Nouvelles Impressions d’Afrique/IV
IV
Les Jardins de Rosette
vus d’une dahabieh.
Rasant le Nil, je vois fuir deux rives couvertes
De fleurs, d’ailes, d’éclairs, de riches plantes vertes
Dont une suffrait à vingt de nos salons
(Doux salons où sitôt qu’ont tourné deux talons
((En se divertissant soit de sa couardise
(((Force particuliers, quoi qu’on leur fasse ou dise,
Jugeant le talion d’un emploi peu prudent,
Rendent salut pour œil et sourire pour dent ;)))
Si — fait aux quolibets transparents, à la honte —
(((Se fait-on pas à tout ? deux jours après la tonte,
Le mouton aguerri ne ressent plus le frais ;
S’il peut rire, chanter, siffler, faire des frais,
C’est que le perroquet se fait vite à la chaîne
Qui — lui qui sait vieillir comme vieillit un chêne
Quand nul n’est au persil des mets où son bec mord —
Le rive à son perchoir et l’y rivera mort ;
L’envieux ((((dont les nuits cessaient de couler calmes
Au vu d’un nom ami dans la liste des palmes
Et chez qui se perdaient le boire et le manger
Quand, non moins célébré qu’en France à l’étranger,
Un confrère — à l’en croire une franche savate —
Voyait se transformer sa rosette en cravate))))
Se fait au sentiment du montage d’autrui ;
L’astronome ((((tel astre apparaît aujourd’hui
Comme un feu dont l’éclat aux clignements nous force
Qui, lorsque l’eau couvrait, de la terrestre écorce,
Tout, sauf les pics par l’homme encore non atteints,
S’était classé déjà dans les mondes éteints…
— Tout feu s’éteint, en nous comme dans la nature ;
Sur les plis qu’on n’obtient que contre signature
D’un souffle l’envoyeur éteint chaque cachet ;
L’âge éteint certains feux : jamais las, le cochet
Prend tout, poulette, poule à point, poule douairière…
Le coq mûr fait un choix ; les poltrons, au derrière,
Ont un feu qui s’abstient de survivre au danger
((((Feu cuisant, mais fictif ; jamais, à vidanger,
Nul ne fut intrigué par sa cendre, et le lièvre
Ne le vit pas brusquer les grenouilles ;)))) ; la fièvre
Crée un feu qui s’éteint, soit quand le sujet meurt,
Soit quand, grandi parfois à menacer d’un heurt,
Lustres, vos cristaux bas et vos basses ampoules[1],
— La fièvre nous fait croître, on le sait, même adultes, —
Par degrés il se change en frais convalescent
Poussé par la fringale à manger comme cent
Et porteur d’une langue à nouveau bien rougie ;
Le feu qui, patient, fait fondre une bougie
S’éteint : — tandis que choit le marteau lorsqu’on vend
Un immeuble à l’encan ; — sous un assaut de vent,
Quand, aux flambeaux, l’on sort un roi d’une demeure,
Pompe que l’héritier, qui paierait pour qu’il meure[2],
Grille en secret de voir se déployer pour lui[3] ;
— Quand, brutal, au sortir d’un lointain pistolet
Qu’étreint un champion dont tous les coups font mouche,
Un projectile heureux rompt la mèche ou la mouche ;
— Quand un liseur, au lit (((((dos hors de l’oreiller,
Front en main, tant il sent l’intérêt s’éveiller))))),
Dévore justement quelque poignant passage
Où, mère sans anneau (((((que l’univers croit sage
Tant son accouchement sut être clandestin)))))
Dont (((((prêt à joindre au sien son plantureux destin)))))
S’est épris pour la vie un banquier de la haute,
Une jeune employée, un an après la faute[4],
Apprête son enfant pour un furtif baptême
Qui n’alourdira pas, hélas ! un seul drageoir,
Si, pour rire, quelqu’un planta dans le bougeoir
Une bougie-attrape invisiblement faite
Pour ne pouvoir brûler plus avant que son faîte[5] ;
— Lorsque part dans son sens un brusque éternuement
Suivi de vœux faits haut pour voir par Dieu bénie
La personne au nez pris ; le saint feu du génie
(((((Qui rend l’élu touché par lui si vaniteux
Qu’il trouve au firmament les vrais astres piteux
Auprès de l’astre neuf qui sur son front rayonne
Et songe à devenir le maître que crayonne
Quiconque a pour métier l’art caricatural,
— Art né, dit-on, un soir, du fou profil mural
Qu’offrait à des rieurs l’ombre d’une personne, —
A la porte duquel maint journaliste sonne,
Qui sur vingt grands cordons existants en tient un,
Lui qui souvent, alors qu’il se couche, est à jeun
Non moins que le fidèle en qui descend l’hostie[6])))))
S’éteint quand l’âge rend son détenteur gaga
(((((Feu qui, si grand que soit tel nom, tel pseudonyme,
Chez nul n’est reconnu de façon unanime ;
— L’homme n’a pas ainsi qu’un pantin au bazar
Son prix collé sur lui ;))))) ; sur son mur Balthazar
Vit, en traits défiant le grattoir et la gomme,
Trois mots de feu briller… puis s’éteindre ; chez l’homme,
Le feu de l’œil s’éteint à l’âge où dent par dent
Et cheveu par cheveu, sans choc, sans accident,
Par l’action du temps, sa tête se déleste ;))))
Se fait aux profondeurs du grand vide céleste
Où la lumière court sans jamais le franchir ;
L’aphone à son ardoise, ennuyeuse à blanchir ;)))
Il ne sait aux gifleurs que tendre l’autre joue,
Soit de ses fins talents s’il triche lorsqu’il joue ;))
Sur celui qui s’éloigne on fait courir maints bruits ;),
D’opaque frondaison, de rayons et de fruits.
