Organisation de l'instruction élémentaire et secondaire, en Danemark



ORGANISATION
DE
L’INSTRUCTION ÉLÉMENTAIRE
ET SECONDAIRE
EN DANEMARK.

À M. de Salvandy, Ministre de l’instruction publique.
i.
INSTRUCTION ÉLÉMENTAIRE.

Il y a long-temps que le gouvernement danois s’occupe avec zèle de l’organisation de l’enseignement dans les diverses provinces du royaume. En 1721, Frédéric IV fonda deux cent quarante écoles et leur donna des instructions. En 1729, Chrétien VI rendit, à ce sujet, une nouvelle ordonnance qui a servi de base à celle qui subsiste aujourd’hui. En 1789, le roi nomma une commission spéciale pour examiner l’état des écoles, leurs besoins, et rédiger un réglement plus complet que le précédent.

Cette commission établit une école normale pour les instituteurs, à Blaagaard, et proposa au roi un nouveau réglement. En Danemark, les projets de lois marchent à pas mesurés. Le réglement, rédigé par la commission en 1801, fut mis à l’essai en 1806, et, après diverses modifications, proclamé définitif en 1814. C’est un travail d’une sagesse d’esprit remarquable. Tous les besoins de l’enseignement élémentaire y sont parfaitement prévus, et les rédacteurs de cette ordonnance sont entrés dans les plus minutieux détails, pour déterminer les attributions de tous ceux qui prennent part à la direction des écoles, pour garantir autant que possible le bien-être de l’instituteur et celui de l’élève. Si, malgré ces excellentes précautions, l’enseignement élémentaire en Danemark n’est pas encore ce qu’il pourrait être, le mal ne provient pas d’un vice d’institution, le mal provient du malheureux état de finances dans lequel se trouve ce pays, et de l’impossibilité où il est de faire plus de frais pour améliorer l’état matériel des écoles et la position des maîtres. En 1819, il se fit dans toute cette organisation un grand changement. Un homme qui possédait la confiance du roi introduisit, dans toutes les écoles de villes et de villages, l’enseignement mutuel. Mais des plaintes nombreuses s’étant élevées contre ce système, on fut obligé de le restreindre. Aujourd’hui cette méthode est admise encore dans une assez grande quantité d’écoles, mais elle n’est plus, à beaucoup près, aussi répandue qu’elle l’a été.

Les écoles élémentaires de Danemark sont divisées en trois sections : celles des petites villes, celles de Copenhague, celles des villages.

Ces dernières sont placées sous la surveillance immédiate d’une commission composée du pasteur et de deux habitans de la paroisse choisis par la direction, et qui portent le titre de représentans de l’école (skoleforstander).

Si quelqu’un a fait une donation à l’école, il devient membre de la commission et porte le titre de patron (skolepatron).

Au-dessus de cette première autorité s’élève la direction, composée du prêtre principal du district (provst) et du magistrat (amtmand).

L’administration générale est confiée à la chancellerie, qui représente tout à la fois le ministère de la justice et le ministère des cultes.

L’évêque exerce sur les écoles de son diocèse un droit de haute surveillance. Il est tenu de les visiter dans ses tournées épiscopales ; il doit interroger les élèves, contrôler la méthode du maître, et adresser à la chancellerie le résultat de ses observations.

La commission est chargée des intérêts matériels de l’école et de l’exécution des mesures qui lui sont prescrites. C’est elle qui veille à l’entretien des bâtimens ; c’est elle qui acquitte le traitement du maître. Quatre fois par an cette commission s’assemble pour délibérer sur les ordres qu’elle a reçus ou sur les besoins de l’école. Tous les quinze jours, elle doit visiter l’établissement et se faire présenter le journal d’observations du maître.

Le prêtre est surtout obligé de faire régulièrement ces visites. Le prêtre est le chef de cette commission ; c’est à lui que les lettres de la direction sont adressées ; c’est lui qui préside les assemblées ; c’est lui qui rédige les protocoles ; c’est lui aussi qui suit pas à pas la conduite et les progrès des élèves ; c’est lui seul qui juge s’ils sont en état d’être confirmés, et l’on peut dire que toute la partie morale et intellectuelle de l’école repose sur cette surveillance du prêtre.

Deux fois par an, la commission adresse à la direction un rapport en double sur l’état de l’école et sur ses besoins. La direction en garde une copie et envoie l’autre à la chancellerie.

