Il faut examiner s’ils sont chargez de famille, s’ils ont femmes et combien d’enfans masles et femelles, quel âge, quelle profession, ce que l’on en peut faire ; si les filles sont en hazard ;
D’où vient la pauvreté, si par desbauche, mauvais menage, procez, faute de conduite, ou par le malheur du temps ;
Quelles debtes ils peuvent avoir, si l’on en peut composer avec le creancier ;
S’ils se peuvent restablir, et comment, estant plus seur de leur donner les choses en nature, comme de l’estoffe, de la soye, du cuir, que de l’argent.
Il importe d’avoir un magazin pour les provisions et besoins necessaires aux pauvres, et des meubles et ustancils marquez à la marque de la paroisse, afin de leur donner par prest, et qu’ils ne les puissent vendre, ny les creanciers ou les proprietaires de la maison les saisir.
Il faut aussi estre precautionné pour le payement des loyers, qui n’entrent point ordinairement dans les charitez des paroisses, à moins que de cause bien privilegiée ;
Comme aussi des voyages, qui sont tousjours suspects,
Et des mariages, le plus souvent non necessaires, si ce n’est des personnes qui sont dans le peché, ou pour empescher qu’ils n’y tombent1 ;
Et pareillement des pensions par mois ou par années, parce qu’elles espuisent le fond des charitez et contribuent quelquefois à la fainéantise, sous le prétexte de l’asseurance d’une subsistence ordinaire.
Il est aussi très à propos de leur reserver du charbon, des chaussures et autres petits soulagemens pour l’hyver.
Surtout il faut prendre garde s’ils frequentent les sacrements, s’ils sont bien instruits des principaux mystères, et particulierement les enfans, et encore plus lorsqu’ils sont en estat de faire leur première communion ;
S’ils couchent separément ;
S’ils ont esté confirmez, et mesmes les père et mère, pour leur faire concevoir l’importance de ce sacrement et les disposer à le bien recevoir.
Il importe de sçavoir comment ils vivent avec leurs voisins, s’ils vivent avec bon exemple et vivent avec reputation dans le quartier ;
S’ils sont infirmes ou malades, pour y estre pourveu par les charitez des paroisses ;
S’ils ont des filles en hazard, pour en prevenir le mal, leur procurer quelque condition, apprentissage ou retraitte2.
Il faut prendre garde aux surprises et artifices des pauvres qui veulent passer pour vrais pauvres honteux, n’estans de la qualité, ou lorsqu’ils en abusent, ce qui merite grand examen, parce qu’ils ont les aumosnes de ceux qui sont veritables pauvres.
Les principales marques, et qui les doivent exclure et faire rayer du rolle, sont les suivantes :
1º Lorsqu’ils se rendent mandians de mandicité publique ou de secrette qui eclatte : car le pauvre honteux est celuy qui vit chrestiennement, qui ne peut gagner sa vie, et qui a la honte sur le front pour ne l’oser demander3 ;
Et en cecy il faut seulement prendre garde au spirituel de la famille et au peril des enfans, particulierement des filles ;
2º Ceux qui gagnent leur vie ou qui la peuvent gagner, ou qui ont quelque petit bien qu’ils ne sçavent pas mesnager, parce qu’autrement c’est fayneantise, dissipation ou desbauche, qui merite reprimende plustost qu’assistance ;
3º Ceux qui sont soulagez par ailleurs et reçoivent assistance suffisante, comme du grand bureau4, fabrique des paroisses5, corps des mestiers6, confrairies et autres compagnies de pieté ;
4º Ceux qui ne sont domiciliez dans le temps porté par les reglements, parce qu’autrement l’on affecteroit de s’establir en la paroisse pour participer aux aumosnes, sauf s’il y avoit peril pour la religion, l’honnesteté ou scandal public : il en sera pris connoissance de cause ;
5º Les religionnaires7, s’il n’y a disposition à leur conversion, ou quelque ouverture pour l’esperer ;
6º Les catholiques qui tirent charité des religionnaires, ou qui mettent leurs enfans apprentifs chez les religionnaires ;
7º Les libertins, blasphemateurs, yvrognes et desbauchez, sauf, quand ils ont leurs femmes et enfans dans la misère ou le peril, à leur pourvoir secretement et par autre voye.
