Pétrarque et son siècle

LITTÉRATURE.

PÉTRARQUE ET SON SIÈCLE.



Il paraîtra sans doute étrange que j’inaugure ma collaboration à une revue qui prend le titre de contemporaine par une histoire du quatorzième siècle. Mais les grands poètes sont contemporains de tous les âges et de tous les peuples, et le nom, les amours et les vers de Pétrarque, du second poète digne de ce titre qu’aient vu naître l’Italie et l’Europe moderne, feront longtemps l’entretien des hommes assez heureusement nés pour se distraire, par l’étude des lettres, des tristesses et des afflictions de leur temps. Comme le Dante, il vint au monde au milieu de ces guerres désastreuses qu’avait allumées la rivalité des empereurs et des papes. Née en Allemagne, entre les maisons de Souabe et de Bavière, la querelle des Guelfes et des Gibelins fut augmentée par l’intervention de la cour de Rome, qui, après avoir couronné par la main de ses légats un prince de Souabe, devint fatalement l’ennemie de cette maison, par cela seul qu’elle se maintenait en possession de l’empire et qu’elle en soutenait les droits contre les prétentions des souverains pontifes. Cette guerre civile fut transportée en Italie par l’irruption de Frédéric Barberousse, le plus illustre des empereurs de cette famille ; et les Italiens, qui avaient déjà la triste habitude de s’égorger pour des intérêts qui n’étaient pas les leurs, se divisèrent sous deux noms allemands, dont ils ignoraient peut-être l’origine. Les Gibelins, partisans de l’empereur, prirent leur nom du château de Wablinga ou Gueibeling, domaine des seigneurs de Souabe. Les Guelfes, défenseurs de la papauté, tirèrent le leur des Welfs, qui possédaient alors le duché de Bavière. Quelles que fussent dès ce moment les querelles que faisait surgir l’ambition ou la vanité des provinces, des cités ou des familles italiennes, elles prenaient l’importance de cette guerre du sacerdoce et de l’empire par l’adoption que faisaient les deux partis de ces dénominations sinistres. L’ardeur du climat, le caractère violent des peuples du Midi donnèrent à ces factions une vigueur nouvelle : les assassinats, les empoisonnements, les massacres, les proscriptions, les incendies, les supplices les plus barbares, les vengeances les plus horribles signalèrent tour à tour la haine des deux partis ; et les auteurs de tant de crimes osaient y joindre encore celui de les couvrir du nom de patriotisme. Ils déchiraient, ils ravageaient, ils ensanglantaient leur patrie, et se vantaient de ne le faire que pour sa gloire. Les Guelfes ne voyaient sa liberté, son indépendance que dans le triomphe d’un souverain qui siégeait sous la tiare dans la vieille capitale des Césars ; les Gibelins repoussaient la domination temporelle d’un pontife, pour reconnaître celle d’un prince qui siégeait en César dans un palais de la Germanie.

C’est par une rivalité de famille que furent introduits à Florence ces noms de fatal augure ; et, comme la République romaine et la guerre de Troie, ce furent les beaux yeux d’une femme qui allumèrent la guerre Florentine. Machiavel nous apprend qu’un chevalier de Buondelmonte, fiancé d’une fille des Amidei, s’étant subitement épris d’une Donati, rompit ses premiers engagemens pour l’épouser. Les Amidei et les Uberti, leurs alliés, lavèrent cette injure dans le sang de l’infidèle ; et les Florentins, partagés en deux factions rivales, luttèrent pendant longtemps de violences et de crimes. Les deux partis se distinguèrent d’abord par les noms de Blancs et de Noirs. Mais les blancs devinrent bientôt des Gibelins, et les noirs se transformèrent en Guelfes. Le père de Pétrarque fut jeté dans ces querelles sanglantes. Notaire à Florence, comme son père et son aïeul Garzo, il n’eut pas comme ce dernier le bonheur d’achever une vie paisible de cent quatre ans dans le même lit où il l’avait commencée. Initié aux affaires publiques, chargé de plusieurs missions importantes, Petracco se trouvait dans un poste honorable, quand surgit cette dispute des noirs et des blancs. La victoire restait aux derniers, quand Charles de Valois, traversant l’Italie pour soutenir la maison d’Anjou en Sicile, fut prié par Boniface VIII de s’arrêter à Florence pour réconcilier les deux partis, ou plutôt pour rétablir la faction des noirs. Appuyés par ses armes, les Guelfes rentrèrent en vainqueurs dans leur patrie ; et le prétendu médiateur devint le complice des vengeances qu’ils exercèrent sur les Gibelins. Le Dante fut un des proscrits de cette réaction sanglante, et se vengea de Charles de Valois par la vigoureuse satire contre la maison de France, qu’il a jetée dans le vingtième chant de son purgatoire. Petracco, condamné comme lui, ne se déroba que par la fuite à la colère des mêmes ennemis. La Ville d’Arezzo devint son refuge. Il y conduisit sa jeune femme Eletta Canigiani, et c’est là que, deux ans après, dans la nuit du 19 au 20 juillet 1304, elle donna naissance à notre poète, à l’heure même où son époux Petracco combattait vainement dans les rues de Florence pour reconquérir une patrie.

Baptisé sous le nom de Francesco di Petracco, le poète adopta plus tard celui de Petrarco. Son enfance fut errante comme sa famille. Sept mois après sa naissance, Eletta s’établit au bourg d’Inciza, dans la vallée de l’Arno, et ce déplacement a causé l’erreur des biographes, qui l’ont fait naître dans ce nouveau refuge de sa mère. Sept ans après, la cause des Gibelins ayant été relevée par la présence de l’empereur Henri VII en Italie, Petracco se rendit à Pise pour attendre les résultats de cette révolution nouvelle ; mais la mort de ce prince, empoisonné, dit-on, par un dominicain, ayant fait perdre à cette fa- mille l’espoir de rentrer dans Florence, elle vint chercher dans le comtat Venaissin le repos qu’elle ne pouvait plus trouver en Toscane. Les proscrits et les mécontens de l’Italie se rendaient en foule dans la ville d’Avignon, où Clément V avait depuis peu fixé sa résidence ; les Gibelins même trouvaient un asile à la cour du chef des Guelfes ; mais le nombre de ces réfugiés ayant encombré la nouvelle capitale du monde catholique, ceux que leurs affaires ou leurs devoirs n’obligeaient point à y séjourner refluèrent dans les autres villes du comtat ; et, quoique fixé lui-même à Avignon, Petracco adopta le séjour de Carpentras pour ses enfans et pour sa femme. C’est là que vint les rejoindre le grammairien Convennole da Prato, qui avait commencé en Italie l’éducation littéraire du jeune Pétrarque. Ce vieillard qui, voué depuis soixante ans à l’instruction de la jeunesse, comptait déjà au nombre de ses disciples une foule de cardinaux et de prélats, s’attendrissait au nom de son nouvel élève, et jurait qu’il n’en avait jamais eu de plus cher à son cœur. Une intelligence au-dessus de son âge et de son siècle le distinguait en effet de ses condisciples. Ceux-ci traduisaient à peine les fables de Phèdre et les sentences de saint Prosper ou plutôt de saint Augustin, dont le poète d’Aquitaine n’était que le collecteur, que Pétrarque expliquait de lui-même le latin de Cicéron. Il en avait découvert un exemplaire dans la bibliothèque de son père, et l’orateur romain était devenu son principal maître et la première passion de son enfance. Il lui dut, sans doute, cette élégance, cette douceur de style qui font le caractère de sa poésie, et ce fut peut-être un accident heureux pour la langue italienne que cette communication, cette familiarité que le hasard fit naître entre Cicéron et Pétrarque.

