Ornithologie du Canada, 1ère partie/Le Merle ou rouge gorge du Canada


Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 164-167).

LE MERLE OU ROUGE-GORGE DU CANADA.[1]
(Robin.)


Parmi les six ou sept espèces de Grives que le printemps invite en nos climats, la plus connue est sans contredit la Grive erratique (Turdus migratorius) à laquelle les premiers colons anglais donnèrent le nom de Robin, à cause d’une prétendue ressemblance avec le Robin red-breasted de la Grande-Bretagne, lequel appartient à une tout autre famille. Buffon a décrit cette Grive, sous le nom de Litorne du Canada, et les premiers Français qui se fixèrent en la Nouvelle-France lui octroyèrent le nom de Merle (qu’elle porte encore), par l’analogie de son cri bref et entrecoupé avec le Merle français, quoique sous la plupart des autres rapports elle en diffère entièrement.

Son parcours s’étend de la Louisiane à la terre du Labrador ; elle se montre en bandes en avril et en septembre, période de ses migrations annuelles, jusque sur la lisière des villes. Plusieurs couples s’établissent dans nos campagnes, mais le plus grand nombre gagne le Nord. Ils possèdent à un degré éminent la mémoire et l’affection des lieux ; si on ne les moleste, ils reviennent chaque printemps au nid qu’ils se sont une fois construit. Un couple de ces aimables oiseaux niche depuis nombre d’années dans un buisson sous nos fenêtres. Il est rare de voir, dans nos campagnes, un groupe de sapins, un verger, un vieux manoir dont les grands ormes ou les peupliers de Lombardie ne contiennent le berceau et la famille d’un couple ou plus de ces oiseaux.

« À la Baie d’Hudson, dit Sir John Richardson, les bois sont silencieux pendant la grande clarté du jour ; mais vers minuit, lorsque le soleil est près de l’horizon et que l’ombre des arbres s’allonge, le concert des Merles commence et ne finit que vers six ou sept heures du matin. Ce chant se compose d’une variété de notes fort accentuées et fort mélodieuses. »

Le cri d’appel du Merle lorsqu’il cherche sa nourriture à terre ou qu’il se pose en hochant la queue sur les clôtures, consiste en diverses exclamations qu’il répète avec emphase pwee-sht, pwee-sht, pemp, pemp, qu’il accompagne d’un claquement de bec, d’un mouvement de queue de haut en bas, et d’un léger trémoussement d’ailes.

Le Merle se bâtit un grand nid, dont la coque est composée de boue humide et de racines ; l’intérieur est garni de foin ou d’herbes fines. La fourche d’un pommier, l’angle du réduit champêtre où grimpe la vigne sauvage ou le houblon, la maîtresse branche d’un grand chêne, tels sont les lieux où il placera sans défiance son nid où cinq œufs d’un beau vert sont couvés avec une rare assiduité par la femelle et en son absence, pendant le repas, par le mâle ; l’incubation dure quatorze à quinze jours et les petits naissent couverts d’un duvet blanc et roux.

Il est si attaché à ses petits, qu’il les nourrit en captivité et qu’il vient les soigner jusque dans les appartements. Le mâle a beaucoup d’affection pour la femelle et la quitte rarement. Il se tient, quand elle couve, sur l’arbre le plus voisin et la réjouit par ses chansonnettes.

Le chant du Merle, sans égaler la mélodie de la Grive rousse, n’en est pas moins un agréable prélude au concert général que les autres chantres des bois nous préparent, à l’approche du printemps. Perché sur la plus haute branche de l’arbre qui ombrage la commune, il y fait résonner son bruyant clairon dès l’aurore, soit qu’il désire dissiper les soucis de sa compagne pendant le temps de l’incubation, soit qu’obsédé du Dieu de l’harmonie, il donne libre cours à ses transports. Loin d’être défiant comme le Merle de France, il recherche le voisinage de l’homme ; les allées du jardin, le sillon fraîchement creusé, le parterre aux fleurs, la rive du limpide ruisseau où il prend son bain matinal, voilà où d’ordinaire on le trouve après le lever du soleil. Il y recueille industrieusement en sautillant graines, insectes, vermisseaux. En état de domesticité on le nourrit au pain et au lait ; il chante et siffle en cage d’une manière admirable. L’écolier pervers ne le déniche qu’en tremblant, comme si malheur lui en adviendrait. Quelques misérables pourtant, lui tirent des coups de fusils, et exposent ensuite sa dépouille sur nos marchés. Enfin c’est un bien grand favori en Canada que le Merle.[2]

Le mâle a le bec jaune ; les côtés et le dessus de la tête noirs. Les tectrices d’un gris foncé, avec une teinte olivâtre ; les pennes des ailes noirâtres, frangées d’un gris clair ; la queue, noir-brun ; les deux pennes extérieures tachetées de blanc à l’extrémité ; trois taches blanches autour de l’œil, le menton blanc, avec des taches noires, la gorge, le ventre et le dessous des ailes roux orangé, l’abdomen blanc ; le dessous de la queue semé de taches blanches. La femelle a des couleurs moins vives. Chez les jeunes, les taches foncées sur la fale prédominent ; le dos est plus noirâtre que chez les adultes. Le bec foncé d’abord, devient plus tard d’un jaune pur.

Dimensions du mâle, 10 × 14, de la femelle, 9 × 13.


  1. Il faut bien se garder de le confondre avec le Rouge-Gorge de France, « cet oiseau du bon Dieu, ce consolateur du pauvre, la plus noble et la plus héroïque des créatures ailées la plus amie de l’homme. »
    La légende catholique a illustré le Rouge-Gorge ; les poëtes l’ont oublié, excepté George Sand. Une légende bretonne rapporte que le Rouge-Gorge accompagna le Christ sur le Calvaire et détacha une épine de la couronne du Divin Rédempteur, et que Dieu en récompense de cette manifestation courageuse l’anima de l’Esprit Saint. À partir de ce jour, l’oiseau pieux avait eu mission de conjurer les sortiléges et de déjouer les entreprises du malin esprit. Et comme dans la contrée naïve où régna le roi Arthus, la croyance à l’intervention des enchanteurs et des fées, des bons ou des mauvais génies dans les affaires des hommes, se mêla de tout temps à la foi et aux miracles de notre religion, il arriva bientôt que le Rouge-Gorge, qui se rencontre toujours dans la voie du travailleur, passa dans l’opinion du monde des campagnes pour l’agent mystérieux des puissances surnaturelles et le porteur des messages des génies bienfaisants. (Toussenel.)
  2. Quelques individus se laissent attarder et hivernent en Canada. Le 1 Janvier 1858, nous vîmes un Merle perché sur une branche d’arbre, à Woodfield, la propriété de feu Jas. Gibb, près de Québec. M. Nairné, le seigneur de la Malbaie, nous écrit que, cet hiver même, deux de ces oiseaux ont hiverné dans son jardin en compagnie d’une petite bande de Corneilles. Cet endroit est fort abrité contre le vent. — Note de l’Auteur.