Notre maître, le passé (1924)/12
François de Laval
Il y a tout juste quinze ans que son nom a remué notre pays. Il venait de sortir de sa tombe pour prendre place parmi les immortels du bronze. Entre tant d’autres glorifiés avant lui, il s’imposa par sa haute taille. Une simple date, un troisième centenaire de naissance ramène son souvenir ; et, comme à sa mort, et comme à la translation de ses restes en 1878, et comme il y a quinze ans, chacun peut mesurer sa place unique dans notre histoire.
C’est que son œuvre fut sans parallèle ! À une époque décisive dans l’histoire de la Nouvelle-France, nul n’a tenu un pareil rôle politique et spirituel. Quand le 17 juin 1659, au bruit des cantiques, des clochers et du canon, les habitants de la petite ville de Québec vont saluer, au bord du fleuve, le premier vicaire apostolique du Canada, ils font à ce grand ouvrier de la colonie l’accueil qui lui revient. Les sauvages l’ont dit dans leur langue pittoresque : François de Laval est bien « l’homme de la grande affaire ».
Il arrive à la veille de 1660, au plus fort de la terreur iroquoise. Mal fondée, mal soutenue par les compagnies égoïstes, la Nouvelle-France hésite, depuis cinquante ans, entre la mort et la vie. L’arbrisseau a été jeté sur la rive nouvelle, sans même être planté, et a moins l’air d’un rejeton de France que d’un débris de marée. Quand l’illustre immigrant remonte le fleuve, on se figure aisément, sous quelle image lui apparaît le pays. Dans ce monde aux grandioses aspects, rares sont encore les empreintes de l’homme civilisé. La nature vierge domine dans sa royale sauvagerie. Ça et là, sur les bords du fleuve, quelques clairières isolées, sans continuité, sans lien, sont moins des établissements que des essais de colonisation ; au milieu de ces clairières, des buttes de colons se dressent et parfois de petits clochers, modestes comme l’espérance qui flotte autour d’eux. Québec, Trois-Rivières, Ville-Marie, bourgades qui osent s’appeler villes, ne sont que les points brisés d’une ligne d’attente. Et pour occuper cet immense espace, 2,200 âmes tout au plus.
L’aspect désolant de ce tableau c’est qu’il proclame le complet échec d’une grande espérance, de cette Compagnie des Cent-Associés qui devait tout reprendre et tout sauver. En 1660 la misère générale s’aggrave d’un affreux cauchemar. L’horrible épouvante iroquoise qui, depuis cinquante ans, n’a cessé de monter de la forêt, se lève plus angoissante sur les clairières où peine le colon découragé. L’affolement gagne les têtes ; dans les habitations l’on agite des projets de départ, de sauve qui peut. Et l’histoire de la Nouvelle-France menace de se fermer sur la vision funèbre d’une longue file de transports en pleine mer rapatriant les restes d’un désastre.
L’arrivée du vicaire apostolique est un premier réconfort. De noble race, de grandes manières, l’homme a le magnétisme de tous les chefs. Puis sa venue signifie qu’en France l’on ajourne à tout le moins l’abandon de la colonie. Ce chef qui arrive ne peut s’en venir que pour faire son métier de soutien et d’organisateur, en attendant qu’il obtienne à la Nouvelle-France les régiments qui la sauveront.
Cependant Louis XIV se prépare à prendre dans ses mains souveraines le sort de la colonie. Bientôt les immigrants de Talon vont toucher à nos rives ; ils vont venir nombreux ; il y a péril que les autorités se relâchent sur la moralité des recrues, sur celles qui achèveront de constituer les sources de notre race. Ici encore François de Laval fut le protecteur. Nous savons, par une lettre de Colbert, que le vicaire apostolique écarta les « gens des environs de la Rochelle et des îles circonvoisines » peu laborieux et tièdes chrétiens, pour leur préférer les habitants de Normandie et des provinces avoisinantes. Sur la prière de l’évêque, le roi écarte de même les huguenots. « Nous ne souffrons ici aucune secte hérétique », peut écrire au Pape François de Laval ; « c’est ce que le roi m’a accordé pieusement sur la demande que je lui en ai faite avant de quitter la France. » Ainsi se trouvaient assurées au peuple naissant, avec l’homogénéité religieuse, la pureté morale qui est la première noblesse.
