NOTRE-DAME DE NOYON.

ESSAI ARCHÉOLOGIQUE.
Seconde Partie.[1]

VI.

Si l’incendie du 21 juillet 1293 eût été aussi violent que le prétendent les archives de Longpont, si toutes les églises de Noyon, à l’exception de la petite paroisse de Saint-Pierre et de la chapelle des Templiers, eussent été réduites en cendres, la cathédrale ne pourrait avoir été reconstruite que vers les dernières années du XIIIe siècle, ou même au commencement du siècle suivant, et son architecture porterait nécessairement les caractères du style du XIVe siècle, car dans la plupart des monumens de l’Île-de-France et de la Picardie les innovations de détail qui constituent ce style commencent à apparaître un peu avant l’an 1300, vers la première moitié du règne de Philippe-le-Bel. Or, il n’existe, dans toute la cathédrale de Noyon, que deux échantillons très peu importans du style du XIVe siècle, c’est à savoir la décoration appliquée sur les jambages des trois portes qui mettent en communication le porche occidental avec la nef de l’église, et les deux contreforts ou éperons qui soutiennent la façade de ce porche. Le porche lui-même paraît appartenir au XIIIe siècle ; les contreforts, au contraire, sont évidemment ajoutés après coup ; ils ne font pas corps avec la maçonnerie du porche ; les assises des deux constructions ne se raccordent pas, il n’y a pas adhérence, et, enfin, les colonnettes placées dans les angles, les bases et les chapiteaux de ces colonnettes, et toute la décoration de la partie supérieure, sont dans le goût du XIVe siècle le mieux caractérisé. Quant aux jambages des portes, leur décoration, aujourd’hui toute mutilée, mais qui laisse encore apercevoir des traces de coloration très visibles et des feuillages de lierre et de groseiller sculptés avec une étonnante finesse, ne consiste qu’en une sorte de placage incrusté dans la masse d’une maçonnerie évidemment plus ancienne.

Il est à présumer que l’incendie de 1293 porta principalement ses ravages de ce côté de l’édifice ; qu’il n’ébranla ni les clochers ni l’église elle-même, mais qu’il endommagea les portes de la nef, et le porche placé devant ces portes ; que, pour réparer le désastre, on refit en placage et dans le goût du temps la décoration des portes, et qu’enfin, pour prévenir la chute du porche, on éleva ces deux éperons si forts et si saillans. Cette conjecture est confirmée par le passage suivant, d’une bulle du pape Boniface VIII, en date du 17 juillet 1294 : [texte latin]. Le pape, comme on voit, n’est pas d’accord avec les moines de Longpont ; il ne parle pas d’un embrasement total, mais seulement d’un incendie partiel, et il indique même par ces mots, cum claustro et capitulo, le côté de l’église qui dut être particulièrement endommagé. En effet, la salle du chapitre et une des galeries du cloître sont précisément situées dans le voisinage du porche. Il nous semble donc hors de doute que l’église ne fut atteinte que dans sa partie occidentale, et nous croyons que, même dans cette partie, si le feu dévora le mobilier, les ornemens, les tapisseries, les vitraux, il ne fit qu’endommager la maçonnerie, et ne donna lieu qu’à de simples réparations ; celles du porche sont seules apparentes aujourd’hui, parce qu’elles furent sans doute les plus considérables. Quant à la salle du chapitre, elle ne dut être également que restaurée : ses profils sont trop fermes, son ornementation trop mâle et trop accentuée, pour qu’elle ne date pas du milieu du XIIIe siècle. Il est plus difficile, à l’égard du cloître, de se prononcer avec certitude : il peut sans doute avoir été reconstruit après l’incendie, mais il conserve sous tant d’aspects le cachet pur du XIIIe siècle, que, malgré ce dessin rayonnant et ces formes un peu compliquées, nous penchons à croire que sa construction peut être antérieure de quelques années à 1293.