Mais les lettres ne menaient point alors à la fortune ; et, quoique son père fut loin de partager le mépris qu’on faisait de cette studieuse oisiveté, il dut songer à l’avenir de son fils et lui procurer dans la connaissance du droit le seul moyen de s’élever et de rétablir ainsi la fortune que les discordes civiles avaient enlevée à cette famille. Les universités de Paris, de Montpellier et de Bologne étaient depuis longtemps célèbres, et Pétrarque fut envoyé, dès l’âge de quatorze ans, dans la seconde de ces villes. Mais les écrivains du siècle d’Auguste s’étaient emparés de son intelligence. Elle se montra rebelle aux arides leçons de la jurisprudence du moyen-âge ; et, après quatre ans d’un séjour infructueux, Petracco, s’en prenant à la négligence des professeurs de Montpellier, le fit passer à l’université de Bologne, dans l’espoir que la réputation de ses maîtres pourrait aiguillonner l’amour-propre de son fils. La répugnance de Pétrarque ne céda point à cette nouvelle épreuve ; il fut à Bologne ce qu’il avait été à Montpellier, le fanatique admirateur de Cicéron, de Virgile, d’Horace ; et son dégoût invincible pour le Code et les Décrétales ne fit que s’accroître avec ses années. Un sentiment de loyauté se mêlait toutefois à cette répugnance. La cupidité, la mauvaise foi des jurisconsultes de l’époque le révoltait. Il s’appuyait, sans doute, sur ce motif pour justifier sa paresse. Mais c’était déjà vrai de son temps. « Tout en eux est vénal, disait-il dans ses lettres. Les plus habiles sont ceux qui savent le mieux détourner les lois de leur sens véritable, et c’est pour les éluder ou les violer impunément qu’ils les étudient. La candeur de mon âme ne me permettait pas de me livrer à une étude dont on abuse tous les jours aux dépens de la probité. » Ces lettres sont connues de son père. Petracco apprend enfin la cause de cette antipathie. Il court à Bologne. Il trouve les précieux manuscrits que son fils avait cachés à la nouvelle de cette invasion paternelle, et les jette dans le feu sous les yeux de leur malheureux adorateur. Pétrarque se précipite aux genoux de son père, il fond en larmes, il pousse des cris déchirans. Rendez-les moi, dit-il en cherchant à ressaisir d’une main ce que la flamine dévore ; rendez-les moi, je me suis privé de tout pour les acheter. Son désespoir était si vrai, sa douleur si expansive, que le courroux du père fléchit ; il arrache lui-même au foyer ce que la flamme a respecté encore. Tenez, lui dit-il, tenez ; Virgile vous consolera de la perte des autres, et Cicéron lui-même vous préparera peut-être un jour à l’étude des lois.

La prophétie ne pouvait s’accomplir, et Pétrarque s’efforça vaine- ment d’obéir à son père. C’était peu d’un penchant irrésistible pour en détourner ce jeune homme de dix-huit ans. Il avait, sous ses yeux, deux exemples qui le fortifiaient dans son étude favorite. Guittone Guittoncino, plus connu sous le nom de Cino de Pistoie, joignait à l’enseignement du droit l’étude de la poésie. Ses vers, oubliés depuis, jouissaient alors de quelque réputation. Il n’était pas le maître de Pétrarque, comme on l’a souvent imprimé, il est même douteux qu’il ait professé à Bologne ; mais Pétrarque devait au moins le connaître ; l’autre exemple était plus près de lui. Francesco Stabili professait l’astrologie et la philosophie dans cette université même, sous le diminutif de Cecco d’Ascoli. Ses vers ne valaient pas ceux de Cino, mais il aimait les vers d’Horace et de Virgile, et il entretenait ce goût naissant dans son jeune disciple. Ces deux professeurs étaient les amis du Dante. Cino était même en commerce de sonnets avec l’auteur de la Divine Comédie. Mais Cecco, s’étant brouillé avec ce grand poète, eut le malheur de publier une critique acerbe de cet illustre Florentin ; et il fut brûlé vif, sous prétexte de sorcellerie, mais en expiation de sa critique, dans la ville mème qui, vingt-cinq ans auparavant, avait exilé le poète, qu’elle vengeait avec tant de barbarie. Pendant les tourmentes politiques, il ne faut que vivre pour passer des gémonies au panthéon, et du capitole à la roche tarpéienne.

Encouragé par de telles leçons, Pétrarque donna l’essor à son génie ; et les transports d’admiration, que ses essais firent éclater parmi ses compagnons et ses maîtres, achevèrent de déterminer sa vocation poétique. Ses premiers vers ne sont point venus jusqu’à nous. Les premiers que la postérité ait recueillis sont ceux d’une élégie latine qu’il composa sur la mort de sa mère. C’est au retour de Venise, où l’un de ses maîtres l’avait conduit, qu’il apprit cette triste nouvelle. Il cherche des consolations en perpétuant ainsi le souvenir des vertus et de la beauté de celle que la mort lui enlevait à l’âge de trente-huit ans ; et je dis à regret que la douleur lui laissa assez de liberté d’esprit pour mesurer le nombre de ses vers à l’âge de celle qui lui avait donné la vie. Petracco ne put survivre à la compagne de son exil ; et notre poète, orphelin à vingt-deux ans, revint avec son frère Gérard dans le Comtat, pour recueillir les faibles débris d’un héritage que les genş d’affaires avaient déjà dévoré. L’effet le plus précieux de cette succession fut, selon Pétrarque lui-même, ce manuscrit de Cicéron qui avait entraîné son enfance ; et il rendit grâces à l’ignorance de ses spoliateurs, dont l’avarice l’avait réduit à la nécessité d’emprunter de Thomas de Messine, son condisciple et son ami, les moyens de retourner dans son pays adoptif.

Voilà donc Pétrarque livré à lui-même, pouvant à peine suffire à l’entretien de son frère et de sa sœur, et chargé encore de son maître Convennole, qui, accablé d’ans et de misère, n’avait vécu que des bienfaits de Petracco. Le fils de ce généreux Florentin ne répudia point cette portion de l’héritage paternel : il aida Convennole du mieux qu’il lui fut possible, et, pour suppléer à l’insuffisance de ses ressources, il mettait souvent ses livres en gage pour subvenir aux nécessités de son vieux maître.

Le besoin d’un état se fit sentir enfin, et il choisit la cléricature, qui, en l’introduisant dans le palais pontifical, en le rapprochant de la source des grâces, ne lui imposait pas des devoirs assez austères pour le détourner des études qui avaient fait le charme de sa jeunesse. Il trouva dans ce nouvel état les moyens de subvenir à l’entretien de sa sœur Salvaggia et aux folles dépenses de son frère Gérard, qui se livrait sans scrupule à tous les plaisirs de son âge. Ses économies, les privations qu’il s’imposait à lui-même, lui permirent de faire face à tout et de donner, deux ans après, à sa sœur une dot convenable.

