Observations inédites sur l’état de la Grèce en 1829/04

OBSERVATIONS
SUR
L’ÉTAT DE LA GRÈCE EN 1829.


(4e et dernier article[1].)

GOUVERNEMENT GREC.

J’ai essayé, dans les articles précédens, de signaler les diverses faces sous lesquelles la Grèce se présente à l’œil observateur, de décrire en traits généraux sa population avec ses principales divisions, de rappeler les sources qu’elle possède pour l’agriculture, le commerce, la marine et la guerre. Il me reste à parler de son gouvernement, et à le considérer dans ses rapports vis-à-vis du pays et vis-à-vis de l’étranger, ou bien quant à la politique intérieure et extérieure.

Le gouvernement grec se réduit aujourd’hui à une seule personne, son président. Lorsque le comte Capo d’Istria fut appelé, par l’assemblée nationale, à la tête de l’administration, il sentit que, dans un pays déchiré par les factions comme l’était la Grèce, toute autorité qui ne serait point concentrée dans des mains fortes serait impuissante pour faire le bien, et il exigea, comme condition de son acceptation, que tous les pouvoirs lui fussent remis, au moins pendant les premiers momens, et jusqu’à ce que de nouvelles assemblées nationales eussent statué définitivement sur la forme à donner au gouvernement, qui jusqu’alors n’était que provisoire. Le comte Capo d’Istria avait vieilli dans les fonctions les plus élevées de la diplomatie, et la carrière qu’il avait remplie était assez brillante ; une longue expérience avait assez mûri ses idées pour qu’il ne fût point accessible aux illusions qui égarent trop souvent de jeunes têtes. Il avait une grande réputation à conserver, et certes il n’est pas permis de croire que le vain titre de président de la Grèce eût séduit son ambition, s’il n’avait pas cru pouvoir y faire des choses utiles. Il ne devait pas ignorer tous les obstacles qu’il allait rencontrer, les fatigues et les dégoûts dont il serait abreuvé ; mais il voyait une nation à fonder, son nom à attacher à une des grandes pages de l’histoire : il s’est cru assez fort pour se charger de cette immense entreprise, et certes il lui a fallu du courage pour abandonner une vie douce et brillante, le fruit des fatigues de toute sa carrière, et se lancer de nouveau au sein des orages, quitter l’Europe et sa haute civilisation, et se mêler parmi des barbares pour les sauver en dépit d’eux-mêmes. À peine était-il en Grèce, qu’il put mesurer les difficultés énormes qu’il avait devant lui ; la plus grande était sans doute la présence de ces primats dont j’ai dépeint l’immoralité. Il trouvait ces hommes au pouvoir, en occupant toutes les avenues, exerçant partout l’influence ; il fallait par force qu’il continuât à s’en servir, et cependant c’étaient ceux-là mêmes qui pesaient sur le pays, et étaient les auteurs de tous ses maux ; ils étaient incompatibles avec sa prospérité, et ce n’était que par eux qu’il était possible de la fonder. Leur caractère turbulent, leur esprit d’intrigue, leurs habitudes de vol et de désordre ne pouvaient s’accommoder avec un gouvernement stable et régulier. Lorsque ce gouvernement avait été établi, le péril était si imminent, le cri de la nation était si unanime, qu’ils avaient été comprimés par l’élan général ; mais le premier mouvement d’enthousiasme était à peine passé, qu’ils recommençaient déjà leurs intrigues, et en voulaient au pouvoir nouveau qui leur interdisait les rapines et la guerre civile. Le premier acte du président avait été de leur retirer le maniement des deniers de l’état, et de se le réserver pour lui seul ; mais, quoi qu’il fît, il ne pouvait se dispenser d’avoir des agens, et c’était dans la caste même que son devoir était de combattre qu’il était forcé de les prendre. Il ne voyait autour de lui que des partis, et nulle part la nation ; c’était le parti des insulaires, des Moréotes, des Rouméliotes, des Fanariotes ; c’étaient Condurioti, Colocotroni, Zaïmi, Coletti, Maurocordato, etc. Adopterait-il un d’entre eux ? c’était gouverner le tout par la partie, et rallumer la guerre civile. Les écarterait-il tous également pour ne s’appuyer que sur la nation ? ils allaient tous se réunir contre lui, et le point d’appui qu’il cherchait n’existait même pas. Essaierait-il d’en opérer la fusion ? la chose était impossible ; les factions veulent toutes une domination exclusive. Placé entre tant d’écueils, le président s’est arrêté au second de ces moyens ; il a pensé qu’il était le seul honorable, le seul qui promît pour l’avenir d’heureux résultats ; et quoique l’exécution présente les plus grandes difficultés, quoiqu’il ait peut-être à craindre de succomber dans une entreprise aussi hardie, il a cru de son honneur d’aborder le mal dans sa racine, il a refusé d’être un complice de l’anarchie. Mais aussi que de haines n’a-t-il pas soulevées ! toutes les factions blessées au cœur se sont réunies d’un commun accord, et c’est un merveilleux spectacle aujourd’hui que de voir des hommes, jusqu’à présent divisés, acharnés les uns contre les autres, s’entendre d’un bout de la Grèce à l’autre dans leur haine contre le président. Plusieurs personnes qui ont parcouru récemment la Grèce ont pu être trompées par cette unanimité apparente ; elles ont pu penser que tel était le vœu du pays, et qu’une administration qui est si violemment attaquée était décidément en opposition avec lui. Examinons de près, et ces reproches, et ceux de qui ils partent.