8º Ceux qui ont mal usé de l’aumosne que l’on leur a donné ;
9º Qui negligent de se faire instruire, qui n’envoyent point leurs enfants à l’escolle et au cathechisme de la paroisse ;
10º Qui deguisent leurs noms, qui les changent, qui en prennent plusieurs, qui supposent leurs conditions, qui n’exposent pas la verité dans les billets ou lors des premieres visites que l’on fait chez eux ;
11º Qui ne veulent point sortir de leur logis quand il y a des gens de vie scandaleuse ;
12º Qui souffrent quelque scandal public en leur famille, particulierement quand il y a des filles ;
13º Qui ne se veulent point reconcilier avec le prochain ;
14º Qui ne veulent point suivre les advis de ceux qui sont preposez pour conseiller ;
15º Qui font mauvais mesnage en leur famille, ou qui mal-traitent leurs femmes après en avoir esté repris, sauf à donner quelque chose à la femme en particulier si elle en est digne ;
Et generalement ceux qui ne sont pas jugez dignes par la compagnie pour autre cause survenante et motive d’exclusion ;
Toutes lesquelles causes d’exclusion peuvent cesser neantmoins en se remettant par les pauvres en leur devoir, et satisfaisant à ce que l’on desire d’eux, ce qui depend de connoissance de cause et d’examen de l’assemblée de la paroisse.
1. La philanthropie au XIXe siècle s’est davantage inquiétée du mariage des pauvres. Sous la Restauration une association, patronnée par la duchesse d’Angoulême, avoit été fondée à l’effet de pourvoir au mariage des ouvriers sans fortune, leur procurer gratuitement des expéditions d’actes et les pièces notariées nécessaires, etc. Aujourd’hui la Société de Saint-François Régis s’est donné la même mission.
2. Les jeunes filles pauvres étoient surtout placées, sitôt qu’elles avoient douze ans, dans les ateliers de dentelle de Bicêtre. V. Sauval, Antiq. de Paris, liv. 5, chapitre Hôpital général. — Olier, qui étoit curé de Saint-Sulpice en 1648, prenoit soin de placer en apprentissage chez les maîtres artisans les orphelins de sa paroisse. C’est lui aussi qui avoit ouvert, dans la rue du Vieux-Colombier, la maison des Orphelines. V. Monteil, Traité de matériaux manuscrits, t. 2, p. 5.
3. La Police des pauvres de G. Montaigne, curieuse pièce des premières années du XVIIe siècle, que nous donnerons dans un prochain volume, parle de ces mendiants qui prenoient la place des bons pauvres et qu’il falloit chasser de Paris. « Il est défendu à toutes personnes de mendier à Paris, sur la peine de fouet, pour les inconvénients de peste et autres maladies qui en pourroient advenir, joint que plusieurs belistres et cagnardiers, par imposture et déguisement de maladie, prennent l’aumône au lieu des vrais pauvres, et aussi que les pauvres estrangers y viennent de toutes parts pour y belistrer. »
4. Le grand bureau des pauvres. Les bourgeois choisis par chaque paroisse pour avoir soin des intérêts spirituels et temporels des pauvres s’y assembloient le lundi et le samedi de chaque semaine, à trois heures après midi, sous la présidence du procureur général du Parlement ou de l’un de ses substituts. De cette compagnie étoient tirés les administrateurs des hôpitaux de Paris et des environs.
5. Les fabriques de paroisses, sous la présidence des curés, faisoient sans cesse acte de charité de la façon la plus efficace. Tout à l’heure nous avons parlé du curé de Saint-Sulpice ; nous devons rappeler aussi celui de Sainte-Marguerite, qui, au commencement du XVIIIe siècle, adopta pour les pauvres de son église le système des soupes économiques, proposées d’abord par Vauban, conseillées par Helvétius dans son Traité des maladies (1703, chapitre Bouillon des pauvres), puis reprises par M. de Rumfort, qui leur a laissé son nom. (Pujaulx, Paris à la fin du XVIIIe siècle, p. 374–375.)
6. Sur le rôle philanthropique des corporations d’artisans et sur la caisse de secours que chacune d’elles possédoit sous le nom de Charité du métier, V. un intéressant article de M. Louandre, Revue des Deux-Mondes, 1er décembre 1850, p. 858.
7. Par une ordonnance du 8 mars 1712, Louis XIV ne s’en tint pas à défendre de donner des secours aux pauvres de la religion ; il interdit, sous les peines les plus sévères, aux médecins et apothicaires, de continuer leurs soins aux malades qui ne se seroient pas encore confessés le troisième jour de leur maladie. La Gazette littéraire du 13 janvier 1831 a donné en entier la teneur de cette ordonnance.