Que d’écueils environnaient cependant la jeunesse de Pétrarque ! Ardent aux voluptés, dans l’âge brûlant des passions, sans autre appui que sa raison, sans autre guide que sa vertu, il se trouva jeté dans le tourbillon d’une cour et d’une ville où la débauche et le libertinage marchaient tète levée. Le tableau qu’il a fait d’Avignon à cette époque nous présente cette ville comme un foyer de corruption et de licence. Jean XXII était cependant un pontife vénérable. C’était le fils d’un savetier de Cahors, qui, sous le nom de Jacques d’Euse, s’était élevé par son seul mérite. Son savoir lui avait valu la faveur du roi Robert de Naples, et, après s’être distingué dans ses trois évêchés de Fréjus, d’Avignon et de Porto, il avait succédé au pape Clément V dans le gouvernement de la chrétienté. L’historien Villani, qui le traite parfois assez mal, vante pourtant sa piété, sa sobriété, son économie, sa fermeté inébranlable, sa grande connaissance des affaires ; et quoiqu’il eût plus de quatre-vingts ans quand Pétrarque vint se fixer à Avignon, ce pontife avait trouvé assez d’énergie dans son âme et assez de respect dans les peuples d’Italie pour triompher du fond de son palais des intrigues et des armées de l’empereur Louis de Bavière. L’anti-pape, que la révolte de ses sujets romains lui avait donné pour rival, avait même été contraint de venir abdiquer à ses pieds une tiare usurpée. Mais il n’eut point la force de réprimer les scandales de sa cour et de sa ville. Des lieux de prostitution furent, au dire de Pétrarque, ouverts dans les environs de son palais, et jusques dans le voisinage des temples.

Ces lieux impurs furent longtemps sans danger pour notre poète, et sa conduite ne dégrada point les avantages que la nature lui avait prodigués. La beauté de ses traits, la vivacité de sa physionomie, la richesse de sa taille, la noble aisance de ses manières, la recherche même de sa parure prévenaient d’abord en sa, faveur ; et quand on avait connu les agrémens et la justesse de son esprit qu’aidait la plus heureuse mémoire, quand on avait apprécié la clarté, la précision de sa logique, la candeur de son âme, la franchise, la pureté de son caractère, il était impossible de ne pas rechercher son amitié, de ne point s’attacher à une nature d’homme qui touchait de si près à la perfection. Les triomphes de ce genre durent satisfaire sa vanité. Admis à la familiarité des grands, il s’y montra simple et modeste sans bassesse, comme un homme qui prenait sa place dans le monde. Un astrologue lui avait prédit dans son enfance qu’il acquerrait les bonnes grâces de tous les illustres de son siècle ; et ces succès, que dans un âge plus avancé sa modestie avait peine à concevoir, ne semblaient à sa jeunesse que le retour légitime de ce qu’il accordait au mérite des autres ; ajoutons qu’il sut toujours se maintenir dans rang que ses talens lui avaient assigné, et quelque besoin qu’il eût pour sa fortune de la protection des puissans, il ne perdit jamais avec eux la dignité, la noble indépendance de son caractère. On a peine à croire que l’honnête dissipation de sa vie, le désir immodéré qu’il avait de paraître et de plaire, le soin même de son existence lui aient laissé dès lors assez de loisir pour cultiver les Muses. Mais sa passion pour les vers n’en était pas plus refroidie. Ses liaisons le ramenaient même à l’étude de ses auteurs favoris. C’était encore l’amour du travail qui déterminait son amitié, et le choix de ses connaissances les plus intimes dans une ville aussi dépravée suffirait seul à son éloge.

Le vieux Jean de Florence, savant illustre, charmé des talens de son jeune compatriote, s’en fit le tuteur et le conseiller. Il l’encouragea par ses louanges, le dirigea dans ses études, le consola dans ses peines, le soutint dans les heures de découragement qu’amenaient les embarras de sa position et les impatiences de son ambition littéraire. Pétrarque répondit par un respect sans bornes aux bontés de ce vieillard. Son cœur n’avait point de secrets pour lui, et pendant les cinq années que vécut encore Jean de Florence, son jeune ami ne lui donna d’autre nom que celui de son père. Pendant que ce vieillard formait son goût et réglait les écarts de son imagination ardente, un autre le mettait à même de satisfaire la soif qu’il avait de tout connaître. Il disait, dans un accès hyperbolique, que l’esprit ne pouvait produire s’il n’était inondé du fleuve immense des connaissances humaines. Il recherchait avec une incroyable activité les possesseurs des manuscrits qu’il ne pouvait acquérir. Ces manuscrits étaient encore d’une rareté extrême. Peu de copistes passaient leur temps à les reproduire ; les livres de droit les occupaient de préférence, et les avares détenteurs des trésors de la vieille latinité n’aimaient point à partager leurs jouissances.

La bibliothèque de Raymond Soranzo était alors une des plus riches d’Avignon, et la connaissance de ce jurisconsulte fut ardemment désirée par notre poète. Il apprit que ce vieillard faisait fort peu de cas des livres qui ne traitaient point de la science des lois, quoiqu’il en eût rassemblé à grands frais un bon nombre de cette espèce, que le seul Tite-Live était excepté de cette proscription, et qu’étant peu versé dans la connaissance de l’histoire, le vieux jurisconsulte avait souvent peine à comprendre cet historien. Pétrarque ne tarda point à pénétrer dans ce sanctuaire. Il sut se rendre nécessaire à Raymond Soranzo par l’étude particulière qu’il avait faite de l’histoire de Rome, et disposa bientôt de cette collection précieuse. Il fit transcrire sous ses yeux quelques-uns de ces manuscrits, et il en transcrivit lui-même. D’autres lui servirent à rectifier les erreurs que des copistes mal habiles nous auraient transmises sans doute, sans le zèle et la patience de notre poète. Soranzo lui donna même quelques traités de Varron et de Cicéron, parmi lesquels se trouvait celui de la Gloire. Mais ce traité n’est point arrivé jusqu’à l’imprimerie. Mis en gage par le vieux Convennole, il ne s’est plus retrouvé depuis, et les bontés de Pétrarque pour son vieux maître nous ont fait perdre ce précieux lambeau des œuvres de Cicéron.