La direction n’est, comme on le voit, qu’un lien intermédiaire entre l’autorité supérieure et l’autorité locale. Elle exécute les ordres de la chancellerie et contrôle les actes de la commission ; elle exerce aussi, dans les cas ordinaires, une action directe ; mais elle doit soumettre à la chancellerie la solution de toutes les affaires importantes.

Tous les propriétaires d’une commune sont obligés de contribuer, chacun selon ses revenus, aux besoins de l’école, soit qu’ils résident dans la commune ou non, soit qu’ils envoient ou non leurs enfans à l’école.

La contribution générale est versée entre les mains de la commission, qui doit y trouver de quoi entretenir les bâtimens des écoles, payer le maître et son adjoint.

Si une commune est trop pauvre pour pouvoir elle-même subvenir aux frais d’une école, le roi vient à son secours ; car il doit y avoir une école dans chaque paroisse, et tous les Danois doivent savoir lire et écrire.

Dans les villes, la contribution se paie ordinairement en argent ; dans les villages, en nature. Dans les villes, les maîtres d’école reçoivent un traitement proportionné à l’importance de leurs fonctions et à la cherté des lieux qu’ils habitent. Dans les villages, ils reçoivent généralement six tonnes de seigle, six tonnes d’orge en nature, vingt-cinq tonnes d’orge payées d’après la taxe, six mesures de bois que les paysans sont obligés de scier et d’amener devant la maison d’école. Tous ont le logement gratuit et une certaine étendue de terre propre à la culture. On leur donne en outre, pour l’entretien d’une vache, cent dix-huit livres de foin et deux cent trente-six de paille. Enfin ils reçoivent ordinairement dix écus par an pour remplir les fonctions de chantre à l’église. Ils ont part aux offrandes des grandes fêtes et au tribut volontaire que les habitans d’une paroisse paient pour les baptêmes et les mariages. S’ils peuvent donner à leurs élèves des leçons de gymnastique, ils reçoivent encore une gratification ; tout cela ne forme, il est vrai, qu’un traitement assez modique ; mais ils peuvent vivre sans être obligés de joindre à leurs fonctions un autre métier.

Tous les maîtres d’école d’un district ont une caisse de secours, où chacun d’eux dépose régulièrement une faible partie de son revenu. Cette caisse doit leur donner un appui s’ils sont vieux, un secours s’ils sont malades ; et quand ils meurent, leur veuve reçoit un quart de leur traitement.

L’instituteur a été élevé à l’école normale. Lorsqu’il se présente pour occuper un emploi dans un village, il doit constater, 1o  qu’il est âgé de vingt-un ans au moins ; 2o  qu’il peut lire et écrire couramment et avec intelligence, expliquer le catéchisme de Luther et les livres élémentaires de religion, faire les quatre règles principales et la règle de trois, chanter le chant d’église.

Les enfans entrent à l’école à l’âge de sept ans ; ils y restent jusqu’à ce qu’ils soient confirmés, c’est-à-dire jusqu’à quatorze ou quinze ans. Il n’y a point d’établissement séparé pour les garçons et pour les filles.

Les enfans apprennent la lecture, l’écriture, le calcul, les principes de religion, les élémens de l’histoire et de la géographie du Danemark. Ils doivent aussi apprendre à chanter, et faire des exercices de gymnastique.

D’après l’ordonnance de 1814, on devait leur faire faire quelques travaux manuels. Les jeunes filles devaient apprendre à coudre, à filer, à tricoter ; les garçons devaient avoir pour maîtres un menuisier, un charpentier, un forgeron. Cet article du réglement n’a pas été exécuté.

L’école est divisée en deux sections. Les leçons durent, en été, depuis sept heures du matin jusqu’à onze, et depuis quatre heures de l’après-midi jusqu’à six ; en hiver, depuis huit heures du matin jusqu’à midi, et depuis deux heures jusqu’à quatre. La première section va à l’école le matin, la seconde l’après-midi. Cette mesure a été prise dans l’intérêt des ouvriers et des laboureurs, qui peuvent avoir chaque jour besoin de leurs enfans. Il est permis, du reste, aux parens de faire sortir leurs enfans de l’école, pendant trois semaines au temps des semailles, et pendant trois semaines en automne. Toutes les écoles ont, du reste, congé le samedi, et vacance pendant les moissons.

Chaque année, au mois d’octobre et au mois d’avril, les élèves subissent un examen devant la commission. C’est d’après cet examen qu’ils sont classés à l’école. Le résultat de l’examen avec les observations de la commission sur le caractère et la conduite de chacun d’eux est adressé à la direction.

