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à punir ce qui blesse leur caractère, que faciles à pardonner ce qu’on fait, par les mouvements de la nature. Heureux les sujets, dont les princes savent excuser ce que la faiblesse de la condition humaine a rendu excusable dans les hommes ! Mais ne portons point d’envie à tous ceux qui se font craindre ; ils perdent la douceur et d’aimer et d’être aimés. Revenons à des considérations plus particulières, sur l’amitié.

J’ai toujours admiré la morale d’Épicure, et je n’estime rien tant, de sa morale, que la préférence qu’il donne à l’amitié, sur toutes les autres vertus2. En effet, la justice n’est qu’une vertu, établie pour maintenir la société humaine. C’est l’ouvrage des hommes : l’amitié est l’ouvrage de la nature ; l’amitié fait toute la douceur de notre vie, quand la justice, avec toutes ses rigueurs, a bien de la peine à faire notre sûreté. Si la prudence nous fait éviter quelques maux, l’amitié les soulage tous ; si la prudence nous fait acquérir des biens, c’est l’amitié qui en fait goûter la jouissance. Avez-vous besoin de conseils fidèles ? qui peut vous les donner qu’un ami ? À qui confier vos se-


2. Saint-Évremond avoit-il donc, en 1676, changé d’opinion sur la nature de l’amitié : lui qui sembloit professer, comme on l’a vu, en 1647, que l’amitié étoit un commerce, un trafic, plutôt qu’une vertu ? Voy. supra, page 4.