Une liaison plus importante vint au secours de sa fortune. Parmi les personnages qui faisaient l’ornement de la Cour de Jean XXII, Pétrarque retrouva un de ses condisciples qui, pendant son séjour à Bologne, ne s’était pas même informé de ce qu’il était. Leur seconde rencontre fut plus heureuse. La conformité de leurs goûts et de leur âge les unit cette fois pour la vie, et Jacques Colonne devint l’ami et le protecteur de Pétrarque. Il était de cette famille illustre, dont les généalogistes italiens ont sérieusement cherché le nom sur les colonnes d’Hercule ou sur la colonne Trajane, et l’origine dans le sang d’un demi-dieu ou du vainqueur des Daces. Elle n’avait pas besoin de ces titres imaginaires. Ses services, ses dignités, ses alliances en faisaient déjà une des plus célèbres maisons de l’Italie ; et cette protection fut un grand bonheur pour Pétrarque et pour les lettres. « Jacques Colonne, dit-il, était un homme incomparable. Les dons que lui avaient prodigués la nature et la fortune n’avaient altéré ni sa simplicité, ni sa modestie, ni la pureté de ses mœurs. Supérieur par l’éloquence, il tenait le cœur des hommes dans ses mains, et son âme se montrait à découvert dans ses écrits comme dans ses discours. » Pétrarque fut séduit, Colonne disposa de son cœur ; et le poète, honoré de sa familiarité la plus intime, fut associé pour ainsi dire à cette famille. Le cardinal Colonne, frère de Jacques, ami des lettres et des sciences, faisait ses délices de la conversation des hommes qui les cultivaient. Il força Pétrarque d’être son commensal et son hôte. « J’étais, dit-il, dans sa maison comme dans la mienne. Ce n’était point un maître pour moi que cet homme, dont la simplicité, l’innocence et le savoir contrastait si fortement avec les mœurs de tant de princes de l’église. C’était le frère le plus cher et le plus tendre. » Son estime pour Pétrarque éclata dans une circonstance qui fait trop d’honneur à ce poète pour être négligée. Une querelle sanglante divisait les gens du cardinal. Il voulut faire justice ; et pour connaître la vérité, il obligea toute sa maison à prêter serment sur l’évangile. Ses frères mêmes, quoique revêtus de dignités ecclésiastiques, n’en furent point dispensés. Mais au moment où Pétrarque se présenta, le cardinal ferma le livre, et renouvelant à son égard ce que les magistrats d’Athènes avaient fait pour le philosophe Xenocrate, il lui dit : Arrêtez, Pétrarque, il me suffit de votre parole.

La maison du cardinal Colonne était le rendez-vous de tous les étrangers célèbres, que la cour du pontife attirait de toutes les parties de l’Europe. Ces réunions, que chaque jour renouvelait, furent pour Pétrarque une occasion d’acquérir cette variété de connaissances qui distingue ses ouvrages, et un moyen d’étendre la renommée qu’ils devaient lui mériter. Là se formèrent ses relations avec les savans de tous les pays. C’est là qu’il connut Richard de Bury, évêque de Durham, ministre et favori d’Édouard III, qui fut envoyé deux fois à Avignon par le roi d’Angleterre. C’était un savant de premier ordre, qui, passionné pour les livres, employait la plus grande partie de sa fortune à ces recherches dispendieuses. L’Europe lui devait ses premières grammaires hébraïques et grecques ; et les entretiens de ce prélat érudit ajoutèrent à l’instruction de Pétrarque. La famille du cardinal lui offrit encore deux amis et deux protecteurs : Jean de Saint-Vit, seigneur de Gensano, oncle du prélat, exilé de l’Italie par Boniface VIII, contre lequel il avait pris les armes, avait promené sa vie laborieuse et vagabonde à travers la Perse, l’Égypte et l’Arabie. Pétrarque interrogeait la vieillesse et l’expérience de ce guerrier qui avait rapporté de ses voyages une infinité de connaissances utiles. Étienne Colonne, son frère, que l’Italie comptait alors au nombre de ses héros, était pour ainsi dire le répertoire vivant de la ville éternelle. Il aimait à parler de ses grandeurs et de ses monumens, qu’il décrivait avec l’enthousiasme du patriotisme. Pétrarque eut occasion de le connaitre pendant le voyage qu’il fit à Avignon pour se concerter avec le pape sur les moyens de rétablir la paix en Italie, et ne pouvait se rassassier des entretiens de ce chef de la famille qui l’avait adopté.

L’heure vint cependant où Pétrarque fut saisi de cette passion qui a fait son tourment et sa gloire, qui s’est identifiée avec sa vie entière. Des beautés sans nombre avaient jusque-là brigué sa conquête, mais la facilité de ces triomphes ne lui présentait que des plaisirs suivis de regrets et de dégoûts. Il avoue même qu’il en résulta des embarras nouveaux pour sa fortune, et qu’il fut obligé de pourvoir à l’entretien de deux enfans dont, par réserve ou par pudeur, il n’a point nommé les mères. Il fallait à son cœur un amour plus pur et plus digne de lui, et c’est le 6 avril 1327, dans l’église de Sainte-Claire, que l’aspect de Laure l’enflamma tout à coup d’une ardeur qu’il n’avait point encore ressentie. Il peint lui-même dans ces vers, que j’ai essayé de traduire, l’atteinte de cette passion que rien n’a pu vaincre.

L’amour depuis longtemps s’essayait sur mon cœur,

Et de ses traits déplorait l’impuissance.
De la jeunesse en moi se flétrissait la fleur ;
Et de mes froids pensers l’heureuse indifférence
Semblait ceindre ce cœur d’un mur de diamant
Qu’assiégeait sans relache et sapait vainement
Le dieu dont mon orgueil défiait la vengeance.
De mon sommeil rien ne troublait la paix.
Les larmes sur mon sein ne coulaient point encore.
Des faiblesses d’autrui, crédule, je riais.
On conçoit peu le danger qu’on ignore.
Malheureux que je suis, insensé que j’étais !
Qui peut avant la mort s’applaudir de sa vie ?
Ce dieu qui cause mes regrets,
Voyant toujours que de ses traits
La vigueur sur mon sein expirait amortie,
A pris pour me réduire une jeune beauté
Contre qui ne peut rien la force ni l’adresse ;
De qui jamais mes vœux ni ma tendresse

Ne fléchiront la cruauté.

