Legat testamentaire du Prince des Sots à M. Claude d’Acreigne


Legat testamentaire du Prince des Sots à M. C. d’Acreigne, Tullois, advocat en parlement, pour avoir descrit la defaite de deux mille hommes de pied, avec la prise de vingt-cinq enseignes, par Monseigneur le duc de Guyse.

vers 1615



Legat1 testamentaire du Prince des Sots à M. C. d’Acreigne, Tullois, advocat en parlement2, pour avoir descrit la defaite de deux mille hommes de pied, avec la prise de vingt-cinq enseignes, par Monseigneur le duc de Guyse.
Sans lieu ni date. In-8.

Nostre amé et feal, sçachant qu’il n’y a rien si certain à l’homme que la mort, ne si incertain que l’heure d’icelle, mesme me recognoissant debile de corps, pour ma vieillesse, et par la grace de Dieu assez fortifié d’esprit pour pourvoir à la substitution des honneurs ausquels pour recognoissance j’ay esté promeu, et ne pouvant nommer pour nous estre substitué aucun plus capable que vous, ayant depuis cinq jours en çà conferé avec M. Agnan3, qui nous est apparu embeguiné, enfariné, tel que les sots de mon royaume l’ont veu et practiqué en nostre hostel de Bourgongne, et luy, assez instruit de vos merites en ce cas requis, nous ayant instamment prié de la preference en vostre recommandation, pour luy complaire et satisfaire au desir que nous avons tousjours eu de vous advancer, pour l’esperance que vous vous acquitterez bien et loyaument de la charge à laquelle nous vous voulons appeler, le cas advenant que Dieu face son commandement de nous, et que vous nous surviviez, vous avons pour ces causes et autres à desduire cy-après au long et au large, haut et bas, en bloc et en tasche4, tant en gros qu’en menu, donné nos lettres de nomination pour exercer icelle nostre charge plainement et absolument, et en prendre la possession et jouyssance incontinent après nostre trespas ; et affin de vous installer plus facilement en icelle nostre charge, vous avons associé avec nous aux tiltres et priviléges desquels nous jouissons ; et, pour eviter les fraiz qu’il vous conviendroit faire, nous vous en relevons, vous dispensant de comparoistre, tant en public qu’en privé, en l’estat que nature vous a relevé, sans qu’aucun de nos dits subjects vous en puisse porter envie, ausquels nous imposons silence, n’entendant qu’ils se formalisent en aucune manière s’ils ne vous voyent enchaperonné comme nous, pourveu que vous soyez tousjours en possession de vos oreilles d’asne, desquelles nature a faict chef-d’œuvre en vous, pour admirable eschantillon de vostre future grandeur, et pour rendre aucunement satisfaicts ceux qui pourroient contester avec vous, bien que nous ne soyons tenus de raisonner avec nos subjects autrement que selon nostre plaisir. Donné à Paris, etc. Nous voulons qu’ils sçachent que, pour l’effronterie, vous avez faict merveilles ; pour l’ignorance, vous engendrez des monstres ; pour l’estourdissement, vous le mettez en pratticque autant que les dromadaires que nous avons veu à Paris au bout du pont Neuf ; pour les bourdes, vous en sçavez compter comme si vous veniez de loing ; pour un parasite et escornifleur, vous y estes extremement naïf ; pour le soldat, vous l’estes presque autant que Thersite ; pour enchomiaste5 et louangeur historiographe, autant que Cherille6 ; pour capitaine, autant que Crocodile, qui s’esvanouit sur le tombeau d’une grenouille qui, tombée dans l’embuscade des rats, fut escorchée toute vive7 ; pour frippon, vous en avez esté passé maistre au collége de Lisieux ; pour gibier de mouchard, vous en avez faict chef-d’œuvre à celui de Mans8 ; vous sçavez faire le mathois comme les cappettes de Montaigu9 ; en gourmandise, vous surpassez les souppiers de Reius.

