Ornithologie du Canada, 1ère partie/L’Hirondelle noire de cheminée


Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 138-142).

L’HIRONDELLE NOIRE DE CHEMINÉE.[1]
(Chimney Swallow.)


Cette Hirondelle, que Vieillot appelle acutipenne, et Wilson, Chimney Swallow, parce qu’elle fait son nid dans les cheminées, préfère les campagnes aux grandes villes. « Elle niche dans les cheminées des habitations rurales et construit son nid avec une industrie particulière. Elle établit d’abord une espèce de plateforme composée de petites branches sèches et de broussailles, liées ensemble avec une gomme ou glu distillée de deux glandes qui se trouvent chaque côté de la tête de l’oiseau. Ces matériaux sont quelquefois en si grande abondance qu’ils obstruent le passage de la cheminée, et l’oiseau se soutient dans ce travail en appliquant les pennes de sa queue contre le mur. C’est sur cet échafaudage qu’il place le berceau de ses petits, lequel n’est composé que de bûchettes collées avec la même gomme et disposées à peu près comme les osiers du panier qu’on donne aux Pigeons pour couver. La ponte est de cinq œufs allongés, très gros à proportion de l’oiseau, blancs, tachetés et rayés de noir et de gris-brun vers le gros bout. Les Hirondelles de l’Amérique septentrionale, qui se sont empressées de chercher protection pour leur couvée dans les premiers établissements que les Européens ont formés dans cette partie du Nouveau-Monde, nichaient, avant l’arrivée des colons, dans les rochers et dans les arbres creux, parce que les mauvaises cabanes des Indiens n’avaient pas de murailles ni de cheminées qui convinssent à ces oiseaux. Cette habitude est encore générale pour les Hirondelles qui fréquentent les contrées où il n’y a que très peu ou point de maison européenne. »

Cette espèce a le bec noir ; la tête, le dessous du cou et du corps d’un brun noirâtre, plus foncé sur les pennes alaires et caudales ; les pieds et la gorge d’un gris brun, plus sombre sur les parties postérieures ; les ailes en repos, plus longues d’un pouce et demi que la queue, dont les pennes ont le tuyau gros, roide, et terminé par une pointe très aiguë ; le doigtelet postérieur est très élevé sur le pied. Dimensions, 7 × 13.

Des individus ont la gorge et le devant du cou d’un blanc sale, tacheté de brun ; d’autres ont ces parties blanchâtres et sans tache. Les Hirondelles noires ont les pieds fort musculeux. Elles passent une grande partie du jour à voler dans les airs, faisant entendre un cri réitéré de tsip tsip tsip, tsu tsu. À l’approche de la nuit, réunies en bandes, elles volent en cercle, rasant les toits et les cheminées et à chaque giration une ou plus plongera dans l’ouverture de la cheminée, jusqu’à ce que la bande entière disparaisse. L’Hirondelle noire a pour habitude de nourrir ses jeunes plusieurs fois pendant la nuit.

« C’est sur un arbre, dit Monbeillard, mais sur un très grand arbre, que les Hirondelles de cheminée ont coutume de s’assembler pour le départ. Ces assemblées ne sont pas aussi nombreuses que celles des Hirondelles de fenêtres : elles nous quittent en août et partent ordinairement la nuit, comme pour dérober leur marche aux Oiseaux de Proie, qui ne manquent guère de les harceler dans leur route. L’Hirondelle d’Europe hiverne au Sénégal sans y nicher » ; l’Hirondelle du Canada hiverne dans le sud des États-Unis. Plusieurs des Hirondelles d’Europe n’émigrent pas : quelques-unes vivent sédentaires dans leur pays natal, tel que cela arrive sur les côtes de Gênes, où les Hirondelles passent la nuit sur des Orangers en pleine terre, que leur station endommage considérablement. Il en est qui, après avoir passé la saison chaude dans des climats plus septentrionaux, où toute nourriture doit leur manquer pendant la saison rigoureuse, y passent l’hiver dans un état d’engourdissement léthargique ; Aristote avait mentionné cette curieuse particularité qui a été reconnue depuis un siècle, par plusieurs observateurs. Ces espèces européennes qui n’émigrent pas se cachent dans des troncs d’arbre, quelquefois dans de vieux bâtiments abandonnés. Cela a lieu aussi dans quelques-uns des États de l’Union américaine.

« Cette[2] hibernation des Hirondelles et notamment de l’Hirondelle de rivage, a donné lieu dans le XVIe siècle à une erreur singulière : on a prétendu qu’elles passaient l’hiver engourdies au fond de l’eau.

« Olaus Magnus, évêque d’Upsal, affirme que, dans les pays du Nord, les pêcheurs tirent souvent dans leurs filets avec le poisson, des groupes d’Hirondelles pelotonnées, se tenant accrochées les unes aux autres, bec contre bec, pieds contre pieds, ailes contre ailes, et que ces oiseaux, transportés dans des lieux chauds, se raniment assez vite, mais pour mourir bientôt après. » Ce fait, qui malgré son invraisemblance n’est pas révoqué en doute par Cuvier, a trouvé dans Alexandre Wilson un éloquent contradicteur.

Le retour des Hirondelles a lieu, en Canada, vers les premiers jours de mai, le jour même, dit-on, où les Bécassines arrivent. Elles arrivent, non pas en bandes comme elles partent, mais isolément et par couple, et chaque jour on voit leur nombre augmenter. De nombreuses observations ont constaté que ces oiseaux reviennent constamment chaque année à leur nid, et que le mariage qu’ils y ont contracté est indissoluble. Frisch, le premier, ayant imaginé d’attacher aux pieds de quelques-uns de ces oiseaux un fil teint en détrempe, revit, l’année suivante, ces mêmes oiseaux avec leur fil, qui n’était point décoloré, preuve assez bonne, remarque Monbeillard, que du moins ces individus n’avaient point passé l’hiver sous l’eau, ni même dans un endroit humide, et présomption très forte qu’il en est ainsi de toute l’espèce. Spallanzani aussi a renouvelé l’expérience de Frisch, et il a vu pendant dix-huit années consécutives, six ou sept couples d’Hirondelles de fenêtres revenir à leur ancien nid, et y faire deux couvées annuelles sans presque s’occuper de le réparer. Il en est de même de l’Hirondelle de cheminée, seulement celle-ci bâtit chaque année un nouveau nid au-dessus de celui de l’année précédente. Écoutons sur leur constance conjugale, l’honnête philanthrope Dupont de Nemours :

« Les amours des Hirondelles sont des mariages indissolubles, non des fantaisies du moment, comme ceux de quelques oiseaux, ni même des liaisons d’un printemps comme celles de la plupart des autres. Et, quand un des deux époux meurt, il est rare que l’autre ne le suive pas en peu de jours. Le doux caquetage a cessé ; plus de chasse, plus de travail : un sombre repos, un morne silence sont les signes de la douleur à laquelle le survivant succombe. J’en avertis les jeunes gens qui s’amusent quelquefois à leur tirer des coups de fusil, parce qu’elles sont difficiles à toucher. Mes amis, tirez des noix en l’air, cela est plus difficile encore, et respectez ces aimables oiseaux. Songez que chaque coup qui porte tue deux Hirondelles, la dernière par un supplice affreux. »



  1. No. 109. — Chaetura Pelasgia. — Baird.
    Chaetura Pelasgia. — Audubon.
  2. Le Maout.