Oraison funèbre de Caresme prenant, composée par le serviteur du roy des Melons andardois


Oraison funèbre de Caresme prenant, composée par le Serviteur du roy des Melons andardois.

1623



Oraison funèbre de Caresme prenant, composée par
le Serviteur du roy des Melons andardois
1.
M.DC.XXIII. In-8.

Pourquoi, cruelle Mort, trop injuste et sevère,
Nous oste-tu si tost ce prince debonnaire ?
Pourquoy as-tu changé nostre contentement,
Nos liesses, nos joyes, en douleurs et tourment,
Nous privant de celuy dont les graces divines
Esclattoient tous les jours au milieu des cuisines,
Qui a fait que les princes ont quitté les combats
Pour chercher les festins, les dances, les esbats ;
Qui mesme a fait changer aux grands chefs de milice
La fureur en douceur, et quitter l’exercice
Des armes pour chercher aux cuisines repos,
Où aux combats des dents ils se monstroient dispos ;
Et, festoyans sans fin de viande assaisonnée,
Comme chapons, poulets, langue de bœuf fumée2,
Perdris, cailles, faisans, patez de venaison,
Lièvres, levraux, lapins, becasses de saison,
Oys sauvages, canards, pluviers et courlie,
Vaneaux et pigeonneaux, l’alouette jolie,
Sans conter le bœuf gras, poulets de fevrier,
Le veau, dont se traitoit l’artisan roturier,
Les masques desguisez de diverses manières,
En boesme, à l’entique, en paisans et bergères,
Accompagnez les uns de musique de voix,
Les autres de viollons, flageolets et hautbois,
Les phifres, les tambours, les trompettes gaillardes,
Faisoient retentir l’air en donnant les aubades ?
Chacun à qui mieux mieux alloient solemnisant
De ce prince benin l’heureux advenement.
Mais, quoy ! cela n’est plus : ceste mort trop soudaine,
Finissant nos plaisirs, augmente nostre peine,
Nous l’oste, meurtrière, aussitost que venu,
Et quasi mesme avant qu’il fust de nous conu,
Change tous ces plaisirs en amères tristesses,
En jeûnes, en chagrins, en travaux, en angoisses,
Nos chapons en harans, en febves nos poulets,
Et nos langues de bœuf en vieux harans sorets,
Nos perdrix en moulue3, nos cailles en anguillettes,
Et nos faisans en rais puantes et infectes.
Pastez de venaison seront changez en noix,
Nos lièvres et levraux et nos lapins en pois ;
Oys sauvages et canards, pluviers et courlies,
Seront changez aussi pour des seiches pouries4 ;
Et bref, tout le surplus de ces frians morceaux
Seront changez en raves, eschervises, naveaux ;
Nos dances, nos ballets, mousmons5 et masquarades,
Nos musiques de voix, en cris et hurlemant
Qu’on fera pour la mort de Caresme prenant.
Hé ! qui sera celuy qui de ses deux paupières
Ne fera distiler deux coulantes rivières,
Lorsque, par le deceds de ce prince tant bon,
Il se verra exclus de manger d’un jambon ?
Pleurez, pleurez, pleurez, pleurez en milles diables ;
Hé ! pleurez pour celuy qui faisoit que les tables
Estoient toujours remplies de mets delicieux,
De vins clairets, vins blancs, vins nouveaux et vins vieux ;
Pleurez, broches et landiers6 ; pleurez, vous, lechefrites ;
Pleurez, casse7 et chaudron ; pleurez, grasses marmites,
Pleurez, pleurez la mort de celuy qui faisoit
Que servant tous les jours chacun vous cherissoit ;
Pleurez, pleurez aussi, vous, gentille lardoire,
Et ayez comme nous de ce prince memoire ;
Disons-luy tous adieu, et tous ensemblement
Faisons-luy de l’honneur à son enterrement ;
Pleurons à qui mieux mieux, jusqu’à ce qu’il revienne.
Cul qui ne pleurera, que la foire le prenne,
Et, ne le laschant point, aille tousjours foirant
Jusqu’au nouveau retour de Caresme prenant !

Puisse l’amour qui vous enserre
Vous convier d’aimer un Pierre,
Serviteur du roy des Melons,
Et que l’astre qui vous void naistre
Vous puisse, Charles et mon maistre,
Unir de cœur comme de noms !




1. C’est-à-dire melons d’Angers, Andardois dérivant du mot Andes, ancien nom des Angevins. Les melons de l’Anjou étoient célèbres au moyen âge, à une époque où cette province eût mérité de partager le titre de jardin de la France, donné à la Touraine à cause des progrès qu’y avoit faits l’horticulture. V. Théâtre d’agriculture, in-4, t. 1, p. 151. — De tout temps on avoit pris le mot melon dans le sens burlesque qui lui est donné ici. Thersite, se moquant des Grecs, les appelle πεπωνες, melons (Iliade, chant 2, vers 235), et Tertullien reproche à Marcion d’avoir un melon à la place du cœur, puponem loco cordis habere. Notre expression avoir un cœur de citrouille vient de là.

2. Non seulement les ivrognes se faisoient un aiguillon de vin avec ces langues salées et fumées, mais aussi avec de longues tranches de bœuf salé « nommé communément brésil », qu’on apprêtoit à la vinaigrette. V. un passage du De re cibaria de Symphorien Champier, cité par Legrand d’Aussy, Vie privée des François, chap. 2, sect. 1re, et Théâtre d’agriculture, t. 2, p. 624.

3. C’est ainsi qu’on appeloit la morue au XVIe siècle. « C’estoient moulues au beurre frais », dit Rabelais, liv. 4, chap. 32. Le Martinet de la 65e nouvelle de Des Perriers prononce aussi de cette manière : « Depuis, dit la Monnoye, commentant ce passage, on a dit molue, et enfin morue, qui est aujourd’hui le mot d’usage. »

4. Long poisson de mer dont la chair est très mauvaise à manger, et le même qui passoit alors pour produire l’encre nommée sépia. V. Lemery, Traité des alimens, p. 414.

5. Momons, sorte de mascarade qui, par son nom, est un souvenir évident du dieu Momus. Quelquefois c’étoit une idole burlesque ou obscène, comme dans le Balet des andouilles porté (sic) en guise de momon, 1628, in-8.

6. Gros chenet de fer. Le vrai mot est andier ; mais, ainsi qu’il arrive souvent, l’article se fondit avec le mot, et l’on dit landier, de même que des deux mots li hardit, le hardit (monnoie valant trois deniers), on a fait le seul mot liard, et de l’hierre on a fait lierre.

7. Mot qui s’emploie encore à Orléans pour une sorte de marmite à anse et sans pieds. Casserole n’en est que le diminutif.