Nous les renvoyons tous, pour estre plus amplement informez de vos merites, en la lecture de ce recit veritable de la deffaicte des troupes du prince de Condé par nostre cher et bien-aimé cousin le duc de Guise10, que vous avez ampliffiée, par la reigle de multiplication arithmetique, de vingt pauvres malotrus à cinq cens francs-archers, ou francs-taupins, tant à pied qu’à cheval : l’un est aussi vray que l’autre. Ne m’en chaut, pourveu que dans Paris l’on vende encores les salades en saulce verde11, pour avaler à petits morceaux les restes de la vache enragée de patience, exposée au collége de Clermont12 par les bons pères jesuistes13, pour amplifier la martyrologie du nombre des affidez à l’espagnole, en vertu des grains benists, selon l’invention du père Ignace, renouvellant les formulaires prattiqués par les heritiers de Salladin, en Amernie, contre les princes de l’Europe qui avoient traversé l’Asie et vouloient restablir un nouveau roy en Jerusalem14. J’ay veu representé en la sale de ma principauté par des personnages qui, non tant pour mon plaisir que pour faire argent, disoient avoir recouvert tous ces mystères de nostre vieil archive. J’espère que, si vous nous succedez, vous y serez recogneu franc archier, car vous ne dementirez point vostre mine, qui ne nous promet rien moins en vous qu’un bon successeur, digne sur tous les francs sots de tenir les resnes longuement, en tout heur et felicité. Donné au Landy, le vingt et unziesme de nostre reigne, l’an present qui suit les autres. Et à vous d’autant escrimez-vous de la marotte ; n’oubliez la bouteille quand vous visiterez les huissiers de la Samaritaine, qui, attendant les passans pour continuer leurs exploicts aux assignations quadrifessales, Amen et sic per omnes casus, amen. Si je sçavois que vous entendissiez mon haut aleman, je vous en dirois davantage ; mais je m’impose silence pour ceste heure, pour faire ouyr l’harmonie d’une chanson qui prophetise les veritez passées, pour ne tromper personne à fausses enseignes, comme celles qu’on porta à Nostre-Dame du temps de la Ligue.

Ainsi signé : Angoulevent, prince des sots, et scellé de cire invisible ; et sur le reply : Par monseigneur le prince des sots,

Bigot15.

Cet espouvantable carnage
Qu’on oit publier dans Paris,
Ce n’est qu’en un nouveau langage
La mort des rats et des souris.
D’Acreygne, d’estoc et de taille,
Jouant çà et là des deux mains,
Donne le gaing de la bataille
À la vaillance des Lorains.
Pour avoir descrite l’histoire
De ces memorables assauts,
Il joinct à ses tiltres la gloire
D’estre nommé Prince des Sots.




1. Legs. « Il ne se dit guère en ce sens que dans les pays de droit écrit. » (Dict. de Furetière.)

2. On a de ce maître Claude Dacreigne plusieurs pièces en faveur du parti du roi contre celui des princes : Tombeau des Malcontents, dédié aux bons et fidèles François…, 1615, in-8 ; la Félicité des victoires et triomphes du roi pour l’accomplissement de son très auguste mariage…, par M. D. ; Paris, in-8 ; Stratagème et valeureuse entreprise du marquis de Spinola pour reconnoître les forteresses de la ville de Sedan…, Paris, 1615, in-8.

3. Comédien de l’hôtel de Bourgogne. Nous ne le connoissons que par cette phrase de Tallemant, qui est la première de la 349e historiette, Mondory, ou l’histoire des principaux comédiens françois : « Agnan est le premier qui ait eu de la réputation à Paris. » (Éd. in-12, t. 10, p. 39.)

4. Expression qui n’avoit cours que dans le peuple de Paris, selon le Dictionnaire de Trévoux, et qui correspondoit à celle-ci : en bloc et en tas.

