G. L. Wesché, imprimeur-libraire. (p. 13-104).



OLIVIER.




Olivier, comte de R., venait d’obtenir du Roi le régiment de …, objet de l’ambition de tout ce qu’il y avait de colonels. Tous les protecteurs et toutes les puissances de la cour avaient été employés en cette circonstance, et on ne fut pas médiocrement surpris, quand on apprit que la préférence avait été donnée à l’un des plus dignes, mais à l’un des moins protégés.

Lorsque la nomination, fut faite, on crut découvrir qu’elle était due en grande partie à la baronne de B., qui avait un grand crédit auprès de M. de Maurepas, et qui avait pris à cette affaire un intérêt tout-à-fait particulier.

Parmi les compétiteurs du colonel de R., il en était un, M. le marquis de St.-H., qui, soit qu’il eût plus de droits, ou plus de justes espérances, témoignait plus haut que personne l’humeur qu’il en éprouvait, et le faisait même en termes assez injurieux pour son rival préféré. Ce dernier en fut informé, et il écrivit à M. de St.-H. qu’il serait à ses ordres aussitôt qu’il le voudrait.

La rencontre eut lieu peu de jours après ; M. de St.-H. était connu par son adresse à l’escrime, et c’est un talent dont il avait eu à faire un trop fréquent usage. Olivier ne s’était jamais battu qu’à l’armée. Les deux champions étaient dignes l’un de l’autre, mais il était évident que M. de St.-H. avait sur Olivier l’avantage d’une plus grande habitude et d’une main plus exercée. Aussi, ce dernier se tenait-il sur la défensive, content de parer les coups avec une grande adresse, et surtout avec un imperturbable sang-froid. Comme M. de St.-H. s’animait encore par la résistance imprévue qu’il éprouvait, il fit des fautes dont Olivier profita avec beaucoup d’habileté, en le blessant au bras, de telle façon qu’il lui devint presque impossible de se servir de son épée. Il était dès lors à la disposition absolue de son adversaire, qui tout aussitôt cessa le combat.

Cette affaire avait excité une extrême curiosité. Tous ceux dont les espérances avaient été trompées y prenaient un intérêt fort naturel, et il est permis de douter qu’ils aient fait des vœux bien fervens pour Olivier. Ce fut donc avec un étonnement mêlé de chagrin qu’ils virent l’avantage qu’il avait obtenu.

Cette aventure eut, comme on peut le croire, un grand éclat, et fit un honneur infini à celui qui en était le héros. Il devint l’objet d’un intérêt général ; comme la bravoure et l’adresse dont il venait de faire preuve étaient encore rehaussées par l’attitude la plus modeste, et par ce qu’on apprit des soins dévoués qu’il avait donnés à M. de St.-H., les succès qu’il obtint ne tardèrent pas à devenir de l’engouement. Tout, à cette époque, était déjà tellement agité en France qu’il n’y avait plus de place dans les esprits pour les sentimens calmes : l’estime était bientôt de l’enthousiasme, comme le dénigrement devenait de la fureur.

Parmi les personnes qui lui furent acquises en cette occasion, le chevalier de St.-H., guéri de sa blessure, fut un de ceux qui lui témoignèrent les plus grands empressemens. Une étroite amitié se forma désormais entre eux, et ils avaient en effet tout ce qui peut fonder des liaisons durables, c’est-à-dire des inconvéniens comme des avantages tout-à-fait opposés.

Olivier était blond, d’une agréable figure ; plus d’une femme se serait fait honneur de son teint. Son caractère naturellement lent et froid, ne s’animait que dans les grandes occasions, mais en quelque sorte le plus tard possible, et son esprit ressemblait à son caractère ; rempli de connaissances, d’instruction, il paraissait sommeiller pour ne se réveiller que par intervalles. Du reste, élégant et noble dans toutes ses manières, il possédait presque toutes les qualités qui font un cavalier accompli. C’était un homme duquel on aurait pu dire, comme autrefois de M. de Longueville, qu’il ne lui manquait que des défauts.

Ce n’étaient pas les défauts qui manquaient à M. César de St.-H., mais il n’avait pourtant que ceux qui, prenant leur source, dans la légèreté d’esprit, ne sont point incompatibles avec un bon cœur et une âme honnête. César était aussi impétueux et aussi bouillant qu’Olivier était flegmatique et réfléchi. L’un parlait et agissait même souvent avant d’avoir pensé ; l’autre semblait être, au contraire, livré à une méditation et à une incertitude continuelles. Dans la plupart des actions de leur vie, l’un était la tête, l’autre le bras, et tous deux s’étaient souvent fort bien trouvés de cette association.

La confiance était entière et réciproque entre les deux amis… excepté sur un point, sur le chapitre de leurs amours. César racontait tout en ce genre à Olivier, et il amplifiait même plutôt qu’il ne retranchait ; Olivier au contraire était en cela d’une grande réserve et mystérieux à l’excès. César l’en plaisantait souvent, il l’en grondait même quelquefois ; mais comme il prenait ce silence pour une discrétion exagérée, son amitié ne s’en offensait pas. Autant Olivier était secret à cet égard, autant César était inconséquent et léger. Son bonheur amoureux aurait même perdu la moitié de son prix si le monde n’en eût point été informé, aussi avait-il grand soin de faire en sorte qu’on n’ignorât aucun de ses trophées. Il tenait très-exactement état de toutes les lettres qu’il recevait ; il les faisait copier soigneusement avec dates, apostilles, tables et commentaires sur un registre particulier. Il avait sur ce point et, dit-on, sur ce point seul, un ordre véritablement admirable, disant que cela le mettait fort à son aise lorsqu’il fallait en finir. Il citait avec complaisance tous les tours qu’il avait faits, ne se faisant aucun scrupule d’orner un peu la vérité. Il lui arrivait même quelquefois de s’emparer des anecdotes anonymes qu’il recueillait, pour peu qu’elles lui parussent piquantes, et à force de les répéter, il finissait par se persuader qu’elles étaient devenues sa propriété. C’est peut-être dans ce nombre qu’il faut placer une de celles qu’il racontait avec le plus de plaisir et dont il était le plus fier. Il avait eu, disait-il, une correspondance de deux mois avec une personne dont il avait essayé et fait la conquête par vengeance. Il en avait reçu plus de cinquante lettres auxquelles il avait répondu sans les ouvrir, et lorsque l’explosion arriva il eut la satisfaction bien douce de pouvoir les lui renvoyer comme il les avait reçues, c’est-à-dire toutes cachetées.

Chacun appréciera de semblables procédés selon ses impressions particulières. Certes, de nos jours, ils seraient jugés plus sévèrement qu’à l’époque dont nous parlons, mais alors ils étaient sinon excusés, du moins expliqués par l’exemple. On les blâmait peut-être tout haut, mais on en riait tout bas, et quelques-unes des femmes qui avaient le plus crié à l’horreur, se disaient qu’il fallait avoir un mérite bien particulier pour être en droit de tenir une semblable conduite. On assure même que plusieurs, après avoir témoigné la plus bruyante indignation contre « les registres et, les copies certifiées, » sont venues elles-mêmes grossir le volume de ces archives amoureuses.

À cela près, M. de St.-H. était, sur tout le reste, un homme d’honneur et d’une délicatesse accomplie. On a parlé de sa bravoure ; elle n’était surpassée par aucune autre ; il était même susceptible d’application à des affaires sérieuses. Il avait quelque temps résidé, en qualité de cavalier d’ambassade, auprès de son oncle, envoyé de France à…… et il avait su prendre assez d’empire sur lui-même pour réussir on ne peut davantage au milieu d’une nation sérieuse et réfléchie : il y avait soutenu de la manière la plus distinguée le caractère du véritable gentilhomme français.

Nous avons dit comment l’amitié la plus vive s’établit entre ces deux jeunes gens. Olivier blâmait souvent César de sa conduite, et ce dernier plaisantait son ami sur sa sagesse digne des temps antiques, mais qui, selon lui, était presqu’un travers à l’époque où ils vivaient. « Crois-tu, disait Olivier, trouver le bonheur dans toutes ces dissipations ? — Le bonheur ? je ne sais, mais le plaisir à coup sûr, et rien n’approche plus du bonheur que le plaisir. — Rien n’en est plus loin, mon ami, car le vrai bonheur n’existe que dans l’accomplissement de tous les devoirs, et le plaisir ne se trouve guère que dans leur violation. — Eh ! crois-tu donc en dégoûter par là ? — Non pas des étourdis comme toi ; mais la raison te viendra peut-être quelque jour, et tu seras alors de mon avis. — Cela m’étonnera bien moi-même ; dans tous les cas, je tâcherai que ce soit le plus tard possible. »

