On purge bébé !/Scène III

Librairie théâtrale (p. 57-60).

Scène III

Les Mêmes, Rose, puis Julie
Rose, sur le pas de la porte.

Monsieur ?

Follavoine, debout à son bureau, son vase de nuit dans la main gauche.

Qu’est-ce que c’était ! Qui est-ce qui a sonné ?

Rose

C’est une dame qui venait pour que Monsieur lui arrache une dent.

Follavoine

Moi ! est-ce que c’est mon affaire ? Il fallait l’envoyer chez le dentiste.

Rose

C’est ce que j’ai fait. Elle est montée au-dessus.

Follavoine, passant son vase de la main gauche dans la main droite.

C’est insupportable ! C’est tout le temps la même chose !

Rose, qui dès cet instant a les yeux fixés sur le vase de nuit.

Oh !… Est-ce que Monsieur sait ?

Follavoine

Quoi ?

Rose

Qu’il a son vase de nuit à la main ?

Follavoine

Oui, je sais ! je sais ! merci.

Rose

Ah ?… Je croyais que c’était une distraction !… pardon !

Follavoine

D’ailleurs, ce n’est pas un vase de nuit ! c’est un article d’équipement militaire.

Il pose le vase à sa droite, sur le tas de dossiers qui est à gauche de la table.
Rose

Ah ?… Eh ! bien, c’est curieux comme ça ressemble à un vase de nuit !

Follavoine, la congédiant

Oui ! ça va bien, ma fille !… Allez ! Allez ! (Rose sort par le fond.  — Follavoine s’assied à sa table et calcule.) Voyons, étant donné que sur le pied de paix l’armée française compte à peu près trois cent mille hommes à un vase de nuit par homme, si le vase de nuit revient…

Julie, toujours dans la même tenue, passant brusquement la moitié du corps dans l’entre-bâillement de la porte pan coupé.

Bastien ! viens un peu !

Follavoine, tout à son problème. Sèchement, sans lever la tête.

Chut !… J’ai pas le temps !

Julie, descendant en scène avec son seau dans la main droite.

Je te dis de venir ! Bébé ne veut pas se purger.

Follavoine, de même, relevant la tête.

Eh ! bien, force-le ! Tu as assez d’autorité… (Apercevant le seau au bras de sa femme.) Ah !…

Julie

Quoi ?

Follavoine, se dressant et sur un ton indigné.

Tu me rapportes encore ton seau !

Julie

Je n’ai pas eu le temps d’aller le vider. Je t’en prie, viens ! je…

Follavoine, éclatant.

Ah ! non ! non ! je l’ai assez vu celui-là !… remporte-moi ça ! remporte-moi ça !

Julie

Oui ! bon !… Je t’en prie ; il y a Bébé qui…

Follavoine

Allez ! Allez ! remporte-moi ça !

Julie

Mais je te répète…

Follavoine

Je m’en fiche, remporte-moi ça !

Julie

Mais je…

Follavoine

Remporte-moi ça ! remporte-moi ça !

Julie, se rebiffant et descendant déposer son seau au milieu de la scène.

Ah ! Et puis tu m’ennuies à la fin, avec mon seau !

Follavoine, ahuri.

Quoi ?

Julie, devant le canapé.

« Remporte-moi ça ! Remporte-moi ça ! » Je ne suis pas ta domestique !

Follavoine, n’en croyant pas ses oreilles.

Qu’est-ce que tu dis !

Julie

C’est vrai ça ! C’est toujours moi qui fais tout ici ! Il te gêne, mon seau ? Eh bien, tu n’as qu’à le remporter.

Follavoine

Moi !

Julie

Je l’ai bien apporté, tu peux bien le rapporter à ton tour.

Follavoine, descendant vers Julie.

Mais, sacristi ! ce sont tes eaux sales, ce ne sont pas les miennes !

Julie, passant devant lui.

Oui ?… Eh ! bien, je te les donne ! Tu n’as donc plus de scrupules à avoir !

Elle s’esquive en remontant par le milieu de la scène, vers sa chambre.
Follavoine, courant après sa femme et s’efforçant de la rattraper par le pan de son peignoir.

Julie !… Julie ! tu n’es pas folle !

Julie

Je te les donne, je te dis ! Je te les donne

Elle disparaît dans sa chambre.
Follavoine, sur le pas de la porte parlant par l’entrebâillement.

Julie ! Veux-tu remporter ça !… Julie !