- ↑
Tout progresse ; au moment où, rendant pour les poules,
Ces sages couche-tôt, le premier somme urgent,
Le soleil plonge à l’ouest, même riche (l’argent
Fait avec lui, de front, marcher le privilège ;
Le cancre chic est sûr d’éclipser au collège
((Aux dessus du prochain on reconnaît son rang
Comme : — sa provenance au son suspect ou franc
Qu’émet une monnaie en sautant sur un marbre ;
— A sa striation l’âge d’un tronçon d’arbre ;
— A sa denture l’an où naquit un coursier ;))
L’aigle dont, à l’envi, les coudes de boursier
D’un proche percement font luire la promesse ;
Au suicidé riche on accorde une messe :
Il est dur de partir sans un De profundis ;),
On portait l’allumette à la mèche jadis,
Geste qu’à fait vieillir l’éclairage électrique ;Le moteur, provoquant la baisse sur la trique,
A mis en discrédit le tirage animal,
— Et depuis les moineaux, pour vivre, ont plus de mal ;
Que sont près des canons les gauches catapultes ? - ↑
Que de choses se font attendre, hélas ! depuis
Le plongeon du caillou qu’on lâche dans un puits,
Les hommages publics, — sommité disparue
Seule est en droit d’avoir sa statue et sa rue, —
La fin quand dans l’eau froide un bloc de sucre fond,
Pour l’homme sans sommeil ces blancheurs, au plafond,
Par quoi sont annoncées l’aurore et son spectacle,
Dans tout feuilleton sain la chute de l’obstacle
Qui du parfait bonheur sépare le héros,
L’épouseur quand le sac n’est pas réputé gros,
Le revers de costume à ruban écarlateJusqu’au tonnerre, alors que, sourd, le coup n’éclate
Qu’une minute après qu’un faible éclair a lui ! - ↑
Nul n’est sans caresser un ambitieux rêve ;
L’ouvrier croit se voir dictant, lors d’une grève
(Aujourd’hui l’on raisonne et chacun, l’œil au but
((Tous nous en avons un ; tant que son occiput,
Mis nu dans l’intérêt du fer de la machine
Tient pour plus d’un quart d’heure encore à son échine,
Songeant : « Perdre sa proie arrive — et c’est fréquent —
A qui la tient le mieux » (((au fait, l’inconséquent
S’enfuit du cabanon, le reclus de la geôle,
Le fromage du bec du corbeau qu’on enjôle ;
— De se taire, parfois, riche est l’occasion ;))),
L’assassin a lui-même un but : l’évasion ;)),
Que son idéal soit : toucher un gros salaire,
Enfanter, voir son grain surabonder sur l’aire
Ou contraindre son pouls à choir, à s’assagir,
Sent que, pour triompher, mieux vaut penser, agir
Que faire — tâcheron, épousée inféconde,
Moissonneur ou malade — un vœu dans la seconde
Où l’étoile filante élonge sa lueur ;),
Las de donner à boire au bourgeois sa sueur
(C’est pour Pierre, souvent, que Paul souffre et travaille ;
Vespuce, de Colomb, exploita la trouvaille ;Et c’est pour emperler tel doigt ou tel plastron
Qu’une huître est tout labeur ;), des lois à son patron ;
La garce en son grenier pense à rouler carrosse ;
Se voir pousser aux mains l’améthyste et la crosse
Est une fiction chère à tout prestolet. - ↑
Combien change de force un mot suivant les cas !