La commission distribue gratuitement aux enfans pauvres le papier, l’encre, les plumes et les livres prescrits pour l’enseignement.

Tous les parens sont obligés d’envoyer leurs enfans à l’école. Les paysans doivent y envoyer leurs domestiques qui ne savent pas lire. Le dimanche, avant l’ouverture des classes, le prêtre annonce publiquement le jour où le maître reprendra ses leçons, et invite les pères de famille à remplir leur devoir. Si l’un d’eux conserve, sans aucune raison valable, son enfant ou son domestique à la maison, il paie, pour chaque jour de délai, une amende de deux shellings. Cette amende peut s’élever jusqu’à vingt-quatre shellings, s’il n’obéit pas à une première injonction, et enfin il peut être condamné à la prison.

S’il essaie de soustraire ses enfans à l’examen, il paie aussi une amende, et enfin il subit la même punition s’il les laisse aller malpropres à l’école.

Les écoles de village s’appellent almuenskole ; celles des villes portent, comme en Allemagne, le titre de borgerskole (bürgerschule)) mais le réglement qui les régit est le même que celui des écoles de village ; seulement elles ont toujours au moins deux maîtres. Le premier est un candidat en théologie sortant de l’université, et qui porte le titre de catéchiste. Il est nommé par le roi ; il loge dans le bâtiment de l’école, et reçoit ordinairement un traitement de 300 rixdales (900 francs). Le second est nommé par la direction.

L’école est divisée entre ces deux maîtres, et ne peut pas renfermer plus de quatre-vingts élèves.

L’enseignement est ici plus avancé que dans les écoles de village, mais il ne vaut pas celui des bürgerschules allemandes.

Les écoles de Copenhague sont soumises à une direction spéciale, et dans chaque paroisse elles ont un comité de surveillance.

La direction se compose des deux prêtres principaux de la ville (deux provsts), d’un membre de la commission des pauvres, du premier magistrat de la ville, du premier bourgmestre, de deux adjoints et de deux prêtres.

La commission de surveillance se compose d’un prêtre et d’un ou deux habitans choisis par la direction.

Chaque année, la commission fait le recensement de son district ; elle enregistre tous les enfans en âge d’aller à l’école, et les propriétaires de maisons sont tenus de l’aider dans ses recherches, et de répondre exactement à ses questions. Les enfans pauvres, elle les fait admettre gratuitement à l’école ; les enfans riches, elle les inscrit sur la liste, et oblige les parens à les envoyer à l’institution de la paroisse, ou à justifier qu’ils sont élevés ailleurs.

Les écoles élémentaires sont divisées en trois sections. Les enfans peuvent être reçus dans la première avant l’âge de six ans. On les instruit par des entretiens : on leur enseigne la prononciation, la signification des mots, et les premiers principes de religion ; ils apprennent ensuite à épeler, à écrire, à connaître les chiffres.

Dans la deuxième section, ils lisent, ils écrivent, ils calculent. On cherche à développer leur intelligence par la conversation. On leur enseigne l’histoire et la géographie de leur pays, et ils apprennent par cœur des sentences morales, des histoires bibliques.

Les enfans des deux sexes peuvent être élevés ensemble dans ces deux premières sections, mais ils sont séparés dans la troisième.

Ici les garçons continuent leurs leçons de lecture et d’écriture : ils étudient l’orthographe, la grammaire, le style ; on leur fait écrire des lettres de différente nature ; on leur apprend à connaître les poids et mesures, et ils s’exercent au calcul mental, au calcul écrit dans ses applications aux circonstances ordinaires de la vie. De là, le maître les fait passer à l’étude élémentaire des sciences naturelles : il leur donne les premiers principes de physique et d’hygiène ; il leur enseigne aussi la technologie, la géométrie, les mathématiques pratiques, l’usage des machines, puis la géographie, l’histoire et les lois fondamentales du Danemark. Ils apprennent aussi le chant et la musique vocale, et on doit choisir pour ces exercices des morceaux de chant qui éveillent en eux le sentiment de la religion, l’amour du roi et de la patrie.

Dans les deux premières divisions de ces écoles, les maîtres enseignent tout ce qui est exigé dans les borgerskoles des petites villes. La troisième peut être regardée comme une realskole.

