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LETTRES ECRITES AVANT l'EPISCOPAT.

Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez pas à contenter votre sensualité en satisfaisant à ses désirs[1]. »

3. De ces trois vices les impudicités et les dissolutions sont réputées un si grand crime, que personne de coupable de ce péché n’est jugé digne non-seulement du ministère ecclésiastique, mais même de la communion des sacrements. Et c’est tout à fait avec raison. Mais pourquoi cette sévérité contre un seul vice ? Les débauches et les ivrogneries deviennent ainsi comme permises, au point d’avoir lieu en l’honneur même des bienheureux martyrs, non-seulement aux fêtes solennelles (ce qui est déjà déplorable pour quiconque ne regarde pas ces choses avec les yeux de la chair), mais encore chaque jour. Cette souillure, si elle n’était que honteuse et non pas sacrilège, pourrait n’être considérée que comme une épreuve pour notre patience ; quoique, à l’endroit où l’Apôtre cite l’ivrognerie parmi les vices nombreux qu’il énumère, il termine en disant de ne pas même manger avec des gens qui seraient coupables de ces dérèglements[2]. Supportons, si l’on veut, ces choses dans le désordre de la vie de famille, dans les festins qui se font à l’intérieur de la maison, et recevons le corps du Christ en compagnie de ceux avec qui on nous défend de manger le pain ; mais au moins qu’une si grande infamie soit écartée des sépulcres où reposent les corps des saints, des lieux où l’on dispense les sacrements, des maisons de la prière. Qui oserait interdire dans les demeures particulières ce qu’on appelle honorer les martyrs, quand on le fait dans les lieux saints ?

4. Si l’Afrique tentait la première à mettre partout un terme à ces honteux usages, elle serait digne qu’on l’imitât. Et lorsque, dans la plus grande partie de l’Italie et dans presque toutes les autres Églises d’outre-mer, ces dérèglements, ou n’ont jamais existé, ou ont disparu, soit qu’ils fussent nouveaux, soit qu’ils fussent anciens, par les soins attentifs de saints évêques vraiment préoccupés des intérêts de la vie future, douterons-nous, après de tels exemples, qu’il nous soit possible d’effacer cette grande souillure de nos mœurs ? Nous avons pour évêque un homme de ces contrées[3], et nous en rendons grâce à Dieu ; du reste fût-il Africain, sa douceur, sa sagesse, sa sollicitude pastorale suffiraient pour qu’il cherchât dans les Écritures le moyen de guérir la blessure qu’a faite cette coutume licencieuse et d’une mauvaise liberté. La pestilence de ce mal est telle qu’il ne me paraît pas qu’on puisse le guérir autrement que par l’autorité d’un concile. Mais s’il faut que le remède parte d’une Église ; autant il y aurait d’audace à vouloir supprimer ce que maintient l’Église de Carthage, autant il y aurait d’impudence à conserver ce qu’elle aurait réformé. Et quel évêque serait plus propre à frapper un aussi détestable abus que celui qui déjà l’exécrait, n’étant encore que diacre ?

5. Ce qu’il fallait alors déplorer, il le faut aujourd’hui faire disparaître ; on ne doit pas s’y prendre brutalement, mais, comme il est écrit, dans « un esprit de douceur et de mansuétude[4]. » Les marques de fraternelle charité qui abondent dans votre lettre, me donnent confiance, et j’ose parler avec vous comme avec moi-même. Ces choses-là, je pense, ne se suppriment ni rudement, ni durement, ni impérieusement ; mais par des instructions plus que par des prescriptions, par des avis plus que par des menaces. C’est ainsi qu’on doit agir avec la multitude : il faut réserver la sévérité pour des fautes commises par un petit nombre. Lorsque les menaces sont nécessaires, employons-les avec douceur ; que ce soit en montrant dans l’Écriture les châtiments de la vie future, afin qu’on ne craigne pas en nous notre puissance, mais qu’on craigne Dieu dans notre discours. Nous commencerons à toucher par là les personnes spirituelles ou voisines de l’état spirituel, et leurs exhortations douces mais pressantes entraîneront le reste de la multitude.

6. Et comme aux yeux du peuple charnel et grossier, ces ivrogneries et ces somptueux et honteux festins dans les cimetières, non-seulement honorent les martyrs, mais encore soulagent les morts, il me paraît qu’il serait plus facile d’en détourner les Chrétiens, si on leur en faisait voir la défense dans l’Écriture ; si, de plus, les offrandes, vraiment utiles et salutaires, que l’on dépose sur les tombeaux pour le soulagement des morts n’étaient point somptueuses et qu’elles fussent données sans orgueil et de bonne grâce à tous ceux qui les demandent. Pourquoi les vendre ? si

  1. Rom. XIII, 13, 14.
  2. I Cor. V, 11.
  3. Les Gaules ou l’Italie.
  4. Gal. VI, 1.