Laure était la fille d’Audibert de Noves, et depuis deux ans à peine l’épouse de Hugues de Sade. Son âge suivait de près celui de Pétrarque, qui venait d’achever sa vingt-troisième année, et, s’il faut en croire les vers qu’il a consacrés à sa beauté, Laure était une des plus belles femmes de son temps. Les inspirations qu’il dut à cet amour, ses odes, ses sonnets, ses madrigaux, ses ballades, toutes ces poésies qu’il appelait dans sa vieillesse des frivolités vulgaires, qu’il aurait peut-être anéanties, si l’admiration de ses contemporains ne les eût protégées, sont les plus beaux fleurons de sa couronne poétique. Il avait écrit, jusque là, dans cette langue dégénérée que notre goût a flétrie du nom de basse latinité, et le Dante lui-même avait écrit en latin les premiers chants de son Enfer. Mais, grâce aux conseils de Brunetto Latini, son maître, l’auteur de la Divine Comédie ayant adopté le dialecte toscan, Pétrarque osa le prendre pour modèle ; et cette langue austère, un peu sauvage, que le Dante avait pour ainsi dire créée, reçut du génie plus doux de Pétrarque et sous l’inspiration de l’amour le plus tendre et le plus passionné, une grâce, une élégance, une harmonie que ses successeurs n’ont jamais surpassées. Qui lirait aujourd’hui le poëme de l’Afrique, écrit en latin par Pétrarque, et ses épîtres familières, et ses églogues latines, où sont jetées pêle-mêle les phrases et les pensées de Cicéron, de Senèque et de saint Augustin, devenu plus tard une de ses prédilections ? Quel homme du monde saurait aujourd’hui qu’il a existé un Pétrarque, ce Pétrarque n’eût aimé, si l’amour et sans doute le besoin d’être compris d’une femme ne l’eût forcé de peindre ses sentimens dans la langue du vulgaire ? Si notre curiosité a cherché dans ses œuvres latines quelle avait été la vie de ce poète, c’est que ses poésies italiennes nous avaient intéressés à connaître les moindres détails de cette vie, qu’elles en avaient fait l’homme de son siècle. Philippe Villani, son contemporain et son biographe, assure que tout le monde savait par cœur ses sonnets et ses odes. Les vieillards les plus graves, séduits par la douceur de ses poésies amoureuses, se faisaient un plaisir de les réciter. Elles ne sont pas pourtant sans défauts. Ceux qui les admirent le plus ne peuvent s’empêcher d’y remarquer des vers inutiles, des pensées froides, des comparai- sons bizarres, des concetti ridicules. Mais ces défauts, qui tiennent moins à l’expression qu’à la pensée, moins au poète qu’à son époque, ne nuisent en rien à la suavité d’une langue qui lui a dù sa clarté, sa souplesse, comme elle devait son énergie à l’âpre génie du peintre de l’enfer. L’amour, qui dominait l’imagination de Pétrarque, lui inspirait de ces pensées dont la délicatesse nous enchante, de ces expressions gracieuses et passionnées, que, depuis Tibulle, personne n’avait encore retrouvées. Il fourmille de ces vers qui s’échappent du cœur à l’insu de l’esprit, que le cœur seul peut entendre et traduire. C’est là ce qui lui a mérité le culte dont il a été l’objet, les titres glorieux que lui ont décernés ses compatriotes. C’est dans ces fragmens inimitables que Muratori le présentait comme un modèle de goût.

Un autre mérite se faisait remarquer dans ses poésies amoureuses, et Pétrarque le dut à la chasteté, à la délicatesse de sa passion. « La vierge la plus scrupuleuse, disait, deux ou trois siècles après, l’évêque Panigarole, pourrait les lire toutes sans rougir. Tout y est renfermé dans les bornes d’une décence austère ; dans les écarts passagers d’un tempérament de feu, qu’irritait encore une passion malheureuse, son imagination restait pure, et rien d’étranger à son amour ne corrompait la source de ses pensées. C’était, dit l’abbé de Sade, le pur platonisme embelli de toutes les graces de la poésie. » Il ose à peine révéler dans ses vers le nom de celle qu’il aime. C’est en divisant toutes les syllabes de ce nom chéri qu’il le hasarde pour la première fois dans un sonnet qu’un jeu de mots puéril rend peut-être indigne de lui. C’est à la huitième année de son amour qu’un autre sonnet laisse échapper ce nom tout entier. La glace une fois rompue, il le répète dans ses vers et dans ses lettres ; mais il ne fait jamais connaître ni l’état, ni la famille de Laure. Il parle seulement de l’illustration de son origine, et l’incertitude dans laquelle il nous a laissés a fait naître les conjectures les plus absurdes. La chasteté de cet amour, si extraordinaire dans un siècle de corruption, fit douter de l’existence de son objet ; et, cent ans après la mort de Pétrarque, les commentateurs et les biographes s’évertuaient à trouver le sens allégorique d’une passion qu’ils traitaient d’imaginaire. Ce fut tour à tour la science, la poésie, la vertu, la religion et la sainte Vierge. Les auteurs les plus graves disputaient sur ces ridicules hypothèses, au lieu d’aller droit à la vérité. C’est ainsi qu’un traducteur français des Lusiades, expliquant à sa manière le merveilleux de Camoëns, a transformé Jupiter en Dieu le père, Mars en Jésus-Christ, et vu la religion chrétienne dans la déesse de Gnide. Il a fallu un siècle et plus pour ramener les esprits à l’idée que cette Laure, objet d’une passion si vive et si constante, n’était pas une allégorie. Alexandre Velutello, de Lucques, l’un des plus grands admirateurs de Pétrarque, voulut résoudre ce problême. Il se transporta dans Avignon, vers 1524, et n’y trouva d’abord qu’une tradition incertaine et confuse. Un vieillard de la maison de Sade lui donna, sur la sépulture de cette femme célèbre, des renseignemens qui s’accordaient avec la note écrite de la main de Pétrarque sur le premier feuillet de son Virgile. Mais le vieillard se trompait sur une date ; et Velutello rejeta des notions qui l’auraient cependant conduit à la vérité, pour embrasser une erreur sans fondement. Il courut à Vaucluse, pour en explorer les alentours, dont, par parenthèse, la sauvagerie convient parfaitement à un amour désespéré. Les vieux registres du village de Cabrières lui présentèrent une Laure, fille d’Henri de Chiabau, seigneur du lieu, baptisée le 4 juin 1314 ; et, sans réfléchir que cette Laure n’aurait eu que douze ans à l’époque où Pétrarque fut frappé de sa beauté, il l’adopta pour l’amante du poète, bâtit un roman sur cette fable, et l’erreur de Velutello, accréditée en France et en Italie, fit rendre à la mémoire de Laure de Chiabau les hommages qui étaient dus à une autre. Quelques esprits persistaient cependant à croire que notre Laure appartenait à la maison de Sade. La note du Virgile la faisait mourir le 6 avril 1348, et cette date n’allait point à la Laure de Cabrières. La onzième églogue de Pétrarque indiquait l’église des Cordeliers comme la sépulture de la sienne, quoiqu’il en eût déguisé le nom sous celui de Galatée ; et on eut la pensée d’interroger ce tombeau. Le cardinal Sadollet, évêque de Carpentras, Jérôme Manelli de Florence, le savant Lyonnais Maurice de Sève, et Bontemps, grand-vicaire d’Avignon, le firent ouvrir en 1333. Ils y trouvèrent une boite de plomb renfermant une médaille où était gravée une tête de femme, et un sonnet écrit sur un parchemin qu’ils eurent grand’peine à déchiffrer. Ce sonnet parut un témoin irrécusable ; comme si toutes les femmes de ce temps n’avaient pas été, comme Laure, exposées à l’hommage d’un sonnet. La découverte fit cependant du bruit. François Ier régnait, et ce qui intéressait les lettres occupait alors sa nation tout entière. Ce roi passa la même année dans le comtat ; il visita le fameux tombeau, ouvrit la boîte et y inséra cette épitaphe :

En petit lieu compris vous pouvez voir
Ce qui comprend beaucoup par renommée :
Plume, labeur, la langue et le savoir,
Furent vaincus par l’aymant et l’aymée.
Ô gentil âme, estant tant estimée,
Qui te pourra louer qu’en se taisant !
Car la parole est toujours réprimée,
Quand le subjet surmonte le disant.

