Organisation du travail/1847/Appendice/1

Organisation du travail
revue, corrigée et augmentée d’une polémique entre M. Michel Chevalier et l’auteur, ainsi que d’un appendice indiquant ce qui pourrait être tenté dès à présent
Bureau de la société de l’industrie fraternelle (p. 270-273).

APPENDICE



ce qui pourrait être tenté dès à présent.


Dans l’ouvrage qu’on vient de lire, nous avons exposé la marche qu’aurait à suivre, pour amener progressivement une équitable et saine organisation du travail, un gouvernement ami du peuple et issu des suffrages populaires. Le plan proposé suppose, par conséquent, comme, moyen d’arriver à une révolution sociale, l’accomplissement d’une révolution politique.

Or, il est possible qu’elle soit éloignée encore, cette heure attendue où l’État ne sera plus qu’un résumé vivant du peuple. Et, en attendant, que de désordres dans le domaine du travail devenu un véritable champ-clos ! que de souffrances ! que de misères !

Aussi avons-nous entendu ce cri s’élever : Jusqu’à ce qu’une révolution politique se puisse faire, n’y a-t-il, pour les ouvriers, aucun essai à tenter ?

À Dieu ne plaise que cette opinion soit la nôtre ! Il faut se défier sans doute de la puissance des efforts partiels ; mais ce n’est pas nous qui conseillerons au peuple l’immobilité dans le mal et la douleur.

Seulement, qu’on prenne garde aux tentatives imprudentes ou fausses ! Qu’on prenne garde aux tentatives qui seraient de nature, soit à donner le change sur le but définitif à atteindre, soit à compromettre et à décrier le principe d’association !

Naguère il est arrivé que, sous l’inspiration d’un sentiment honorable, quelques membres, connus, du parti démocratique, se sont réunis pour discuter ensemble cette question, si grande et tant agitée, de l’organisation du travail. Chercher par quel moyen pratique on pourrait tendre, dans l’état présent des choses, à la réalisation du principe d’association, tel était le point sur lequel il s’agissait de s’entendre.

Le parti qui a réuni la majorité des suffrages consisterait à former une association de crédit qui présidât à la naissance de diverses associations de travailleurs, leur fournît des instruments de travail, leur imprimât une direction, mais en laissant la concurrence s’exercer entre elles, et sans leur demander d’asseoir leur existence sûr l’établissement d’un capital collectif, sujet à s’accroître indéfiniment, inaliénable enfin.

Pour nous, nous ne saurions nous associer à un projet semblable :

1o Parce que toute association d’ouvriers qui ne s’impose pas la loi de s’étendre indéfiniment au moyen d’un capital collectif et inaliénable, se trouve avoir des intérêts distincts de ceux de la masse des prolétaires, lesquels n’arriveront à s’affranchir qu’en se considérant comme une même famille ;

2o Parce que aider tels ou tels ouvriers à former entre eux une association particulière et limitée, c’est créer des privilégiés parmi les travailleurs, et établir des catégories là où tout doit tendre, au contraire, à l’unité ;

3o Parce que la grande et universelle émancipation des travailleurs n’aura jamais lieu, tant que subsistera la concurrence, source intarissable de haines, de jalousies, de fraudes et de désastres ;

4o Parce que, dans l’état de concurrence, ajouter à la force des uns, c’est augmenter la faiblesse des autres. De sorte que, si la concurrence était maintenue systématiquement, tout appui prêté à une association particulière deviendrait funeste à ceux qui, en dehors de cette association, resteraient abandonnés à eux-mêmes.

En résumé, de quoi s’agit-il ? D’aboutir pratiquement, progressivement, à la réalisation du dogme : Liberté, égalité, fraternité ? Eh bien, il faut alors viser droit à la concurrence. Car :

Avec la concurrence, pas de liberté, puisque la concurrence arrête les plus faibles dans le développement de leurs facultés et les livre en proie aux plus forts ;

Avec la concurrence, pas d’égalité, puisque la concurrence n’est que l’inégalité même mise en mouvement ;

Avec la concurrence, pas de fraternité, puisque la concurrence est un combat.

Que ce principe meurtrier ne puisse pas être détruit immédiatement, d’un seul coup, sans doute. Mais c’est à rendre sa destruction complète, inévitable, que doit tendre tout système dont le but est l’émancipation des travailleurs.

Voici, quant à nous, ce que nous proposons. Un comité serait formé dans le parti socialiste et démocratique.

Ce comité ouvrirait, en vue de l’affranchissement des prolétaires, une souscription semblable à celles qui ont été ouvertes, dans ces dernières années, quand il a fallu, ou protester contre l’abaissement de la dignité nationale, ou honorer la mémoire de quelque vertueux citoyen, ou venir en aide à un peuple ami et opprimé.

Les fonds recueillis de cette sorte seraient mis à la disposition d’une association d’ouvriers, laquelle ne serait considérée, bien entendu, que comme le premier noyau de l’association universelle des travailleurs. Elle devrait se composer de plusieurs industries diverses, et se constituer sur les bases dont voici les principales.