Notre maître, le passé (1924)/01
Le patriotisme des jeunes
Le patriotisme des jeunes ne diffère point du patriotisme des autres par le fond des choses. Il se fonde, lui aussi, sur l’amour du pays et la fidélité aux morts. S’il admet quelque élément nouveau, ce ne peut être qu’une manière de servir qui s’adapte au temps, avec une ferveur plus chaude dans le dévouement.
La jeunesse qui fut sévère pour ses devanciers, a perdu le droit de recommencer leurs fautes. La lutte contre l’ennemi de l’extérieur a peut-être trop hypnotisé nos pères. Que dans un corps-à-corps en champ clos, l’adversaire fût l’unique obsession, chacun le comprend. Mais cet adversaire lui-même, nous avons mieux repoussé ses coups bruyants, ses brutalités, que ses ruses enveloppantes et le sortilège de sa force. Aujourd’hui, après ce long combat qui dure depuis cent soixante-quinze ans, nous n’avons pas perdu de batailles décisives ; mais notre âme de combattant n’a plus sa belle santé française.
S’il est une leçon que doit retenir la jeunesse, c’est que la survivance d’un peuple se conquiert beaucoup moins par les beaux coups d’éclat, par les victoires d’éloquence, que par les œuvres constructives. Être fort pour un peuple, c’est l’être d’abord par la vigueur intérieure de son âme, par sa constitution sociale, économique, intellectuelle, morale. Cela même est la première condition de la défense contre l’ennemi extérieur ; pour être un bon soldat il faut être physiquement et moralement bien constitué.
Les œuvres constructives n’ont pas manqué chez nous ; elles n’ont pas donné toutes leurs promesses ; des œuvres vitales ne sont pas sorties du rêve parce que les vues générales leur ont trop manqué. Notre histoire est pleine de dévouements isolés ; elle connaît moins les efforts collectifs, concertés, coordonnés par une vue supérieure. Des classes entières ont séparé leur action du service patriotique : nos « professionnels » s’enferment dans la profession ; nos hommes d’affaires, nos commerçants reconnaissent à peine le devoir de l’argent ; nos ouvriers pactisent encore avec l’étranger ; nos cultivateurs passent nos frontières comme si la patrie n’était plus rien.
C’est ce désordre qui doit cesser. Nous avons une doctrine qui nous enseigne la hiérarchie naturelle des valeurs, l’ordre transcendant selon lequel les nations se doivent constituer pour vivre et prospérer. La jeunesse devra s’éclairer à cette doctrine pour apprendre où porter son effort, pour fournir les lumineuses directives ; elle devra de même trouver parmi elle les hommes qui savent entraîner derrière eux, qui, autour des constructions prochaines, sauront susciter un labeur unanime, une vraie collaboration nationale. Le sauveur de demain, s’il doit se lever, sera l’homme de foi et de génie qui aura embrassé dans la vue la plus large et la plus cohérente, l’ensemble de nos problèmes, qui voudra mettre à les résoudre le sacrifice magnanime de sa vie et n’empruntera qu’à ce noble emploi de ses facultés, son magnétisme de chef.
Munie de hautes lumières, la jeunesse n’aura plus besoin que d’un peu de fierté pour stimuler son dévouement. La fierté fut bien, dans le passé tout proche, l’une des vertus qui nous ont le plus manqué, quand fort peu pourtant nous étaient aussi nécessaires. Un peuple faible par le nombre, peut se passer, à la rigueur, de richesse et même d’art ; il ne saurait se passer d’être fier. Pour vivre il faut d’abord se convaincre que la vie en vaut la peine ; et notre peuple n’aura plus de raisons de perpétuer sa race quand il y aura vu la cause d’une infériorité.
Pour être fiers, les jeunes n’ont besoin que de savoir qui ils sont. Il n’appartient pas aux fils des grands Français qui ont bâti ce chef-d’œuvre d’histoire que fut la Nouvelle-France, de chercher ailleurs que chez eux, les raisons de leur dignité. Si cette gloire fut entachée d’une défaite, nos pères ont empêché que cette défaite fût irréparable ; il y a même beau temps qu’ils l’ont rachetée. Aujourd’hui, dans notre pays, où notre ordre social fait l’envie des autres, nous n’avons que le déshonneur de nous mal juger nous-mêmes. Nous sommes pourtant la race qui n’a jamais violé le droit d’autrui. Persécutés souvent, nous n’avons jamais été persécuteurs. Le service de la civilisation par la propagande de la foi du Christ, plus que personne en Amérique, nous l’avons pratiqué. Tous ces motifs de fierté suffiraient à de moins inattentifs.
C’est pour aider les jeunes à faire cesser l’inattention que je leur adresse ce volume.
La jeunesse catholique et lettrée a devant elle le plus beau des devoirs. Qu’elle se pénètre bien des principes de l’économie chrétienne pour y prendre la loi du progrès harmonieux. Qu’elle se pénètre aussi des directives de notre histoire puisque rien n’est à continuer que le labeur des morts. Que par les beaux livres, que par les poèmes, que par toutes les œuvres du grand art, elle donne chez nous à l’idée de patrie, une expression victorieuse ; qu’elle détermine, autour de la tâche commune, la collaboration de tout le peuple ; qu’elle ordonne l’universel effort dans une vue de foi : celle de préserver avant tout dans notre avenir, une culture latine et chrétienne, la vocation d’une race apostolique ; et rien ne sera plus beau que le jour de demain.