Cette noblesse, le chef religieux fut encore là pour la défendre quand le suprême danger la menaça. Nos historiens n’ont ni assez vu ni assez dit que, dans l’affaire de l’eau-de-vie, se trouvaient engagés la santé physique de la race, l’honneur même de notre sang. Le péril de la dégénérescence n’existait pas seulement pour les Indiens. Ceux qui transportaient l’eau-de-feu dans les bois, ne laissaient pas de s’y brûler eux-mêmes. Or je songe qu’à l’époque de Frontenac, il y a près de huit cents coureurs de bois et que ces huit cents sont la moitié des hommes mariés. Pour entrevoir ce qu’il fût advenu des sources mêmes de notre vie, si le désordre n’eut cessé, je n’ai plus besoin que de lire ces lignes navrantes du marquis de Denonville à M. de Seignelay : « La preuve (du mal) en est… dans le peu de vieillards que l’on voit parmi les Français, qui sont vieux et usés à l’âge de quarante ans. » Non, il ne faut pas cesser de le dire bien haut : en tenant tête à d’Avaugour. à Frontenac, à Talon, à Colbert lui-même sur le commerce des alcools, François de Laval ne défendait pas seulement l’honneur de la France apostolique ; il ne sauvait pas seulement la race indienne ; il sauvait d’abord la nôtre.
La colonie se développait. Désormais planté en bonne terre et s’appuyant au tuf vigoureux, l’arbrisseau grandissait avec la beauté d’un jeune érable. Entre les points brisés la continuité s’établissait. Le jour était venu où une autorité maîtresse devait s’imposer aux seigneuries, aux paroisses encore isolées. L’heure pressait de sauver les petites communautés du péril de l’individualisme, suite de l’éparpillement. Il fallait un pouvoir, une âme qui vivifiât les membres épars de la Nouvelle-France et leur fît la conscience d’une même entité sociale. Nous doter de cet organisme d’unification fut encore le mérite de cet homme qui avait reçu au plus haut degré le don de gouverner. « Le Conseil souverain du Canada, » nous dit M. de Latour, « fut l’ouvrage de son premier évêque. » C’est au prélat, non pas à M. de Mésy, bien que tous deux s’en reviennent ensemble de France, que le roi confie les ordonnances de 1663.
Et dans ce Conseil, quel rôle que celui de François de Laval ! Pour en bien juger il faudrait reprendre les délibérations de notre petit parlement de Québec, pendant les longues années que l’homme d’Église y collabora ; à chaque page, à chaque ordonnance se lèveraient les témoignages de sa bienfaisante influence. À n’en pas douter, nous lui devons, pour une bonne part, l’esprit chrétien qui a vivifié nos institutions et nos lois, qui leur a fait une vertu sociale. Quelques historiens, plutôt courts de sens catholique, n’ont voulu voir, dans les luttes de Mgr de Laval pour la reconnaissance de son rang au Conseil, que de vaines disputes de préséance et de protocole. Combien en réalité l’enjeu fut plus grave ! Il y allait des droits suprêmes de l’Église, du rôle de l’élément spirituel dans l’État, autant dire de l’âme même de nos institutions. Si l’on veut se rappeler qu’en France, le haut clergé s’achemine à ce moment vers la courtisanesque défection de 1682, le spectacle ne manque pas de grandeur de ce lointain prélat de la Nouvelle-France, dépendant plus que personne des aumônes de la cour, mais défendant sans fléchir l’indépendance du pouvoir spirituel. Apparenté à cet Henri de Montmorency, à ce grand maréchal de France dont Richelieu fit tomber la tête, François de Laval appartenait à une famille où l’on savait résister aux caprices du pouvoir. Disons mieux : il était de ces esprits qui aiment la vérité d’un amour absolu, qui se passionnent pour la défense de ses droits, convaincus que toute défaite du juste et du vrai se résout ici-bas en un malheur humain. Il croyait que la grande habileté, pour un homme de gouvernement, n’est pas de résoudre les problèmes par des expédients qui ne règlent vite que parce qu’ils ne règlent rien ; mais qu’il n’y a de vraies solutions que celles où le droit et la vérité ont le dernier mot. Pour les hommes de cette trempe, il y a quelque chose de plus grave que les perturbations passagères occasionnées par la résistance de la vérité aux assauts de l’erreur ; c’est le malaise chronique, c’est le désordre fatal et sans fin, suite de la faiblesse ou des faux calculs qui ont laissé