Il est digne de remarque que ceux qui les répètent avec le plus d’aigreur sont des hommes qui ont appartenu aux diverses factions qui se sont disputé le pouvoir, et qui le voient leur échapper avec dépit. Tels sont tous ceux qui entourent le gouvernement à Égine, les membres des conseils, des commissions, des ministères et leurs créatures ; les chefs de bandes et leurs palikares, les marins qui vivaient de piraterie, enfin toute la classe des primats. Si on descend jusqu’au peuple et qu’on l’interroge, on trouvera au contraire qu’il s’applaudit du rétablissement de l’ordre, qu’il déteste ces factions turbulentes dont les excès ont ruiné la Grèce, et qu’il ne désire rien tant que la continuation d’un système qui lui a donné la première tranquillité dont il ait joui depuis six ans. Si on en vient à analyser les reproches eux-mêmes, on se convaincra qu’ils ne méritent guère plus de confiance que ceux qui les débitent. Les plus graves portent sur l’usage arbitraire que le président fait de son autorité, sur sa hauteur despotique, sur l’éloignement des affaires dans lequel il tient les hommes qui y ont figuré jusqu’à présent ; ces hommes, répète-t-on avec emphase, qui se sont sacrifiés pour la cause de l’indépendance, et qui voient aujourd’hui des nouveaux venus et des étrangers passer avant eux dans la confiance du gouvernement.

Ce que j’ai dit précédemment suffit, ce me semble, pour réduire ces déclamations à leur juste valeur. Il ne faut pas une étude bien approfondie de la Grèce pour être convaincu que le gouvernement populaire, les assemblées, les conseils, la modération des pouvoirs, et tant d’autres belles théories empruntées à la haute civilisation, y sont la plus grande de toutes les absurdités ; qu’il faut une main forte, armée de tous les pouvoirs, qui déjoue les factions, étouffe l’anarchie, sauve la nation sans elle et malgré elle ; qu’il faut un dictateur suprême, ferme, vigilant, inexorable, despotique même, sans quoi la Grèce est perdue à jamais. On reconnaîtra que le président a rendu à son pays le plus signalé de tous les services, en restant seul dépositaire de toute son autorité, et en restreignant les agens qu’il emploie dans le cercle de leurs spécialités. Tous les ministères, les principaux postes de l’administration sont occupés par des hommes qui ont assez figuré dans la révolution ; ce sont les Petro-Bey, les Condurioti, les Zaïmi, les Tricoupi, les Maurocordato, etc., qui occupent les places les plus éminentes : seulement ils sont renfermés dans leurs attributions, ils ne sont point admis au maniement des deniers de l’état ; voilà le grand crime du président. On l’accuse d’avoir introduit dans l’administration et dans l’armée une foule de Corfiotes, gens sans aveu, sans garantie, entièrement inconnus à la Grèce. Ce reproche est le plus réel et le seul qui donne droit à des plaintes fondées. Le président a mis à la tête du département des finances, et investi des pouvoirs les plus étendus, son frère, le comte Viaro, homme incapable, et qui choque beaucoup les Grecs par sa hauteur ; Augustin, le dernier de ses frères, jeune homme qui sort des bancs de l’école, a été envoyé par lui à l’armée de Livadie avec le titre de généralissime. Tant d’honneurs accumulés sur sa famille sont peut-être impolitiques ; cependant il faut excuser le président, entouré qu’il était par des hommes dont il avait plus d’une raison de se méfier, d’avoir voulu placer sa confiance en des personnes dont il fût parfaitement sûr. Ce sont ses frères qui ont amené en Grèce cette nuée de Corfiotes dont on se plaint tant, et la faute en retombe tout entière sur le président, à qui il est cependant impossible de s’occuper de la distribution de tous les emplois. Il devrait en cela céder à l’opinion de la Grèce ; c’est la blesser sans aucun profit que de soutenir ces aventuriers que l’intérêt seul y a conduits, qui ne lui apportent ni lumières, ni moralité, ni garanties : mais il faut aussi convenir que l’amertume du reproche de la part des Grecs est bien peu mesurée à l’erreur commise, et l’importance qu’ils lui donnent peut faire juger du degré de vérité qu’il faut accorder au reste de leurs accusations.

On reproche au président de n’avoir rien fait encore pour l’administration de la justice. Ce fait est vrai[2] ; mais cependant il convient de considérer depuis quelle époque il est à la tête du gouvernement, les travaux qui ont occupé tous ses momens, tels que le rétablissement de l’ordre, la répression de la piraterie et des bandes qui désolaient le pays, le soin des finances, qui était le premier et le plus nécessaire de tous[3], celui des subsistances qu’il fallait procurer à tout prix et distribuer à une population qui périssait de misère ; enfin une foule de détails d’administration auxquels il était seul chargé de pourvoir. Il faut ajouter encore des relations difficiles et compliquées avec les puissances étrangères, le séjour des ambassadeurs à Poros, pendant quatre mois entiers qui se sont passés en conférences, en négociations continuelles. Exiger d’un homme d’en faire plus, est certainement le comble de l’injustice de la part des Grecs, et il y a bien plutôt de quoi s’émerveiller que ses forces aient pu suffire à tant de travaux.

Enfin on l’accuse du défaut d’organisation de l’armée. J’ai déjà longuement discuté cette question ; j’observerai ici seulement que les Grecs sont loin de l’envisager de la même manière que nous. Ils veulent une armée pour faire des conquêtes. Que le président supprimât les troupes irrégulières pour reporter tous ses soins sur l’organisation du corps régulier, certes les cris eussent été bien autrement acharnés, tous les partis se seraient soulevés, et c’est bien alors qu’on aurait proclamé que la conduite du président était une horrible tyrannie, qu’il sacrifiait à ses systèmes les valeureux enfans de la Grèce, qu’il trahissait la nation dont les intérêts lui étaient confiés.

