Péguy (André Suarès)/Tombe dans les épis

Émile-Paul frères (p. 97).



Tombe dans les épis ! Tombe dans les labours !
Tu vis toujours, Péguy ; tu gardes le village ;
Tu mènes la charrue et guides l’attelage,
Et tu fais de ton sang le pain de chaque jour.

Entre le cimetière et l’école du bourg,
Meule du corps viril au chemin de halage,
Tu bornes la contrée à l’empan du courage
Et marques désormais la route de Strasbourg.

Tu rêvais d’un baiser sans réserve et sans tache :
La mort te l’a donné si pur qu’elle te cache
Dans cette chaste pourpre et ce vierge sommeil.

Je ne puis pas te plaindre et plutôt je t’envie.
Ta mort est comme Reims une flamme au soleil,
Et mourir en montant est plus beau que la vie.


17 décembre 1914.