Cette découverte ne leva point tous les doutes. Des controverses s’établirent. On récusa l’authenticité du sonnet. On y chercha des irrégularités qu’on déclarait indignes de Pétrarque. Le cardinal Bembo, qui en demanda une copie, répondit à Barthelemy de Castellane que les vers en seraient désavoués par le plus médiocre des poètes. Les visiteurs affluèrent cependant autour de ce tombeau ; ils le chargèrent de leurs inscriptions. Le chancelier de l’Hospital a vu le sonnet et la boîte ; mais ces monumens ont disparu vers l’an 1730, et le père Faure, provincial des Cordeliers, accusa le sacristain Bassi de les avoir vendus à quelque seigneur anglais. Tout le monde est maintenant d’accord, sur la foi de Louis Beccadilly, archevêque de Raguse, et ami du cardinal Sadolet, que le sonnet n’était pas de Pétrarque ; mais il n’est plus permis de douter que sa Laure ne fut la fille d’Audibert de Noves, et la femme d’Hugues de Sade. Sa mort est constatée à la date même de 1348, établie par notre poète, et un contrat du 16 janvier 1323 atteste son mariage. Le roman de Velutello n’en obtint pas moins de crédit en Italie, et il y prévalait encore au commencement du XVIIIe siècle, si bien que Muratori lui-même n’osait se prononcer entre les deux versions.

Revenons à la vie de Pétrarque, et disons que s’il avait hésité longtemps à livrer le nom de Laure à l’éclat d’une aussi grande renommée, il connaissait trop bien le cœur des femmes pour craindre de l’offenser en louant ses attraits. La physionomie céleste de celle qu’il aime, son port noble, son visage, auquel, suivant lui, rien d’humain ne pouvait être comparé, ses beaux yeux, dont l’éclat égalait la décence, ses sourcils d’ébène, sa chevelure blonde, qui flottait sur un sein d’albâtre, cette bouche angélique, ces deux rangs de perles, qu’elle laissait voir à travers des lèvres de rose, son teint frais et vermeil, ses mains plus blanches que la neige, ses pieds agiles, ses manières gracieuses, sa voix douce et divine, son maintien modeste, tout, jusqu’à ses vêtemens, jusqu’aux ornemens de sa tête, tout est chanté dans une foule d’odes, de madrigaux et de sonnets. C’est dans cent passages de ses poésies qu’il faut recueillir ces traits épars pour en former le portrait de Laure ; mais comme tous les amans poètes sont sujets à voir toutes ces perfections dans les objets de leur amour, la postérité en croira ce qu’elle voudra.

Pétrarque fut d’abord traité sans conséquence, comme on traitait alors les passions ambulantes des troubadours et des chevaliers. Mais, dès qu’il eut fait pressentir le but secret de ses hommages, la maison de Laure lui fut fermée. Elle évita la présence de l’indiscret, et déroba sous un voile les traits charmans qui l’avaient enflammé. Ce voile faisait le désespoir du poète. Il se plaignait à chaque instant de ce rempart mobile, qui lui cachait cette beauté cruelle. Ne pouvant dompter son amour, appelant vainement la mort à son aide, il espéra trouver dans les distractions d’un voyage le repos d’esprit qu’il demandait vainement au ciel et à sa raison. Il partit d’Avignon, en 1330, à la suite de Jacques Colonne, son ami, qui allait au fond du Languedoc, prendre possession de son évéché de Lombez. Mais rien ne put le guérir, ni les joyeux entretiens des troubadours, ni les conversations des savans commensaux de l’évèque, de Cello Stephani, de Louis de Bois-le-Duc, qu’il avait surnommés Lælius et Socrate. Le poète assista même avec indifférence à la célébration des jeux floraux, que Clémence-Isaure avait institués depuis sept années. L’amour le rappelait sur les bords du Rhône, et il n’y revint que pour subir des rigueurs nouvelles. Une seconde fuite ne fut pas plus heureuse. Il visita la France et sa capitale, où régnait, depuis six ans, Philippe de Valois. Il y retrouva les deux docteurs que Jean XXII y envoyait pour soutenir son opinion sur l’imperfection des peines de l’enfer et des joies du paradis jusqu’au jour du jugement. Le roi et la faculté de théologie était fort troublés d’une hérésie qui tombait de si haut, et Pétrarque put assister à la condamnation d’un pontife qui eut le bon esprit de se rétracter. L’accueil des Parisiens, les honneurs qu’ils voulurent lui rendre, les sonnets qu’on lui adressait, les prévenances de Nicolas Oresme, le plus célèbre de nos docteurs, rien ne put arrêter un esprit chagrin qui se fuyait lui-même. Il traversa les Pays-Bas à la hâte, visita en courant les villes de Gand, de Liége, d’Aix-la-Chapelle, de Cologne, où l’attendaient vainement les hommages des savans et des princes. Il s’étonne de l’empressement, de l’enthousiasme qu’i’excite chez ce peuple allemand, que dans son orgueil patriotique il a traité de barbare. Le souvenir de Laure domine tout, le désenchante de tout. Son esprit n’est occupé qu’à la célébrer en vers et en prose. Impatient de la rejoindre, il revient sur ses pas, brave les dangers de la vaste et sombre forêt des Ardennes. Il la traverse seul à travers les partis armés qu’y jettent les dissensions du duc de Brabant et du comte de Flandres. Il se confie, dit-il, au dieu qui protège les fous. Il regagne Lyon au plus vite, et rentre dans Avignon comme il en était sorti. Le dépit survint et n’eut pas plus de pouvoir sur son cœur. « Je voudrais pouvoir haïr, écrivait-il à Denis de Robertis, mais il est en moi quelque chose qui me force d’aimer. » Il avait retrouvé ce prêtre florentin à Paris, professant la philosophie et la théologie, sciences qui n’étaient point alors en guerre. Il s’était lié d’amitié avec ce docteur, et lui avait parlé de ses peines, dont il parlait au monde entier. C’est à lui qu’à son retour dans Avignon il les confiait encore ; et, comme l’amour justifiait en lui les superstitions de son siècle, il demandait sérieusement à ce professeur un remède contre sa passion. Denis de Robertis lui envoya, pour spécifique, les confessions de saint Augustin, et Pétrarque ne quittait plus ce livre ; il l’étudiait, le commentait, le citait à chaque instant. Il semblait chercher dans les faiblesses de l’évêque d’Hippone la justification des siennes, et attendre du ciel la grâce que ce Père en avait reçue. Cette distraction ne fut pas plus efficace ; et certains biographes accusent ici la coquetterie de la belle Laure d’avoir voulu lutter contre l’influence de saint Augustin et de Cicéron. Ils pensent que, sans vouloir manquer à ses devoirs, elle se montrait flattée des hommages d’un amant aussi célèbre ; l’éclat de cette passion chatouillait sa vanité. Dès que le poète semblait vouloir se dégager de ses fers, elle se plaisait à le ramener par un coup-d’œil ou par un sourire ; et ces irrésolutions, ces dépits, ces rechutes de Pétrarque devenaient la matière d’autant de sonnets ou de ballades. Ce manége de coquetterie porte souvent malheur à celles qui l’emploient. Mais le bon Pétrarque était encore trop passionné pour ne pas être maladroit.