violer l’ordre éternel des principes. La vérité, c’est qu’il existe une mécanique sociale aux rouages aussi précis et délicats que toute autre. Celui qui a disposé l’harmonie du monde matériel, n’est-il pas le régulateur suprême des sociétés humaines ? Au fond, quand les pontifes ont revendiqué avec intransigeance les droits de la suprématie de l’Église, ce ne sont point leurs droits personnels qu’ils ont revendiqués, non plus que les droits d’une société aux prérogatives hautaines, passionnée de domination. S’ils y ont mis tant de chaleur et d’énergie, c’est qu’ils avaient conscience de défendre un ordre divin, les bases essentielles de l’ordre social. Le droit de la société religieuse n’est après tout que le droit de la société civile, la juste subordination des deux pouvoirs pouvant seule créer l’ordre social harmonieux, celui qui dure par la vertu même de sa constitution. Autant de vérités que ne doit pas oublier l’historien qui entreprend de juger l’attitude politique de François de Laval. Ajoutons que l’évêque de Québec avait bien aussi quelques autres motifs de ne pas céder aux petits parlementaires gallicans du Conseil souverain. Il savait le prix d’une tradition, le devoir d’un fondateur de race et d’état. Gardien plus que tout autre de l’âme de la Nouvelle-France, il voulut qu’elle grandît dans la bienfaisance de l’ordre. Et nous devons à ce constructeur, l’empire du catholicisme sur notre vie nationale, la membrure d’acier où aime à s’appuyer notre jeune force.
Il fut surtout un grand évêque, ne se mêlant, au reste, à la politique que dans la mesure où le lui imposait son rôle de chef religieux. Marie de l’Incarnation qui avait percé l’homme de son regard de sainte, notait tout de suite son grand air surnaturel : « Que l’on dise ce que l’on voudra, ce ne sont point les hommes qui l’ont choisi. » Ce qui d’ailleurs apparaît encore ici, comme la première attitude de son esprit, c’est le besoin de se mettre dans l’ordre souverain, dans la vérité absolue. François de Laval fut, au sens magnifique du mot, un évêque romain. Il voulut l’être par sa nomination, qu’en sa qualité de vicaire apostolique, il tint de Rome exclusivement ; il voulut l’être par le sacre, recevant du Nonce d’Alexandre VII l’onction du pontificat ; plus tard il voulut l’être par l’érection de son diocèse, créé indépendant de tout évêché de France et rattaché immédiatement au Saint-Siège. Évêque romain, François de Laval le fut encore par le rite de son Église qu’il voulut être celui même de Rome ; il le fut enfin par la doctrine intègre et fière qui lui valut de sauver son troupeau des aventures gallicanes et jansénistes.
L’œuvre qui l’attend au sein de la Nouvelle-France est immense. Le territoire où doit se déployer son action, s’étend déjà depuis l’Acadie jusqu’à Montréal. Le long de cet espace il n’y a guère que onze églises, et, pour les desservir, neuf prêtres séculiers, puis seize Pères de la Compagnie de Jésus dont plusieurs occupés aux missions indiennes. Lorsque trente ans plus tard François de Laval laissera son œuvre entre les mains de son successeur, la puissance française aura fait à travers le continent, ses bonds gigantesques, mais sans jamais distancer le zèle de l’évêque. Dès l’année 1668 il a parcouru en canot le champ entier de son labeur, depuis Tadoussac jusqu’à Montréal et jusqu’au fort Sainte-Anne, à l’entrée du lac Champlain. C’est de l’année 1660, lendemain de son arrivée, qu’il faut dater le nouveau mouvement vers les missions lointaines. « Cet été, » écrit-il alors au Saint-Père, « un prêtre de la Compagnie de Jésus est parti pour une mission éloignée de plus de cinq cents lieues de Québec. » L’évêque n’est lui-même que le premier de ses missionnaires. Quand ils ne sont point là, pour les besoins pressants, François de Laval les supplée. À quatre-vingt-un ans ce vieillard infirme se traîne encore par les routes jusqu’à Montréal pour administrer le sacrement de confirmation. Et vraiment il a fallu l’ignorance et le mépris où les artistes ont tenu notre histoire, pour que le tableau soit encore à faire de cet évêque, descendant du premier baron de France, s’en allant, par les chemins d’hiver, les raquettes aux pieds, sa chapelle sur le dos, dire la messe à quelque habitation perdue de la Nouvelle-France.
