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GUERRE DE BRETAGNE

sont favorables aux embuscades — dévalèrent du haut des montagnes et jetèrent dans le ravin les convois de l’arrière ainsi que les troupes qui couvraient la marche du gros de l’armée[1] ; puis, engageant la lutte, ils les massacrèrent jusqu’au dernier homme, firent main basse sur les bagages et finalement se dispersèrent avec une extrême rapidité à la faveur de la nuit qui tombait. Les Basques avaient pour eux, en cette circonstance, la légèreté de leur armement et la configuration du terrain, tandis que les Francs étaient desservis par la lourdeur de leurs armes[2] et leur position en contre-bas. Dans ce combat furent tués le sénéchal Eggihard[3], le comte du palais Anselme[4] et Roland, duc de la marche de Bretagne[5], ainsi que plusieurs autres. Et ce revers ne put être vengé sur-le-champ parce que les ennemis, le coup fait, se dispersèrent si bien que nul ne put savoir en quel coin du monde il eût fallu les chercher.

[10.] Charles triompha aussi des Bretons, qui habitent à l’Occident, à l’une des extrémités de la Gaule, sur les bords de l’Océan. Comme ils refusaient de lui obéir, il envoya chez eux une armée qui les contraignit à livrer des otages et à promettre de faire ce qu’on leur commanderait[6].

  1. Les Annales royales parlent d’un combat où toute l’armée fut engagée (voir le texte cité plus haut, p. 28, n. 1).
  2. On a vu (p. 28, n. 1) que l’auteur des Annales royales reconnaît aux Francs la supériorité de l’armement. Éginhard renchérit pour atténuer la portée de la défaite.
  3. Éginhard est seul à donner des noms — qui étaient de son temps dans toutes les mémoires, tant le souvenir de cette journée fatale était resté cuisant : « Quorum quia vulgata sunt nomina dicere supersedeo », écrit à propos des morts de Roncevaux le biographe de Louis le Pieux qu’on a surnommé l’Astronome (Vita Hludovici, ch. 2, dans les Monumenta Germaniae, Scriptores, t. II, p. 608). Mais nous avons l’épitaphe d’Eggihard (Monumenta Germaniae, Poetae Carolini aevi, t. I, p. 109 ; K. Neff, Die Gedichte des Paulus Diaconus, au t. III des Quellen und Untersuchungen zur lateinischen Philologie des Mittelalters, fasc. 4, 1908, p. 176-177). Cette épitaphe donne la date du combat (15 août). Eggihard était sénéchal du roi et, à ce titre, avait dans ses attributions le service de la table royale : aussi Éginhard le qualifie-t-il « praepositus regiae mensae », ce qui est, à cette époque, en latin classique, l’équivalent de « senescalcus ». On dira plus tard « dapifer » (« porte-plats »).
  4. Il est cité dans divers actes en 775 et 777 (Monumenta Germaniae, Diplomata Karolinorum, t. I, p. 147 et 156 ; Tardif, Monuments historiques, p. 62).
  5. Peut-être est-ce dans ce texte que l’auteur de la Chanson de Roland a lu d’abord le nom de son héros.
  6. Éginhard paraphrase la deuxième rédaction des Annales royales, qui porte en effet, sous l’année 786 : « Exercitum in Brittanniam cismarinam mittere constituit. Nam cum ab Anglis ac Saxonibus Brittannia insula fuisset invasa, magna pars incolarum ejus mare traiciens in ultimis Galliae finibus Venetorum et Coriosolitarum regiones occupavit. Is populus… vectigal… solvere solebat. Cumque eo tempore dicto audiens non esset, missus illuc regiae mensae praepositus Audulfus perfidae gentis contumaciam compressit… et obsides quos acceperat… adduxit » (éd. Kurze, p. 73). — Mais Éginhard simplifie à l’excès quand il admet que cette seule expédition de 786 a eu raison définitivement des Bretons : les Annales auraient dû lui apprendre qu’en 799 et en 811 de nouvelles campagnes furent nécessaires, qui n’aboutirent elles-mêmes qu’à des résultats très instables.