Ainsi voilà un premier point éclairci : non-seulement l’église entière n’a pas été incendiée, mais celles de ses parties qui ont subi l’action du feu n’ont pas toutes été reconstruites, et n’ont exigé que des travaux de réparation, d’où il suit que ce n’est ni au XIVe siècle ni à la fin du XIIIe qu’il faut attribuer ce qui subsiste encore aujourd’hui de l’ancienne cathédrale de Noyon.

Serait-ce au XIIIe siècle lui-même ? et, par exemple, peut-on supposer qu’après l’incendie de 1238 des travaux de reconstruction générale auraient été entrepris ? Nous parlons de reconstruction générale, parce que, comme nous l’avons déjà fait observer, l’édifice entier étant homogène et appartenant à un même style, il ne peut être question de reconstructions partielles et successives, mais seulement d’une réédification complète, faite en un seul coup, et achevée tout au plus en un demi-siècle. Or il serait extraordinaire que ce fût l’incendie de 1238 qui eût été l’occasion de cette réédification. Rien ne prouve, comme nous l’avons dit, qu’il ait causé de grands ravages : le petit nombre d’auteurs qui en font mention ne le cite qu’en passant et sans lui attribuer la moindre gravité. On peut donc supposer que la solidité de l’édifice n’en fut pas compromise. Mais, indépendamment de cette présomption, d’autres raisons plus fortes nous donnent l’assurance que la reconstruction de la cathédrale ne date pas de cette époque. D’abord il eût été sans exemple, en 1238 et surtout dans cette partie de la France, d’admettre, même par fantaisie et comme exception, l’emploi de l’arc à plein cintre ; à plus forte raison n’aurait-on pas construit, d’après ce type abandonné, la presque totalité des ouvertures à l’extérieur de l’église et au dedans toutes celles des étages supérieurs. Les transsepts arrondis, tradition du style à plein cintre, qu’on retrouve si rarement, même à l’époque de transition, n’auraient jamais été tolérés après 1238, pas plus que les colonnes annelées, telles que celles qui s’élèvent dans le chœur et à l’entrée de la nef de Noyon, pas plus que l’alternance d’un support cylindrique et d’un pilier multiple, ancienne combinaison qui avait disparu sans retour dès la fin du XIIe siècle.

Ces raisons, ou plutôt ces faits, sont, selon nous, sans réplique. Ainsi la cathédrale de Noyon n’a pas plus été construite au milieu du XIIIe siècle qu’au XIVe, nous pouvons l’affirmer avec une égale certitude.

Nous n’avons donc plus de choix : il ne reste que les incendies de 1131 et de 1152 qui puissent avoir rendu nécessaire la reconstruction de la cathédrale.

Mais ne va-t-on pas nous demander pourquoi nous supposons que ces deux incendies, et plus particulièrement le premier, ont détruit l’édifice de fond en comble ? La seule raison que nous en ayons donnée jusqu’ici, c’est que les historiens nous l’attestent ; or, nous venons de voir qu’en pareille matière les témoignages historiques ne sont guère infaillibles ; nous venons de démontrer, malgré les attestations d’archivistes contemporains, que le fameux incendie de 1293 avait dû nécessairement épargner la presque totalité de l’église : pourquoi n’en serait-il pas de même du désastre de 1131 ? pourquoi le vieux monument n’aurait-il pas résisté aux flammes ? pourquoi ne serait-ce pas lui que nous aurions devant les yeux ?

Notre réponse est bien simple : la même raison qui ne nous a pas permis de croire au récit des moines de Longpont nous force d’ajouter foi aux paroles de Guillaume de Nangis et à celles de tous les chroniqueurs qui ont parlé de l’incendie de 1131. Dans les deux cas, c’est le caractère de l’architecture qui détermine notre conviction, c’est lui qui nous fait affirmer que l’édifice ne peut être ni antérieur, ni de beaucoup postérieur au XIIe siècle.

Mais n’avons-nous pas dit que l’époque de transition (et c’est au XIIe siècle que ce nom est généralement donné) n’était encore qu’imparfaitement étudiée ; que ses caractères constitutifs ne pouvaient pas être définis avec la même précision que ceux de l’époque du style à ogive proprement dit, c’est-à-dire des XIIIe, XIVe et XVe siècles ? Dès-lors quels indices certains, quel moyen de contrôle la vue des monumens peut-elle nous fournir ? de quel droit pouvons-nous rejeter ou accepter le témoignage des historiens ?

