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LES RÉTRACTATIONS. — LIVRE PREMIER.

trompe ; tout ce qui est blâmé à bon droit « est rejeté en comparaison de ce qui est meilleur[1]. » Cela s’applique aux substances et aux natures ; car c’est d’elles qu’on discutait et non des bonnes actions et des mauvaises. De même aussi ai-je dit : « Un homme ne doit pas être chéri d’un autre homme comme sont chéris les frères, les fils, les époux, les parents, selon la chair ; non plus que les voisins et les concitoyens ; car c’est là un amour temporel. Nous n’aurions pas, en effet, de telles affections qui dépendent de la naissance et de la mort, si notre nature, «persévérant dans l’accomplissement des préceptes et dans la ressemblance de Dieu, n’était pas réduite à cette vie corruptible[2] ». Je désapprouve complètement cette pensée, que j’ai déjà blâmée au premier livre sur la Genèse contre les Manichéens[3]. Elle conduit en effet à croire que les premiers époux n’auraient pas engendré de postérité, s’ils n’avaient pas péché ; comme s’il avait été nécessaire que les hommes fussent destinés à la mort, pour être Produits par l’union de l’homme et de la femme. Je ne voyais pas encore comment il se pouvait que des êtres non destinés à la mort naquissent d’autres êtres non destinés à la mort, si ce péché d’origine n’avait pas changé en pire la nature humaine ; je ne voyais pas non plus que, si par suite la fécondité et la félicité avaient demeuré le partage des parents comme des enfants, il naîtrait, jusqu’à ce que fût atteint un nombre fixe de saints prédestinés de Dieu, des hommes qui devaient régner avec leurs pères vivants et non succéder à leurs parents défunts. Ces parentés et ces alliances existeraient donc, même si personne n’eût péché et que personne ne mourût.

9. De même, j’ai écrit en un autre endroit «Tendons vers le même Dieu, et reliant nos âmes à lui seul, ce qui est, à ce que l’on croit, l’étymologie du mot religion, abstenons-nous de tout culte superstitieux[4]. » Je préfère l’étymologie que je cite. Pourtant je n’ignore pas que des auteurs latins donnent au mot de religion une autre origine, le faisant venir non de religare, mais de religere, mot composé de legere, pour eligere, élire, choisir, d’où religo, je choisis.

Ce livre commence ainsi : « Comme toute voie de vie bonne et heureuse. »


CHAPITRE XIV.

de l’utilité de la foi. — un livre à honorat.


1. J’étais prêtre à Hippone lorsque j’ai composé le livre de l’Utilité de la Foi que j’ai adressé à un de mes amis, séduit par les Manichéens. Je savais qu’il était encore engagé dans cette erreur, et qu’en se moquant il reprochait à la discipline catholique d’obliger les hommes à croire, sans leur enseigner la vérité par des raisons absolument certaines. J’ai dit dans ce livre[5] : « Dans les préceptes et les ordonnances de la Loi qu’il n’est pas aujourd’hui permis à un chrétien d’observer, tels que le sabbat, la « circoncision, les sacrifices, et autres semblables, il y a de tels mystères, que toute âme pieuse comprendra que rien n’est plus « périlleux que de les prendre au mot et à la lettre ; rien de plus salutaire que de les entendre dans l’esprit. Aussi est-il écrit : La lettre tue et l’esprit vivifie[6]. » Dans le livre intitulé De l’Esprit et de la Lettre, j’ai expliqué autrement ces paroles de l’apôtre saint Paul, et, si je m’en crois, ou plutôt si j’en crois à l’évidence même des choses, avec beaucoup plus de convenance et de vérité. Cependant ce sens n’est pas à rejeter.

2. J’ai dit aussi : « Il y a deux ordres de personnes dignes de louanges dans la religion. Le premier se compose de celles qui l’ont déjà trouvée, et celles-là doivent être jugées bienheureuses. Le second se compose de celles qui la recherchent avec zèle et avec droiture. Les premières sont en possession, les autres sont sur le chemin ; muais par ce « chemin, on est sûr d’arriver au but. » Si les bienheureux qui ont déjà trouvé, et qui sont en possession, ne sont plus en cette vie, mais en celle que nous espérons et où nous tendons par la foi, il n’y a pas d’erreur dans mes paroles ; car on doit affirmer que ceux-là ont trouvé ce qu’il faut chercher, puisqu’ils sont arrivés là où en cherchant et en croyant, c’est-à-dire en suivant la vie de la foi, nous espérons parvenir. Si au contraire on croyait qu’ils sont, ou ont été bienheureux dès cette vie, cela ne serait pas exact ; non pas qu’il ne puisse s’y découvrir aucune vérité qui soit vue de l’intelligence sans être crue par la foi ; mais parce que tout ce qui est ici-bas ne va pas jusqu’à produire la béatitude. En effet, ce dont l’Apôtre dit :

  1. C. XLI, n. 77-78.
  2. C. XLVI, n. 88.
  3. Rétr. Liv. i, c. X, n. 2.
  4. C. LV, n. 111.
  5. C. III, 9.
  6. II Cor, III. 6.