MONSIEUR ERNEST RENAN
recommandé aux soins et à l’obligeance de M. Daremberg, rue d’Enfer, 53.


Varsovie, 13 avril 1850.

Je songe sans cesse, mon Ernest chéri, au mal que t’aura fait ma lettre d’hier. J’y songe tellement que je ne puis résister au désir de t’écrire de nouveau. Le petit mieux se soutient, mon ami ; prenons courage ! le médecin a trouvé ce matin que, malgré les boursouflements, l’aspect général de la gorge n’était pas trop mauvais. Remets-toi donc un peu, je t’en supplie, mon Ernest. Achève ta mission de la manière dont tu l’avais projeté, et prenons le temps de nous entendre au sujet de mon voyage. Le courant de juin me vaudra mieux que [le] commencement ; non que je sois faible, mais parce qu’il fera moins humide. Je puis attendre jusqu’en juillet, même jusqu’au commencement d’août. Le médecin vient de me redire que ce que j’ai sera long, très long. ne dérange donc que le moins possible tes affaires, cher ami ; combine le tout de manière à ne pas te causer de dommage. Sois sûr que si je me trouvais plus mal, je te le dirais tout de suite. Si le projet d’une nouvelle mission se réalisait, peut-être encore serait-il possible de le concilier avec mon retour. Le tout est, si j’obtiens un mieux bien prononcé, que je ne reste pas ici après la mi-août ; si au commencement de juin, je ne suis pas mieux, je partirai à cette époque — Je voudrais, mon bien-aimé frère, ne point déranger ton avenir ; mais surtout, surtout, je désire te revoir. Que deviendrai-je ensuite ? Je l’ignore absolument, mon pauvre ami. Tu seras ma Providence tant que je serai sur la terre. Ah ! Dieu sait que ma plus grande crainte au milieu de mes souffrances est de peser sur ta jeunesse !

Je n’ai pas encore eu le courage d’écrire à notre mère que je suis malade ; il faut pourtant que je le fasse, mais avec tous les ménagements possibles. Notre frère connaît la vérité. Oh  ! que je souffre du mal que je fais à tous ceux que j’aime ! Ernest, Ernest, avec quel cœur je te chéris et te désire !

H. R.