Qu’on nous permette de distinguer ce qui est encore vague et obscur dans l’époque de transition, et ce qui peut, au contraire, être éclairci jusqu’à l’évidence, et l’on verra qu’il existe des signes assez nombreux et assez sûrs pour déterminer que tel monument est ou n’est pas de ceux que cette époque a dû voir construire.

Cette nouvelle digression ne nous écarte pas de notre but, puisque, en essayant ces recherches sur la cathédrale de Noyon, nous nous proposions avant tout, sinon de résoudre, du moins de poser nettement les questions principales que soulève encore l’époque de transition.

VII.

Ces questions sont de deux sortes : les unes, purement chronologiques, consistent à savoir quelle est l’époque où finit le règne exclusif du plein cintre, et à quels signes on peut reconnaître approximativement l’âge d’un monument de transition ; les autres, plus générales et d’un plus haut intérêt historique, ont pour but de rechercher l’origine même de l’ogive, ou plutôt les causes qui favorisèrent l’adoption de cette forme et firent proscrire le plein cintre, le sens de cette révolution, son but, son esprit, son caractère.

De ces deux sortes de questions, nous n’essaierons de traiter ici que les premières, mais nous hasarderons à propos des secondes quelques aperçus destinés seulement à indiquer dans quelle voie des recherches nouvelles nous sembleraient pouvoir être utilement dirigées.

Commençons par le problème chronologique.

Il s’agit de définir le sens de ces mots : époque de transition. Ils indiquent, cela va sans dire, l’intervalle qui sépare le temps où le style à plein cintre régnait seul, et les trois siècles qui appartiennent exclusivement au style à ogive. Mais à quel moment le style à plein cintre cesse-t-il de régner seul ? c’est ce qu’il faut déterminer.

Suffit-il qu’une ogive apparaisse comme par hasard dans une partie quelconque d’un monument à plein cintre, pour attribuer ce monument à l’époque de transition ? Faut-il, au contraire, ne ranger dans cette époque que les édifices où le principe semi-circulaire et le principe aigu sont en présence et contribuent chacun dans une certaine mesure à l’effet général du monument ? Selon qu’on adopte l’une ou l’autre solution, on donne à l’époque de transition des limites assez restreintes ou une étendue presque indéfinie.

Qui ne sait en effet que, dans les constructions les plus anciennes de Rome et même de la Grèce, on peut découvrir de loin en loin quelques exemples d’arcs à ogive ? Faudra-t-il en conclure que l’époque de transition remonte jusqu’aux siècles des Héraclides ou jusqu’aux temps des Tarquins ? Et si, à des époques du moyen-âge où le règne exclusif du plein cintre ne saurait être mis en doute, nous rencontrons quelques-unes de ces ogives fortuites et isolées, faudra-t-il crier au miracle, et proclamer, comme on l’a fait quelquefois, que l’ogive était en usage sous Charlemagne, voire au temps de Dagobert ?

Non, ces exceptions ne prouvent rien. L’ogive prise en elle-même est aussi ancienne que l’architecture : c’est une de ces formes que personne n’a inventées, dont personne ne s’est servi un certain jour pour la première fois, et qu’on peut rencontrer par aventure en tout temps et en tout lieu. Les plus simples lois de la statique ne nous disent-elles pas qu’en divisant et en faisant butter l’un contre l’autre deux segmens d’un cintre, en les étayant, pour ainsi dire, l’un par l’autre, on donne à l’arcade ainsi composée plus de force qu’en lui laissant la forme semi-circulaire ? Les points d’appui, étant chargés plus directement, plus verticalement, tendent moins à s’écarter, et opposent une résistance plus forte : c’est là un fait que démontre la moindre expérience.