J’espère en avoir dit assez pour faire voir la valeur des accusations qu’on intente au président. Ces accusations de la part des Grecs me paraissent être la meilleure apologie. Pour nous, qui ne voyons pas les choses du même œil, nous avons peut-être aussi des reproches à lui adresser, et ils tombent précisément sur des points où notre opinion est en opposition directe avec celle des Grecs. Peut-être ne sont-ils pas mieux fondés ; mais, dans tous les cas, ils ont le mérite d’être dictés par l’impartialité, et de partir d’une position que n’atteignent ni l’intérêt, ni les passions locales.

Dans la Grèce, cet intérêt et ces passions soulèvent contre le président des difficultés sans nombre. Égine, le siége de son gouvernement, est rempli d’intrigans, dont la seule étude est de contrarier toutes ses mesures ; ils se divisent en plus de vingt clubs, où on déraisonne sans cesse et sans relâche sur la politique de l’état ; pendant ce temps, les campagnes sont négligées, le peuple reste face à face avec sa misère, et aucun de ces faiseurs d’opposition et de projets ne songe à tourner vers le bien et l’utilité du pays une activité qu’il emploie à entraver la marche de son gouvernement. Le conseil d’état ou panhellenium[4], que le président a composé de tous les hommes qui ont marqué dans la révolution, et qui est destiné à l’assister de ses conseils dans l’intervalle des assemblées nationales, renferme lui-même l’opposition la plus vive. Cette opposition se promettait bien, à la réunion de la première assemblée nationale, d’attaquer violemment le président ; mais ses manœuvres ont été déjouées. Elle ne cesse pas de protester qu’elle a horreur de l’anarchie, qu’elle ne veut que l’exécution des lois, le respect de la constitution, et que ce n’est que pour les empiétemens qu’il s’est permis sur elle qu’elle attaque le président[5]. Déjà elle aurait éclaté sans la présence de l’expédition française, qui en impose aux agitateurs : ils disent hautement que, si elle n’avait été là, le président serait déjà renversé ; mais comme ils pensent qu’elle ne resterait pas impassible à la vue des désordres qui accompagneraient cette nouvelle révolution, ils attendent son départ pour avoir alors un champ libre à leurs intrigues. De son côté, le président s’attendait bien à ce que tous ces complots éclateraient à la réunion du congrès ; aussi ne l’a-t-il convoqué que lorsqu’il a été assuré d’avance d’y avoir la majorité. Parmi les moyens qu’il a employés, il en est, à la vérité, quelques-uns qui ne sont point parfaitement réguliers. C’est ainsi qu’il a appelé au congrès des représentans pour les diverses parties de la Grèce qui sont encore occupées par les Turcs ; l’élection n’ayant pu s’en faire, c’est lui-même qui les a désignés d’office. Il a dû répandre de l’argent parmi les membres du congrès, car c’est la seule manière de se faire entendre des Grecs ; à l’aide de tous ces moyens, l’opposition a été étouffée, et le congrès s’est mieux passé qu’on ne s’y attendait. L’importance du résultat doit faire pardonner quelques irrégularités qu’il a bien fallu commettre pour y parvenir.

Le président a réussi, dans cette circonstance, à déjouer les projets des factieux. Mais sommes-nous assurés qu’il aura toujours le même bonheur ? On ne peut, en y songeant, s’empêcher ici de déplorer la faute que le président a commise en négligeant d’organiser le corps régulier. Si ce corps existait, s’il était bien composé et bien commandé, ce serait la digue la plus forte à opposer au retour de l’anarchie. Bien loin de là, il est aujourd’hui dans un tel état de nullité, que, si le gouvernement venait à être menacé, c’est par lui que commencerait certainement la dissolution.

Telle est, en résumé, la situation intérieure du gouvernement grec. Le président est seul chargé d’en supporter tout le poids. Il a trouvé un pays tout entier à constituer, depuis les premiers élémens jusqu’au faîte de l’édifice. Il a trouvé un peuple en proie à la plus affreuse misère ; ses soins les plus importans ont dû être de le faire vivre. Il a trouvé la Grèce déchirée par l’anarchie, les primats et les chefs de bandes s’arrachant les dépouilles de la nation, et ne s’entendant que pour sa ruine ; il a dû, avant toutes choses, arrêter le désordre, et il y est parvenu. Il a cherché dans la nation des hommes qui voulussent le seconder dans son immense entreprise ; il n’a trouvé que des intrigans qui sèment les difficultés sous ses pas, qui contrarient, par une opposition calculée, tous les efforts qu’il fait dans l’intérêt du bien public. Il a répudié des partis anarchiques ; il a cherché la nation pour s’appuyer sur elle seule ; cette nation, il ne peut la saisir ; les mêmes hommes s’élèvent entre elle et lui comme une barrière insurmontable. Ainsi il reste seul en butte à tous les partis, ne tenant à rien, n’ayant même pas ce que possède tout chef de gouvernement, une force qui puisse le protéger ; s’il résiste encore, c’est grâce aux puissances étrangères qui reconnaissent en lui le chef de la Grèce, et qui ont bien voulu le soutenir de leur présence et de leur argent. Cet appui vient-il à manquer ? son pouvoir s’écroule, et la Grèce retombe dans une anarchie plus terrible que jamais.


POLITIQUE EXTÉRIEURE.