Leurs entretiens roulaient souvent sur le mariage. Olivier s’en montrait tout-à-fait le partisan en théorie, tandis que César en était l’ennemi déclaré. « Si, comme on n’en saurait douter, le véritable amour ne peut naître que de l’estime, disait Olivier, comment le concevoir hors des liens du mariage ? — Il serait fort doux sans doute de pourvoir estimer ce qu’on aime, mais il n’est pas toujours aussi aisé d’aimer ce qu’on estime, et d’ailleurs l’amour est-il un sentiment qui raisonne ? — C’est aussi là ce qui fait qu’il est la cause de tant de folies, bien plus de la plupart des malheurs des hommes. Eh ! combien n’en avons-nous pas vu dont il a causé la ruine et changé toutes les destinées ? combien de fois n’a t-il pas arrêté l’essor du talent, du génie même ? qui ne sait les maux qu’il a causés, les désordres qu’il a produits ? — Et pourquoi ne pas parler des vertus qu’il a inspirées ? — Parcequ’elles ne sont que des exceptions, et que tout autre enthousiasme dans un cœur noble les aurait également fait naître. — Que de belles actions n’a-t-il pas produites ? — Que de crimes n’a-t-il pas enfantés ? — Il élève l’âme. — Il abaisse la raison. — Il exalte l’esprit. — Il flétrit le cœur. — Il enflamme. — Il dévore. » Eh ! qui songe à nier le pouvoir de l’amour, continuait Olivier ; mieux que personne peut-être je connais toute sa puissance, (et il disait ces mots avec un accent particulier) « mais ne peut-on le concevoir que dans des liens illégitimes que le bon ordre et la société désavouent ? Oui, le véritable amour n’est que dans le mariage, et peut-on alors imaginer quelque chose au monde de plus doux ? — Oui s’il pouvait exister, mais rien n’est plus rare que d’en trouver des exemples, depuis que l’hymen est devenu un arrangement d’ambition pour les familles, une spéculation comme une autre, où celle des convenances qu’on consulte le moins est celle des époux l’un pour l’autre. Dès que le mariage devient un devoir, il ne peut tarder à devenir une chaîne. — Et l’amour n’en est-il pas une souvent bien plus pesante encore ? — Mais celle-là du moins, elle est toujours supportable, parcequ’elle est volontaire. »

Ainsi raisonnaient les deux amis, et chacun mettait fort exactement en pratique les préceptes qu’il professait. César faisait tout pour mériter chaque jour davantage sa réputation qui était presque arrivée au point de ne pouvoir plus croître. La constance était devenue pour lui un être de raison ; il ne trouvait plus de bonheur que dans le changement, et telles étaient les mœurs de cette époque, qu’on n’attirait sur soi aucun blâme tant qu’on ne trompait que… des femmes.

Quant à Olivier, son existence était toute différente ; quoiqu’il vécût au milieu de la société, on n’avait pas remarqué qu’il eût encore formé aucune sérieuse liaison de cœur. On avait un moment parlé de ses rapports avec la baronne de B. ; on avait dit que cette dame n’avait été rien moins qu’étrangère à son avancement ; mais comme, depuis cette époque, elle paraissait aussi déclarée contre lui qu’elle lui avait été autrefois favorable, comme elle se permettait même sur son compte d’assez amères ironies, tous les discours qui avaient été tenus étaient maintenant tombés, et personne ne pouvait nommer une femme à laquelle on pût même soupçonner qu’il eût adressé des hommages particuliers. Sa rigidité de principes était connue, et l’on trouvait même quelquefois qu’elle allait jusqu’à la rudesse. Ainsi, quoiqu’il aimât beaucoup la société des femmes, il professait un profond dédain pour celles qui étaient seulement soupçonnées d’avoir eu quelque faiblesse. Jamais il ne leur eût adressé une seule parole, tandis qu’il montrait les empressemens les plus vifs pour celle dont la vie était sans reproche. Les jeunes personnes étaient aussi l’objet de son culte particulier. Alors sa conversation, ordinairement froide et sérieuse, s’animait comme par enchantement ; il déployait toutes les grâces et toutes les ressources de son esprit qui étaient infinies et tandis que les prudes et les coquettes lui établissaient une réputation de pédantisme et d’impertinence, les femmes de bien et les femmes âgées faisaient de lui des éloges sans fin et sans mesure ; mais comme les propos légers et mondains font plus de bruit et de chemin que les éloges, et qu’il existe dans une foule d’esprits une disposition naturelle à consacrer un ridicule, Olivier passait pour une espèce de sauvage, ou au moins pour un homme à part, dont les mœurs et les habitudes étaient celles d’une autre époque.

Il en était tout autrement pourtant que le monde ne le croyait, et cet homme en apparence froid et insensible, éprouvait tous les sentimens d’un amour d’autant plus violent qu’il était plus secret et plus concentré.

Cependant César, que jusqu’alors aucun attachement n’avait pu fixer, avait tout d’un coup perdu sa pétulance et son éclat. Il avait vendu sa petite maison de la rue de Popincourt ; il n’était plus d’aucuns soupers ; à peine le voyait-on au spectacle, et s’il y allait encore quelquefois, ce n’était plus comme jadis, pour y être remarqué, c’était au contraire avec un sentiment très-visible de crainte d’y être aperçu. Caché derrière une colonne ou dans une place obscure, il paraissait y être dans une contemplation inquiète, mais beaucoup moins pour ce qui se passait sur la scène, que pour ce qui se passait dans la salle. On répandait partout qu’il était sérieusement amoureux, et pour échapper aux plaisanteries dont il était l’objet, il avait pris le parti d’une retraite absolue. Olivier lui-même ne le voyait qu’à de rares intervalles ; il était évident qu’il se passait en lui quelque chose de nouveau. Olivier, avec toute la discrétion habituelle de son caractère, mais avec toute la chaleur de son amitié, l’avait quelquefois pressé de questions. Alors César affectait de détourner l’entretien, et Olivier n’insistait plus. Enfin, un jour qu’il entrait chez son ami, il en vit sortir un homme qu’il connaissait pour appartenir à la baronne de B., et qui était chargé de sa confiance particulière. Olivier en fit la remarque à César qui fut tout-à-coup saisi d’une si grande confusion et couvert d’une telle rougeur, qu’un aveu formel n’aurait pas été plus expressif. César voulut cependant balbutier quelques paroles d’explication, mais elles étaient si gauchement exprimées, qu’Olivier crut devoir venir à son secours en changeant de conversation ; et il se retira non sans faire de profondes réflexions sur la faiblesse humaine, et sur la facilité avec laquelle un homme qui s’était joué du repos de tant de femmes estimables, tombait tout à coup dans les fers d’une des coquettes les moins séduisantes et les moins faites pour captiver un honnête homme.


La baronne de B. était reçue dans la meilleure société. Belle autrefois, elle avait depuis long-temps passé l’âge de la jeunesse, mais elle se soutenait encore par un art infini dans sa toilette et dans l’ajustement de toute sa personne. Pendant qu’elle était jeune encore, toutes les malices de son esprit, ses perfidies, ses trahisons, avaient presque paru des grâces, et la supériorité qu’elle avait par sa beauté la rendait plus indulgente et plus disposée à la bienveillance ; mais depuis que ses charmes étaient un attrait moins puissant, elle avait cherché à gagner par son esprit ce qu’elle perdait en avantages extérieurs. Son savoir était devenu du pédantisme, ses malices des méchancetés, ses envies de plaire une jalousie féroce, et ses grâces des grimaces. Fort sévère à l’égard des autres femmes, elle passait pour l’avoir été envers elle-même, et elle accréditait cette renommée par un rigorisme tellement excessif, qu’elle était devenue une espèce de casuiste féminin dont les arrêts étaient souverains.

Telle était la femme qui avait enchaîné la liberté d’un des gentilshommes les plus agréables et les mieux faits, de l’un de ceux surtout qu’il paraissait le plus difficile de fixer. Étrange destinée des hommes de ce caractère, qui fait qu’ils se laissent ainsi prendre à des piéges si peu dangereux qu’un écolier les eût évités ! Ne faut-il pas cependant, tout en les plaignant, reconnaître cette justice éternelle qui les pousse ainsi vers un écueil où ils ont eux-mêmes attiré tant de victimes.

Cependant, par un changement assez, étrange, madame de B. semblait, depuis quelque temps, rechercher Olivier avec autant de soin que César paraissait en mettre à le fuir : elle se rendait partout où elle pouvait avoir l’espérance de le rencontrer, et avait pour lui des prévenances qui devaient surprendre d’autant plus, qu’elle avait agi précédemment d’une manière complètement opposée. C’était pour lui seul qu’elle adoucissait la disposition satirique de son esprit, et il était évident qu’elle voulait se l’acquérir pour ami ou plutôt pour allié.

C’était mal connaître Olivier, et tous ces efforts eurent un effet complètement inverse de celui qu’elle en espérait. Olivier cherchait un motif à tant d’attentions et savait qu’il ne pouvait être bon ; mais il ne pouvait le découvrir, tant il était loin de soupçonner la vérité, lorsqu’il apprit dans le monde qu’on parlait du mariage prochain de M. César de St.-H. avec madame Ernestine de B.

À cette nouvelle, Olivier stupéfait éprouve les plus vives angoisses. Il ne peut laisser s’achever cet hymen, et connaît trop bien ceux qu’il doit unir pour ignorer à quel point il convient peu à son ami. Il a pour le rompre un moyen qu’il regarde comme sûr, mais dont l’emploi est délicat et peut être dangereux pour lui-même, surtout avec une femme du caractère de madame de B. Il a conservé plusieurs lettres d’elle écrites dans la confiance d’une complète intimité, et qui prouvent que la sévérité de principes dont elle se vante s’est humanisée au moins une fois.

Mais fera-t-il usage de ces lettres ? Outre sa répugnance bien naturelle pour un pareil procédé, il sait combien cette révélation exciterait la haine de madame de B., qui n’était contenue dans le sentiment d’aversion qu’elle avait contre lui que parce qu’elle savait qu’il avait sur elle cet avantage ; mais une fois qu’il en aurait fait usage, le courroux de la Baronne n’aurait plus de bornes, et il avait toujours paru avoir des raisons de le redouter beaucoup.