Néanmoins l’étendue du champ n’a pas dispersé le travail de l’ouvrier. Son labeur va s’accomplir en solidité et en profondeur. C’est merveille comme il a su créer à l’Église canadienne ses organismes capitaux. Tout n’est pas à fonder quand il arrive : les Récollets, les Jésuites, les Sulpiciens ont jeté les premières bases. Beaucoup de choses attendent cependant une impulsion ; toutes ont besoin d’être ramenées à l’unité. Il faut le redire : l’unité, c’est le grand besoin de ces petites colonies trop dispersées dans la grande et que les mailles plutôt lâches de l’administration civile laissent à leur isolement. C’est l’Église qui fera les cadres solides, la première unité de la Nouvelle-France. Les familles se grouperont autour du clocher encore plus qu’autour du manoir. Et l’évêque ramènera à un centre unique ces paroisses dirigées tout d’abord par des prêtres missionnaires qu’il garde autour de lui comme un collège d’apôtres. L’on peut dire que nos ancêtres se sentirent les fils d’une même Église avant de se sentir les sujets d’un même État, et c’est le lien de la foi qui fut le premier lien de la race.
Tout de suite les besognes se trouvèrent nettement partagées : aux religieux les missions lointaines, aux prêtres séculiers le ministère des paroisses. Ce clergé séculier, l’évêque lui crée, par la dîme, ses moyens de subsistance ; pour en assurer le recrutement il a fondé son grand et son petit séminaires de Québec ; pour le soutien de ces maisons il a acquis avec prévoyance seigneuries et biens-fonds. Mais le petit séminaire, ce n’était, avec le collège des Jésuites, que des maisons d’enseignement secondaire. L’esprit créateur et pratique de l’évêque établit à la « Grande ferme » de Saint-Joachim, une école moyenne des arts et des métiers où l’on formait particulièrement à l’agriculture ; avec le temps un maître fut ajouté à Saint-Joachim pour enseigner à quelques jeunes gens, « un commencement d’humanités afin qu’ils devinssent propres à être maîtres d’écoles ». De la sorte se trouvait parachevé notre système d’instruction publique ; et c’était l’œuvre entière de cette incomparable organisation qu’est l’Église. L’évêque qui venait d’établir canoniquement l’institut de Marguerite Bourgeoys, pouvait désormais se promettre de placer au centre de tous les groupes de colons, un clocher ; auprès de chaque clocher, un curé ou un missionnaire ; auprès de chaque curé ou missionnaire un auxiliaire religieux ou laïc : la bonne Sœur enseignante, le maître d’école, le jeune agronome. Ainsi chaque petite paroisse canadienne aurait bientôt, il s’en flattait, ses professeurs de vérité divine et humaine, ses éveilleurs d’action, ses chefs reconnus spontanément par le prestige de leurs services.