Deux grands projets roulaient alors dans sa tète, et lui promettaient des distractions plus nobles en lui inspirant de plus hautes pensées. Indigné d’avoir vu retomber le Saint-Sépulcre dans les mains des infidèles, il aurait voulu précipiter encore une fois l’Europe sur l’Asie ; il excitait les rois et les peuples à renouveler les expéditions des Philippe-Auguste et des Saint-Louis, et, dans une ode toute empreinte d’un enthousiasme religieux et poétique, il menaçait les Turcs et les Arabes du glaive terrible des chrétiens ; il reprenait ainsi le vaste dessein que le pape Jean XXII avait soumis, neuf ans auparavant, au roi de France, Charles-le-Bel. L’autre projet était moins vaste et surtout plus facile. Le séjour de la cour romaine sur les bords du Rhône était pour lui un objet perpétuel de honte et de regret. Ce sentiment allait même jusqu’à l’indignation, car il voyait franchement dans les Italiens modernes les successeurs naturels des Scipions et des Fabius, et, comme ses prétendus ancêtres, il traitait de barbares toutes les nations que les Alpes séparaient de sa belle Italie. Il secondait, il encourageait de ses vers latins et toscans les ambassades que Rome et Bologne ne cessaient d’envoyer au pape pour l’engager à rentrer au Vatican. Mais l’épître latine dans laquelle il prêtait à la reine du monde l’attitude et le langage d’une vieille femme que les ans et les malheurs avaient dégradée, faisait plus d’honneur à son patriotisme qu’à son génie. Hélas ! cette reine du monde était, comme le reste de l'Italie, déchirée par une multitude de factions rivales. C’était partout cette guerre interminable des Guelfes et des Gibelins. Parme, Plaisance, Gènes, étaient ensanglantées par les fureurs et les vengeances de ces partis, qui signalaient tour à tour leurs victoires passagères par le massacre ou l’exil des vaincus.

L’autorité du pape succombait dans une ville et se relevait en même temps dans une autre. Bologne chassait le légat et se donnait un dictateur qui la vendait plus tard au pontife. Des haines particulières, des ambitions personnelles ajoutaient partout à ce désordre. Les Gonzagues, protégés par l’empereur, s’intronisaient à Mantoue par le meurtre. Dans Ferrare, un bâtard chassait les héritiers légitimes de son père, et faisait absoudre ses violences par ses victoires. Une race d’Atrides désolait le Milanais de ses querelles domestiques. Marc Visconti conspirait contre son frère Galéas, contre son neveu Azzon, et périssait étranglé de la main de ses frères. Les Florentins changeaient chaque jour de maîtres, d’ennemis et d’alliés, ne laissaient à leurs voisins ni trève ni repos, et passaient en un moment de l’abattement à la victoire, d’une prospérité insolente à la plus dégradante des humiliations. Pierre d’Arezzo dépouillait impunément les seigneurs voisins de leurs fiefs et de leurs châteaux. Martin Scaliger, surnommé le chien de Vérone, jetait son ambition à travers ces discordes, s’emparait de Bresce et de Vicence, enlevait Padoue aux Carrares, Reggio aux Rozzi, insultait Venise et le Milanez ; poignardait de sa main l’évêque de Vérone, son parent, qui avait vendu sa capitale aux Vénitiens, et trafiquait lui-même des villes qu’il ne pouvait garder. Le roi Robert de Naples disputait la Sicile à la maison d’Aragon, fomentait partout la guerre pour s’agrandir, excitait les Guelfes de Gênes et de Florence par ses intrigues, et les abandonnait dans leurs défaites. Lucques vendue par Scaliger, revendue par les Allemands, tombait aux mains de l’aventurier Castruccio Castracani, qui, ayant commencé sa fortune avec une bande de brigands, était parvenu à se faire une armée formidable, avait reçu le titre de lieutenant de l’empereur, et couvrait l’Italie centrale du sang des Guelfes et des ennemis de l’empire. Rome enfin, abandonnée par son maître, était désolée par la rivalité des Ursins et des Colonnes, qui s’en disputaient le gouvernement ; et le Tibre ensanglanté accusait tous les jours leurs violences et leurs assassinats. Pétrarque ne pouvait aban- donner dans cette circonstance le parti de ses illustres amis ; mais il aurait pu se dispenser de célébrer la gloire d’Etienne Colonne le jeune, qui avait tué dans une rencontre Berthold et François des Ursins. Son exagération fut même ridicule. Il faisait du vainqueur un Annibal, un Théodose, il le saluait du nom de héros, lui promettait l’appui de tous les élémens, du dieu protecteur de l’Italie, le poussait à de nouveaux combats et lui présentait César pour son modèle unique.

Mais ce qui est sublime, admirable, c’est l’ode ou canzone, spirto gentil, que Voltaire a justement proclamée la plus belle de toutes, et qui, sortant du caractère des autres poésies de Pétrarque, prouve que la force et l’énergie pouvaient s’allier dans ses vers à la grâce et à la délicatesse. Le nom du héros auquel cette ode était consacrée a longtemps divisé les commentateurs. Mais il est probable que ce héros était ce même Colonne que le nouveau pape Benoît XII venait de confirmer dans la charge de sénateur de Rome, dont son épée l’avait investi. Le patriotisme de Pétrarque le fit rentrer enfin dans cette malheureuse Italie dont il déplorait le veuvage. Un vaisseau de Marseille le porta dans la Toscane, et il salua la terre natale par un sonnet.

Mais les Ursins tenaient alors la campagne et lui fermaient les chemins de Rome, où l’appelaient ses illustres amis. Il fallut que l’évêque de Lombez et le sénateur son père vinssent le chercher à la tête de cent cavaliers dans le château de Capranica, où il avait cherché un réfuge. Pétrarque, logé en face du Capitole, au milieu des monumens d’une gloire dont les souvenirs le transportaient, sentit redoubler son affection pour la ville des Césars ; il écrivit une nouvelle épitre au pape Benoit XII pour l’engager à venir mettre un terme à l’humiliation de la ville éternelle ; mais les divisions dont elle était la proie, les vices de ses habitans qu’il nous dépeint comme indignes du nom de leurs ancêtres, dont il blâme l’indifférence pour les monuments de leur antique puissance, le rejettèrent sur les mers, le poussèrent en vagabond sur les rivages de l’Espagne, de la Gaule, de l’Angleterre, où son plus grand chagrin, dit-il, fut de n’avoir rencontré personne qui parlât latin. Cette agitation physique donnait du repos à son cœur, et il le crut sans doute assez fort pour braver encore les regards de Laure ; mais il ne rentrait dans Avignon que pour retrouver ses in- quiétudes et ses tourments d’amour. C’est alors que, désespéré de sa faiblesse, dégoûté de la cour et du monde, il avait cherché la paix qui l’avait fui partout, dans cet étroit vallon, aux pieds de ces rocs décharnés et de cette fontaine célèbre, où sa renommée attire encore les voyageurs de tous les pays. Dès l’âge de quinze ans, il était allé de Carpentras à Vaucluse. Cette solitude l’avait charmé, il allait souvent porter ses chagrins dans cette vallée sauvage, et aucune contrée ne lui avait, disait-il, offert un site pareil[1]. Il y acheta vers 1337 une maison et un très petit jardin, dont il est difficile aujourd’hui d’assigner la place. Les charlatans du lieu, car il y en a partout, montrent au voyageur les ruines du château des évèques de Cavaillon, comme celles de la maison de Pétrarque ; c’est un mensonge. Cette maison était dans un enfoncement de la montagne, à cinquante mètres de la source et au bord de la rivière que forment ses eaux. Ses domestiques furent justement effrayés de cette solitude, et l’y laissèrent soupirer à son aise. Il ne lui restait que son chien, et il fut réduit à accepter les services d’un pauvre pêcheur de truites qu’il appelait un animal aquatique et de sa femme qu’il comparaît à une vieille Éthiopienne. « Si Lucrèce, Hélène et Virginie avaient eu, disait-il, de pareils visages, Troie existerait encore, Tarquin n’eût pas été banni, et Appius ne serait pas mort en prison. » C’est là que, faisant une étude plus approfondie de l’histoire romaine, il conçut le projet de l’écrire depuis Romulus jusqu’à Titus. C’eût été un sacrilége à l’égard de Tite-Live de la part de l’admirateur le plus fervent de l’antiquité. Mais il faut rappeler pour sa justification, qu’à cette époque, on ne connaissait que trois décades de ce prince de l’histoire, et il avait fait d’inutiles recherches pour augmenter ce trésor. Ce ne fut que deux siècles après lui que la bibliothéque de Mayence et l’abbaye de Saint-Gall livrèrent sept autres livres, et s’il faut en croire les érudits, il nous en faut encore cent-cinq pour compléter l’œuvre du plus pur, du plus élégant des historiens. Pétrarque abandonna cette idée et se borna à célébrer les vertus de Scipion l’Africain dans un poème latin que personne ne sera tenté de traduire.