Il n’hésite pas cependant, et se rend chez son ami. César est absent ; César, dit-on, ne rentrera pas de la journée. « Je l’attendrai donc, dit Olivier, jusqu’à ce qu’il soit de retour, dussé-je passer la nuit et coucher sur une chaise. » Ces paroles semblèrent déconcerter un peu le valet de chambre à qui elles s’adressaient. Il entre dans une des pièces écartées de l’appartement, et peu d’instans après César lui-même arrive, tout confus, en disant que ses ordres avaient été mal compris ou mal exécutés. Olivier, sans ajouter à son embarras et lui prenant la main avec une affection tendre : « Vous vous éloignez de moi, mon ami, vous me fuyez quand vous avez peut-être plus que jamais besoin de mes conseils. Je vous ai laissé à votre isolement tant que j’ai cru votre passion pour madame de B. une flamme passagère, qui s’évanouirait comme tant d’autres ardeurs que vous avez éprouvées ; mais la durée de celle-ci, son caractère particulier et certains bruits de mariage qui se répandent, ne me permettent pas de garder un plus long silence, et je viens vous demander à vous-même, César, ce que je dois penser de tout ce qui se passe. Je puis vous pardonner de vous séparer d’un monde pour lequel vous étiez fait, du meilleur ami que vous ayez sans doute ; mais, ne fût ce que par intérêt pour vous, ne contractez pas, je vous en conjure, un lien qui ne vous convient sous aucun rapport. — Il faut être bien désœuvré, répondit César, pour s’occuper autant de moi, et bien méchant pour noircir la réputation d’une personne aussi distinguée que celle dont on parle si légèrement. — Il me semble que je ne vous ai encore rien dit de sa réputation, César, ni de tout ce qu’on en répand à tort ou à raison : mais vos paroles même me prouvent que mon opinion sur elle est celle qu’en ont aussi bien d’autres que moi, et que vous n’ignorez pas ce qu’on en pense. Seulement j’ai peut-être plus de raisons qu’un autre de savoir à quoi m’en tenir sur son compte. — Plus de raisons ! Qu’entendez-vous par-là, s’écria César avec feu ; expliquez-vous, je vous prie, et ne vous rendez pas ainsi l’écho de toutes ces calomnies qu’il n’appartient jamais à un homme d’honneur d’accueillir sans preuve. — Dans toute autre situation que celle où nous nous trouvons, ces paroles auraient pour moi une autre valeur que celle que je leur donne et un autre effet que celui qu’elles produiront ; elles auraient pu terminer notre amitié par les mêmes moyens qui l’ont commencée. Mais je vous arrêterai sur-le-champ en vous disant que les mots injurieux prononcés par vous, quelle qu’en ait été l’intention, ne peuvent en aucune manière s’appliquer à moi. Vous avez parlé de ceux qui calomnient en accusant sans preuves : je ne suis pas dans ce cas, puisque j’ai entre les mains les preuves écrites de tout ce que j’avance. — Écrites, dit César avec un mouvement convulsif, cela est impossible. — J’aurais voulu, pour vous et pour moi, que vous vous fussiez épargné des expressions qui finiraient par avoir trop de gravité si je ne les arrêtais pas bien vite. Puisque vous semblez douter de moi et de ce que j’avance, lisez. » Et lui remettant alors quelques lettres qu’il portait avec lui : « Lisez, vous dis-je, cette écriture est celle de la Baronne, et c’est à moi, à moi-même qu’elle écrit. » César, saisi d’un tremblement soudain, essaya pendant quelque temps de lire, bien que le trouble qu’il éprouvait lui permît à peine de rien distinguer. La confusion et le désespoir rougissaient et pâlissaient alternativement son visage pendant cette scène. Lorsqu’enfin il eut achevé se jetant au cou d’Olivier et fondant en larmes : « Ô mon ami, dit-il, quelle femme j’allais épouser ! — Quoi ! mon pauvre César, il est donc vrai, et c’est de votre bouche même que je l’entends ! — Que vous dirai-je, mon cher Olivier ? elle m’avait enlacé avec tant d’adresse ; elle avait su prendre sur mes volontés un tel empire par l’opinion qu’elle m’avait inspirée de sa sagesse et de sa vertu ; elle m’avait enfin tellement subjugué, que, hors mon amitié pour vous qu’elle avait vainement essayé de combattre et d’altérer, elle avait su me réduire à ne penser que par elle, à ne voir que par ses yeux et à n’agir que par son impulsion. — Je ne m’excuse à mes yeux de vous avoir ainsi montré sa perfidie que par la nécessité où vous m’avez réduit ; mais que ce secret reste à jamais enseveli entre nous. Faites en sorte de vous détacher d’elle insensiblement ; mais surtout que mon nom ne soit jamais prononcé par vous dans les débats orageux qui doivent suivre votre séparation. Comptez-y ; mais dites-moi, je vous prie, quelle est la nature des torts qu’elle vous reproche dans les dernières de ses lettres. Il faut qu’ils soient bien grands pour mériter tout le courroux dont elle vous accable. — Ah ! dit Olivier avec une espèce d’embarras mal déguisé, c’est ce que je ne saurais vous expliquer dans ce moment ; mais oubliez cette dernière lettre, et jugez seulement par les autres de ce que pourrait être, comme épouse, une femme qui, après s’être abandonnée avec si peu de réserve et de modestie, outrage avec une aussi horrible violence ce que la veille elle adorait encore. » César, confus, pensif et humilié, avait les yeux fixes, la tête immobile, et regardait sans voir, quand sortant tout-à-coup de cette espèce de léthargie : « C’en est fait, dit-il, ma résolution en est prise, n’y songeons plus, soyons homme ! » Il embrassa de nouveau son ami avec effusion, et ils se séparèrent.


Depuis ce jour, les deux jeunes gens ne s’étaient pas vus, et Olivier, assez impatient d’apprendre le résultat de la scène qui se préparait, devait croire que la rupture avait eu lieu, quand il reçut un billet imprimé annonçant que M. le comte César de St.-H. était marié à Madame la baronne de B., et que la bénédiction nuptiale leur avait été donnée le jour même en l’église de Saint-Philippe du Roule. Du reste, pas une ligne de la main de César, et seulement un billet particulier de la baronne de B., lequel était ainsi conçu :

« Je sais trop le plaisir que vous causera mon mariage avec M. de … pour n’être pas très-empressée de vous en donner avis. Je n’ignore pas toute la part que vous y avez prise, et je serrais trop ingrate si je n’en gardais pas une reconnaissance éternelle. Vous pouvez joindre ce billet à ceux que vous possédez ; il augmentera une collection dont vous avez fait un si digne et surtout un si utile emploi. »

Il n’était pas difficile de comprendre tout ce que ces mots renfermaient de haine et de menace ; mais le chagrin qu’en eut Olivier le rendit inaccessible à tout autre sentiment. Il ne tarda pas à éprouver les funestes effets de la vengeance qui lui était annoncée, car il perdit tout-à-fait son ami. Il n’entendit plus parler de César, et cette peine, l’une des plus vives qu’il ait ressenties, laissa dans son âme une impression de tristesse qui ne s’est jamais effacée.

Hélas ! il fut bientôt, à son tour, vengé d’une manière bien cruelle : trois mois s’étaient à peine écoulés qu’il reçut de César un billet ainsi conçu :

« Vous aviez raison, et trop raison, mon cher Olivier ; je suis le plus malheureux des hommes, et pour comble de maux, j’ai mérité mon malheur. Je fuis la France, et je n’y regrette que vous ; soyez heureux, mais vous avez au monde une ennemie irréconciliable, et pour surcroît de fatalité, elle porte mon nom. Elle paraît avoir sur vous des avantages dont elle cherchera certainement à profiter, et son esprit malfaisant n’est que trop ingénieux à nuire : je crains qu’elle ne cherche à se venger sur vous du mal qu’elle m’a fait et de celui qu’elle ne pourra plus me faire. Méfiez-vous d’elle et de sa haine, c’est le seul et dernier avis que puisse vous donner votre ami, qui serait bien coupable s’il n’était encore plus à plaindre. »

César.


Olivier apprit, peu après cette lettre reçue, et par les gens que César avait congédiés, qu’il était parti pour aller servir comme volontaire dans l’armée du général Rochambeau. Depuis lors, on n’en a plus jamais entendu parler.

Cependant les prédictions et les menaces de madame de B. n’avaient pas été vaines. Peu de jours après le départ de son mari, elle avait recommencé à aller dans le monde, et cette inconvenance avait été généralement sentie. De plus, au lieu de donner, sur l’absence de M. de St.-H., des raisons dont on pût être satisfait, elle s’en expliquait avec une légèreté et une indifférence qui paraissaient choquantes à l’excès. Peut-être y aurait-il quelque exagération à dire que l’acharnement de sa haine pour Olivier l’aveugla au point de lui faire abandonner la réserve politique qu’elle avait gardée si long-temps, et qui lui avait d’abord si bien réussi ; mais il paraît certain que c’est l’impatience de son ressentiment qui l’entraîna à braver comme elle le fit tous les usages reçus, en se montrant dans la société où elle ne pouvait faire un pas sans exhaler contre lui son courroux, dont l’expression constante et monotone devenait véritablement fatigante. La méchanceté ne trouve d’écho que lorsqu’elle est habile, et elle cesse d’être habile quand elle est opiniâtre. On ne sait si madame de B. parvint à ranger beaucoup de femmes dans son parti, mais on peut assurer que fort peu d’hommes marchèrent sous sa bannière. Quelques-uns d’abord, soit politesse pour elle, soit mauvaise disposition pour l’objet de sa fureur, voulurent essayer de joindre leurs clameurs aux siennes ; mais Olivier eut avec eux, et surtout avec l’un d’eux, une explication qui ôta pour long-temps aux plaisans l’envie de s’occuper de lui, et même il eut la satisfaction de voir qu’on fermait à madame de B., par des froideurs marquées, plusieurs maisons où il continuait d’être reçu avec le plus vif empressement.

Pendant ce temps, elle entourait son ennemi d’une surveillance telle que toutes ses actions lui étaient connues, que souvent ses lettres lui parvenaient ouvertes, et que M. Lenoir n’avait pas à beaucoup près une police aussi exactement servie ; mais comme rien ne faisait redouter à Olivier cette inquisition, il la supporta assez long-temps d’assez bonne grâce, ne voulant pas donner à cette femme le petit plaisir de penser qu’il pût en être seulement impatienté.