L’élément de l’éducation des jeunes filles est un élément religieux et moral. Il faut qu’elles apprennent par la conversation, par des récits, par des exemples, à connaître, à aimer les vertus de leur sexe, la douceur, la décence, la propreté, les devoirs de famille. Elles apprennent à lire, à écrire, à calculer, dans un but d’application journalière. On leur donne aussi des notions d’histoire et de géographie et des notions d’économie domestique. Cette éducation est tout-à-fait pratique. Les jeunes filles doivent y puiser des connaissances nécessaires pour se rendre d’abord utiles, agréables à leurs parens, et pour devenir un jour de bonnes mères de famille.

Outre les écoles du gouvernement, il existe à Copenhague un grand nombre d’écoles particulières, qui pourvoient par des dotations spéciales à leurs dépenses. Tout homme qui veut établir à ses frais une école est tenu de soumettre son projet à la direction, qui, après l’avoir approuvé, laisse l’école marcher d’elle-même et lui demande seulement un rapport tous les ans.

Il existe aussi dans cette ville des écoles du soir et des écoles du dimanche pour les ouvriers, telles que nous en avons aujourd’hui dans plusieurs grandes villes de France. Il existe deux salles d’asile fondées par la reine et la princesse royale, et deux realskoles établies sur le modèle des realschules d’Allemagne. On a formé depuis long-temps le projet d’établir de semblables écoles dans l’intérieur du pays, mais il n’a pas encore été mis à exécution.

Tous les enfans de Copenhague doivent rester à l’école jusqu’à ce qu’ils soient confirmés. Chaque année la commission les examine, et adresse à la direction le résultat de ses remarques. La direction adresse au roi un rapport général sur l’état matériel et intellectuel des écoles, sur ce qu’elles ont reçu des dotations particulières, sur ce qu’elles ont coûté à la ville. Ce rapport est imprimé, et la direction doit y mentionner tous les maîtres qui se sont distingués par leur zèle et leurs travaux, et tous les hommes qui ont fait quelque don aux écoles.

La plupart des maîtres employés dans les institutions de Copenhague sortent de l’école normale.

Il n’y avait, en 1790, qu’une seule école normale en Danemark. Il y en a maintenant quatre. Chacune d’elles est dirigée par quatre professeurs. Le premier d’entre eux porte le titre de représentant.

Les élèves paient environ cent écus par an pour entrer dans ces écoles. Mais ils peuvent aussi, s’ils ne sont pas riches, obtenir une place gratuite. Aucun candidat n’est reçu au-dessous de dix-huit ans, ni au-dessus de vingt.

L’objet de l’enseignement, c’est en première ligne la religion, la Bible, l’Évangile ; puis la langue danoise, la grammaire, l’écriture, l’histoire naturelle, surtout pour ce qui a rapport au Danemark, l’arithmétique et la géométrie pratique, l’histoire de la religion, l’histoire et la géographie du pays, le chant d’église et la musique instrumentale, la pédagogie ; quelques principes d’anatomie et d’hygiène, de manière à ce que l’élève, devenu maître, puisse donner des conseils aux paysans ; quelques principes d’économie rurale, quelques travaux manuels ayant un but d’utilité pratique, et la gymnastique.

Il y a sept heures de leçons par jour, c’est-à-dire quarante-deux par semaine, le dimanche étant un jour de congé. Elles sont divisées ainsi :

Religion 
7
Chant et musique 
5
Langue danoise 
6
Pédagogie 
5
Mathématiques 
6
Gymnastique 
3
Sciences naturelles 
5
Économie rurale et travaux manuels 
2
Histoire et géographie 
3

Les élèves restent là trois années, et subissent chaque année un examen. Le premier est très rigoureux. Si l’élève ne le soutient pas d’une manière satisfaisante, il est renvoyé, et paie trente écus à l’école. À la fin de ses études, il subit encore un examen pour obtenir son diplôme de maître d’école.

Le résultat de cet examen donne trois notes différentes : extrêmement capable, très capable, capable (udmœrket duelig, meget duelig, duelig). Les élèves sont placés selon la note qu’ils ont reçue. Celui qui, après ses trois années d’étude, ne pourrait pas même obtenir le dernier degré, ne reçoit point de certificat, et paie cent écus à l’école.

L’école est dirigée par le premier professeur, d’après les ordres de la chancellerie.

ii.
INSTRUCTION SECONDAIRE.

Il y a eu Danemark dix-huit gymnases ou écoles savantes (lœrdskole).

