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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 203-205).
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LXXIV

PHÉMIE


Un personnage de La Vie
De Bohème, l’avant-dernier !
S’endort, suivant, âme ravie,
Le premier souffle printanier.

Au matin, sans doute endormie
En quelque rêve oriental,
Sachez que la pauvre Phémie
Est morte hier, à l’hôpital.

Elle eut toujours l’âme ingénue
Et les regards dans l’air flottants ;
Je suis de ceux qui l’ont connue
Dans l’ivresse de ses vingt ans.


En sa jeunesse, elle était rousse ;
Et fauve alors comme un lion,
Ressemblait, avec sa frimousse,
Aux Faunesses de Clodion.

En ce temps-là, c’étaient ses fêtes,
Marchant gaîment sur le carreau,
Elle venait chez les poètes
Et buvait un peu de leur eau.

Bien plus tard, je l’ai retrouvée,
Laissant le vent rougir ses mains,
Et tout doucement arrivée
Où conduisent tous les chemins.

Elle n’était plus teinturière,
Pauvre jouet du destin fou,
Et même, son ardeur guerrière
S’était enfuie, on ne sait où.

C’était une petite vieille,
À qui l’âge n’avait donné
Qu’un peu de misère, et pareille
À l’enfant toujours étonné.


Ah ! ces existences amères
Et dont le seul matin fut doux,
S’envolent, comme des chimères,
Dans le vague lointain ; mais nous,

Joueur des flûtes inégales,
En nos rimes, nous caressons
Les frêles âmes de cigales
Qui ne surent que des chansons.


23 février 1884.