Il avait ardemment désiré de partir pour aller retrouver et consoler le pauvre César ; mais telle était alors, comme toujours, l’impatience guerrière de la jeune noblesse, qu’il ne put absolument obtenir la faveur de s’aller battre, et qu’il fut contraint de rester à Paris où son régiment était en garnison.

Ne trouvant dans l’intimité d’aucun de ses amis les douceurs que lui procurait celle de César, ne pouvant non plus supporter une solitude qui lui faisait plus cruellement sentir le malheur de sa perte, il se répandit dans le monde et rechercha particulièrement la société des femmes. Il y fut trop bien accueilli pour ne pas s’y plaire, mais il évitait avec un soin prudent tout ce qui pouvait ou les compromettre à cause de lui, ou l’engager auprès d’elles dans ces relation d’une amitié à laquelle on refuse de croire lorsque l’objet en est une belle personne, et qui en effet forment souvent des liens qu’on noue sans le vouloir, mais qu’on ne peut plus briser alors qu’ils sont devenus pesans. Également poli pour toutes, il ne marquait de préférence pour aucune, parcequ’il n’en avait effectivement pas. Aussi était-il malheureux ; un vide affreux entourait toute son existence et en empoisonnait le cours.

Cet état cependant ne devait pas durer. La jeune marquise de Nanteuil reparaissait dans le monde après une retraite de deux ans qu’elle avait faite à la suite de la mort de son vieux mari. Elle avait eu pour lui les soins les plus empressés, on n’oserait pas dire les plus tendres, mais on s’accordait à reconnaître qu’une fille n’aurait pas eu pour son père chéri plus d’égards et d’attachement.

Veuve avant vingt ans, douée de tous les avantages extérieurs et de tous les dons de l’esprit, elle était surtout recommandable par une vertu d’autant plus méritoire qu’elle avait été plus éprouvée. Jamais cependant la simple médisance n’avait osé s’exercer sur elle. Les soins qu’elle donnait à une vieille mère qui lui restait, et la culture des beaux-arts pour lesquels elle avait autant de goût que de talent, étaient ses uniques occupations. Elle faisait le plus noble usage de la fortune que son mari lui avait laissée, et elle disait tout haut qu’elle croyait devoir à la reconnaissance qu’elle lui avait vouée, de rester veuve pour ne pas perdre le nom qu’il lui avait donné. C’était là d’ailleurs, à ce qu’elle croyait, une des conditions tacites de ces libéralités envers elle.

Dès les premiers momens de son veuvage, elle avait su, par des discours où le sérieux et l’enjouement se trouvaient agréablement mêlés, écarter l’essaim toujours actif qui bourdonne autour d’une femme jeune et belle, surtout quand à toutes ses qualités elle unit l’avantage d’être libre et complètement maîtresse d’elle-même. Chacun avait été bientôt découragé ; et comme l’amour ne naît guère ordinairement sans quelqu’ombre d’espoir, madame de Nanteuil avait été promptement délivrée des importunités.

Comment arrive-t-il que de tous les moyens de plaire dans le monde, l’un des plus sûrs soit cependant l’un des moins usités ? C’est en général par des empressemens ou par des propos flatteurs qu’on cherche à se rendre agréable auprès des femmes ; c’est par l’opinion qu’on cherche à leur inspirer de son esprit ou de son mérite qu’on entreprend habituellement de les charmer.

Ces moyens, vieux comme la galanterie même, ont pour eux la consécration de l’usage et leurs droits d’ancienneté ; mais il en est un autre bien plus simple et bien plus puissant à la fois, c’est de faire précisément le contraire. Isolez-vous des femmes qui sont l’objet de l’universel hommage ; n’ayez pour elle que les égards d’une politesse exacte, mais froide, vous êtes au moins assuré d’en être distingué. Si à cela se joint en vous quelque mérite, leur vanité deviendra votre auxiliaire obligé, et ce sentiment ainsi excité fera constamment plus que n’eût fait jamais la reconnaissance. Voilà le moyen ; peu de gens l′emploieront encore, même en le connaissant ; il a cependant pour lui de nombreux exemples et de hautes autorités.

Soit calcul, soit instinct naturel, soit entraînement involontaire, c’est là précisément ce que fit Olivier à l’égard de la jeune marquise de Nanteuil. Pendant qu’une foule de papillons dorés voltigeaient autour d’elle afin de s’en faire remarquer, Olivier semblait s’en occuper moins que de toute autre. Attiré près d’elle par un invincible attrait, il ne lui parlait cependant jamais, et n’adressait la parole qu’aux personnes qui l′approchaient le plus : quoique sa conversation tout entière lui fût destinée, ce n’était cependant point à elle qu’il l’adressait et pendant qu’il paraissait ne la voir ni l’entendre, ses regards, toutes les facultés de son esprit et de son âme étaient employés à suivre ses moindres mouvemens, à interpréter jusqu’à ses mots, jusqu’à ses gestes les plus insignifians. Il est une foule de jeunes étourdis qui, pour se dédommager des conquêtes qu’ils ne font pas, par celles qu’ils veulent avoir l’air de se donner, affectent de parler mystérieusement aux femmes et de sourire en leur disant des riens avec un air de secret et d’intelligence. Lorsque quelques-uns d’eux s’approchaient ainsi de madame de Nanteuil, Olivier en éprouvait un tourment qu’il ne pouvait cacher qu’avec peine ; il était tenté de venir se jeter à leur traverse ; il eût été ravi de trouver une occasion de leur faire une querelle et de les provoquer.

Cherchant tout les moyens de voir madame de N., il avait pris en face de son habitation, et sous un nom supposé, un logement d’où il l’apercevait chaque jour quand elle prenait le plaisir de la promenade dans son jardin. Il pouvait ainsi du haut de cet observatoire, deviner ce qu’il avait intérêt de savoir par les combinaisons et les rapprochemens. Ainsi l’arrivée et la sortie des voitures, la durée des visites, les démarches même des gens de l’hôtel ; tout était pour lui sujet de remarques et de réflexions qui ne faisaient qu’ajouter encore à sa passion.

Ceux qui savent combien est ingénieuse l’imagination d’un amant, concevront sans peine tout ce qu’il pouvait découvrir par ce moyen. Ceux qui ont aimé sentiront facilement la douceur et le charme qu’il trouvait dans cette occupation de ses plus précieux momens. Il ne s’était cependant pas borné là ; il avait appris que madame de N. venait de perdre un cocher, et tout aussitôt il conçut l’idée de le faire remplacer par un de ses gens dont il avait souvent éprouvé l’intelligence, et qui n’était pas connu pour être à lui. Gervais se présenta, fut accepté, et depuis ce temps, Olivier n’ignora presque plus rien de ce qu’il voulait savoir. Quelques personnes trouveront peut-être un pareil procédé blâmable ; mais si le mérite d’une action se doit apprécier par son intention, elles excuseront peut-être celle-ci par son motif.

Lorsque la nuit avait chassé Olivier de sa retraite, il courait se montrer dans le monde, et de préférence dans les maisons où l’on se réunissait le plus, afin qu’il fût bien connu qu’il avait été vu, et qu’on ne lui demandât pas compte de son absence ; puis ; comme il savait toujours à l’avance l’emploi des soirées de madame de N., il se trouvait toujours avant elle dans les lieux où elle devait aller ; et de cette façon ses assiduités ne pouvaient guère être remarquées que par celle qui en était l’objet.

Quand madame de N. ne sortait pas de chez elle, ou dès qu’elle y était rentrée, il suivait du dehors les monvemens variés des lumières, et par la combinaison de ce qu’il savait à l’avance avec ce trouver l’explication de tout ce qui se passait à l’intérieur. Si dans la pièce la plus reculée de l’appartement, la clarté redoublait tout-à-coup ; c’est qu’Émilie était dans son boudoir, réduit favori pour elle, lieu de recueillement et de réflexion ; si cette clarté se rapprochait des croisées, c’est qu’Émilie était à son secrétaire et qu’elle écrivait ; alors l’imagination d’Olivier, pénétrant à travers les vitres, lui faisait deviner les mots qu’elle traçait par le temps du séjour du flambeau à la même place ; s’il y demeurait plus longtemps que de coutume, la jalousie s’emparait de son âme : elle écrivait à un rival, à un rival préféré ; il le connaîtrait, le provoquerait, et peut-être… Mais la lumière s’était-elle éloignée, le courroux d’Olivier s’éloignait avec elle ; le bruit des sonnettes, celui des portes qui s’ouvraient et se fermaient, un mouvement général dans toutes les dépendances de la chambre à coucher annonçait qu’on s’occupait des préparatifs de la nuit. Le calme succédait à cette agitation, les lumières disparaissaient tour à tour, et il ne restait plus qu’une lueur presque imperceptible qui pénétrait à peine à travers les rideaux fermés, et qui seule allait veiller auprès d’Émilie ; lorsqu’enfin tout était calme, silencieux, Olivier s’éloignait, il s’éloignait lentement, avec peine, puis souvent revenait encore, comme pour dire un dernier adieu à ces murs chéris, et il n’abandonnait celle qui les habitait que lorsqu’il l’avait en quelque sorte confiée au sommeil, comme au seul rival dont il ne fût pas jaloux.

Heureux momens ! heures d’enchantement et de souffrance, est-il dans la vie quelque bonheur qui puisse valoir jamais les peines et les tourmens de l’amour !

On ne saurait se faire une idée de tous les soins que prenait Olivier pour ménager d’agréables surprises, à celle qui était l’objet de sa discrète tendresse. C’était chaque jour quelques nouvelles galanteries d’autant plus délicates qu’elles paraissaient provenir d’une invisible main et que leur auteur semblait s’en cacher comme d’une méchante action.