Ces gymnases sont soumis à la surveillance immédiate d’un comité qui porte le titre d’éphorat et qui est composé de l’évêque et de l’amtmand.

Ils sont régis par un comité supérieur de trois personnes, nommées par le roi, et qui porte le titre de direction.

C’est à ce comité qu’est confiée l’administration de l’enseignement secondaire et de l’université. Il ne reçoit d’ordres que du roi, et représente par ses attributions le ministère de l’instruction publique. Il est assez singulier qu’il n’ait pas aussi l’administration des écoles élémentaires. C’est une anomalie dont plusieurs hommes éclairés ont déjà démontré les inconvéniens. Ce qui l’explique, c’est que les écoles élémentaires étant placées sous la gestion continuelle et immédiate des prêtres, on a pensé qu’elles devaient être régies par le ministère des affaires ecclésiastiques.

La direction détermine elle-même le mode d’enseignement, le choix des livres, les tableaux de leçons ; elle indique des règles à suivre pour l’immatriculation des élèves, elle distribue les stipendes, elle juge les différends qui pourraient survenir entre les professeurs, elle décide toutes les questions importantes ; c’est elle qui imprime le mouvement aux gymnases, et les éphores agissent d’après ses instructions.

Les éphores ont auprès des gymnases les mêmes attributions que la commission scolastique auprès des écoles élémentaires.

Ils doivent faire exécuter les ordres de la direction, surveiller l’état des bâtimens du gymnase, la discipline, et instruire la direction de toutes les mesures qu’il leur semblerait utile de prendre dans l’intérêt de l’école. Ils doivent tenir un registre exact de tout ce qui se passe au gymnase, et un registre de correspondance avec la direction.

Les professeurs sont nommés par le roi sur la proposition de la direction. Le premier d’entre eux s’appelle recteur. Ordinairement il y a dans chaque gymnase un recteur, un professeur en titre nommé (overlœrer), et quatre ou cinq adjoints.

Le traitement des professeurs varie selon leur degré d’ancienneté. Les jeunes recteurs ont le logement et 1,000 rixdales (3,000 francs). Les professeurs ont de 800 à 1,200 rixd., et les adjoints de 400 à 700. Plusieurs écoles pourvoient à leurs besoins par des dotations particulières. D’autres possèdent des revenus considérables. L’excédant de tous ces revenus forme le fonds commun des écoles secondaires. Il est administré par la direction et partagé entre les gymnases, en sorte que toutes ces institutions ne coûtent rien au gouvernement.

Le recteur fait un cours comme les autres professeurs. Il est chargé en outre de la direction avec les éphores et avec le comité supérieur. Trois mois avant l’ouverture des classes, il écrit au comité pour lui indiquer l’ordre de leçons qu’il désire suivre, les livres qu’il désire employer, et il ne peut abandonner les livres qui lui sont prescrits, sans une autorisation spéciale.

Chaque professeur doit tenir un journal où il écrit régulièrement ses observations sur le caractère, sur les progrès des élèves. Le recteur peut se faire communiquer ce journal aussi souvent qu’il le désire. Tous les trois mois, les professeurs adressent au recteur un rapport sur l’objet de leurs leçons et sur leurs résultats. Le recteur envoie à la direction une copie de ce rapport annoté par lui.

Tous les trois mois le recteur doit assembler les professeurs et délibérer avec eux sur le meilleur moyen de distribuer les heures de leçons, de maintenir la discipline, d’exciter le zèle des élèves. Cette délibération est écrite.

Les professeurs font vingt-quatre heures de leçons par semaine. Si, dans un cas extraordinaire, ils en font plus, ils reçoivent, outre leur traitement, 1 franc par heure.

Les classes sont ouvertes au mois d’août. Il y a dix jours de vacances à Noël, quinze à la Pentecôte, huit à Pâques, quinze à la fin de juillet. Il y a vacance aussi l’après-midi des veilles de fête et les jours de foire.

Les élèves ne peuvent entrer à l’école, ni au-dessous de dix ans, ni au-dessus de dix-huit. On exige d’eux seulement qu’ils sachent lire. Ils reçoivent au gymnase des leçons d’écriture. Chacun d’eux doit payer en entrant un droit d’inscription de 5 rixdales (15 fr.), plus 9 francs pour le bois et la lumière, et 90 francs par an pour les leçons. S’il y a deux frères dans le même établissement, le second ne paie que la moitié ; trois, le tiers ; et s’il y en a quatre, le quatrième ne paie rien. Il n’y a point de pensionnaires, point d’internes.

