On purge bébé !/Scène IV
Scène IV
Monsieur Chouilloux !
Veux-tu remp… !
Bonjour, cher monsieur Follavoine !
Ah ! foutez-moi la p… ! (Se retournant à ce moment, tandis que Rose sort, et reconnaissant Chouilloux.) Oh ! pardon !… monsieur Chouilloux ! Déjà !
Est-ce que j’arrive trop tôt ?
Du tout ! du tout ! Seulement je conversais avec madame Follavoine ; alors, je n’avais pas entendu sonner.
J’ai sonné, cependant ; et on m’a ouvert. (Badin.) Je n’ai pas encore le don de traverser les murailles !
Ah ! Charmant ! Charmant !
Oh ! mon Dieu… !
Si vous voulez vous débarrasser !
Trop aimable ! (Descendant et s’arrêtant stupéfait à la vue du seau de toilette.) Tiens !
Oh ! pardon ! Excusez ! Je vous en prie ! C’est ma femme qui est venue ici tout à l’heure ; elle tenait ça à la main, et, alors, par distraction… (En parlant, il est remonté jusqu’à la porte du fond. L’ouvrant et appelant d’une voix rude.) Rose !… Rose !
Monsieur !
Eh ! bien, venez ! (À Chouilloux, tout en redescendant vers lui de telle sorte que le seau soit entre eux deux.) Je suis confus, vraiment ! Surtout un jour où j’ai l’honneur… !
Oh ! je vous en prie ! je vous en prie !
Je dis ce que je pense, monsieur Chouilloux ! je dis ce que je pense !
Trop aimable !… oui ! vraiment… !
Monsieur m’a appelée ?
Oui. Tenez ! Enlevez donc le seau de madame.
Ah !… Qu’est-ce qu’il fait là ?
C’est madame qui l’a laissé… par mégarde.
Ah ! ben… ! Madame a dû, bien sûr, le chercher !
Oui, c’est bien, allez ! (Remontant à la suite de Rose et la poussant vers la chambre de Julie.) Et tenez ! allez donc dire à madame que M. Chouilloux est là !
Oui, monsieur.
Oh ! Je vous en prie ! Ne dérangez pas madame.
Laissez ! Laissez ! Si je ne la presse pas un peu… ! Les femmes ne sont jamais prêtes !
Ah ! bien ! Je ne peux pas dire ça de la mienne !… Tous les matins, c’est la première sortie ! le footing lui est recommandé ; moi ce n’est plus de mon âge ; alors elle a son cousin… qui marche avec elle.
Oui ! oui ! en effet C’est… c’est ce qu’on m’a dit !…
Ça fait tout à fait mon affaire.
Oui, ça… ça ne sort pas de la famille.
Ça ne sort pas de la famille… et puis ça ne me fatigue pas !… (Ils rient. — En pivotant pour descendre en scène, Chouilloux aperçoit le vase de nuit sur la table.) Ah ! je vois qu’on s’occupe de notre affaire !
Ah ! oui !… oui !
C’est le pot de chambre.
C’est le… oui !… oui… Ah ! vous avez reconnu ?
Oui, oh !… (En ce disant il a gagné un peu la droite devant la table. Se retournant et considérant le vase.) Eh ! bien, mais ça ne paraît pas mal !… bien conditionné !…
Oh ! pour être conditionné, ça !
Et alors, c’est de la porcelaine incassable ?
Incassable, parfaitement.
Ainsi voyez !… (Brusquement, s’asseyant sur le fauteuil qui est à droite de la table.) Non, je vous demande ça, parce que c’est le point qui avait retenu notre attention, à M. le sous-secrétaire d’État et à moi.
Aha ! oui, oui ?
Parce que, pour la porcelaine ordinaire, après mûre réflexion, nous n’en voulons pas.
Oh ! que je vous comprends !
La moindre des choses, c’est cassé !
Ah !… tout de suite !
Ce serait gaspiller l’argent de l’État.
Absolument ! (Indiquant son vase.) Tandis que ça : bravo ! c’est solide ! on n’en voit pas la fin ! (Descendant en scène.) Non, mais, tenez, prenez en main, vous qui êtes connaisseur !
Oh !… pas plus que ça !
Si ! Si ! Voyez comme c’est léger !
Oh ! c’est curieux ! Ça ne pèse pas son poids !
Et comme c’est agréable à la main ?… hein ?… C’est-à-dire que ça devient un plaisir. (Changeant de ton.) Bien entendu, nous faisons ça en blanc et en couleur ; si vous le désirez, pour l’armée, rayé comme les guérites, par exemple… aux couleurs nationales… ?
Oh ! non ! Ce serait prétentieux.
Je suis de cet avis ; et vraiment une augmentation de dépense inutile.
Eh bien, mais c’est à voir, ça ! c’est à voir ! (Il repose le vase sur la table et revient à Follavoine.) On nous a présenté également des vases en tôle émaillée, ce n’est pas mal non plus.
Oh ! monsieur Chouilloux ! non !… ce n’est pas sérieux !… Vous n’allez pas prendre de la tôle émaillée !
Pourquoi pas ?
Mais parce que !… Il ne s’agit plus là de mon intérêt personnel ; je le laisse de côté ! Mais la tôle émaillée, monsieur Chouilloux ! mais ça sent tout de suite mauvais ; et puis ça n’a pas la propreté de la porcelaine ! (Indiquant son vase.) Ça, à la bonne heure !
Évidemment, il y a du pour et du contre.
