ce qu’ils vous ordonneraient, si vous ne le vouliez pas ; et vos efforts pour plaider leur cause n’exciteront pas leur colère, mais vous mériteront leurs éloges. Si vous ne rebaptisez pas, armez-vous de la liberté chrétienne, frère Maximin, armez-vous-en, je vous en prie ; l’œil fixé sur le Christ, ne craignez ni le blâme, ni le pouvoir d’aucun homme. La gloire de ce siècle passe, tout ce qui nous séduit ici-bas n’a qu’un jour. Au jour du jugement du Christ, les évêques ne seront défendus ni par leurs siéges élevés, ni par les tentures de leurs chaires, ni par les troupes de vierges sacrées qui vont au-devant d’eux en chantant des cantiques ; tous ces honneurs ne leur serviront de rien quand la conscience accusera et que l’arbitre des consciences jugera : les honneurs du temps seront alors dès fardeaux, et ce qui aujourd’hui relève, écrasera. La bonne conscience justifiera peut-être ces hommages publics qu’on nous rend pour le bien de l’Église : mais ils seront impuissants à justifier la mauvaise conscience.

4. Si vous remplissez pieusement votre devoir en ne pas réitérant le baptême de l’Église catholique, mais plutôt en l’approuvant comme celui de l’unique véritable mère qui donne son sein à toutes les nations pour les régénérer et les abreuver de son lait une fois régénérées ; si vous approuvez ce baptême comme étant celui de l’unique héritage du Christ qui s’étend aux deux bouts de la terre, pourquoi votre voix n’éclate-t-elle point avec une heureuse et triomphante liberté ? Pourquoi cachez-vous sous le boisseau l’utile éclat de votre lumière ? Pourquoi, vous dépouillant des vieux haillons d’une servitude timide pour vous revêtir de confiance chrétienne, ne sortez-vous pas et ne dites-vous pas : Je ne connais qu’un baptême consacré et marqué par le nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; il est nécessaire que j’approuve cette forme partout où je la trouve ; je ne détruis pas ce que je reconnais venir du Seigneur ; je ne souffle pas sur l’étendard de mon roi ? – Ceux même qui se partagèrent la robe du Christ ne la déchirèrent point[1], A pourtant ils le voyaient mourir sans croire sa résurrection ; si les bourreaux du Christ ne déchirèrent pas sa robe lorsqu’il était pendu à une croix, pourquoi des chrétiens détruiraient-ils son sacrement lorsqu’il est assis au plus haut des cieux ? Si j’avais été un juif de l’ancienne loi, alors qu’il n’y avait rien de meilleur, j’aurais reçu la circoncision ; ce sceau. de la justice de la foi avait une si grande autorité avant l’avènement du Seigneur, qu’un ange aurait étouffé le fils aîné de Moïse, si sa mère, saisissant une petite pierre aiguë, n’eût circoncis l’enfant[2] et ainsi conjuré le péril. Ce fut par la vertu de ce sacrement de la circoncision que les flots du Jourdain s’arrêtèrent pour remonter vers leur source. Le Seigneur lui-même le reçut en naissant, quoiqu’il dût l’abolir par sa croix. Ces signes n’ont pas été condamnés, mais ont fait place à d’autres. Car, de même que la circoncision a cessé par le premier avènement du Seigneur, de même le baptême cessera par son second avènement. Et comme aujourd’hui, sous le règne de la liberté de la foi, et après la disparition du joug de la servitude, aucun chrétien n’est circoncis ; ainsi, quand les justes partageront la gloire du Seigneur, et que les impies seront damnés, il n’y aura plus de baptême, mais il ne demeurera éternellement que les deux choses figurées par ces deux sacrements : la circoncision du cœur et la pureté de la conscience. Si donc, au temps de l’ancienne loi, j’avais été juif, et qu’un Samaritain fût venu vers moi, et que, renonçant à une erreur condamnée par ces

  1. Jean, XIX, 24.
  2. Exode, IV, 25.