La politique extérieure du gouvernement grec est ce qui nous intéresse le plus immédiatement. Depuis le traité du 6 juillet, on a pu prévoir que la question grecque allait prendre une importance tout européenne ; mais depuis que la Russie a pris une direction séparée, et qu’elle a déclaré la guerre à la Porte, cette question s’est bien plus agrandie encore. Elle fait partie intégrante du grand drame qui occupe aujourd’hui tout l’Orient, et dans lequel les plus grandes puissances de l’Europe seront bientôt peut-être appelées à jouer un rôle[6]. La situation de la Grèce vis-à-vis chacune d’elles est facile à saisir, d’après le genre d’intérêt qu’elles prennent elles-mêmes dans cette grande lutte. La Russie doit chercher à maintenir dans la Grèce un point d’irritation qui forme une diversion utile à ses projets ; aussi, lorsque la délimitation de la Grèce a été débattue entre les trois puissances, a-t-elle constamment proposé de lui donner la plus grande extension possible ; elle entretient les Grecs dans ces idées, et les soutient de son influence, si ce n’est de son argent, dans leurs projets chimériques de conquêtes. L’Angleterre tient, par les mêmes raisons, une conduite absolument différente ; elle désire que la question grecque soit terminée le plus tôt possible, et veut la fixer de la manière la plus courte et la plus simple. Quant à la France, il est difficile de dire ce qu’elle a voulu depuis le commencement de l’insurrection grecque ; son cabinet a long-temps flotté dans des incertitudes. L’opinion du pays le poussait à servir les Grecs, et lui a fait faire son expédition de Morée : mais en même temps il craignait de trop s’engager ; il voulait éviter une rupture avec la Porte, rupture sans aucun avantage, et qui l’aurait fait sortir de la position d’expectative où il lui convenait de rester. Pour concilier des devoirs aussi opposés, il renfermait son armée dans les limites de la Morée, et en même temps il conseillait aux Grecs de profiter du moment pour faire eux-mêmes leurs conquêtes, il les a soutenus de son argent et de sa présence. J’examinerai plus tard cette conduite ambiguë dans l’intérêt de la France. Je ne m’occupe ici que de la ligne politique que doit suivre le gouvernement grec vis-à-vis des trois puissances[7], ce que je viens de dire suffit pour la tracer.

Toutes les pensées du président sont dirigées vers l’augmentation du territoire de la Grèce ; à côté de ce but, toute autre considération n’est pour lui que secondaire ; il ne voit que ce qui peut l’y amener, et il cherche à profiter de toutes les circonstances qui peuvent la favoriser. Je dirai tout à l’heure jusqu’à quel point ce plan me paraît bien conçu et conforme aux intérêts de la Grèce. Quoi qu’il en soit, tel est le but avoué du président, et il le poursuit avec toute la persévérance et l’adresse d’un homme rompu aux grandes affaires et habile à calculer les chances. Comme il est en conformité parfaite de vues avec la Russie, tous ses efforts sont dirigés du côté des deux autres puissances ; mais cette conformité même est le plus grand obstacle qui s’oppose à l’accomplissement de ses désirs. C’est du cachet de la Russie que sont empreints tous ses actes, par la raison qu’ils veulent l’un et l’autre les mêmes choses ; on n’oublie pas d’ailleurs tous les liens qui attachent le comte Capo-d’Istria à cette puissance, et on en conclut naturellement qu’il n’est en Grèce qu’un proconsul russe. Que ce soupçon soit ou ne soit pas fondé, il n’en est pas moins vrai que la conformité de vues que je viens de signaler suffirait à elle seule pour le faire naître, et qu’il n’est pas besoin de remonter à des personnalités pour expliquer ce qui est dans la nature des choses ; quand ce serait tout autre que le comte Capo-d’Istria, il n’en aurait pas moins la couleur russe.

Dans les efforts qu’il fait pour décider l’Angleterre et la France à accéder à ses désirs, le président fonde son principal espoir sur l’opinion publique de l’Europe. Il sait quelle influence elle exerce sur les gouvernemens, que c’est elle surtout qui a conduit le cabinet français à demander aux deux autres puissances à se réunir au protocole de Saint-Pétersbourg, et a par conséquent amené le traité du 6 juillet ; que c’est encore elle qui a décidé l’expédition de Morée. Il espère qu’elle saura encore l’emporter sur la résolution que les cabinets ont annoncée, de borner ce qu’ils veulent faire pour la Grèce à ce qui a été déjà fait ; et, sous ce rapport, il a vu sans peine, il s’est même attaché à exagérer les rigueurs exercées par les Turcs sur quelques parties de la population grecque de Candie.

Lors du massacre de Retimo (massacre qui a été singulièrement amplifié, et dont les Grecs étaient dans le fond les excitateurs, comme je l’ai déjà dit), le président a dit hautement que si c’était un grand malheur pour ceux qui en avaient été les victimes, au moins il ne pouvait produire qu’un bon résultat, et qu’il servait la cause de la Grèce. C’est cette pensée qui a dirigé les expéditions de Candie et de la Livadie.