Sans parler de la question d’hygiène !… Vous n’êtes pas sans savoir qu’il est reconnu que la plupart des appendicites sont dues à l’emploi des ustensiles émaillés.
Oui, oh ! bien, là ! étant donné l’usage qu’on en veut faire, je ne crois pas que…
On ne sait jamais, monsieur Chouilloux ! la jeunesse est si légère ! On veut étrenner le récipient tout neuf ; on fait un punch monstre ; la chaleur fait craquer l’émail ; quelques parcelles tombent ; on boit, on en avale… Enfin, vous savez ce que c’est ?
Moi ? non !… Non, je vous jure qu’il ne m’est jamais arrivé de boire du punch dans…
Non ! mais vous avez été soldat.
Pas davantage ! J’ai passé mon conseil de révision ; on m’a fait mettre tout nu et on m’a dit : « Vous ne devez pas avoir une bonne vue ! » Ça a décidé de ma vocation militaire : j’ai fait toute ma carrière au ministère de la Guerre.
Ah ?… Ah ? Eh bien, croyez-moi monsieur ! pas de tôle émaillée ! prenez, si vous voulez, du caoutchouc durci ! du celluloïd ! soit ! Quoique au fond rien ne vaut la porcelaine ! le seul défaut, c’est la fragilité ; eh ! bien, du moment qu’on a paré à cet inconvénient ! Tenez, d’ailleurs, vous allez voir. (Voulant aller à la table dont Chouilloux lui obstrue le chemin.) Pardon !
Pardon !
Non, je vais…
Ah ! pardon !
Vous allez voir la solidité. (Il élève le vase en l’air comme pour le lancer par terre, puis se ravise.) Non ! ici, avec le tapis, Ça ne prouverait rien !… mais là, dans le couloir, c’est du plancher… Vous allez voir ! (Il est allé, tout en parlant, ouvrir la porte du fond toute grande et redescend avec son vase devant le trou du souffleur, à côté de Chouilloux. — Indiquant à Chouilloux le point où il faut regarder.) Là-bas, monsieur Chouilloux ! (Chouilloux fait mine d’y aller. Follavoine le retenant.) Non, restez ici, mais regardez là-bas ! (Au moment de lancer son vase.) Suivez-moi bien ! (Le balançant pour lui donner de l’élan) Une !… deux !… trois !… (Lançant le vase et pendant sa trajectoire.) Hop ! Voilà.
Au moment même où il dit « voilà ! » le vase tombe et se brise ; les deux personnages restent un instant bouche bée, comme stupéfiés.
C’est cassé !
Hein ?
C’est cassé !
Ah ! oui, c’est… C’est cassé.
Il n’y a pas !… ça n’est pas un effet d’optique.
Non ! non ! C’est bien cassé ! C’est curieux ! Je ne comprends pas ! Car, enfin, je vous jure, c’est la première fois que ça lui arrive.
Il s’est peut-être trouvé une paille.
Peut-être oui !… D’ailleurs, au fond, je ne suis pas fâché de cette expérience ; elle prouve justement que… que… Enfin, comme on dit : « l’exception confirme la règle » Parce que, jamais ! jamais ça ne se casse !
Jamais ?
Jamais ! Ou alors, je ne sais pas : une fois sur mille !
Ah ! Une fois sur mille.
Oui, et… et encore ! D’ailleurs vous allez voir ! (Remontant vers la bibliothèque.) J’ai là un autre exemplaire ; nous allons pouvoir le lancer et le relancer… (Redescendant avec un second vase qu’il a pris dans la bibliothèque.) Ne tenez pas compte de celui-là : c’est une mauvaise cuisson.
Oui, c’est un mal cuit.
Voilà. (Allant se placer devant le trou du souffleur, à côté de Chouilloux qui y est déjà.) Regardez bien : une… deux… (Se ravisant.) Non, tenez ! Lancez-le vous-même !
Moi !
Oui ! Comme ça vous vous rendrez mieux compte.
Ah ?…
Follavoine s’efface un peu à droite ; Chouilloux prend la place de Follavoine, tout cela sans changer de numéro.
Allez !
Oui ! (Balançant le vase.) Une… deux…
Eh ! bien ! Allez ! Qu’est-ce qui vous arrête ?
C’est que c’est la première fois qu’il m’arrive de jouer au bowling avec…
Allez ! Allez ! N’ayez pas peur ! (Pour le tranquilliser.) Je vous dis : un sur mille !
Une ! deux ! et trois !
Hop ! (Au moment où le vase arrive à terre.) Voilà !
Le vase éclate en morceaux. Même jeu que précédemment ; ils restent tous deux comme médusés.
C’est cassé !
C’est cassé, oui ! C’est cassé !…
Deux sur mille !…
Deux sur mille, oui ! Ecoutez ! Je n’y comprends rien ; il y a là quelque chose que je ne m’explique pas ! Evidemment ça doit tenir à la façon de lancer le vase ; je sais que, quand c’est mon contremaître qui l’envoie, jamais, au grand jamais… !
Ah ! jamais ?
Jamais !
C’est tout à fait intéressant.
Oui, oh ! mais non !… ça n’est pas encore ça !… Évidemment vous avez pu vous rendre compte de la différence qui existe entre la porcelaine cassable et…
… la porcelaine incassable.
Oui !… Mais tout de même ces expériences ne sont pas assez concluantes pour fixer votre religion.
Mais si, mais si, je me rends très bien compte… Quoi ! c’est ces mêmes vases-là ! Seulement, au lieu de se casser, ils ne se cassent pas !
Voilà !
Tout à fait intéressant !