Cultivant avec succès presque tous les arts, Émilie les aimait tous. Greuze, qui était alors dans l’éclat de son talent, venait de terminer son tableau de l’Accordée de village : il était alors le peintre à la mode, et c’était un rare avantage, une faveur même que d’obtenir à grand prix un tableau de ce maître célèbre. Émilie avait surtout pour lui une admiration particulière, et s’en était exprimée avec un vif enthousiasme au sujet de sa dernière production. Peu de jours après, elle trouva sur son chevalet la charmante Laitière de ce peintre ; chef-d’oeuvre de grâce et de vérité,

C’était une mode, une fureur que ces jolis chiens d’Écosse dont la race, fort rare alors, est devenue depuis assez commune. Un jour, le plus petit et le plus joli de ces animaux se trouve blotti à ses pieds : il portait à son cou un collier d’or, sur lequel étaient écrits quatre vers anglais dont l’idée était une allusion délicate aux sentimens de celui qui l’envoyait[1]). Chaque matin ses appartemens se parfumaient de fleurs les plus fraîches et les plus nouvelles. La première rose qui fleurissait lui était destinée, et si quelque plante exotique était introduite dans nos climats, elle allait tout de suite parer sa terrasse ou son parterre. En vain avait-elle voulu se soustraire à tous ces empressemens ; comment s’en plaindre ; comment les empêcher puisqu’elle en ignorait l’origine et ne pouvait même en découvrir les auteurs ou les complices. Elle avait congédié à ce sujet plusieurs domestiques, qui tous étaient partis résignés et soumis plutôt que de parler.

Émilie cependant en devenait pensive et préoccupée. Quoique flattée peut-être intérieurement de ces hommages ; elle en était embarrassée ; elle ne pouvait deviner par qui ils lui étaient adressés : elle avait été tentée quelque fois de les attribuer à Olivier, quelle avait toujours distingué, et dont il était impossible qu’elle n’eût pas un peu remarqué la silencieuse admiration. Mais comment croire qu’il fût réellement occupé d’elle ? Elle était plongée dans une inquiétude à la fois douce et cruelle. Ce qui était pour elle un si impénétrable mystère, ne l’était cependant pas pour tout le monde ; et la vindicative madame de B., sans cesse occupée de nuire à celui qu’elle regardait comme son ennemi, avait découvert son secret en faisant suivre ses pas. Elle n’eut rien dés-lors de plus empressé que d’en avertir madame de N., et le malheureux Olivier sut, par un billet de madame de B. elle-même, la nouvelle obligation qu’il lui avait. Il fût consterné, et pendant long-temps il s’éloigna des lieux où il pouvait rencontrer celle qu’il recherchait tant autrefois, lorsqu’un jour il reçut d’elle le billet suivant :

« Je viens de voir madame de B., qui m’apprend, Monsieur, que vous êtes l′auteur de tout ce qui se passe autour de moi. Je ne puis m’expliquer sur l’opinion que j’en veux prendre avant d’avoir reçu votre réponse, et de savoir si l’on m’a dit vrai. »

Émilie de N…

Olivier, en ouvrant cette lettre, était préoccupé de mille craintes qui devinrent une certitude pour lui dès qu’il vit le nom funeste de la baronne de B. Il ne lui vint pas même dans l’esprit de chercher ce qu’il pouvait y avoir de favorable dans la réserve de madame de N. Mais livré à son désespoir, il écrivit et envoya la lettre qui suit :

« Oui, Madame, on vous a dit vrai, et je n’ajouterai pas à mes torts en les niant. Madame de B., qui m’a tant donné de preuves de sa haine, ne pouvait me porter un coup plus sensible qu’en détruisant en un jour tout le bonheur de ma vie, celui de vous adorer sans vous le dire, et d’avoir au moins, sur vos sentimens pour moi, le modeste bonheur de l’incertitude.

Depuis que je sais qu’elle vous a parlé de moi, depuis que c’est par celle que j’aurais voulu le moins choisir, que vous est parvenue l’expression de ma pensée, et que la vérité vous aura été apprise, je ne dois plus conserver même une ombre d’espérance, et mon malheur est comblé ; mais si j’ai pu vous déplaire, je me punis assez eu m’éloignant sans retour. »

Olivier de R…

Cette lettre fut suivie de cette réponse de madame de N…

« La franchise de votre aveu me donnerait une nouvelle preuve de votre loyauté, si j’avais pu en douter un seul instant. Puisque ce qui s’est passé n’a pu être évité, j’aime mieux que vous en soyez l’auteur que tout autre. Dans tous les cas, ce serait vous punir beaucoup trop sévèrement que vous éloigner, et comme personne n’a le droit d’être plus sévère que moi pour ce qui me regarde, vous ne vous imposerez pas une punition que je suis bien loin d’exiger. Je crois en effet que madame de B. est une personne malveillante ; mais je ne me sens pas aujourd’hui disposée à la haïr. Dans tout ce qu’elle m’a dit, il n’est qu’une seule chose que j’ai comprise, et celle-là ne m’a causé nul chagrin ; seulement, je l’avouerai, j’aurais mieux aimé l’entendre de votre bouche que de la sienne. »

Émilie de N…

Hélas ! cette lettre arriva trop tard ; Olivier, avant de l’avoir reçue, s’était enfui en proie au plus violent désespoir, ne confiant le secret de sa retraite qu’à son fidèle Gervais, et lui ordonnant formellement de ne le pas révéler. Tl défendit même qu’aucune lettre lui fût adressée, de quelque part qu’elle arrivât.

On n’a pu savoir d’une manière certaine quel avait été le lieu de cette retraite ; on a des raisons de croire qu’il s’était rendu auprès d’un frère de son père qui, depuis long-temps, vivait retiré dans un couvent de la capitale, qu’il édifiait par sa piété.

Un mois s’était écoulé lorsqu’il reçut un paquet contenant plusieurs lettres parmi lesquelles il ne remarqua que celles qu’il reconnut pour être de l’écriture de madame de N., et en tête desquelles figurait celle que l’on vient de lire. Les autres avaient été écrites successivement, et la dernière, portant la date de la veille, ne contenait que ces mots, écrits d’une main tremblante : « Olivier, ne vous verrai-je pas au moins une fois avant… ? » La phrase n’avait pas été achevée.

Voici maintenant la lettre qui servait d’envoi et d’explication à ce funeste billet :

« Malgré la défense que M. le Comte m’a faite, de lui écrire, je croirais être à blâmer si je ne l’informais pas de ce qui se passe. Aussitôt que madame eut reçu la dernière lettre de M. le Comte, qui annonçait son départ, elle tomba dans une grande agitation et eut de très violens maux de nerfs, après quoi elle pleura beaucoup et fut toute la nuit sans dormir, se promenant dans sa chambre en faisant des questions à mademoiselle Séraphine, de qui je tiens tous ces détails. Le lendemain matin, Madame me lit appeler auprès d’elle, et moi, ne doutant pas qu’elle eût tout découvert, je m’attendais à des reproches de sa part et à être renvoyé ; mais je fus bien surpris quand, au lieu de la trouver en colère, je la vis bonne et obligeante. Elle me dit qu’elle savait tout, qu’elle n’ignorait pas que j′étais à M. le Comte que j’avais été mis par lui auprès d’elle mais que loin de s’en fâcher, elle trouvait bon que j’eusse si bien servi un si bon maître ; qu’elle voulait même me le prouver en m’attachant tout-à-fait à sa personne, et que désormais je n’aurais autre chose à faire qu’à aider le vieux maître-d’hôtel Galbois, pour avoir sa place quand il ne l’exercerait plus. Depuis ce temps, il ne s’est point passé de jour sans que, sous différens prétextes, elle ne m’ait fait venir plusieurs fois auprès d’elle pour me parler de Monsieur, et surtout pour m’interroger sur le lieu de sa retraite. Elle me comble d’attentions et de présens, et me dit que ma fortune serait faite si je voulais lui dire ce qu’elle désire, à quoi je n’ai pu que répondre : « Je ne sais pas, » puisque Monsieur l’a voulu ainsi. Mais depuis quelque temps les choses sont bien changées. Je ne dirai pas ce que j’ai ordre de lui cacher, mais je ne puis laisser ignorer à M. le Comte l’état où est Madame : le chagrin et les veilles l’ont mise dans un état qui devient inquiétant ; elle ne mange plus, ne dort plus, et depuis quelques jours ne sort pas même de son lit. On a fait venir les deux médecins habituels de la maison, M. de Lalouette et M. Vieq-d’Azyr ; mais ils n’ont rien compris à son mal ; seulement M. Vicq-d’Azyr a fait quelques questions qui pourraient faire croire qu’il a des soupçons. Quant à Madame, elle ne veut rien de ce qui lui est prescrit. Elle a fait placer dans sa chambre à coucher tout ce que Monsieur le Comte lui a envoyé, et elle passe son temps à relire la lettre de Monsieur et à parler de lui sans cesse. Je sais tous ces détails par mademoiselle Séraphine, qui a maintenant la plus grande confiance en moi. C’est aussi par elle que je sais le triste état où est Madame, et elle a entendu hier M. Lalouette dire que l’état de la malade donnait des inquiétudes. Monsieur jugera donc si j’ai eu tort d’enfreindre sa volonté en lui écrivant. Je crois que Monsieur, en me donnant ses ordres, n’a pas prévu ce qui arrive et ne me désapprouvera pas. »

Gervais.