Le président a assez présumé de la crédulité de l’Europe, crédulité qui, jusqu’à présent, a été complète, et que la Grèce a si bien exploitée depuis six ans[8], pour penser qu’elle ne se démentirait pas dans cette circonstance ; qu’elle ne cesserait pas de voir des armées et des opérations militaires là où il n’y avait que du brigandage, et que les courses des Sphakiotes ou des Rouméliotes dans les montagnes seraient toujours pour elle des victoires remportées ou des conquêtes. C’est encore la même pensée qui a dicté ces instructions secrètes envoyées à M. Reyneck pendant l’insurrection de Candie. Les mêmes instructions ont sans doute été données à Ypsilanti, à en juger du moins par ce qu’il a essayé de faire en Livadie. On s’est efforcé de soulever les populations, quitte à les abandonner l’instant d’après ; d’instituer des municipalités éphémères ; de se faire faire des adresses, pour présenter ensuite ces brillans résultats à l’opinion de l’Europe, et la décider à exiger des gouvernemens qu’ils adjoignent ces prétendues conquêtes à la Grèce déjà affranchie. Lorsque le président prit, au mois d’août 1828, la résolution d’envoyer une expédition en Candie, sa détermination fut si soudaine, que, peu de jours auparavant, en se rendant à Corfou, il avait positivement déclaré qu’il n’entreprendrait rien de ce côté, et avait été le premier à reconnaître toutes les raisons qu’il y avait de rendre ce malheureux pays à la tranquillité. À son retour, l’expédition était décidée ; c’est que dans l’intervalle, il avait appris l’arrivée prochaine de nos troupes en Morée. Quand il les a vues, il a calculé qu’une pareille démarche ne pouvait pas être sans conséquences, surtout depuis qu’elle n’avait plus pour but l’évacuation de la Morée par l’armée égyptienne, cette évacuation ayant déjà été résolue par la bataille de Navarin, et, en dernier lieu, par la convention d’Alexandrie ; que le drapeau français flottant en Morée, notre armée ne pourrait pas rester tranquille spectatrice de la guerre qui se ferait de l’autre côté de l’isthme ; que si, dans cette guerre, les Grecs éprouvaient des revers, comme on devait s’y attendre, si les populations étaient les nouvelles victimes de la vengeance des Turcs, si le sang coulait, les Français, qui étaient déjà engagés dans cette querelle, ne pouvaient manquer d’y prendre part, et que le principe qui les avait conduits en Morée les entraînerait forcément en Roumélie, peut-être même les conduirait jusqu’à Candie. Ce raisonnement était bien naturel, et il a acquis une nouvelle force, quand les trois ambassadeurs sont venus à Poros, et y ont passé quatre mois entiers à faire de la statistique, à discuter, ruisseau par ruisseau, les limites de la Grèce ; quand l’ambassadeur de France, qui s’attachait surtout à la partie militaire de la question, a appuyé avec instance sur la nécessité de faire une frontière militaire qui embrassât en même temps une étendue de territoire plus vaste que ne l’était la Morée, tranchant ainsi la question qui était encore indécise alors, celle de l’indépendance absolue de la Grèce et sa constitution en état indépendant. Mais lorsque le président a reçu du cabinet français lui-même le conseil secret de profiter de notre présence en Morée, pour s’étendre au delà et faire des conquêtes auxquelles notre neutralité nous empêchait de concourir ostensiblement, n’a-t-il pas dû se croire autorisé à essayer cette expédition que nous blâmions peut-être en public, pour mieux l’encourager en secret ?

Le président a trop de sagacité pour n’avoir point jugé l’état des choses. La Russie était dans ses intérêts ; il nous a vu un certain penchant d’affection pour lui, n’hésitant plus qu’à le déclarer ouvertement ; il a pensé qu’il nous entraînerait, et qu’une fois la chose faite, l’Angleterre ne refuserait pas son assentiment. Toute sa politique a été dirigée dans cet esprit, et on ne peut disconvenir qu’elle ne soit rationnelle. D’un autre côté, est-elle sans périls ? les espérances et les calculs sur lesquels il la fonde ne risquent-ils point d’être déçus ? enfin l’idée qui le domine, l’extension du territoire de la Grèce, est-elle, pour ce pays même, d’un tel avantage, qu’il doive y sacrifier des considérations d’un autre ordre ? lui est-elle même profitable ? Telles sont les questions sur lesquelles j’appellerai un instant l’attention.

J’ai fait voir que la Grèce est, à peu de choses près, dans le même état de désorganisation où le président l’a trouvée quand il en a pris le gouvernement. La détresse y est la même ; l’administration est sans force et à la veille d’être renversée par les factieux ; notre présence seule la soutient[9]. Est-il présumable que le président soit le seul à ne point s’en apercevoir ? Il n’est, à la vérité, connu jusqu’à présent que comme diplomate, et les talens qu’il a pu déployer dans la chancellerie russe sont loin d’être les mêmes que ceux qui sont nécessaires à un administrateur. Mais n’en aurait-il pas la moindre notion (ce qui est peu probable dans un homme comme lui), il est certes assez clairvoyant pour voir ce qui est, et pour juger de ce qui manque. S’il n’a pas fait ce qu’il aurait pu faire, ce peut être négligence de sa part ; mais ce peut être aussi un plan tracé, et il est juste d’examiner ce côté de la question.