On enseigne au gymnase le latin et le grec, le danois, le français, l’allemand et l’anglais. L’étude du français est recommandée d’une manière spéciale. On enseigne la religion, la morale, la géographie, l’histoire, l’arithmétique, l’histoire naturelle, le dessin, la musique vocale et la gymnastique.

Il y a sept heures de leçons par jour, quatre avant midi, trois après. Les élèves ont, comme on le voit, peu de temps à eux. Les leçons des maîtres doivent suppléer aux heures d’étude.

L’école est divisée en quatre classes. Les élèves passent ordinairement deux années dans chaque classe. La grande différence qui existe entre cette méthode d’enseignement et la nôtre, c’est que les professeurs ne sont pas, comme en France, régens uniques d’une classe, et obligés d’y apparaître tour à tour comme philologues, comme historiens, comme géographes. Ils ont une branche d’enseignement déterminée, et ils la suivent de degré en degré, depuis la première jusqu’à la dernière division de l’école.

La place que les élèves occupent à l’école est déterminée par les examens. Chaque année, à la fin du premier et du troisième trimestre, il y a un examen particulier dans chaque classe ; à la fin du deuxième, un examen écrit ; à la fin du dernier trimestre, un examen public.

Les professeurs interrogent les élèves l’un après l’autre, et adressent à la direction le résultat de leurs observations.

L’élève ne peut monter d’une classe à l’autre sans avoir subi cet examen, et s’il ne le subit pas d’une manière satisfaisante, il redescend.

Du gymnase l’étudiant passe à l’université. Il doit être muni d’un certificat du recteur, constatant qu’il est en état de soutenir le premier examen universitaire, qu’on appelle examen artium. Mais s’il échoue dans cette épreuve, le recteur qui a signé le certificat reçoit, pour la première fois, une sévère admonestation ; la seconde fois, il est condamné à une amende de 10 à 20 rixdales (30 à 60 fr.) ; et s’il retombe encore dans la même faute, il peut être privé de son emploi.

Toutes les écoles secondaires de Danemark sont soumises au même réglement. Mais celle de Soro, qui porte le titre d’Académie, est une institution à part. J’ai besoin, pour l’expliquer, de remonter un peu plus haut.

Au moyen-âge, les écoles latines du Nord étaient établies dans les couvens ou dans les chapitres métropolitains. C’était là que les prêtres, les clercs, les religieux, faisaient leurs études. Ceux qui aspiraient à une science plus élevée se rendaient dans les universités d’Allemagne ou à l’université de Paris. Le couvent de Soro est l’un des plus anciens couvens de Danemark. Il fut fondé au xiie siècle par la famille de l’évêque Absalon, qui, selon l’usage, y établit aussi une école.

En 1586, Frédéric II fonda, sur les élémens très restreints de l’école claustrale, une grande institution qui devait recevoir soixante élèves.

En 1623, Chrétien IV, qui s’affligeait de voir la jeune noblesse de Danemark émigrer sans cesse sous le prétexte d’aller étudier en France ou en Allemagne, ajouta à l’école fondée par Frédéric II une classe d’enseignement supérieur à laquelle il donna le nom d’Académie. Il dota cette nouvelle institution de plusieurs grandes propriétés ; il y appela des maîtres distingués, et il ordonna à ses officiers, à ses gentilshommes, d’y envoyer leurs fils. Bientôt l’école de Soro eut sa bibliothèque et son imprimerie. Elle réunit quarante élèves nobles. Elle se signala par sa méthode d’enseignement et ses travaux. On enseignait alors, à cette école, le grec, l’hébreu, le latin, le français, le droit, l’histoire, la politique, les mathématiques. Il y avait en outre des maîtres d’armes, de musique, de dessin, d’équitation et de jeu de paume.

Sous le règne de Frédéric II, les guerres du Danemark avec la Suède portèrent un coup mortel à l’institution de Chrétien IV. Les Suédois pénétrèrent en Zélande, ravagèrent les biens de l’Académie. Les élèves s’en allèrent, et l’école fut fermée.

Vers le milieu du xviiie siècle, Chrétien VI essaya de lui rendre une nouvelle vie. Frédéric V agit dans le même but, et plusieurs hommes distingués l’enrichirent de leurs dons. Le colonel Kalckrenz lui légua une partie de ses propriétés, et le poète Holberg lui donna toute sa baronie. Elle déclina cependant encore une fois ; elle perdit peu à peu ses élèves ; et au commencement de ce siècle, on ne comptait plus à Soro que des professeurs pensionnés. Les étudians étaient loin. Elle n’était pas dissoute, mais elle n’agissait plus.

