Ornithologie du Canada, 1ère partie/Canards, Sarcelles


Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 81-83).

CANARDS, SARCELLES.


« On voit dans ce pays » (la Nouvelle-France), écrivait Charlevoix en 1721, « une quantité prodigieuse de Canards, et j’en ai ouï compter jusqu’à vingt-deux espèces différentes. Les plus beaux, et ceux dont la chair est plus délicate, sont les Canards branchus : on les appelle ainsi parce qu’ils perchent sur les branches des arbres. Leur plumage est extrêmement varié et fort brillant. » Le Hand Book de Toronto, compilé en 1855, porte jusqu’à trente le nombre des espèces qui fréquentent les environs de cette ville. Le plus court pour nous, avec les minces matériaux à notre disposition, c’est d’avouer sans réserve l’impossibilité où nous sommes de rendre justice à cette innombrable tribu des palmipèdes qui, chaque année, en avril et en septembre, s’abat sur nos rivages — la providence des pauvres non moins que le plat favori des épicuriens. Les lois qui régissent les migrations des Oiseaux aquatiques ont, de tout temps, excité à un haut degré la curiosité des naturalistes et des philosophes. Au risque de mêler la poésie à la vérité, nous reproduirons ici les éloquentes paroles du chantre du Christianisme :

« Les Oies, les Sarcelles, les Canards, » dit Chateaubriand[1], « étant de race domestique, habitent partout où il peut y avoir des hommes. Les navigateurs ont trouvé des bataillons innombrables de ces Oiseaux jusque sous le pôle antarctique. Nous en avons rencontré nous-même des milliers depuis le golfe Saint-Laurent jusqu’à la pointe de l’isthme de la Floride. Les Oiseaux de mer ont des lieux de rendez-vous, où ils semblent délibérer, en commun, des affaires de leur république. C’est ordinairement un écueil au milieu des flots. Nous allions souvent nous asseoir, dans l’île Saint-Pierre, à l’entrée du golfe Saint-Laurent, sur la côte opposée à une petite île, que les habitants ont appelée le Colombier, parce qu’elle en a la forme et qu’on y vient chercher des œufs au printemps. La multitude des Oiseaux rassemblés sur ce rocher était si grande, que souvent nous distinguions leurs cris pendant le mugissement des tempêtes. Ces Oiseaux avaient des voix extraordinaires, comme celles qui sortaient des mers ; si l’Océan a sa Flore, il a aussi sa Philomèle : lorsqu’au coucher du soleil le courlis siffle sur la pointe d’un rocher, et que le bruit des vagues l’accompagne, c’est une des harmonies les plus plaintives que l’on puisse entendre : jamais l’époux de Céix n’a rempli de tant de douleurs les rivages témoins de ses infortunes. Une parfaite intelligence régnait dans la république du Colombier. Aussitôt qu’un citoyen était né, sa mère le précipitait dans les vagues, comme ces peuples barbares qui plongeaient leurs enfants dans les fleuves, pour les endurcir contre les fatigues de la vie. Des courriers partaient sans cesse de cette Tyr, avec des gardes nombreuses qui, par ordre de la Providence, se dispersaient sur les mers pour secourir les vaisseaux ; les uns se placent à quarante ou cinquante lieues d’une terre inconnue et deviennent un indice certain pour le pilote qui les découvre flottant sur l’onde comme les bouées d’une ancre ; d’autres se cantonnent sur un rescif, et, sentinelles vigilantes, élèvent pendant la nuit une voix lugubre, pour écarter les navigateurs ; d’autres encore, par la blancheur de leur plumage, sont de véritables phares sur la noirceur des rochers. »


  1. Génie du Christianisme.