Dans cette hypothèse, je suppose que le président aura reconnu que la Grèce ne peut être rien par elle-même ; qu’elle ne peut subsister que par l’assistance soutenue des puissances qui lui ont donné la liberté ; qu’avant tout, il faut s’assurer de la continuation de cette assistance, et que le plus sûr moyen de l’obtenir est d’y obliger ces puissances mêmes. S’il se presse d’organiser le pays, s’il le maintient scrupuleusement dans les bornes qu’on lui a prescrites, s’il fait renaître le travail et la prospérité, au premier de ces heureux symptômes qui se manifestera, les puissances, ou du moins quelqu’une d’entre elles, lasses d’une protection qui les gêne, ne manqueront point de s’en prévaloir pour annoncer que leur protection est devenue désormais inutile ; que la Grèce est suffisamment constituée pour pouvoir s’en passer ; qu’il n’y a plus rien à faire pour elle, et elles s’empresseront de terminer une question qu’il est dans l’intérêt de la Grèce de faire durer le plus possible, car elle n’a rien à perdre, et a tout à gagner au contraire à ce qu’elle soit prolongée. On ne réduira, dans aucun cas, son territoire à moins de ce qu’elle possède aujourd’hui, la Morée et les Cyclades ; toutes les chances sont pour qu’il soit augmenté. Or, ces chances ne peuvent se présenter qu’autant que la question durera, qu’autant que les puissances continueront à s’occuper de la Grèce ; et comme elles tiennent, dans leur propre intérêt, à ce que l’œuvre qu’elles ont créé ait de la durée, elles continueront à s’en occuper tant que la Grèce ne sera point assise, tant que sa situation intérieure, comme sa situation extérieure, sera un sujet d’alarmes pour la tranquillité future ; en un mot, c’est la prolongation de l’alliance du 6 juillet. Tel est, ce me semble, l’enchaînement d’idées qu’il est permis de supposer chez le président. Peut-être est-ce faire trop d’honneur à ce qui n’est, dans le fond, que négligence de sa part ; peut-être encore ces plans sont-ils moins conçus dans l’intérêt de la Grèce que dans celui de la Russie, et n’a-t-il pour but que de prolonger une diversion qui est utile à cette puissance. Je ne répéterai pas ici ce que j’ai dit plus haut sur ce sujet, j’ignore quelles peuvent être les vues secrètes du président ; mais, dans tous les cas, j’aimerais mieux tirer mes inductions de la nature des choses, que me contenter de suppositions vagues. C’est une manière beaucoup plus commode de raisonner, mais elle risque aussi d’être souvent inexacte. D’ailleurs, rien de ce que je dis ici ne contredit ces suppositions ; je suis loin de les traiter de fables, j’avouerai même qu’elles paraissent assez plausibles : je n’en ai pas moins cru cependant qu’il était utile de chercher, dans la situation même de la Grèce, des explications à la ligne de conduite que suit son gouvernement.

Si le président a sainement jugé l’avenir, sa sagacité aura trompé bien des raisonnemens et des conseils. Mais est-il à l’abri de l’erreur ? n’a-t-il pas compté avec trop d’assurance peut-être sur l’opinion publique de l’Europe, sur les gouvernemens qui ont témoigné tant de bienveillance à la Grèce ?

Il est hors de doute que l’Angleterre et la France ont intérêt à se retirer le plus tôt possible de la question grecque. Je ne puis prévoir ce que feront leurs gouvernemens ; mais les conjectures les plus raisonnables sont, ce me semble, celles qui se basent sur leurs intérêts. Or, tant que cette question dure, elle les embarrasse ; elle les prive, en partie du moins, de la liberté des mouvemens qu’ils doivent désirer de conserver complète, dans un moment où se prépare une crise à laquelle toute l’Europe est intéressée, car le traité d’Andrinople n’a fait, à mon avis, que la suspendre[10]. La Grèce est d’une bien petite importance à côté des grands événemens dans l’attente desquels nous sommes, et ce n’est pas par considération pour elle qu’on est disposé à sacrifier des intérêts immédiats. Ainsi elle est exposée à ce que les puissances se lassent de s’occuper exclusivement d’elle, qu’elles tranchent péremptoirement la question et l’abandonnent à ses propres ressources. Qu’aura-t-elle gagné alors à aviver l’irritation et à prolonger son malaise ? Les Turcs, qui avaient déjà pris leur parti sur la perte de la Morée, auront été irrités par des hostilités inutiles ; ils demanderont de leur côté, pour s’assurer contre leur retour, des garanties qui pourront bien leur être accordées dans l’impatience d’en finir. Le gouvernement grec aura perdu la meilleure de toutes les occasions, pour réparer les malheurs du pays, pour rétablir complètement l’ordre, et pour s’asseoir lui-même d’une manière stable. C’est bien alors que les reproches éclateront de toutes parts contre lui, et cette fois ils seront fondés, car il aura achevé la misère de la nation pour courir après un but chimérique. Toutes les plaies causées par l’anarchie sont encore saignantes, comme au premier jour ; rien n’aura été fait pour les guérir, et la Grèce se trouvera seule, face à face, devant l’immense étendue de ses maux.


DÉLIMITATION DE LA GRÈCE.

Mais au moins l’augmentation de leur territoire est-elle pour les Grecs d’un tel avantage, qu’elle l’emporte sur les dangers auxquels ils s’exposent pour y parvenir ? Il est nécessaire d’établir cette balance, pour décider ce qu’il leur importe de faire.

