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PRÉSAGES DE LA MORT DE CHARLEMAGNE

fort de matériaux entre la basilique et le palais s’écroula subitement de fond en comble le jour de l’Ascension du Seigneur[1]. Puis, le feu ayant pris par hasard au pont de bois qu’il avait jeté sur le Rhin à Mayence[2] — ce pont qui n’avait pas demandé moins de dix ans d’un rude labeur et qui était si admirablement construit qu’il semblait devoir durer éternellement[3] — l’incendie gagna si vite qu’au bout de trois heures, réserve faite de ce qui était recouvert par l’eau, tout était consumé et qu’il n’en restait pas une planche. Charles fut lui-même victime d’un accident significatif au cours de sa dernière expédition en Saxe contre le roi des Danois Godefrid[4].

Un jour qu’il avait quitté le camp et s’était mis en route avant le lever du soleil, il vit soudain une torche éblouissante descendre miraculeusement d’un ciel serein et traverser l’air de droite à gauche. Et comme l’on se demandait ce que présageait ce phénomène, le cheval qu’il montait baissa brusquement la tête et tomba en le précipitant à terre avec une telle violence que la fibule de son manteau se rompit et que le baudrier de son glaive fut arraché. Quand ses serviteurs, témoins de l’accident, se précipitèrent pour le relever, ils le trouvèrent sans armes, sans manteau, et l’on ramassa à au moins vingt pieds de distance un javelot qui lui avait échappé des mains au moment de sa chute.

  1. Les Annales royales rapportent, en termes analogues, un accident identique survenu en 817 seulement, c’est-à-dire après la mort de Charlemagne. Elles parlent à ce propos d’un portique qui, comme celui de Charlemagne, mettait en communication directe le palais et l’église d’Aix, mais elles ajoutent qu’il était en bois « vermoulu et pourri », ce qui est surprenant pour un portique dont la reconstruction eût été toute récente si Éginhard n’a pas fait erreur, d’autant plus surprenant même que l’annaliste n’a pas un mot pour rappeler ce prétendu accident antérieur : « … Feria quinta, qua cena Domini celebratur, cum imperator ab ecclesia… remearet, lignea porticus per quam incedebat, cum et fragili materia esset aedificata et tune jam marcida et putrefacta… incendentem desuper imperatorem subita ruina… ad terram usque deposuit » (éd. Kurze, p. 146).
  2. Cet incendie (mai 813) est signalé brièvement dans la dernière rédaction des Annales royales sous l’année 813 (éd. Kurze, p. 137). Éginhard reproduit quelques-unes des expressions de l’annaliste. Voir ci-dessus, p. 51, n. 3.
  3. Éginhard semble oublier qu’il était en bois !
  4. En 810. Voir ci-dessus, § 14.