Oeuvres complètes de Démosthène et d'Eschine/Avertissement de l’éditeur

AVERTISSEMENT
DE L’ÉDITEUR.


On chercherait en vain, dans nos bibliothèques publiques et particulières, une édition complète des Œuvres de Démosthène et d’Eschine, accompagnée d’une traduction française. Il est étonnant que notre typographie ne nous ait pas encore donné un ouvrage, qui fut si nécessaire dans tous les temps, mais qui l’est bien davantage depuis les changemens survenus dans la forme de notre gouvernement. Démosthène et Eschine ont surtout brillé dans les harangues politiques. Or, ce genre d’éloquence étant aujourd’hui d’une application beaucoup plus fréquente qu’autrefois, l’étude, ou du moins la lecture de deux orateurs qui ont excellé dans ce genre, me paraît indispensable à tous ceux qui suivent la carrière politique, et en général à tous ceux qui exercent des fonctions où l’on doit être versé dans l’art oratoire. Cet ouvrage n’est pas moins nécessaire à tous les gens de lettres, et surtout aux instituteurs chargés de faire connaître à la jeunesse les plus beaux modèles de l’antiquité. Si la traduction française est inutile à la plupart d’entre eux, ou même à tous, il leur sera toujours avantageux d’avoir un texte pur et correct, imprimé avec le plus grand soin, et dans un format beaucoup plus commode que ces lourds in-folio, qui font gémir les pupitres.

La traduction de l’abbé Auger, qui accompagne le texte, jouit encore, malgré ses défauts, d’une estime bien méritée parmi tous les savans. Je l’ai revue avec la plus grande attention, et j’ai réformé tout ce qui m’a paru contraire au sens de l’auteur grec ou à la pureté de notre langue.

Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire. boil.

L’abbé Auger voulant éviter le défaut que Racine reprochait à Tourreil, tombe dans le défaut opposé. Tourreil donnait trop souvent de l’esprit à Démosthène, Auger lui en ôte quelquefois. Par exemple, si Démosthène, accusant certains magistrats vendus à Philippe, dit, qu’ils sont dans Athènes les prytanes de Philippe ; Auger dit, qu’ils font tourner toutes les forces et toutes les ressources de la république au profit de Philippe. C’est bien là le sens, mais non pas l’esprit de l’original. Toutes les fois qu’Auger tombe dans de semblables fautes, j’ai soin d’en avertir dans mes remarques. Mais comme il est certains discours où ces fautes se représentaient trop souvent, et que les renvois continuels du texte aux remarques auraient pu fatiguer le lecteur, il m’a paru plus commode pour lui et pour moi de donner une nouvelle traduction de ces discours[1].

Un court passage, extrait de la harangue sur la couronne, suffira au lecteur pour connaître le système de traduction que j’ai suivi, et les raisons qui m’ont engagé à le suivre.

Démosthène, après avoir rappelé aux Athéniens l’avis qu’il proposa dans une situation alarmante où se trouvait la république, continue ainsi :

 Οὐϰ εἶϖον μὲν ταῦτα, οὐϰ ἔγραψα δέ· οὐδὲ ἔγραψαμεν, οὐϰ ἐϖρέσβευσα δέ· οὐδὲ ἐϖρεσβευσα μὲν, οὐϰ ἔϖεισα δὲ Θηβαίους· ἀλλ’ ἀπὸ τῆς ἀρχῆς διὰ ϖάντων ἄχρι τῆς τελευτῆς διεξῆλθον ϰαὶ ἔδωϰ’ ἐμαυτὸν ὑμῖν ἁϖλῶς εἰς τοὺς ϖεριεστηϰότας τῇ ϖόλει ϰινδύνους.

« Je ne me contentai pas de proposer mon avis sans rédiger le décret, ni de rédiger le décret sans me charger de l’ambassade ; ni de me charger de l’ambassade sans persuader les Thébains ; mais depuis le commencement jusqu’à la conclusion de cette affaire, je fis tout ce qui pouvait en assurer le succès, et je me livrai sans réserve à tous les périls dont la république était environnée. »

On voit que j’ai traduit littéralement, et sans rien changer à l’ordre des mots grecs, et voici mes raisons : Démosthène se sert ici de la figure appelée gradation en termes de rhétorique. La gradation, dit Cicéron, est une figure où l’on monte d’un mot à l’autre, de telle sorte que le sens croît et se fortifie, comme dans celle-ci :

« Non sensi hoc et non suasi, neque suasi et non statim ipse facere cœpi, neque facere cœpi et non perfeci neque perfeci et non probavi.

Cicéron ajoute que la répétition du mot précédent donne beaucoup de force à cette figure. Or, cette répétition ne peut se conserver que dans une traduction littérale ; autrement elle disparaît, et avec elle la figure ; comme dans cette traduction de Laharpe :

« Il fallait un décret, je le rédigeai ; le décret ordonnait une ambassade vers les Thébains, je m’en chargeai ; l’objet de l’ambassade était de leur persuader qu’ils devaient oublier toute division et se réunir à vous ; je les persuadai[2]. Eh bien, Eschine, quel fut ton rôle ce jour-là ?

On ne retrouve, dans cette traduction, que le fonds de la pensée de Démosthène : on retrouve dans l’autre, non-seulement la pensée, mais encore la forme sous laquelle l’orateur la présente ; et ce sont précisément ces formes oratoires que le traducteur doit rendre avec une fidélité scrupuleuse, afin de ne pas tromper le lecteur qui veut savoir exactement ce qu’a pensé Démosthène, et comment il a exprimé sa pensée.

Je me suis donc attaché à suivre pas à pas la marche de l’auteur grec. Mais je m’étendrai davantage sur cet article, dans l’avertissement qui précédera ma traduction des deux Harangues d’Eschine et de Démosthène sur la Couronne.

À l’égard du texte grec, j’ai suivi les éditions les plus estimées, celles de Wolf, de Reiske, et une certaine édition de Leipzig, de 1813. En corrigeant plusieurs fautes qui s’y rencontrent, j’ai apporté le plus grand soin à n’en pas commettre moi-même, et j’ose me flatter que désormais, en indiquant une bonne édition de Démosthène, on pourra dire : voyez l’édition de Paris, de 1819.

Ce qui m’inspire cette confiance, c’est qu’aucune page, aucune ligne n’a été livrée à l’impression, sans avoir été auparavant lue et relue par un collaborateur dont le mérite et les connaissances dans la langue grecque ont été depuis long-temps appréciés par le monde savant.

L’avertissement suivant, de l’abbé Auger, se rapporte à la seconde et dernière édition qu’il a donnée lui-même de sa traduction.




AVERTISSEMENT
DE L’ÉDITEUR.


L’avertissement suivant de Monsieur Auger se rapporte à la seconde et dernière édition qu’il a donnée lui-même de sa Traduction.

Je devrais ici rendre compte des changemens et additions importantes, faits à la nouvelle et troisième édition de cet ouvrage ; mais tout ce que j’ai à dire sur ce sujet me paraît mieux placé à la tête du second volume, où commence la traduction de M. Auger.



  1. Ce sont les quatre Philippiques, les trois Olynthiennes, et les deus Harangues d’Eschine et de Démosthène sur la Couronne.
  2. Le lecteur aura remarqué sans doute une faute plus grave dans cette traduction de Laharpe ; il a négligé absolument de traduire ce membre de phrase si essentiel ἀλλ' ἀϖὸ τῆς ἀρχῆς διὰ ϖάντων, etc., etc., lequel est le complément nécessaire de la phrase.