Il n’est donc pas étonnant qu’en certaines circonstances, soit par défaut d’espace, soit par nécessité de fortifier quelques parties d’un édifice, soit même par caprice de décoration, on ait employé accidentellement cette forme. Il n’y a rien là qui constitue l’époque de transition. La présence d’une ogive dans un monument à plein cintre ne commence à tirer à conséquence que lorsqu’elle résulte évidemment d’une intention systématique, d’un parti pris, lorsque ce procédé de construction est mis en regard du système semi-circulaire avec le dessein d’établir entre eux une sorte de lutte, et de remplacer au moins partiellement l’un par l’autre.

Toute la question est donc de savoir comment se révèlent cette intention systématique, ce parti pris, cette lutte ? Rien n’est plus clair, toutes les fois qu’au lieu d’ogives éparses, égarées, vous voyez apparaître soit des séries d’ogives entremêlées à des séries de pleins cintres, soit l’ogive régnant seule à certains étages ou dans certaines parties spéciales de l’édifice. Il faut pourtant y regarder de près, surtout lorsqu’il s’agit des voûtes. On rencontre des monumens entièrement à plein cintre, dont toutes les voûtes sont à ogive, mais la plupart du temps ces voûtes ont été construites un siècle ou deux après le monument.

N’oublions pas que si les voûtes d’arête furent en usage dès les beaux siècles de l’architecture romaine, elles disparurent presque entièrement au milieu des temps de barbarie, et que, dans la plupart des églises bâties avant le XIe siècle, on voyait, en guise de voûtes, des plafonds horizontaux composés de poutres apparentes plus ou moins ornées. Ces plafonds ne cessèrent pas complètement d’être employés durant le XIe siècle, ni même pendant le commencement du XIIe ; on en trouve encore aujourd’hui des exemples dans des églises d’Angleterre postérieures à la conquête, telles que celles de Winchester, d’Ely et de Peterborough. C’est seulement vers le milieu du XIIe siècle que l’usage de voûter les grandes nefs et les transsepts des églises commença à devenir universel. Alors on ne se contenta plus de construire des voûtes dans les églises qu’on bâtissait à nouveau, on en ajouta dans les églises anciennement bâties, et comme l’ogive, en ce temps-là, devenait la forme dominante, les voûtes substituées aux vieux plafonds furent presque toutes des voûtes à ogive.

Avant donc de rien conclure de la présence d’une voûte à ogive dans un monument entièrement à plein cintre, il faut s’assurer si la voûte et le monument ont été faits en même temps, et lors même qu’ils seraient évidemment contemporains, ce ne sera pas toujours un motif pour que le monument appartienne nécessairement à l’époque de transition. En effet, l’emploi de l’ogive dans les voûtes et surtout dans les grands arcs doubleaux qui relient, même lorsqu’il n’y a pas de voûte, les deux parois de la grande nef à son extrémité vers le point d’intersection, peut remonter aux époques les plus reculées. Ainsi dans la grande église de Saint-Front, à Périgueux, église dont la construction ne saurait être postérieure aux premières années du XIe siècle, et qui est probablement plus ancienne, les vastes coupoles suspendues sur la nef et sur les transsepts sont soutenues par quatre grandes ogives construites évidemment en même temps que le reste de l’église. Je défie qu’on découvre dans tout ce monument la moindre tendance aux idées novatrices, le moindre reflet de transition ; ce n’était donc pas pour obéir à une mode nouvelle que ceux qui construisaient ces grands arcs, au lieu de les terminer par un cintre parfait, les brisaient à leur extrémité supérieure, c’était pour chercher un moyen de construction qui leur offrît plus de chance de solidité. Les Romains, sans doute, auraient dédaigné cet expédient lorsque, passés maîtres dans l’art de construire, ils élevaient avec tant d’audace les arcs et les voûtes semi-circulaires de leurs grandes salles de thermes ; mais de telles traditions, une fois perdues, ne s’improvisent pas, et des artistes à demi barbares, voulant lancer aussi des voûtes et des arcades sur de vastes vaisseaux, devaient procéder avec plus de prudence et chercher dans l’arc brisé un moyen plus sûr d’accomplir leur entreprise. De là ce grand nombre de monumens à plein cintre, dont la partie supérieure se termine en ogives rarement très aiguës, quelquefois même assez peu sensibles pour que, du sol de l’édifice, il soit difficile de ne pas les prendre pour des pleins cintres, monumens évidemment antérieurs, et par leur date et par leur caractère, à toute tentative de rénovation de l’architecture. Nous croyons que ces exemples prématurés de l’ogive doivent être à peu près comme non avenus pour qui cherche sincèrement à fixer les premières limites de l’époque de transition. Ce ne sont évidemment pas là les débuts de la nouvelle architecture ; on aurait pu continuer ainsi de siècle en siècle à employer l’ogive dans les voûtes sans que le style à ogive proprement dit eût jamais pris naissance ; d’où il suit, nous le répétons, que même quand il est prouvé qu’une voûte à ogive est contemporaine du monument auquel elle appartient, ce n’est pas un signe suffisant pour classer ce monument dans l’époque de transition. Nous ne voulons pas dire que les édifices qui appartiennent réellement à cette époque ne se terminent pas presque tous par des voûtes à ogive, nous disons seulement que tout monument terminé par une voûte à ogive n’est pas nécessairement un monument de transition.