Lire ces lettres et arriver chez madame de R. fut pour Olivier l’espace d’un instant. Grâce à l’intelligente adresse de Gervais et de Séraphine qui parvinrent à écarter tout le monde, il est bientôt auprès du lit d’Emilie qu’on avait aussi pris le temps de prévenir pour lui épargner la première émotion. Lorsqu’elle eut tourné ses regards vers Olivier, ses beaux veux se fixèrent un instant sur lui avec une espèce d’étonnement immobile, comme si elle faisait un songe. Saisie d’un tremblement général, elle paraissait respirer à peine, quand tout-à-coup et avec une espèce de mouvement convulsif, elle s’écria : « C’est lui ! » et elle retomba sans connaissance. Olivier, rempli d’effroi, se hâta d’appeler des secours, et regardait dans une anxiété stupide les soins qu’on lui prodiguait, craignant que cette révolution n’eût été trop forte pour elle, lorsque soudain elle ouvrit les yeux ; sa poitrine qui semblait oppressée parut soulagée par des soupirs qui n’avaient plus rien que de doux ; puis après avoir versé d’abondantes larmes, elle se retourna vers Olivier, et lui prenant la main avec transport, elle s’écria de nouveau : « C’est lui ! »

Depuis ce moment la santé d’Émilie se rétablit comme par enchantement, et les médecins, qui en avaient désespéré, convinrent que la nature avait fait un effort, dont l’effet confondait leur intelligence et leur savoir. Elle ne conserva plus de ses maux qu’une légère pâleur, qui est souvent un charme de plus dans une belle personne, surtout aux yeux de celui qui l′a causée.

Olivier, dont la timidité avait été enfin vaincue, jouissait de son bonheur, mais avec discrétion, et de manière à le dérober à la jalouse curiosité du public. Il se montra d’abord rarement chez madame de N. ; mais bientôt, entraîné par un irrésistible attrait, il rendit ses visites plus fréquentes et plus longues ; puis enfin il s’en fit une telle habitude, qu’un seul jour ne se passait pas sans qu’il allât au moins une fois à l’hôtel de N.

Quelque soin qu’il eût pris et cru prendre, ces assiduités furent bientôt connues. On racontait même déjà toutes les circonstances de cette liaison, ce qui s’était passé pendant la maladie, et jusqu’aux particularités les plus secrètes.

Il n’est rien de long-temps caché dans une société où la conversation est le principal emploi du temps, j’allais dire la principale affaire.

Parmi ceux qui s’employaient le plus à accréditer ces bruits, on distinguait surtout madame de B., sous la couleur d’un vif intérêt pour madame de N., et sous le manteau d’un zèle affecté, allait ainsi détruisant de son mieux sa réputation.

Ce n’est pas tout : cette charitable personne vint un matin trouver madame de N., et lui parla à peu près ainsi :

« Eh ! mon Dieu, ma chère ! que devenez-vous, je vous prie ? Comment ce fait-il qu’on ne vous voie plus nulle part ? Comment vous bannissez-vous ainsi de la société dont vous faisiez l’ornement ? — Et qui donc serait assez bon pour l’avoir remarqué ? — Mais croyez-vous qu’il vous soit permis de disparaître ainsi impunément, et que votre absence puisse être une chose indifférente ? — Le monde ne s’occupe Certainement pas de moi, et les objets de distraction sont trop nombreux pour qu’il daigne seulement s’appercevoir de l’éloignement d’une pauvre recluse, qui n’y a toujours tenu que très-peu de place. — Détrompez-vous, ma chère ; si, comme je n’en puis douter, votre modestie est sincère, elle est certainement aussi fort exagérée. — Mais ne sait-on pas que le soin de ma santé ?… — Cette excuse serait de toutes la moins admise, et votre seule vue ne lui laisse aucune valeur. Tenez, faut-il que je vous parle avec la franchise d’une veritable amie ? On attribue votre éloignement à une cause tout-à-fait autre que celle que vous lui donnez. On a remarqué que, ainsi que vous, M. de R. ne se montre plus dans la société où on le voyait sans cesse alors qu’on vous y voyait. Ce rapprochement si simple a conduit à des découvertes vraies ou prétendues, et l’on a cru savoir qu’il venait ici régulièrement chaque soir… » (Et la baronne appuyait sur ces derniers mots, en jetant des regards pénétrans sur Emilie qui baissait la tête pour cacher sa rougeur.) — « On prend trop de soin, » dit cette dernière après s’être un peu remise, « et je suis bien touchée de l’intérêt qu’on me témoigne ; mais j’avouerai que je trouve tant de zèle un peu exagéré. Je crois avoir toujours été assez soigneuse de mes devoirs pour n’avoir à n’en être avertie par personne. » — « C’est précisément votre bonne conscience qui vous rassure et qui peut vous perdre ; c’est parce que je vois que la sécurité dans laquelle vous êtes pourrait devenir pour vous écueil, que j’ai cru devoir vous le signaler. C’est toujours un soin pénible à prendre que celui qui m’attire auprès de vous, et il a fallu toute la ferveur de mon amitié pour me déterminer à cette démarche dont tous les inconvéniens sont pour moi seule, veuillez donc m’écouter, et vous me jugerez ensuite.

Vous aimez M. de R., Emilie… — Mais qui peut vous l’avoir dit, et qui peut avoir ainsi le droit de scruter les secrets sentimens de mon cœur ? — N’entreprenez pas de le cacher, ma chère, vous aimez M. de R. Je vous le répète, j’en ai la preuve ; je sais aussi qu’il vous adore ; je sais tous les soins qu’il vous rend, et malheureusement d’autres que moi, sans être si bien informés, en ont appris sur cela plus qu’il ne conviendrait. Comme on n’ignore pas qu’il est depuis long-temps fort assidu, on commence à se demander, sans douter un moment que ses hommages aient un but honorable, pourquoi il ne s’est pas encore déclaré. Je n’exige pas de vous une réponse ; et j’irai au-devant de l’embarras où vous pourriez être de me la faire. Je ne viens pas non plus vous signaler le mal sans vous apporter le remède ; je veux vous tirer de l’embarras où vous êtes sans vouloir en convenir, et ce moyen est infaillible. »

Ici l’attention d’Emilie redoubla ; son humeur première parut se dissiper un peu, et par un mouvement involontaire, elle rapprocha son fauteuil de celui de madame de B.

« Je connais Olivier, ma chère ! je connais son esprit incertain, et jamais il ne pourra prendre de résolution si vous ne l’y forcez par quelque moyen. extrême, si vous n’intéressez son honneur en lui donnant la preuve qu’il a compromis le vôtre. Il faut donc qu’il sache ce que le monde dit ; il faut que vous l’en informiez vous-même ; bien plus, qu’il en ait la preuve… Vous hésitez, et vous craignez, je le vois, de mettre un tiers dans cette confidence ; mais j’ai tout prévu, et vous verrez que l’expédient que je vous propose d’adopter n’offre que des avantages sans dangers. Je comprends votre embarras relativement au choix de la personne que vous pourriez charger de cette mission délicate ; aussi, faut-il que ce soit une amie sur laquelle vous ne puissiez pas même avoir l’ombre d’un soupçon, et je n’hésite pas à me proposer moi-même pour vous rendre ce service. Lorsque M. de R. viendra ce soir, selon son usage, laissez moi seulement arriver jusqu’à l’une des pièces voisines de ce boudoir ; je vous promets de ne pas me montrer à lui ; mais je ne doute pas que, dans la soirée même, il ne vous offre sa main, et qu’ensuite votre mariage n’ait lieu quand vous voudrez : je consens à ne vous revoir jamais, si tout ne se passe pas ainsi que je vous l’indique. »

Ici l’on annonça une visite ; la baronne se hâta de saisir un autre sujet de conversation, et sans avoir reçu ni un consentement ni un refus, elle sortit, laissant la pauvre Émilie dans une perplexité inexprimable.

Forcé d’interrompre ce récit pour parler de moi, j’en éprouve un regret véritable, car l’incident que je vais raconter, quoique fort peu important en apparence, a cependant eu, je le crains trop, une influence directe sur la destinée de deux êtres, dont l’un surtout m’était si cher : je l’avais ignoré jusqu’au moment où j’ai connu les faits racontés dans cet écrit ; je voudrais pouvoir l’ignorer encore.

« C’était moi en effet de qui l’on venait d’annoncer la visite. J’avais eu autrefois une sœur qui était, à l’abbaye de Chaillot, l’amie particulière de madame de N., et qui, pins à plaindre ou plus heureuse qu’elle, n’en était pas sortie. Ma chère Eugénie était morte au couvent à l’âge de 16 ans, et mademoiselle Émilie de Surville avait raporté sur moi une partie de l’affection qu’elle avait pour sa compagne. Aussi je l’aimais à mon tour comme une tendre sœur ; ses intérêts m’étaient aussi sacrés que si elle m’eût été unie par les liens du sang. »

« Averti par quelques discours que j’avais recueillis, et aussi par mes propres réflexions, de tout ce que sa nouvelle position commençait à avoir de faux, je venais pour lui offrir plutôt encore de l’amitié que des conseils, et chercher avec elle ce qu’il pouvait y avoir à faire dans la situation où elle était ; je la trouvai plus que préparée à ce que j’avais à lui dire par la conversation qu’elle venait d’avoir avec la baronne de B. Tout en me félicitant de ce que j’étais ainsi délivré de la partie la plus pénible de ma négociation, je regrettais pourtant d’avoir été devancé par une personne dont le caractère ne m’avait jamais convenu ; je ne pus cependant m’empêcher d’être, cette fois, de son avis, et de convenir que le mariage ne pouvait se différer plus long-temps ; que c’était à madame de N. à informer la première M. de R. de tout ce qui se passait, de façon à l’amener lui-même à se déclarer sans retard. »

C’était un soir du mois de juin ; c’était à ce moment si doux qui n’est plus le jour, mais qui n’est pas la nuit encore : alors le calme silencieux de la nature n’est troublé que par une brise favorable, et par cette espèce de frémissement joyeux que fait entendre l’oiseau sous le feuillage, comme l’insecte léger sous ses gazons. Ce repos, ce bien-être universel semblent se communiquer à tout ce qui respire, et disposer le cœur à toutes les émotions en le plaçant dans cette disposition rêveuse qui l’enlève en quelque sorte à la terre, et à laquelle il est comme impossible de s’arracher.