Éclair dit « feu du ciel escorté de fracas »
Ou « reflet qu’un canif fait jaillir de sa lame » ;
Corbeille qui, trouvé dans un épithalame,
Offre aux yeux de l’esprit l’empire du joyau
Rend ailleurs « dépotoir à vieux papiers » ; noyau
Ici sert pour « comète » et sert là pour « cerise » ;A révolution peut correspondre « crise
Où du prince obéi le peuple dit : Je veux »
Ou « court ébranlement d’un système nerveux » ;
De « fauteuil » saute à « mer » bras ; de « tome » à « roi » suite ;
De « façon dont croupit l’homme » à « tuyau » conduite ;
De « grinçant cube en craie » à « civilisé » blanc ;
D’« écueil traître où la mort plane » à « siège ingrat » banc ;
« Manger louche » ou « support chic » de champignon use ;
« Ce dont s’arme un gêneur à marteau qu’on excuse »
Ou « numéro suant le prestige » est dans clou ;
« Ce qui, le décrassage aidant, rend le bain flou »
Dans savon ou « ce qu’un chauffé sous-ordre écoute » ;
« Affliction qu’hostile au somme un péché coûte »
Ou « mèche à chatouiller le cou » dans repentir ;
« Trait par quoi dès l’enfance on s’exerce à mentir »
Dans bâton ou « suprême attribut militaire » ;
« Emplumé rôtisseur d’humains propriétaire
D’un arc » dans naturel ou « simple heureux défaut
D’apprêt » ; dans paradis « puant cintre » ou « Là-Haut,
Bien habité séjour fleuri rendant les justes
Choristes » ; « timbale à tralala pour robustesGasters » ou « pleur de plume incongru » dans pâté ;
« Scientifique choix d’aliments à gâté
Plaisir » dans régime ou « façon dont on se laisse
Par la clique au pouvoir tondre et mener en laisse » ;
« Cri par quoi, l’un soufflant l’autre, un alter ego
Vous raille » ou « paragraphe influent » dans écho ;
Faute enfin peint l’écart qui fait qu’est avec tache
Celle qu’on ne voit plus ou l’impair qu’un potache
A tel endroit précis commit dans son devoir ;
Or, décidera-t-on, lui, de ne plus le voir
Parce qu’un barbarisme est éclos dans son thème ? - ↑
Tour que valent ceux-ci, quant à l’attrait du neuf :
Faire indûment couver par une poule un œuf
Dont l’auteur avéré n’est autre qu’une cane,
Pour voir trembler la poule (autour de qui cancane,
Cherchant à quel canard elle fit trop la cour,
Bas, le bec demi-clos, toute la basse-cour)
Dès que le caneton s’humecte la cheville ;
Cultiver la terreur chez une vieille fille
(Une au cœur faible en qui le goût du célibat
Fut formé par la peur du mari saoul qui bat
Ou l’exemple fameux du veuf à barbe bleue)
En affublant son chat d’un brandon à la queue
Propre à le faire fuir vers elle éperdument. - ↑
Si le mérite humain exclut la modestie
Autant que le lundi l’ardeur des travailleurs
(On se fait aux loisirs ; l’âme et le cœur ailleurs,
Sombre est le lycéen quand il rentre en octobre ;),
Que, chez le criminel, la démence l’opprobre,
Qu’un hiver peu neigeux la cherté du gros sel,
L’orgueil, pourtant, n’est pas un vice universel ;
Le paon mis en dehors, il respecte les bêtes :L’hirondelle, malgré son flair pour les tempêtes ;
Le bélier, bien qu’il soit l’emblème d’un crachat
(Tout le monde a nommé la Toison d’Or) ; le chat,
Bien qu’il se reconnaisse à minuit sans chandelle,
Bien qu’il sache prédire — ainsi que l’hirondelle,
Mais sans tant de justesse et de publicité —
Par ce qu’émet son poil comme électricité
La colère d’un ciel qui feint la gentillesse,
Bien qu’à la vierge il fasse une douce vieillesse
Et puisse marcher en silence sans tapis ;
Le loup, bien qu’une louve ait eu d’illustres pis ;
Le bouc, bien qu’aux humains sa peau tournisse l’outre ;
Malgré les prix courants de la sienne, la loutre ;
Bien que son nom désigne un tissu, l’alpaga.