On n’est pas des bœufs/Un miracle indiscutable


UN MIRACLE INDISCUTABLE


Le tapis de l’actualité est encore encombré de la question toujours palpitante des pèlerinages et des miracles.

N’en déplaise à messieurs les libre-penseurs, le flambeau de la foi, rebelle à l’ouragan du doute, brûle encore au sein de notre vieille France, la France des Croisades, la France de saint Louis, cette vieille France, enfin, qui comptait plus de bénitiers que de cuvettes, au dire de la statistique (ô l’âme blanche du moyen âge, tant regrettée de Huysmans ! l’âme blanche et les pieds noirs !).

Ricanez, esprits forts ! Ricanez, lecteurs de Zola ! Vous ne ricanerez peut-être pas d’aussi bon cœur en goûtant personnellement les hautes températures du très achalandé Lucifer’s grill-room.

Élevé par une vieille tante extrêmement pieuse, j’ai toujours fait de la religion le pivot de ma vie. Toujours, je partageai mon temps entre la prière et l’étude, loin des cabarets et des maisons pires peut-être.

Mon corps se trouva bien de ce régime, mais c’est surtout mon âme qu’il faudrait voir. Une âme rose tendre tirant sur le bleu-clair !

Aussi, vous pensez bien qu’avec une âme de ce ton-là, je n’aime pas beaucoup qu’on blague les miracles devant moi.

Et M. Zola, tout Zola qu’il puisse être, entrerait dans cette chambre à cette heure, que je n’hésiterais pas à lui flanquer ma main sur la figure.

La semaine dernière, pas plus tard, je fus, moi qui vous parle, témoin d’un miracle, d’un miracle qui fera sourire messieurs les incrédules ; mais qu’importe !

Une dame d’un certain âge, revenant d’un pèlerinage à Lourdes, se trouvait dans un hôtel où j’étais moi-même descendu.

Cette dame occupait une chambre contiguë à la mienne.

Un matin, elle frappa à ma porte.

— Vous n’auriez pas, dit-elle, un peu d’esprit-de-vin à me prêter ?

— Je le regrette bien vivement, répondis-je, mais je ne possède point la moindre fiole de ce liquide.

— Ah ! c’est bien fâcheux, reprit la dame ; j’ai égaré le mien, et j’en ai le plus pressant besoin pour la petite lampe où je chauffe mon fer à friser.

— Demandez-en à la bonne de l’hôtel.

— La bonne n’en a pas, et le plus proche épicier du pays est à plus de deux kilomètres.

— C’est bien ennuyeux !

Après s’être excusée, la dame rentra chez elle et bientôt je l’entendis pousser un grand cri.

— Venez ! clamait-elle. Venez voir !

J’entrai dans la chambre et j’aperçus ma voisine dans une pose extatique, qui contemplait le flamboiement de sa petite lampe à alcool.

— Vous avez retrouvé votre esprit de vin ? fis-je.

— Non ! s’écria-t-elle. J’ai rempli ma lampe avec de l’eau de Lourdes, j’ai invoqué Notre-Dame et mon eau s’est enflammée.

— Spontanément ?

— Non, avec une allumette.

— Ça n’en est pas moins fort édifiant.

. . . . . . . . . . . . . . .

Tel est le fait dans toute sa simplicité.

Osera-t-on nier, désormais, l’influence surnaturelle de notre bonne Dame de Lourdes ?

Et M. Zola viendra-t-il encore parler de suggestion, d’hystérie et de mille autres sornettes ?


Post-scriptum. — Au moment de mettre à la poste le récit de ce miracle, j’apprends un léger détail qui va peut-être en diminuer la portée.

Le liquide dont la brave dame s’est servi pour mettre dans la lampe à esprit-de-vin était réellement de l’esprit-de-vin.

Cette personne a retrouvé, depuis, sa vraie bouteille d’eau de Lourdes dans le fond de sa malle.

Le fait n’en demeure pas moins des plus curieux.