Émilie était dans ce boudoir qu’elle aimait tant, dans ce boudoir que chaque jour elle avait soin de parer elle-même des plus belles fleurs, des plus riantes peintures et de toutes les recherches de ce luxe ingénieux ; par lequel le goût et la mode s’efforcent de cacher l’utilité sous la grâce.

Assaillie par mille pensées confuses, elle repassait tout ce qui lui avait été dit : elle était plongée dans un vague à la fois doux et cruel que dominait le souvenir d’Olivier, mais accompagné maintenant de craintes, de défiances qu’elle n’avait jamais connues et qui bouleversaient son esprit depuis qu’on les y avait éveillées.

Olivier arriva. Il remarque bientôt la préoccupation d’Émilie, quelque soin qu’elle prît pour la déguiser. Il l’interrogea avec une tendresse inquiété, avec une sollicitude mêlée d’effroi, et il ne lui fut pas difficile de l’amener à avouer quelle était la cause de son ennui.

« Mon cher Olivier, lui dit-elle, rassurez-moi ; aucun malheur ne vous menace ; mais une pensée m’oppresse, et je ne saurais plus long-temps la renfermer dans mon sein. Notre mutuelle tendresse est pour chacun de nous le trésor le plus précieux : pourquoi donc, dites-moi, n’êtes-vous pas plus soigneux d’un bien qui vous appartient, pourquoi laissez-vous ma réputation exposée à des doutes injurieux ? — Et qui oserait jamais… — Calmez-vous, mon ami, ce-n’est pas la malveillance que nous devons accuser ; je ne puis méconnaître l’intention des avis qui m’ont éclairée ; personne, d’ailleurs, n’aurait pu m’en dire à cet égard plus que je ne m’en dis moi-même maintenant. Et comment avons-nous pu nous aveugler ainsi tous deux ? Comment avons-nous pu penser qu’un monde désœuvré et jaloux consentît pour nous seuls à fermer les yeux à l’évidence ? Croyez-vous qu’après m’avoir toujours été si favorable, il ne me deviendrait pas bientôt sévère, et que cette bonne réputation qui a été jusqu’ici pour moi un rempart, pourrait l’être bien longtemps encore ? Je vous aime, Olivier, comme vous m’aimez, et je voudrais pouvoir trouver des paroles plus fortes, s’il en est ; mais mon honneur, mon honneur seul, m’est plus cher que tout, et c’est lui qui me commande ou de cesser de vous voir… — Cesser de me voir ! — Ou bien… — Achevez. — De vous demander le titre de votre épouse. — Qu’avez-vous dit, Emilie ? quel ennemi de notre repos commun peut. vous avoir conseillé cette démarche ? — Quoi ! notre mariage… — Il est impossible. — Eh pourquoi, grands Dieux ? — Ne m’interrogez pas. — Vous me faites frémir. »

Ici l’on entendit quelque bruit dans la pièce la plus voisine du boudoir, Émilie et Olivier en furent frappés en même temps, et prêtèrent tous deux l’oreille ; mais ce bruit ayant cessé tout-à-coup, Olivier continua ainsi : «  Rassurez-vous, Émilie, ce mystère n’a rien de terrible que pour moi, mais il le deviendrait pour tous deux si vous me forciez à révéler mon secret ; heureusement rien ne m’y contraindra, et puisque vous avez pu me proposer de m’éloigner ou de recevoir votre main, je sais le parti que je dois prendre, c’est celui que me dicte l’honneur, le devoir… Je n’hésite pas, Emilie, j’aurai peut-être la force de renoncer à vous. — Olivier ! Olivier, qu’avez-vous dit ? Vous est-il donc plus facile de me quitter que de vous unir à moi par le seul lien… — Unis ; unis pour jamais ! nous, Émilie ! Ah ! si toujours je me fis une idée charmante du mariage, c’est avec vous qu’il eût été la suprême félicité : si je n’en croyais que mon cœur, si je ne vous préférais mille fois à moi-même… — Parlez. — Non, non, repoussons cette idée ; si c’était toute autre qu’Emilie… ; mais vous, vous ! — Et vous m’aimez ? — Si je ne vous adorais pas… mais l’amour n’existe-t-il donc que dans les chaînes du mariage, et personne ne comprendra-t-il jamais un sentiment qui soit pur sans être commandé ? L’honneur ne permet-il pas d’adorer les vertus, parce qu’elles sont dans un autre sexe, parce qu’elles sont réunies à la grâce et à la beauté ? Me défend-il donc d’aimer en vous ce qu’il me serait permis d’idolâtrer si ces blonds cheveux avaient déjà blanchi ; si quelques rides couvraient ce beau visage ? Mais vous l’avez dit, l’honneur le veut, il faut obéir, vous quitter. — Eh quoi ! cette résolution vous est-elle donc si facile ? — N’est-ce pas vous qui me la dictez ? — Pouvez-vous si tranquillement vous y soumettre ? — Vous ne savez pas tout ce que cet arrêt cruel a soulevé dans mon sein de passions et d’orages. Parce que je vous en épargne le spectacle, vous croyez que je n’en suis pas agité : craignez de combler la mesure de ma résignation et de mon courage ; craignez les transports où pourrait me porter un aveugle désespoir. — Quels regards vous jetez sur moi, Olivier : votre air et vos discours me font trembler ! — Hélas ! qu’ai-je pu dire ? Rassurez-vous, Emilie : qui/ moi, moi vous inspirer de l’effroi ! oh ! non, je suis trop malheureux pour être à craindre… pour vous, au moins. — Eh bien ! pardonnez-moi si je vous ai affligé, mon ami ; tout au monde plutôt que de vous voir si malheureux. — Généreuse amie ! — Je remets en vos mains le soin de notre commune destinée, car je n’imagine pas qu’elle puisse être séparée. Laissons les méchans et les jaloux blâmer un bonheur qu’ils envient et ne pas croire aux vertus qu’ils n’ont pas. Contentons-nous du témoignage que nous nous rendons, et, plus l’épreuve aura été difficile, plus elle aura de mérite auprès du seul juge équitable de toutes les actions des hommes.

— Et rassurons-nous aussi sur nous-mêmes, Émilie : quelle conscience aurait le droit de s’alarmer de ce qui n’aura pas inquiété la vôtre ? — Mes réflexions l’avaient troublée ; vos paroles ont dissipé toutes mes terreurs. — Si ma tendresse respectueuse n’a pas un seul instant effrayé votre craintive innocence, que pouvez-vous redouter de moi à l’avenir ? — L’avenir !… eh ! qui peut le connaître ! Quel courage doit se croire éternellement plus fort que le danger ! — Quel danger peut nous menacer si nous nous aimons toujours ! Que pourrait l’avenir avoir pour nous de plus redoutable que le passé ! — Je ne sais, mon ami ; je ne puis exprimer ce que j’éprouve, parce que cet état est nouveau pour moi ; mais une inquiétude indicible m’agite et me tourmente, même auprès de vous. Lorsque vous êtes éloigné, quelque chose me manque, et c’est vous ; lorsque vous êtes auprès de moi, mon âme est heureuse, ravie, enivrée ; pourtant il me semble que quelque chose me manque encore, et cependant vous êtes là. »

« — J’aime donc mieux, ou du moins autrement que vous, Émilie ; car, pour moi, tous mes vœux, tous mes désirs sont concentrés dans cette enceinte, Vous voir, vous contempler, vous adorer, voilà mon bien-être, mon avenir, ma vie. Je ne veux, je ne comprends pas d’autre félicité sur la terre ; je n’en imagine pas même une autre dans les cieux. Ah ! si des pensées coupables ont pu tromper mon esprit et ma raison, c’est loin de vous, c’est quand je puis oublier que vous vous êtes confiée à moi. Oui, je l’avouerai, souvent alors j’ose former des vœux extrêmes ; rien ne contient plus l’effervescence de mes désirs. Parfois le délire de mon imagination me rend téméraire, audacieux criminel peut-être… Mais, ô charme touchant de l’innocence et de la vertu ! un seul de vos regards apaise le tumulte de mon cœur : vous êtes pour moi une nature céleste que les passions humaines ne sauraient atteindre. Périsse celui qui pourrait troubler votre sérénité pudique et votre confiante sécurité. Je ne voudrais pas d’une éternité de bonheur qui pourrait vous arracher une larme. Mon amour peut me donner la mort, mais jamais il ne fera rougir celle qui l’inspire, jamais il ne lui coûtera un regret ou un re- mords. »

« — Vous me rassurez, mon ami ; je vous rends grâces d’éclairer, de guider ainsi ma faible raison ; car cette tranquillité qui naît d’une juste confiance dans soi-même, je l’admire plus que je ne l’imite ; je me sens plus de force pour fuir le péril que pour y résister quand je l’affronte. Lorsque je suis loin de vous, ma volonté reprend tout son empire, et votre souvenir me charme sans me troubler ; mais dès que je vous vois, je sens toute ma faiblesse, et je ne crains pas de l’avouer. Lorsque je suis ainsi près de vous, seule, dans cette retraite, mes pensées, mes résolutions changent en un instant. Il n’est pas, alors, jusqu’aux objets extérieurs qui n’ajoutent encore à mes sensations, et ne portent dans mes sens une langueur que je redoute et que j’aime. Le recueillement silencieux de cet asile, cet air si pur qui nous apporte les vapeurs embaumées du soir, les fleurs qui remplissent ces corbeilles, et qui, près de mourir, semblent exhaler des parfums plus doux ; et plus que tout encore, Olivier, l’émotion que j’éprouve en ce moment… croyez- vous, mon ami, que tout cela soit et puisse être toujours sans dangers ? »

