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qui étais dans l’erreur. » Les apophtegmes sont piquants lorsqu’ils ne disent pas expressément ce qu’ils veulent dire. Tel, par exemple, celui-ci, de Stésichore : « Leurs cigales chanteront de par terre[1] » Les énigmes bien tournées sont agréables par la même raison ; car on y apprend quelque chose et il s’y trouve une métaphore. Une chose agréable aussi, c’est ce que prescrit Théodore : « user d’expressions nouvelles ; or c’est ce qui arrive lorsque l’application d’un mot est inattendue et non pas, comme il le dit, conforme à l’opinion antérieure[2], mais comme font ceux qui, dans leurs plaisanteries, emploient des expressions défigurées. Le même effet est produit dans les jeux de mots, car il y a surprise, et cela, mime en poésie : le mot qui vient n’est pas celui que l’auditeur avait dans l’esprit :

« Il marchait ayant aux pieds… des engelures. »

On croyait que le poète allait dire - des souliers. Seulement il faut que, aussitôt le mot énoncé, le sens soit bien clair. Quant au jeu de mots, il fait que l’on dit non pas ce qu’on paraît vouloir dire, mais un mot qui transforme le sens. Tel le propos de Théodore s’adressant à Nicon le Citharède : Θράττει[3]. On s’attend à ce qu’il va dire : Θράττει σε, « il te trouble, » et il y a surprise, car il dit autre chose. Le mot est joli pour celui qui le comprend, attendu que, si l’on ne soupçonne pas que Nicon est Thrace, ce mot ne paraîtra plus

  1. Mot déjà cité (l. II chap. XXI, § 8), comme laconique et énigmatique. (Voir la note.)
  2. À celle que l’on avait antérieurement sur le sens de ce mot
  3. Peut-être faut-il écrire : θρᾳττ ᾽ᾖσε il a joué des airs thraces ? Cp. Meineke, Comic. gr., t. III, p. 575. Buhle propose : Θράττη σε[τέτοκε] et Cobet (nov. lect.) : Θράττης εῐ, p. 655.