Mais si les voûtes sont un indice imparfait et souvent trompeur, il n’en est pas de même des parois verticales. Là, point d’équivoque possible. Si vous y trouvez l’ogive mêlée au plein cintre, soit par séries, soit par groupes alternatifs, vous êtes en pleine transition.

Il n’entre pas dans notre plan d’indiquer, même sommairement, sous combien de combinaisons différentes le mélange de ces deux formes peut se produire. Il faudrait passer en revue tous les monumens mi-partis qui sont parvenus jusqu’à nous. Le nombre en est immense, et l’on peut affirmer qu’il n’en est pas deux où le plein cintre et l’ogive occupent les mêmes places, et soient distribués dans le même ordre et dans les mêmes proportions : ici l’ogive domine dans l’intérieur du monument, tandis que toutes les ouvertures extérieures sont à plein cintre ; là les deux formes sont entremêlées, aussi bien en dedans qu’au dehors ; quelquefois c’est seulement dans les ouvertures extérieures du chœur que la forme aiguë apparaît timidement ; ailleurs c’est uniquement dans la façade qu’on peut en apercevoir quelques indices ; tantôt le plein cintre est seul admis dans les parties inférieures de l’édifice, tandis que les étages supérieurs semblent réservés à l’ogive ; tantôt, mais plus rarement, c’est l’ogive, comme à Noyon, par exemple, qui règne seule dans les premiers étages, tandis que le plein cintre est relégué dans le haut. L’énumération de toutes ces variétés serait interminable et sans profit. Il suffit de constater que quelle que soit la manière dont l’ogive se mêle au plein cintre, dès l’instant qu’elle occupe dans un monument, soit au dedans, soit au dehors, et plutôt dans les parties verticales que dans les voûtes, une place assez notable pour qu’il ne soit pas permis de supposer qu’elle la doive seulement au hasard, le monument est à coup sûr un monument de transition.

Voilà donc notre règle générale : le caractère de transition résulte de la présence simultanée de l’ogive et du plein cintre, quelle que soit la part plus ou moins grande accordée à l’une ou à l’autre de ces formes, mais pourvu que l’ogive, au lieu de n’être qu’un accident isolé, contribue à modifier dans une certaine mesure l’effet architectural du monument.