Cependant sa retraite n’était abandonnée ni par ses amis d’Avignon, ni par les étrangers qu’attirait sa renommée, et dont la plupart se faisaient précéder par des présens magnifiques. Le voisinage de Cavaillon lui procura la connaissance et l’amitié de l’évêque Philippe de Cabassole, qui aimait les lettres et le commerce de ceux qui les cultivaient. Il n’avait point d’ailleurs renoncé pour jamais à la ville et au monde. Le souvenir de Laure, les prières de ses amis l’y ramenaient quelquefois. « Je ne connais point, disait-il, de lieu où l’amour ne vienne avec moi. J’ai voulu chercher un abri contre la tempête, écrivait-il à Guillaume de Pastronge ; mais la force de l’habitude, la violence de ma passion me ramènent, malgré moi, dans une ville que je hais, sur une mer où j’ai souvent fait naufrage. » C’est dans une de ses courses qu’il eut l’occasion de connaître le fameux Barlaam, religieux calabrais, qu’Andronic le jeune envoyait au pape pour traiter de la réunion des deux Églises, et d’une croisade contre les Turcs. Ce moine de saint Bazile, passionné pour l’étude du grec, était allé dans l’Orient pour s’y perfectionner. Il avait séjourné d’abord en Etolie, puis à Salonique, où florissait la langue d’Aristote et d’Homère ; et enfin à Constantinople, où son savoir lui avait mérité la confiance de l’empereur et l’amitié de Jean Cantacuzène. Ce n’était pas un esprit commode. À peine initié aux beautés de la langue grecque, il avait traité d’ignorans ceux qui la lui avaient enseignée, et défié le savant Nicéphore Grégoras. Vaincu dans cette lutte sur des questions philosophiques, il était allé cacher sa honte dans Salonique, et chercher une éclatante revanche en attaquant les moines du mont Athos sur leur savoir et leur manière de prier. C’est là qu’était venu le trouver l’ordre d’Andronio. Sa mission diplomatique l’avait d’abord conduit à Naples. De la cour du roi Robert, il avait passé dans celle de Philippe de Valois, dont il n’avait rien obtenu, et il s’était enfin adressé au pape Benoît XII, qui n’était pas plus disposé que ces deux rois à guerroyer contre les infidèles. Les entretiens de Barlaam furent d’un grand secours pour Pétrarque, qui brûlait comme lui de lire Aristote dans sa langue ; et cette langue était à peu près ignorée en Italie, quoique dans cette France que notre poète appelait barbare, Oresme et tant d’autres eussent pu la lui enseigner. Barlaam rechercha lui-même l’amitié d’un homme qui était déjà célèbre à tant de titres ; mais le séjour de l’envoyé d’Andronic ne fut point assez long pour que l’amant de Laure put lire l’original de l’Iliade.

Un illustre d’un autre genre devint en ce même temps l’objet des empressements de Pétrarque : c’était Simone de Sienne, l’élève de Giotto, que Benoît XII avait appelé pour l’embellissement de son palais pontifical. C’était le premier peintre de l’époque, et notre poète retira de cette amitié un trésor qu’il souhaitait depuis longtemps : le portrait de sa chère Laure, que le peintre obtint sans doute par surprise, et que le poète paya de deux sonnets aussi précieux pour la mémoire de Simone que sa Madone et sa Déposition de Croix, dont deux églises de Naples sont dépositaires. Ce portrait n’était pas propre à calmer le solitaire de Vaucluse ; et s’il faut en juger par ses vers, jamais l’amour de Pétrarque n’avait eu autant de violence, jamais son langage n’avait été plus passionné. Les Italiens ne trouvent point d’expressions assez fortes pour louer les trois canzoni, qui se rattachent à cette période de son amour et de sa vie ; ce sont les trois grâces, les trois Vénus parfaites, les divines odes. « La poésie italienne, » s’écrie Muratori, n’a rien produit de plus exquis ; » Et Tassoni, dont la critique n’a point épargné l’idole des Toscans, les appelle les reines des canzoni, déclarant qu’il aurait suffi de ces trois ouvrages pour placer la couronne de laurier sur la tête de leur auteur.

VIENNET, de l’Académie française.

(La suite au prochain numéro.)


  1. J’ai fait ce pèlerinage comme tous les touristes de la terre, et l’aspect de la contrée ne m’a nullement séduit. Cette montagne, tranchée à pic, contre laquelle vont se heurter les premiers regards du visiteur, cette campagne aride et pierreuse me faisait presque regretter le temps que j’avais perdu pour m’y rendre. La fontaine n’était pas dans ses beaux jours. Ce n’était alors qu’un large puits dans lequel je descendis jusqu’à une profondeur de six à sept mètres, et la transparence de l’eau me laissa lire à trois mètres plus bas le chiffre de 1640, qui me prouva qu’un cardinal, dont j’ai oublié le nom, avait été encore plus malheureux que moi. Une mystification nouvelle m’attendait à l’auberge. Mes convives ayant parlé du fameux registre où étaient inscrits les noms des curieux les plus illustres, notre hôte le chercha pendant une heure, le découvrit enfin sous le coussin d’un caniche endormi, et nous présenta un vil cahier recouvert d’un carton déchiré par tous les bouts, et qui ne renfermait que des niaiseries. J’y trouvai bien le nom de M. Lamartine, mais un mauvais plaisant l’avait mis au-dessous de ce distique ridicule : Vaucluse est un endroit charmant et qui donne son nom à ce département. Un autre, faisant allusion à un que décharnés la chair et les os de Pétrarque et de Laure. trouvai aussi mon nom, on l’avait accolé au quatrain le plus bête qui fût jamais sorti d’un cerveau de loustic. J’enfouis sous des pâtés d’encre cette pitoyable composition, et je m’en retournai fort désenchanté de ce que j’avais vu.