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chapitre cinquantième.

sens et de désirs l’âme même des bêtes et ajouté à l’âme humaine l’esprit, l’entendement, la volonté ; celui qui n’a pas laissé non-seulement le ciel et la terre, l’ange et l’homme, mais encore les entrailles du plus petit et du plus vil animal, la plume de l’oiseau, la fleur de la moindre herbe, la feuille d’un arbre, sans la convenance et l’harmonie des parties, n’a pas pu laisser les royaumes et les empires de la terre hors des lois de sa Providence !

Voyons donc pourquoi le vrai Dieu, qui tient en sa main tous les royaumes, a daigné assister l’empire romain pour l’élever à un si haut point de grandeur.

La puissance de Rome a été la récompense des vertus morales des anciens Romains, laborieux, désintéressés, tempérants, dévoués exclusivement à la gloire de l’État. « Je vous dis en vérité qu’ils ont reçu leur récompense[1]. » Puisque Dieu ne devait pas accorder aux anciens Romains la vie éternelle, il était juste qu’il leur donnât toute la splendeur des royaumes périssables. Les Romains, par leurs vertus, étaient dignes de la gloire humaine et passagère. Les victoires ne les ont rendus ni meilleurs, ni plus sages, ni plus heureux que les nations dont ils avaient triomphé. Si les chrétiens veulent s’assurer les félicités futures, qu’ils fassent pour obtenir le ciel tout ce qu’ont fait les Romains pour conquérir la terre ; et toutefois on ne leur en demande pas tant. Mais l’abnégation, les sacrifices, les travaux des anciens Romains sont une grande leçon pour les chrétiens qui aspirent à l’empire éternel. De même que Dieu fait luire son soleil sur les bons et les méchants et laisse tomber la pluie sur les justes et les injustes, ainsi il leur donne indifféremment les royaumes d’ici-bas ; mais le royaume d’en-haut, il ne le donne qu’aux bons.

Parmi les païens auxquels répondait l’évêque d’Hippone, un bon nombre convenait qu’avant le christianisme les annales romaines présentaient des désastres et que les divinités adorées n’avaient point écarté le malheur. Mais ceux-là soutenaient qu’il fallait offrir un culte aux dieux pour nous les rendre favorables dans la vie future. Augustin renverse leurs assertions dans les livres vi, vii, viii, ix et x de la Cité de Dieu. Il démontre l’impuissance des dieux à conduire les hommes à la vie éternelle, c’est-à-dire à la félicité sans fin ; il se livre à un examen critique des diverses théologies païennes telles que Varron les avait exposées, et apprécie les philosophies anciennes et particulièrement les doctrines des platoniciens. Augustin témoigne une grande admiration pour Platon, qui, dit-il, eût bien mieux mérité d’être appelé dieu que cette multitude d’hommes morts ou de démons divinisés par l’ignorance ou les passions. Il rappelle que, pour expliquer l’étonnante conformité de certains points de la doctrine de Platon avec le christianisme, on avait fait ce philosophe et Jérémie contemporains l’un de l’autre, ajoutant qu’ils avaient pu se rencontrer et converser ensemble en Égypte ; la supputation des temps lui a montré que Platon fut postérieur d’un siècle à Jérémie, et, de plus, qu’il ne put pas avoir connaissance des saintes Écritures, parce que la version grecque eut lieu soixante ans seulement après la mort de Platon. Augustin conjecture que des entretiens avec quelques Juifs en Égypte purent initier Platon dans certaines vérités dont la tradition hébraïque était l’unique dépositaire[2]. Cette division platonicienne les dieux dans le ciel, les démons dans l’air, les hommes sur la terre, donne lieu à une dissertation sur les démons. Le livre d’Apulée, intitulé le Dieu de Socrate, mais qui au fond traite du démon de Socrate, est l’objet de réflexions critiques et philosophiques. Toutes les doctrines étaient familières au grand docteur d’Hippone ; il n’est aucun point de philosophie sur lequel ne s’exerce la rectitude de son jugement : Augustin domine l’ancien monde de toute la supériorité de la révélation chrétienne.

Il est inadmissible (nous résumons les pensées d’Augustin), il est inadmissible que les démons puissent être médiateurs entre Dieu et les hommes. Il n’y avait de médiateur possible que Dieu lui-même, se résignant à revêtir la nature humaine pour descendre jusqu’à nous et nous élever ensuite jusqu’à lui. Le Verbe éternel, auteur de toutes choses, est devenu, comme homme, notre médiateur ; en prenant notre infirmité, il s’abaissait au-dessous des anges ; ruais il demeurait, dans sa nature divine, l’Être infini, incorruptible, immuable. Les platoniciens avaient dit que les dieux ne se mêlaient point aux hommes pour ne pas se souiller de leur présence, et que leur marque

  1. Saint Matthieu, VI.
  2. Cité de Dieu, livre VIII, chap. 11.