« — Emilie, celui que n’a pas égaré le charme enchanté de vos regards, vos paroles si pénétrantes, cette main que j’ai saisie pour la première fois, et dont l’étreinte répond délicieusement à la mienne, ces regards remplis de flamme, d’amour et de bonheur… — Olivier, ne me regardez pas ainsi ; ces transports me font mal ; ils sont comme un feu subtil, comme un poison qui court dans mes veines et me consume. — C’est le même feu qui me dévore. — Pourquoi mon cœur bat-il avec cette violence ? il me semble qu’il est prêt à s’échapper de mon sein. — Voyez si le mien bat moins vite, Emilie. — Olivier ! Olivier ! je frissonne et je brûle, — Laissez-moi soutenir cette tête languissante ; laissez-moi retenir ces beaux cheveux, recueillir votre souffle embaumé ; laissez-moi… — Olivier ! disposez de mon sort, de ma vie, de mon âme ; je me confie, je m’abandonne à toi… »

Ces derniers mots étaient à peine prononcés, qu’un bruit, semblable à un éclat de rire, retentit soudainement dans la chambre où déjà l’on avait cru entendre quelque mouvement. Frappés en même temps de stupeur, et comme s’ils eussent été réveillés tout-à-coup après un songe pénible, Olivier et Emilie restaient muets d’étonnement, quand tout-à-coup Olivier, d’une voix altérée : « — Quel bruit a retenti deux fois près de nous, dans cette chambre, à cette porte ? — En effet, un frisson mortel a glacé mes sens. — Il m’a semblé que c’était le rire des démons ; mais qui peut se trouver ainsi dans cet appartement à cette heure ? »

« — Dieu de bonté ! s’écria Émilie avec effroi et comme si elle retrouvait tout- à-coup la mémoire ; je tremble d’avoir deviné… Hier, une personne… — De grâce, Emilie, achevez. — Par intérêt pour moi… — Mais qui donc ? — Madame de B. — Quoi, madame de B. dans cette maison ! — Dans cette chambre. — Elle aurait écouté ! — Hélas ! je le crains trop… — Malédiction ! » s’écria Olivier avec fureur, et s’élançant tout-à-coup vers la porte, il s’apprêtait à l’ouvrir avec force lorsqu’on entendit le bruit d’un verrou qui la fermait ; alors il s’arrêta comme pétrifié, sans pouvoir prononcer une parole. En vain Emilie voulait elle l’arracher à ce sombre silence, il ne le rompit enfin que pour prononcer d’un ton solennel ces mots où, malgré une apparente résignation, respirait un courroux concentré : « Vous me parliez de mariage, Emilie, et dans votre intérêt j’en éloignais l’idée ; maintenant c’est dans cet intérêt même que je le demande à mon tour. J’ignore si ce qui arrive est fortuit ou l’effet d’une machination infâme… — Olivier… — À laquelle vous êtes étrangère, Emilie, mais où je reconnais toute la fureur du mauvais génie qui s’attache à mes pas : quoi qu’il en soit, on l’a voulu, eh bien ! oui… nous serons unis. — Dieux ! de quel air me dites-vous cela ? — Il le faut maintenant, votre honneur l’exige autant que le mien. Comme cette intrigue infernale va porter ses fruits, comme mille discours méchans ne manqueront pas de se répandre, il faut que, dès demain même, notre mariage soit proclamé, et il le sera. » À ces mots il sortit, laissant la malheureuse Emilie éperdue et presque mourante.

Pendant que tout égaré et cherchant à s’échapper par de secrets chemins, il traversait les longs corridors sombres de l’hôtel de Nanteuil, il entendit auprès de lui le frémissement d’un vêtement féminin, et ces mots furent distinctement prononcés à son oreille : « Je suis vengée d’elle et de vous. »

Le lendemain le mariage fut annoncé partout ; et après les délais exigés pour l’accomplissement de toutes les formalités, il eut lieu à la terre de Serpigny, appartenant à, M. de R., le matin du 15 juillet 1780.

Le soir même, le nouvel époux disparut, laissant pour la nouvelle comtesse de R. la lettre que voici :

« Je suis le plus malheureux des hommes, Émilie, car je vous quitte, et ces lignes sont un adieu… éternel peut-être… au moins en cette vie.

Si, comme j’ai trop lieu de le craindre, vous devez connaître un jour les motifs de ma fuite, vous la comprendrez. Si, ce que je n’ose espérer, vous pouvez les ignorer toujours, vous devrez croire qu’ils sont bien impérieux, puisqu’ils me forcent à renoncer à tout ce qu’il y a au monde de plus doux, la vertu, la grâce et la beauté. Rien ne saurait adoucir la douleur du sacrifice que je m’impose, si je n’emportais la consolation de penser que c’est pour vous, que c’est à vous qu’il est fait. Vous l’auriez refusé sans doute, car vous êtes généreuse… mais je ne veux la pitié de personne : pas même la vôtre. Je ne voulais que votre tendresse, que votre amour, et je pars pour les conserver.

Mon nom est maintenant le vôtre ; mais avant qu’un mois soit écoulé, notre mariage sera rompu… Vous serez libre… libre même de former un nouveau lien. Vous seule cependant saurez quelle est ma destinée, et vous serez maîtresse de n’en révéler que ce que vous voudrez qu’on en apprenne. Vous pourrez donc ainsi porter mon nom, ou reprendre celui que vous avez eu jusqu’ici. Le dirai-je, pourtant ? Il me semble que ce n’est qu’en prenant le nom de mon épouse, que vous pourrez répondre à l’empressement curieux de la société, et expliquer mon départ d’une manière qui soit convenable ? croyez, toutefois, que votre intérêt seul me dicte ces réflexions, et non pas le vain soin d’un nom qui n’est pas peut-être sans quelque gloire, qui se serait illustré en devenant le vôtre, mais qui doit, hélas ! mourir avec moi tout entier.

J’ignore comment j’ai eu assez de force pour tracer ces lignes. Je ne l’espérais pas en les commençant ; mais le terme de mon courage est arrivé. Mon cœur se brise, ma vue se trouble, ma main tremble et ne peut plus former que des caractères illisibles. C’en est fait, cette épreuve est plus forte que mon courage : mes larmes s’échappent, Emilie ! elles couvrent ce papier, et puisqu’elles arrêtent ma plume malgré moi, qu’elles soient mon dernier interprète, et vous disant tout ce que j’éprouve, mieux que ma main n’eût jamais pu l’exprimer. Adieu, chère et toujours plus chère Emilie, adieu pour la dernière fois, adieu pour jamais. »

À cette lettre était joint un paquet adressé à M. Pluvinet, avocat au parlement, et contenant entre autres papiers la pièce qui suit :

« D’après les conseils mêmes que vous m’avez donnés, mon digne ami, voici les arrangemens que je fais pour ma fortune. Je vous donne les pouvoirs les plus généraux pour en faire de mon vivant l’emploi suivant : ces dispositions seront mon testament après ma mort.

Comme votre bien est assez grand pour vos goûts simples, je ne vous offrirai qu’un modeste souvenir de ma bonne et ancienne amitié ; c’est ma bibliothèque formée par mon père, et la montre de Berthoud que je tenais de ma mère.

Je donne aux pauvres de la paroisse de Saint-Louis des Invalides quatre mille livres de rente perpétuelle, et mille livres à M. Comte, son digne curé, auquel je demande de prier Dieu pour mon père, pour ma mère et pour moi.

Je donne cent louis de rente viagère à l’abbé Géraud de l’Oratoire, mon ancien précepteur.

Je donne tout mon mobilier à Gervais, et j’y ajoute cent pistoles de rente perpétuelle.

Je donne à mon régiment une assignation de trois cents pistoles de revenu, sur la ferme général, pour les familles des soldats morts ou blessés, et pour l’instruction des enfans de troupe.

Je donne à mon ami César de Saint-H., s’il revient, le produit de ma terre de Bellevue, en Picardie ; en attendant son retour, le revenu en sera distribué aux pauvres du pays.

Je réserve pour moi la rente de deux cents pistoles, dont le capital, ainsi que celui des présentes fondations qui ne sont pas perpétuelles, reviendra après moi à l’abbaye de.... (ce nom n’était pas rempli.)

Tout le reste de ma fortune appartient à madame Emilie de Nanteuil née de Surville, aujourd’hui comtesse de R.

Paris, 15 juillet 1780. »

Le 7 août suivant, M. Pluvinet apporta à madame de R. un acte en forme régulière et contenant ce qui suit :

« Nous A. E. Rousselot, frère Hilarion, procureur de l’ordre royal, militaire et régulier de Notre-Dame-de-la-Mercy, au nom de R. R. Dom Torrès de la Navarra, général et grand-maître du dit ordre, déclarons que M. le comte Louis Olivier de R. a prononcé aujourd’hui des vœux solennels dans celui des couvens de l’ordre situé à Paris, rue du Chaume, au Marais. Il a pris le nom de frère Emilien. »



« Un mariage non consommé, quoique

valablement contracté, est résolu de plein droit par l’entrée en religion de l’une des parties dans un monastère approuvé. Dès que l’un des époux c’est engagé par des vœux solennels, celui des deux époux qui reste dans le monde peut contracter un nouveau mariage.»

(Pothier, Jousse, Denisart.)



FIN.
  1. Such foward airs, so pert, so smart
    Are sure to win his lady′s heart :
    How pretti was fawning way thine !
    How diffrent is thy case and mine.