La population que renferme la Morée s’élève, comme je l’ai dit, à deux cent mille âmes au moins. Elle a l’avantage de n’avoir avec ses voisins que le plus petit contact possible ; sa seule frontière est sur un isthme d’une lieue et demie de largeur, que protègent des défilés de la défense la plus facile, puisqu’il ne s’y trouve qu’un seul passage. La Morée forme un tout compacte, et offre à l’industrie de l’homme un champ vaste à exploiter ; ses plaines et ses vallées fertiles nourriraient aisément une population décuple de celle qui s’y trouve aujourd’hui. Cette population elle-même est à peu près homogène, et les exceptions peu nombreuses qu’on trouve dans les montagnes du Magne et de l’Arcadie, se fondraient bientôt elles-mêmes dans la masse, sous l’empire d’une administration forte. Mais, dès qu’on sort de l’isthme, tous ces avantages disparaissent. La frontière prend tout de suite un grand développement, et avec elle s’accroît la difficulté de la garder. Elle nécessitera une armée nombreuse que le pays n’est point en état de fournir et encore moins d’entretenir. Les points de contact avec les Turcs seront très-nombreux ; il en résultera, à chaque instant, des discussions, des rencontres qui entretiendront les deux peuples dans une irritation continuelle, et amèneront des guerres. Il est aisé aux puissances européennes de prendre la Morée sous leur protection, d’en interdire l’entrée aux Turcs sous peine d’encourir leur vengeance ; les deux peuples, séparés entre eux par la nature, n’ayant presque aucunes communications, ne pourront point avoir ces rapports hostiles qui sont inévitables sur une frontière étendue, et la paix sera facile à conserver. Avec d’autres limites, au contraire, les puissances ne peuvent plus donner la même garantie à la Grèce, parce qu’elles ne peuvent couvrir de leur égide toutes les provocations qui viendraient du côté des Grecs, et interdire aux Turcs les représailles. Que si, par la suite, cette protection des puissances vient à être suspendue, si les Grecs restent livrés à eux-mêmes, leurs lignes seront bien autrement inexpugnables lorsqu’ils n’auront que l’isthme à défendre, que lorsqu’il faudra se garder à la fois sur une frontière de cinquante lieues au moins de longueur. À cela on répondra, la carte à la main, que l’augmentation de territoire qu’ils trouveront à ces nouvelles limites accroîtra considérablement leurs forces, et en fera une puissance bien capable de se défendre. Si on croit connaître un pays pour en avoir vu la carte, à coup sûr ce raisonnement paraîtra spécieux ; mais si l’on veut bien se souvenir que la nature est infiniment plus variable que le dessin, qu’elle offre à chaque pas des dissemblances qui ne permettent de la juger que quand on l’a vue elle-même, on aura recours à d’autres données que celles de la carte pour fonder un état et constituer une nation.

Le pays compris entre la chaîne de l’Othrix et l’isthme de Corinthe est presque entièrement rempli par de grandes montagnes dont les vallées seules ont quelques habitans ; toutes celles qui se rattachent au Parnasse, le littoral du golfe de Lépante et de la mer Ionienne, offrent à peine de misérables hameaux. Le bassin de Livadie est le seul qui soit cultivé ; encore la population y est-elle plutôt turque que grecque. La vallée de l’Aspropotamos est presque inculte comme toute la Grèce occidentale ; il ne reste que l’Attique qui ait vraiment de la valeur, mais cette malheureuse province a été tant de fois ravagée, que la population y est réduite à 12 ou 15,000 âmes. Je regrette de ne pouvoir dire avec précision à combien elle se monte pour la totalité du pays dont il est ici question ; j’ai de bonnes raisons de croire qu’en la portant à 50,000 âmes, on lui fait une large part. J’ai déjà dit comment se compose cette population, et le parti qu’on peut espérer de tirer des Grecs des montagnes. Voilà donc à quoi se réduit cette possession si disputée, qui occupe aujourd’hui toute la diplomatie européenne, pour laquelle les Grecs s’efforcent de nous armer et courent eux-mêmes en aveugles au-devant de leur ruine. Elle leur ôterait certainement en force beaucoup plus qu’elle ne leur donnerait en étendue. Je comprends que ses habitans ne se contenteront guère de cette raison ; quelles qu’en puissent être les conséquences, qu’ils ne prévoient pas, ils appelleront toujours de leurs vœux leur affranchissement[11]. Mais je raisonne ici dans l’intérêt de la masse, et quand il me semble que l’intérêt bien entendu des 500,000 Grecs qui sont répandus dans la Morée et dans l’Archipel, demande qu’ils restent dans les limites que la nature leur assigne, que toute extension hors de ces limites leur serait éminemment dangereuse, je ne balancerai pas à sacrifier à cette puissante considération les désirs, les intérêts mêmes des 50,000 autres ; j’irai même plus loin : je suis convaincu que la domination turque promet aux Grecs rouméliotes plus de tranquillité que ne pourrait leur en offrir le nouvel état ; que la misère, le désordre et le danger qui environneraient leur liberté, en feraient un présent bien funeste. C’est ce que les Grecs de l’Attique paraissent sentir aujourd’hui, quand ils abandonnent le sol affranchi de la Grèce, et reviennent volontairement se placer sous l’empire de ces maîtres, qu’on s’est plu à nous dépeindre comme si barbares[12]. D’ailleurs, pour ceux à qui leur joug est insupportable, la Morée est bien assez vaste pour les recevoir. En quittant leur pays, ils n’abandonneront ni champs, ni maisons, ni fortune, ni industrie, ni position acquise ; leur émigration est facile comme celle des nomades. Il n’en est pas chez eux comme dans nos pays civilisés, où le paysan a tout son avoir attaché à la terre, où il ne peut le déplacer et ne l’abandonne pas sans compromettre son existence. Le paysan grec travaille pour le compte du Turc ; une mauvaise cabane lui sert d’abri, sa ceinture emporte toute sa fortune. La Morée possède aujourd’hui une grande quantité de terres vacantes qui proviennent des dépouilles des Turcs. Le cultivateur de la Roumélie, comme celui de la Morée, peut se présenter pour les mettre en rapport ; il sera bien reçu. Il apportera à la Grèce un citoyen utile, et il ne lui donnerait au contraire qu’un membre incommode, si c’était elle qui vînt le chercher dans ses montagnes.

Soult, marquis de Dalmatie[13].

  1. Voy. les Nos d’avril, mai et juin, octobre et novembre.
  2. Quelques tribunaux, organisés d’après nos usages, sont maintenant établis sur plusieurs points de la Grèce.