À cela se bornerait-elle l’œuvre de l’évêque ? La tâche première du chef d’Église, successeur du Christ, c’est d’élever les hommes jusqu’aux altitudes de l’Évangile ; c’est d’animer les âmes de la vie supérieure du catholicisme : « Veni ut vitam habeant. » François de Laval qui avait placé dans les plus humbles hameaux, le maître de vérité et le dispensateur de surnaturel ; qui, par une forte et paternelle discipline, s’était constitué le gardien de la morale, ne se contenta point de ce rôle magnifique. Sa grande âme conçut l’ambition d’élever à la plus haute noblesse morale, le jeune peuple dont le miracle entourait le berceau. Quand il défendait la race indienne contre l’eau-de-vie meurtrière, sans doute voulait-il sauver tout d’abord la réputation du roi très-chrétien et le dessein apostolique de son pays. Mais dans le même temps, avec son regard de prophète, il prétendait fonder la vocation surnaturelle de notre peuple. Dans sa pensée la jeune race devait être la collaboratrice des missionnaires, l’apôtre des nations indiennes. C’est bien lui qui propose, comme idéal à ceux qu’il enrôle dans la confrérie de la Sainte-Famille : « la conversion des infidèles par l’exemple d’une vie irréprochable ». Et voilà comment le rêve des missions lointaines restera mêlé à l’âme de la Nouvelle-France.
Le rêve n’avait-il point quelque chose de trop haut ? Une loi de l’action spirituelle veut que l’apôtre soit d’abord, par sa propre vie, le suprême animateur. François de Laval saurait-il entraîner son peuple au sommet qu’il lui avait fixé ? Ah ! ce dut être un superbe entraîneur que cet évêque revêtu du cilice, qui se confesse quotidiennement, qui, six jours avant son trépas, s’offre en sacrifice pour son séminaire ; qui porte assez loin l’esprit de pauvreté pour faire lui-même son feu et son lit, laver « son petit meuble de table », balayer sa chambre, et qui meurt en pleurant de n’avoir plus un sou pour les pauvres. Aussi faut-il voir, autour de lui, la noble émulation, la féconde efflorescence de vie religieuse. Fut-il jamais plus grande heure, dans notre histoire, que celle où vécurent et travaillèrent, presque en même temps, des hommes comme Chomedey de Maisonneuve, Lambert Closse, Dollard des Ormeaux ; des religieux comme les Pères Allouez, d’Ablon, Marquette, « l’illustre triumvirat » de Bancroft ; des femmes comme Marie de l’Incarnation, Marguerite Bourgeoys, Jeanne Mance, Madame de la Peltrie, Madame d’Ailleboust, Catherine de Saint-Augustin ? Pendant que les fils de Loyola, coureurs de fleuves et d’âmes, renouvelaient les courses de saint Paul autour des Méditerranées américaines ; pendant que les saintes femmes de nos couvents et de nos cloîtres, élevées jusqu’à la contemplation mystique, brûlaient leur vie comme de beaux cierges et s’entretenaient de notre avenir avec Dieu ; pendant ce même temps, stimulées, gagnées par les hauts exemples, les grandes vertus poussaient dans la colonie comme des fleurs merveilleuses ; les races antiques du Nouveau-Monde offraient en prémices les jeunes vierges iroquoises de la Prairie de la Magdeleine ; Jeanne le Ber marquait les altitudes où atteignait déjà la petite race française du Canada. Mais plus grand que tous, apparaissait avec son profil de chef, l’homme qui avait reçu la plénitude de l’Esprit et qui s’en était souvenu avec loyauté.
Voilà ta gloire, ô François de Laval ! Quand tu succombes après cinquante ans d’épiscopat, tes jours sont pleins comme la coupe qui déborde. Ton peuple de la Nouvelle-France, tu l’as modelé de tes mains, puis orienté pour de longs siècles dans la droite voie de ses destinées. Désormais tu seras le nom sans rival dans notre histoire. Nul ne pourra plus remuer ta tombe sans remuer tout le passé. Et tu seras le plus vivant des illustres disparus, parce que nul plus que toi ne restera mêlé à notre vie. Au jour de ta mort, nos ancêtres s’arracheront tes reliques ; comme les paladins de jadis enfermant dans le pommeau de leur épée l’ossement d’un saint, nos plus glorieux capitaines porteront sur eux, dans des reliquaires d’argent, quelque morceau de ta dépouille, quelque pièce de tes vêtements. Et, sans doute, par ta protection valeureuse, tu as collaboré à nos victoires anciennes, ô chevalier de Montmorency. Mais combien plus es-tu resté vivant dans l’âme profonde de ton peuple, par les hautes disciplines que tu lui as laissées, par ta prière de pontife et de père qui se continue là-haut, éternellement !