Ornithologie du Canada, 1ère partie/Le Martin-pêcheur


Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 151-153).

LE MARTIN-PÊCHEUR.[1]
(Belted Kingfisher.)


Cet oiseau que la mythologie antique a immortalisé sous le nom d’Alcyone, fille d’Éole, est répandu dans l’Amérique, depuis le Mexique jusqu’à la Baie d’Hudson. À l’instar des bergers amoureux chantés par les poëtes, il recherche le ruisseau au doux murmure, le cours d’eau limpide, moins cependant par goûts romanesques que pour des objets utilitaires. Il part d’un vol rapide, file le long des contours des ruisseaux en rasant la surface de l’eau, puis il va se poser sur une pierre ou une branche sèche qui s’avance au-dessus du courant ; de cette station, son œil pénétrant ira chercher le poisson qui se joue sous la vague ; puis rapide comme la pensée, il fond sur sa proie et revient à sa branche sèche, pour l’y déguster à loisir. Son cri accentué et désagréable ressemble au grincement du Trictrac, que les gendarmes portent dans certaines villes. Son vol est parfaitement onduleux.

Où trouver en Canada un petit lac, une rivière, une écluse de moulin, où ne séjourne au moins un couple de Martin-Pêcheurs ? Les œufs sont au nombre de cinq, d’un blanc très pur ; rien moins que des affronts réitérés ne sauraient leur faire déserter le nid. Wilson nous apprend qu’une personne de sa connaissance ayant enlevé les œufs d’un Martin-Pêcheur, à l’exception d’un seul, le couple continua à pondre ; que finalement dix-huit œufs furent enlevés de cette manière du même nid. Le Martin-Pêcheur se creuse un trou (qu’il occupe pendant plusieurs années successives) dans la rive d’un ruisseau à une profondeur de quatre à cinq pieds ; c’est là qu’il place sa couche nuptiale. Il ne la suspend plus sur les flots tel que les poëtes, grands menteurs, ont tenté de nous le persuader, pendant ces jours de calme tant vantés par l’antiquité.[2] Le nom anglais Belted Kingfisher est assez impropre, attendu que la femelle seule porte la ceinture Belt, dont lui vient le nom.

Le mâle a le dos et toutes les parties supérieures ardoisé clair ; il porte une aigrette noire ; le ventre est blanc, le dessus des ailes est varié de bleu ; le bec est brun noirâtre, et vert clair à sa base ; l’iris noisette ; les pieds gris-bleu ; les griffes noires ; une tache blanche devant les yeux et une barre blanche sous la paupière ; les pennes des ailes brunâtres tirant sur le noir ; la base des primaires barrée de blanc, les secondaires bleues à leur frange extérieure ; deux des plumes du milieu de la queue bleues, ainsi que la frange extérieure des autres, excepté celles de chaque bord ; une large bande blanche qui traverse le cou, plus large au-devant : cette bande couvre aussi le menton et la gorge ; une bande bleue sur le devant de la poitrine, le reste des parties inférieures blanches, excepté les côtés, qui sont variés de blanc.

Longueur totale, 12  ; envergure, 20.

Le bleu de la femelle est plus pâle : la bande sur le haut de la poitrine est d’un gris-bleu sale mêlé de roux clair ; en dessous est une étroite bande blanche et sur le milieu de la poitrine un large ceinturon de jaune roussâtre ; les côtés sont de même couleur ; le reste des parties inférieures sont blanches, nuancées de rouge.


  1. No. 121. — Ceryle Alcyon. — Baird.
    Alcedo Alcyon.Audubon.
  2. Voici comment Toussenel dans son langage pittoresque, fronde cette vieille erreur, en parodiant la charmante tradition que le pinceau d’Ovide a immortalisée.
    « Il paraît donc qu’autrefois le Martin-Pêcheur, qui s’appelait alors l’Alcyon, jouissait du curieux privilége de poser son nid sur la mer, à la surface même des flots. Or, comme il fallait que la mer fût très douce pour que l’embarcation ne chavirât pas, et comme l’oiseau avait besoin de trois semaines au moins pour parfaire toutes ses opérations de ponte, d’incubation et d’éducation des jeunes, les Dieux avaient décidé dans leur sagesse de lui accorder chaque année cet intervalle de calme plat. Ils lui avaient de plus attribué le don de prévoir à heure fixe la venue de ces jours pacifiques que les marins appelaient les jours Alcyoniens. Naturellement il s’était trouvé beaucoup de gens de bonne volonté pour être témoins de la construction et de la mise à l’eau du nid de l’Alcyon. Plutarque fut un de ceux qui virent l’Alcyon travailler. L’Alcyon commençait, comme nos ingénieurs de marine, par construire la charpente de son embarcation à terre. Cette charpente était composée des arêtes d’un certain poisson qui étaient reliées entre elles par un mastic doué d’une imperméabilité supérieure à celle du caoutchouc, mais dont le secret est perdu. La construction avait l’apparence d’une chambrette ronde assise dans un canot, et les constructeurs, avant de la lancer pour tout de bon, avaient soin de la mettre à l’eau une ou deux fois pour l’essayer et voir si elle n’embarquait pas la lame ; puis, quand elle était en état, et que le moment favorable était venu, ils la livraient sans crainte à la merci des flots et à la protection de Neptune. Une seule chose intrigue l’historien dans toute cette affaire, c’est de n’avoir jamais pu surprendre la manière dont la couveuse s’introduisait dans son domicile. C’est bien le cas de répéter avec le sage que l’homme n’est jamais content. Je n’aurais vu que la moitié des phénomènes dont Plutarque eut la chance d’être témoin oculaire, que je m’estimerais suffisamment heureux. Il est difficile aujourd’hui de vérifier si Plutarque et les autres ont dit toute la vérité et rien que la vérité en tout ceci, puisque, depuis un temps immémorial, les Martin-pêcheurs ont renoncé à l’habitude de nicher sur les flots de la mer pour adopter le système de la nidification à huis-clos dans le sein de la terre ; mais j’avoue néanmoins que cette histoire des faits et gestes de l’Alcyon racontée si naïvement par Plutarque n’a pas peu contribué à invalider pour moi le témoignage de l’illustre écrivain relativement à la continence de Scipion. Du reste, il nous faut reconnaître, à la justification de Plutarque, que beaucoup de naturalistes modernes et des plus éminents même ne paraissent guère mieux renseignés que lui sur la nidification du Martin-Pêcheur. C’est ainsi que François de Neufchâteau, personnage consulaire mort en 1828, en plein dix-neuvième siècle, affirme encore à son heure dernière que cette espèce fait son nid sur les saules, version qui n’est pas plus vraie que l’autre, et qui est moins amusante.
    « Ceux qui sont forts en mythologie savent pourquoi les Dieux avaient concédé à l’Alcyon le privilége de bâtir sur l’eau et le don de prévoir le beau temps. C’était pour le récompenser de sa vertu et d’avoir été parmi les hommes un modèle parfait de tendresse et de fidélité conjugale avant de subir sa métamorphose en oiseau. »