Nouveau voyage dans la Chine centrale

NOUVEAU
VOYAGE DANS LA CHINE CENTRALE

Le savant explorateur français, l’abbé Armand David, qui depuis douze ans n’a pas cessé de parcourir la Chine, en marquant chacune de ses étapes par de nouvelles conquêtes scientifiques, a récemment adressé une lettre fort intéressante à M. Daubrée, vice-président de la Société de géographie. C’est au prix des plus grandes fatigues que la récente exploration du vaillant voyageur s’est accomplie ; car l’abbé David a l’habitude de traverser presque toujours à pied les pays qu’il étudie, et il ne manque pas de pousser des pointes en dehors de sa route, pour peu qu’il y ait à côté de son chemin quelque moisson à recueillir au nom de la géographie ou des sciences naturelles. Au mois de mars de cette année, notre compatriote a éprouvé de sérieuses difficultés au sud-est de Chen-Si, près de la ville de Hang-Tchong-Fou, sur les frontières de Tse-Tchuen et du Kan-Sou. C’est en vain qu’il a tenté de pénétrer dans cette dernière province, où une violente rébellion des musulmans vient d’éclater ; il fut obligé de rétrograder faute de guides et de porteurs. L’abbé David, pour arriver jusque-là, a traversé les monts Tsin-Lin, où il lui a été possible de recueillir de véritables richesses géologiques et minéralogiques.

Les détails que donne l’explorateur sur la province Cheu-Si sont du plus triste intérêt. La ville la plus importante de ce district, Han-Tchong-Fou, vient d’être presque entièrement détruite par les rebelles Tchang-Mao. Ces rebelles, que les Chinois appellent Tseï (voleurs), réunis en nombre incalculable, ont pu exercer impunément des dévastations et des ravages épouvantables. Triste spectacle que celui de ces dissensions, de ces querelles, de ces guerres que l’on rencontre partout hélas ! à la surface du sphéroïde terrestre. Détournons les yeux de ces scènes navrantes, pour envisager les résultats scientifiques de la nouvelle exploration.

Les recherches géographiques de l’abbé David ont eu principalement pour but d’étudier le cours d’un grand fleuve Chinois, le Kan-Kian, qui traverse la ville d’Han-Tchong-Fou et va se jeter plus loin, dans le fleuve Bleu, actuellement exploré, comme nous l’avons dit, par un autre de nos compatriotes, M. Francis Garnier[1]. Au nord des monts Tsin-Lin, l’abbé David a rencontré des gisements houillers assez considérables ; il a eu même la bonne fortune d’étudier le mode d’exploitation usité par les Chinois dans les collines de Lean-Chan. Il existe là des massifs géologiques fort puissants formés d’un calcaire cristallin, sonore comme un métal, et qui donne une chaux vive d’excellente qualité. Le combustible nécessaire à la transformation du carbonate de chaux naturel en chaux vive est précisément extrait des houillères voisines, que les habitants exploitent sur une grande échelle. Les calcaires de Lean-Chan abondent en coquilles fossiles, ils en sont pour ainsi dire formés de toute pièce ; ces coquilles sont de dimensions très-variables, il en est d’aussi fines qu’un cure-dent, tandis que d’autres atteignent la grosseur du bras.

On se rappelle que l’abbé David, lors de ses précédents voyages, a rapporté en France des collections incomparables d’animaux empaillés, de pierres, de roches, de produits divers peu connus et souvent nouveaux ; il n’en sera pas de même cette fois, comme vient de l’annoncer une lettre récente de M. Francis Garnier. Ce dernier voyageur a rencontré l’abbé David au point où le Han-Kian se réunit au fleuve Bleu ; l’infortuné missionnaire avait perdu dans un naufrage sur le Han-Kian toute sa précieuse cargaison. La barque qui portait l’explorateur et sa fortune de collections a sombré, engloutissant avec elle d’innombrables objets recueillis au prix des plus persévérants efforts. Cet événement a vivement frappé l’esprit de l’abbé David, qui a pris la résolution de revenir en France, où il ne tardera pas à nous rapporter, à défauts d’échantillons, des récits du plus haut intérêt et des faits toujours utiles à inscrire dans les annales de la science.


  1. Voy. Voyage d’exploration en Indo-Chine, p. 152.