En 1813, un incendie consuma l’ancien bâtiment de l’école et la bibliothèque. Cet évènement, qui semblait devoir être pour l’institut de Soro le coup de grâce, devint, au contraire, pour lui un signal de régénération. Le roi prit en pitié la pauvre école de Chrétien IV, si long-temps oubliée. Il donna des ordres pour que l’Académie fût remise en vigueur, et comme elle avait fait, dans ses années de repos, de larges économies, elle bâtit, à la place de l’antique maison qu’elle occupait autrefois, un magnifique édifice. Rien ne manque à cette nouvelle construction, ni les vastes galeries pour les collections, ni les salles de cérémonie, ni les comfortables auditoires des professeurs. Tout a été disposé avec luxe et dans de grandes dimensions. Ce n’est pas un bâtiment d’école, c’est un palais de roi.

Cet édifice est exclusivement réservé aux élèves. Le directeur, les professeurs, occupent chacun une maison à part, et les membres de la direction de Copenhague, qui viennent ici cinq à six fois par an, ont aussi leur demeure à eux.

L’Académie a recomposé, dans l’espace de quelques années, une bibliothèque qui s’élève maintenant à près de neuf mille volumes. Elle a amassé une très belle collection d’instrumens de physique et de mathématiques. Elle a dépensé un million pour ses nouveaux bâtimens, et chaque année elle épargne encore 60,000 francs sur ses revenus. Ses forêts, ses métairies et la pension des élèves lui rapportent chaque année environ 300,000 francs. Nous verrons quel résultat elle obtient avec cette puissante ressource.

Cette école n’est point soumise, comme les autres, à la surveillance d’un éphorat. Elle a un intendant qui est chargé de la gestion de ses biens, et un directeur qui veille à l’enseignement et aux besoins de l’école ; mais ses pouvoirs sont très limités. Il ne peut ordonnancer sans la permission de la direction aucune dépense qui s’élève plus haut que 50 rixdales (150 fr.). C’est lui qui correspond avec les parens des élèves ; c’est à lui que sont confiées toutes les mesures d’ordre et de discipline. Il a aussi la surveillance de la bibliothèque et des collections scientifiques, et il reçoit un traitement de 9,000 francs.

L’intendant gère les propriétés de l’Académie d’après les ordres de la direction, et reçoit un traitement à peu près égal à celui du directeur.

Les professeurs sont au nombre de seize ; onze portent le titre de lecteur, et cinq celui d’adjoint.

J’ai nommé l’institut de Soro Académie ; c’est le nom qu’on lui donne généralement. Elle est cependant divisée en deux parties très distinctes : la première, qui s’appelle école, n’est, à proprement parler, qu’un grand gymnase ; la seconde est une classe à part, qui s’appelle académie.

L’école est divisée en quatre classes, comme les gymnases. On y enseigne le grec, le latin, le danois, l’allemand, l’anglais, le français, la religion, la morale, la géographie, l’histoire, les mathématiques et les sciences naturelles.

Il y a aussi des cours d’hébreu, mais ils ne sont pas obligatoires, comme ceux des langues vivantes.

L’académie n’est qu’une seule classe, dont les cours durent trois semestres. Les académiciens étudient, pendant le premier semestre, le grec, le latin, la langue et la littérature danoise, les langues française et allemande, l’histoire et les mathématiques ; pendant le second semestre, la pratique de toutes ces langues, l’astronomie, la géométrie, la botanique, la zoologie ; pendant le troisième, la pratique des langues, l’histoire de la philosophie, philosophie morale, métaphysique, physique, minéralogie, statistique.

Les lecteurs ne donnent de leçons qu’à l’académie et dans la classe supérieure de l’école ; les adjoints enseignent dans les trois autres classes.

Il y a six heures de leçons par jour pour l’école, quatre seulement pour l’académie. Vacances pendant dix jours à Noël, dix jours à Pâques, et tout le mois d’août.

Les élèves ne peuvent pas être reçus à l’école au-dessous de dix ans, ni au-dessus de seize. Ils restent ordinairement huit années à franchir les quatre classes, et passent l’examen artium pour entrer à l’académie. Ils ont, en outre, deux examens chaque année, l’un particulier à la fin de février, l’autre public à la fin de juillet.