5. Faiseur d’éloges, du mot grec ἐγκώμιον, louange.

6. Mauvais poète grec qui vivoit au temps d’Alexandre,

et dont Horace a parlé dans l’Art poétique et dans la 1re épître du liv. 2.

7. Nous n’avons pu retrouver le passage de la Batrachomyomachie auquel ceci semble faire allusion. Crocodile doit être mis ici pour Craugaside.

8. Le collége du Mans, moins célèbre que celui de Lisieux, étoit alors situé rue de Reims. C’est en 1683 seulement qu’il fut transporté rue d’Enfer, sur l’emplacement de l’hôtel Marillac. Il avoit été fondé en 1519 par Philippe de Luxembourg, évêque du Mans.

9. On appeloit capettes, à cause de leur petite cape étriquée, les écoliers du pauvre collége de Montaigu. V. notre Paris démoli, 2e édit., p. 74–75.

10. Il nous a été impossible de découvrir la pièce dont il s’agit, et que Cl. Dacreigne auroit faite à propos de quelque avantage, à peu près imaginaire, du duc de Guise, alors à la tête de l’armée royale, contre les troupes du prince de Condé. Nous ne connoissons, comme se rapportant aux faits dont il semble être ici question, qu’un livret sans nom d’auteur : la Défaite des reitres et autres troupes de M. le prince de Condé, faite par monseigneur le duc de Guise devant la ville de Sainte-Foy, assiégée par les troupes du dit sieur prince, Paris, 1615, in-8.

11. Régal de pauvres gens dont parle Rabelais, et qui se faisoit de blé vert et d’oseille pilée.

12. C’est le premier nom du collége de Louis-le-Grand, tenu par les jésuites.

13. On disoit indifféremment jésuite ou jesuiste, « jésuite toutefois plus communément », selon Voiture (lettre citée). Richelet, qui proscrit la seconde de ces deux orthographes, donne, pour prouver qu’on doit préférer l’autre, des exemples assez singuliers. V. la première édition de son Dictionnaire, si plein, comme on sait, d’allusions et d’équivoques satiriques.

14. Ce passage, qui est un spécimen du galimatias du sieur Dacreigne, doit avoir trait aux écrits qu’il publia pour célébrer le mariage du roi avec une princesse espagnole. (V. une des notes précédentes.) Il s’y trouve aussi peut-être quelque allusion à la singulière pièce qu’il publia vers le même temps, et dans laquelle il est fort question de Turcs, de Saladin et de Jérusalem : Conclusion de la dernière assemblée faite par ceux de la religion pretendue reformée dans la ville de Montauban, au pays de Quercy, où est contenue la genereuse response de M. de Vic, conseiller d’Estat y desputé par Sa Majesté, avec deux predictions qui nous assurent la ruine de l’empire des Turcs en l’année 1616, moyennant une bonne intelligence entre les princes chrestiens, par M. C. D. (M. C. D’Acraigne)…, Paris, 1615, in-8. — Nous ajouterons qu’en 1651 parut une pièce où il étoit dit que l’empire ottoman seroit détruit par un roi de France. (Moreau, Bibliog. des Mazarin. II, nº 1100.)

15. Cette pièce est très curieuse en ce qu’elle est, avec un siècle tout entier de priorité, complétement semblable à ces calottes ou brevets de folie et de sottise que Aymon, et après lui M. de Torsac, envoyoient à tout personnage de leur temps qui s’étoit rendu digne, par actions, paroles ou écrits, d’être incorporé dans le régiment de la calotte. Ces brevets étoient en vers, et c’est une de leurs différences avec cette pièce. Gacon les a rimés pour la plupart. On en a fait un recueil considérable et fort difficile à compléter. V. les premières livraisons du Journal de l’Amateur de livres, le Magasin pittoresque, t. 9, p. 289–290, et les Mémoires de Maurepas, t. 3, p. 18–90.