Organisation du travail/1847/Appendice/2

Organisation du travail
revue, corrigée et augmentée d’une polémique entre M. Michel Chevalier et l’auteur, ainsi que d’un appendice indiquant ce qui pourrait être tenté dès à présent
Bureau de la société de l’industrie fraternelle (p. 274-278).


CONTRAT[1]


Article premier. Les ouvriers associés seront distribués en deux familles, composées chacune d’un nombre égal de membres.

Le nombre des ouvriers venant à augmenter, le nombre des familles sera augmenté proportionnellement.

On choisira, autant que possible, pour former une famille, les membres domiciliés dans le même quartier.

Art. 2. L’assemblée générale des ouvriers nommera un conseil central d’administration révocable, dont les fonctions spéciales seront de chercher des travaux, de traiter avec les tiers, de distribuer, entre les conseils de famille dont il sera parlé ci-après, l’ouvrage à faire et le prix à partager, de telle sorte que chaque famille reçoive, toute proportion gardée, le même nombre d’heures de travail et la même rémunération.

Art. 3. Il y aura dans chaque famille un conseil désigné sous le nom de conseil de famille, composé de membres qui seront élus par la famille et révocables s’il y a lieu.

Les fonctions de ce conseil seront de répartir entre tous les membres de la famille la part des travaux et des salaires qui lui sera afférente. Les membres de ce conseil auront, de plus, mission d’inspecter les travaux et de veiller à ce que chacun remplisse sa tâche.

Art. 4. Chaque famille élira un de ses membres spécialement chargé de l’examen des livres et de la vérification des opérations faites, soit par le conseil central, soit par les conseils particuliers.

Art. 5. Chaque ouvrier sera payé, sur le prix des travaux, à raison de cinq francs par huit heures de travail.

Les bénéfices obtenus au-dessus de cette somme feront partie du fonds commun dont l’emploi va être indiqué.

Art. 6. À la fin de l’année, il sera dressé un état exact de la position de la société. À cet effet, l’on procédera à un inventaire général de l’actif et du passif. S’il reste un excédant, il en sera fait deux parts, dont l’une sera distribuée aux contractants par portions égales, et dont l’autre constituera un capital collectif, inaliénable, destiné à l’accroissement de l’association par des adjonctions successives, comme il sera dit ci-après.

Art. 7. Tout associé devenu infirme ou malade, et qui en justifiera, aura droit au même salaire, aux mêmes avantages que s’il fût resté bien portant.

Art. 8. Il n’est dû à l’ouvrier sortant, si c’est par acte volontaire ou pour fait d’inconduite, que le salaire de son travail, qui ne lui aurait pas été encore payé.

Art. 9. Reconnaissant que le droit au travail appartient à chaque homme, et que toute association revêtue d’un caractère exclusif est attentatoire à la doctrine de la fraternité, les contractants s’engagent de la manière la plus formelle à admettre parmi eux, sur le pied d’une égalité parfaite, tout ouvrier qui se présenterait en adhérant aux statuts, pourvu qu’il soit de la profession, qu’il le prouve, et que la situation de la société ne rende pas son admission absolument impossible.

Art. 10. Pour en décider, il sera formé un jury composé de sept membres et élu par l’ensemble des contractants.

Art. 11. Les contractants reconnaissent qu’il vaut mieux gagner moins que d’empêcher son frère de vivre. Le jury des ouvriers devra donc décider des cas d’admission d’après ce principe, que monopoliser le travail est un crime de lèse-humanité.

Art. 12. Les contractants sont divisés, dès à présent, comme il a été dit plus haut, en deux familles. Elles pourront s’accroître par les adjonctions successives jusqu’au chiffre de cent membres chacune, et seront alors déclarées complètes. S’il survient de nouveaux membres, ils seront distribués, en nombre égal, entre les deux familles existantes, jusqu’à ece qu’ils atteignent le nombre de cent, auquel cas ils formeront une famille nouvelle, et ainsi de suite.

Art. 13. Le jury des ouvriers sera choisi, par les contractants, pour tribunal arbitral, et il jugera, en cette qualité, les contestations qui pourront s’élever entre les contractants. Ce sera lui qui décidera de la légitimité des causes de retraite ou des faits de maladie ; lui aussi qui prononcera, sur le rapport des inspecteurs, l’exclusion des ouvriers convaincus de paresse. Il aura enfin le droit de prononcer, après débat public, la révocation de ceux des membres des conseils qui auraient mérité d’être révoqués ; et ce, dans la forme suivie par le tribunal arbitral, pour les jugements.

Art. 14. Il y aura lieu, chaque année, à réélire ou à maintenir les membres, soit des conseils, soit du jury.


Pendant que nous nous occupions de revoir l’édition actuelle, nous avons reçu d’un ouvrier, M. Agricol Perdiguier, connu par son livre sur le compagnonnage, la lettre et le projet qui suivent.

Nous nous empressons de mettre sous les yeux de nos lecteurs le plan indiqué par M. Agricol Perdiguier, convaincu, comme lui, qu’il s’agit ici d’une question dont tout bon citoyen doit se préoccuper :


Monsieur Louis Blanc,

« J’ai appris que vous prépariez une nouvelle édition de votre livre sur l’Organisation du travail. Comme cette question est fort grave, et que chacun doit s’en préoccuper, j’ai essayé de rédiger un plan d’association que je vous envoie, et que je vous prie de soumettre, à vos lecteurs, si vous pensez qu’il puisse leur faire quelque plaisir.

« Votre tout dévoué,

« Agricol Perdiguier. »

Paris, 18 mars 1847.


  1. On objectera, peut-être, que le projet dont nous donnons ici les bases ne cadre pas parfaitement avec les dispositions des lois relatives à la constitution des sociétés commerciales.

    Il est certain que les lois ont été faites jusqu’ici en vue de l’association des capitaux, au lieu de l’être en vue de l’association des forces et des sentiments.

    Toutefois, une étude attentive du Code, et l’avis de plusieurs jurisconsultes éminents nous permettent d’affirmer que le contrat ci-dessus est conciliable avec la forme des sociétés en commandite. Note de M. Louis Blanc.