    (Note du D.)
  3. Dans le courant de l’année 1828, le président est parvenu à retirer 17 millions de piastres des revenus de la Grèce. Cependant il ne faut pas se dissimuler que la mesure a été forcée ; les tarifs de douanes qui en ont fourni la plus grande partie sont d’une exagération qu’il est impossible de soutenir, et sous peine d’achever de ruiner le peu qui reste, des réductions immenses doivent être faites dans les impôts.
  4. Le panhellenium est un conseil consultatif qui donne son avis dans toutes les affaires de l’état. C’est là que se discutent les lois, les arrêtés et toutes les grandes mesures. Le président a eu une heureuse idée en créant un corps qui le rattachait à la nation, et si ce corps eût franchement voulu la marche du gouvernement, il aurait rendu les plus grands services : au lieu de cela, il s’est jeté dans des intrigues qui entretiennent l’irritation et la confusion ; mais le moyen d’empêcher un Grec d’intriguer ! Le président y avait perdu dernièrement la majorité ; il a dû nommer de nouveaux membres pour se la rendre. Il est plus que probable qu’avant peu ils suivront la même pente.
  5. On cite Maurocordato comme un des chefs de l’opposition. Maurocordato est cependant un des hommes honorables de la Grèce. Il est du très-petit nombre de ceux qui n’ont point participé à la corruption générale ; il n’a point profité dans son intérêt des hautes fonctions qui lui ont été confiées : il est pauvre, c’est le plus grand éloge qu’on puisse en faire. Mais le désintéressement n’exclut pas le désappointement d’avoir vu ces hautes fonctions lui échapper pour passer entre les mains d’un autre, d’un étranger, et en descendant du rang de chef d’état à celui de simple membre du panhellenium, il est permis de croire qu’il n’aura pu étouffer quelques regrets. Il veut le bien de la Grèce, et dans son opposition contre le président, il ne doit point être confondu avec des intrigans qui ne se plaisent que dans le désordre, et qui ne sont animés que par de viles passions. Il croit sans doute son opposition fondée sur des motifs honorables ; il ne juge point assez qu’avant tout il faut de l’unité à la Grèce, et que son gouvernement est déjà environné de trop de difficultés pour que toutes celles qu’on lui suscite encore ne soient point le coup le plus funeste qu’on puisse porter à la nation. Ainsi, pour le moment, c’est avec les fauteurs du désordre et de l’anarchie qu’il s’est allié. Telle est l’ambition, tel est l’esprit d’intrigue dont le caractère grec ne peut jamais se dépouiller.
  6. Qu’on se reporte à l’époque où ceci a été écrit ; depuis lors des questions bien plus européennes sont venues compliquer les embarras de la diplomatie.

    (Note du D.)
  7. Je ne parle pas ici de l’Autriche, parce qu’elle se tient en dehors. On sait avec quel déplaisir elle a vu la révolution grecque. Elle a prévu, dès le commencement, que l’irritation qui prenait naissance en Grèce s’étendrait bientôt sur un théâtre beaucoup plus vaste, et sa diplomatie a fait les plus grands efforts pour retarder le moment de sa propagation ; mais elle n’est jamais intervenue directement, n’a jamais voulu paraître, d’une manière ou d’une autre, dans les affaires de la Grèce, et a poussé la réserve jusqu’à laisser son pavillon long-temps outragé par les pirates. Aussi son commerce a-t-il fait des pertes immenses ; elle n’a commencé que fort tard à le protéger efficacement, et l’expédition que son escadre a faite au mois de janvier 1829, sur Égine, pour se faire rendre justice de plusieurs pirateries, est la première où on ait vu figurer la marine autrichienne.
  8. Aujourd’hui elle nous paraît beaucoup moins grande, et l’on commence à montrer un peu moins d’enthousiasme pour l’intervention sanglante de Navarin.

    (Note du D.)
  9. Tout ceci est parfaitement exact, et le départ des dernières troupes françaises sera le signal de nouvelles commotions.

    (Note du D.)
  10. La révolution française de juillet 1830 rend cette crise bien plus imminente encore.

    (Note du D.)
  11. On sait maintenant que les puissances ont adopté, à peu de différence près, la ligne des limites, contre laquelle l’auteur de cet article s’élève avec tant de raison. (Voyez le protocole de Londres cité p. 132)

    (Note du D.)
  12. Il arrive encore tous les jours à Smyrne et à Constantinople des familles grecques de la Morée et des îles. Ce fait est attesté par toutes les correspondances particulières. Les impôts exigés par le nouveau gouvernement grec sont beaucoup plus considérables que ceux que l’on payait à la Porte. Dans quelques îles, la taxe était presque nulle ; aujourd’hui elle est exorbitante. Tino, entre autres, n’était assujétie qu’à un tribut de 36,000 piastres ; aujourd’hui l’impôt fixe est de 60,000 piastres, non compris la dîme et les autres droits.

    (Note du D.)
  13. Nous sommes heureux de pouvoir révéler au public le nom de l’auteur de ces observations. Qu’on relise la série d’articles qu’il a publiés sur la Grèce dans notre Revue, et on lui rendra la justice de croire que c’est incontestablement ce qui a été dit de plus exact, de plus sagement pensé sur ce pays. Personne, il est vrai, n’était mieux placé que lui pour juger du véritable état des choses en Morée, où il était aide-de-camp du général Maison. Mais ce sang-froid qui permit de planer ainsi sur tant de passions déchaînées, la hauteur de vues où l’écrivain, si jeune encore, s’est placé, promettent à la France un homme d’état distingué, et à un illustre maréchal un digne rejeton de sa gloire.

    (Note du D.)