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PROLOGUE

passer à la postérité, s’inquiéterait moins de la qualité de ses écrits que de son désir d’assurer auprès des générations futures, en racontant les hauts faits de ses contemporains, la gloire de son propre nom. Je n’ai pourtant pas cru devoir renoncer à cet ouvrage, conscient que j’étais de pouvoir y apporter plus de vérité que personne, puisque j’ai participé aux événements que je rappelle, que j’en ai été, comme on dit, le témoin oculaire et qu’au surplus je n’ai pu savoir d’une façon positive si le tableau en serait tracé par un autre que moi. J’ai jugé enfin que mieux valait m’exposer à répéter en d’autres termes des choses déjà dites que de laisser la vie illustre du meilleur et du plus grand roi de cette époque et ses exploits, aujourd’hui presque inimitables, s’effacer dans les ténèbres de l’oubli.

À ces motifs de composer mon livre s’en ajoute un autre — raisonnable, je pense, et qui eût pu suffire à lui seul : la reconnaissance envers l’homme qui m’a nourri[1] et l’amitié indéfectible nouée tant avec lui qu’avec ses enfants[2] dès que j’ai commencé de vivre à sa cour. La dette que j’ai contractée ainsi envers lui et envers sa mémoire est telle que j’aurais l’air d’un ingrat et qu’on serait fondé à me juger de la sorte si, oublieux de tous les bienfaits dont j’ai été gratifié, je passais sous silence les actes glorieux et illustres de celui à qui j’ai tant d’obligations et si je souffrais que sa vie restât, comme non avenue, ignorée et privée des louanges qui lui sont dues.

Pour la conter et l’exposer, il aurait fallu mieux que mon pauvre esprit, débile presque jusqu’à la nullité ; il aurait fallu l’éloquence d’un Cicéron. Mais, tel quel, voici ce livre destiné à perpétuer la mémoire du célèbre grand homme. En

  1. Sur le sens de cette expression, voir ci-dessus, p. 3, n. 1.
  2. Comme nous l’avons rappelé dans notre Introduction (p. vi), Éginhard avait été, au début de son séjour au palais carolingien, le condisciple des fils de Charlemagne, et l’amitié qu’il avait dès lors nouée avec Louis le Pieux est à l’origine de sa fortune politique.