Nuit du 28 au 29. Grande Semaine
NUIT DU 28 AU 29.
Qu’est-ce ? un roi qui s’éteint, un empire qui tombe ?
Un poids plus ou moins lourd qu’on jette dans la tombe…
que parce que nous sommes à genoux.
As-tu marqué dans ta mémoire
Jamais une plus sainte nuit ?
Sur unies plus silencieuses,
Sur cités plus majestueuses,
Jamais ton regard a-t-il lui !
Non jamais, Sagonte nouvelle,
Paris n’eut citoyens plus beaux,
Tous agissants comme des ombres,
Muets, dans de sanglants décombres,
Sanglants, fossoyant des tombeaux.
Pas une lueur, pas un cierge,
Plus sombre qu’une forêt vierge
Paris est un affreux chaos,
Où, lorsqu’un de tes rayons glisse,
Il éclaire un mur, une lice,
Rouges du sang de ses héros ;
Ou caresse un cadavre hâve,
Au crâne entrouvert, à l’œil cave,
Broyé sous un flot de pavés,
Nu ; les dépouilles des infâmes
Sont promenés en oriflammes
Au haut des sabres abreuvés.
Puis, parfois, ce profond silence,
Heurté, rompu par une lance,
Des haches, des poignards croisés,
Par le cri de la sentinelle,
Ou par la fuite d’un rebelle
À travers les casques brisés.
La foudre ; la mousqueterie,
Les longs hourras du fantassin ;
Cris de mort, blasphèmes, alarmes,
Pleurs, râlement, appel aux armes,
Partout, pères conscrits et Vieux de la Montagne,
Enfants nés sous le joug, rose fille, compagnes,
Or et haillon, unis pour un commun effort,
La fatigue, l’espoir semant des barricades.
Voyez, sur ces balcons, marcher des estocades,
Chaque meuble, une arme guerrière,
Chaque porte, une meurtrière,
Et chaque toit, un arsenal.
Paris, pour la race qui prie
Et poignarde, dans sa furie
Voyez-vous cette enfant que mal d’amour tourmente ?
Elle tresse un ruban pour lui ; joyeuse amante !
Comptant sur son retour elle écoute des pas. —
Puisse tu paix demain n’être pas disparue !
Ignore encor longtemps qu’au détour de la rue
Où toute rumeur vient s’abattre,
Manoir sans feux et sans valets,
Sans plaisirs aux couches désertes,
Sans gardes jetant des alertes ? —
Ce roi, vieux débauché qu’une madone incline,
A déserté nos murs pour Saint-Cloud la colline,
Complice de sa joie ; et là, Néron caduc,
Il a, sur la terrasse, apporté sa litière,
Pour contempler des siens la boucherie entière
Content de ton œuvre hardie,
Savoure bien cet incendie :
Va, rien ne manque à ton festin ;
Entends les clameurs de la mère
Appelant, d’une voix amère,
Enfin pâlit la nuit, et l’aube va renaître ;
Accourez tous, varlets, pages, votre vieux maître
Veut prolonger encor sa volupté de sang ;
Vos trompes et vos chiens, vos destriers de chasse ;
Allons, que dans son poing son lourd couteau s’enchâsse,
Ignore encor sa destinée
Et le sort qui l’attend demain,
Qui des deux sera le rebelle,
Et si la liberté fidèle
Là, comme un patient que ronge la souffrance,
Dans sa brûlante fièvre il évoque la France,
Puis il compte ses bras, ses bourreaux ; puis encore
Il retombe assoupi sans remarquer l’aurore ;
Mais lorsqu’il releva ses regards abattus,