Les académiciens subissent, avant de quitter l’école, l’examen philosophique que l’on subit à l’université après une année d’étude. Cet examen se fait en trois épreuves ; la première a lieu au mois de février, la seconde au mois de juillet, la troisième au mois de février suivant.

Dans la première, l’élève est interrogé sur le grec, le latin, l’histoire, les mathématiques ; dans la seconde, sur le danois, le français, l’allemand, l’astronomie, la géométrie pratique, la philosophie, l’histoire naturelle ; dans la troisième, sur la philosophie, la physique, la morale, la statistique. Il doit aussi faire des compositions en allemand et en français.

Il y a ici des élèves internes et externes. Les premiers paient par année 600 francs, les autres 90. Mais il y a quatorze places gratuites, dont le roi dispose, et seize stipendes de 150 francs chacun, que l’on accorde aux élèves ayant peu de fortune et qui se distinguent par leurs dispositions et leur assiduité.

Les élèves des autres gymnases ne peuvent entrer à l’académie sans avoir passé au moins deux années à l’école de Soro, et les élèves de cette école ne peuvent aller, comme ceux des autres gymnases, directement à l’université sans passer les trois semestres de rigueur à l’académie. Cette double contrainte n’a pas été d’une grande utilité à l’institut. Il y a là place pour soixante-quatre élèves, et jamais on n’en a compté plus de soixante. Le terme moyen est quarante-huit. Le terme moyen des académiciens pendant neuf années a été de six. Ainsi, chaque élève de Soro coûte plus de 5,000 fr. par an. L’établissement de cette école sur une base aussi large est une grande erreur de l’administration, une erreur que tous les hommes éclairés déplorent. Dans un pays comme le Danemark, avec les 300,000 francs de revenu de l’académie, on fonderait six grandes écoles, on élèverait trois cents jeunes gens, et on en élève cinquante !

À une demi-lieue de Soro, dans une ferme nommée Catherinslyst, j’ai visité un autre établissement d’éducation qui, par son extrême simplicité, contraste singulièrement avec l’extérieur splendide de l’académie. Cet institut, fondé sur le modèle de celui que M. de Fellenberg a établi à Hofwyl, est consacré à l’éducation des jeunes paysans. Il y a là vingt-quatre élèves choisis surtout parmi les orphelins et les plus pauvres enfans de la paroisse. Ils peuvent entrer à cette école à l’âge de six ans, et ils y restent jusqu’à ce qu’ils soient confirmés. La commission des pauvres paie chaque année, en nature ou en argent, quatre tonnes de seigle pour les élèves de six à dix ans, trois pour ceux de dix à douze, deux pour ceux de douze et au-delà.

L’école est placée sous la surveillance de la commission scolastique de la paroisse et régie par la direction de Copenhague.

Un maître est chargé de l’éducation des élèves. Il doit pendant l’hiver, et pendant les heures de loisir qu’il a en été, leur enseigner à lire, à écrire, à calculer ; le reste du temps, les élèves travaillent dans les champs avec lui, labourent la terre, prennent soin des bestiaux. Ils doivent aussi s’exercer aux travaux manuels que réclame leur profession future de cultivateurs. Ils doivent apprendre à réparer une charrue, à coudre un harnais, à fabriquer au besoin un instrument d’agriculture. Le dimanche, le maître les conduit à l’église ; ils assistent au catéchisme ; ils apprennent les principes de religion, et le prêtre vient de temps à autre les visiter et leur donner des leçons.

Ces élèves sont nourris et habillés très simplement ; ils portent des vêtemens, en été, de grosse toile, en hiver, de vadmel (drap foulé), des sabots tous les jours, et des souliers le dimanche ; mais les vêtemens sont très propres. La chambre qu’ils occupent est entretenue avec beaucoup de soin. L’habitude du travail, le régime auquel ils sont soumis développent leur constitution. À l’âge de douze ans, ils sont grands et forts, et il est bien rare qu’ils tombent malades. Sortis de l’école, ils retournent dans leur village, ils travaillent dans les fermes, et ils se distinguent presque tous par leur intelligence et leur bonne conduite. Tous gardent aussi un profond souvenir de l’école où ils ont été élevés, et, le dimanche, ils reviennent visiter leur ancien maître, et s’asseoir au milieu de leurs compagnons.


X. Marmier
Copenhague, 1er septembre 1837.