Hâtons-nous de dire que cette règle subit deux exceptions : d’une part, il est des édifices où vous ne trouvez pas un seul plein cintre, mais qui conservent, malgré leurs ogives, tous les caractères du style semi-circulaire, c’est-à-dire, les mêmes moulures, les mêmes chapiteaux, les mêmes ornemens ; d’autre part, il existe des monumens où vainement vous chercheriez l’ogive, même dans les voûtes, mais dont les pleins cintres sont si élancés, si sveltes, bordés de moulures si fines, qu’ils semblent renier leur origine et aspirer à un style nouveau Ces deux sortes de monumens appartiennent en réalité à l’époque de transition, ou du moins ils occupent une sorte de terrain neutre à ses deux frontières opposées. Ce qui complique un peu la question, c’est que, selon les lieux qui les ont vus naître, selon les circonstances au milieu desquelles ils ont été élevés, ces monumens exceptionnels ne se trouvent pas toujours placés chronologiquement au point qui semble leur appartenir, c’est-à-dire, les uns au début, les autres au terme de l’époque de transition proprement dite. Mais ces anomalies, dont le nombre est d’ailleurs limité, et dont il ne serait pas très difficile de se rendre compte en recherchant les causes spéciales qui les ont produites, ne peuvent infirmer en rien la règle générale que nous avons posée. L’emploi simultané de l’ogive et du plein cintre sous les conditions indiquées plus haut, voilà sans contredit le signe le plus apparent, le plus incontestable, le véritable signe caractéristique de l’époque de transition.

Poursuivons donc, et, maintenant que nous avons défini en quoi consistent les monumens de transition, tâchons d’abord de découvrir à quel moment ils commencent à apparaître ; puis, quand nous aurons fixé les premières limites de l’époque qui les a produits, cherchons si, pendant toute la durée de cette époque, ils peuvent être soumis à une classification rigoureuse, si, malgré leur infinie variété, ils sont régis par des lois assez constantes pour qu’il soit possible de déterminer leur âge relatif.

Nous devons l’avouer franchement, de ces deux questions, la seconde ne saurait, dans l’état actuel de la science, recevoir une solution nette et précise. On peut bien dire, d’une manière générale, que ceux de ces monumens où l’ogive apparaît à peine et ne joue qu’un faible rôle sont de tous les plus anciens ; que ceux, au contraire, où la part de l’ogive et celle du plein cintre semblent être à peu près égales, doivent avoir été plus tardivement construits, et qu’enfin les plus récens sont ceux où le plein cintre cède presque partout la place à l’ogive et conserve à peine quelque vestige de son ancienne domination. Sans doute cette classification est indiquée par la nature même des choses, et de nombreux exemples semblent la confirmer ; mais, quelque fondée qu’elle soit en raison, en fait elle n’est pas infaillible. Ce n’est pas là une de ces règles qui reposent sur des observations constantes et invariables. Lorsque l’architecture à ogive est parvenue à sa maturité, lorsque le XIIIe siècle, cette époque d’ordre et d’organisation, est venu lui donner des lois fixes et régulières, on peut sans témérité, nous l’avons vu, poser les jalons d’une classification chronologique. C’est qu’en effet il s’opère alors, tous les vingt-cinq ou trente ans, soit dans les procédés de construction, soit même dans les principes architectoniques, une modification plus ou moins légère, mais toujours assez appréciable pour servir d’indication à l’archéologue. Cette modification, il est vrai, peut n’être pas adoptée partout en même temps, mais elle finit toujours par pénétrer dans tous les lieux où l’architecture à ogive est établie. Il suffit donc de savoir, et l’observation nous l’apprend bientôt, que certaines nations ou certaines provinces sont plus ou moins précoces, c’est-à-dire accueillent en général plus ou moins promptement ces sortes d’innovations, pour en conclure, avec une certitude scientifique, que telle ou telle particularité dans le style d’un monument doit, selon le lieu où on l’observe, faire attribuer sa construction à telle ou telle période du XIIIe, du XIVe ou même du XVe siècle. Dans l’époque de transition, au contraire, rien n’est assis, rien n’est réglé ; on essaie de tout en même temps et en tous lieux ; on revient, après de longs intervalles, aux essais qu’on a d’abord tentés ; c’est un va-et-vient continuel, une hésitation générale en matière de goût. Le siècle est novateur et incertain ; son esprit se reflète sur ses monumens. Il ne faut donc pas s’étonner que, dans cette bigarrure, nous cherchions vainement un de ces principes régulateurs qui servent de base à une classification scientifique. Comment généraliser ce qui est variable à l’infini, et à quoi bon poser les règles, quand il faudrait, au même instant, pour chaque pays et pour chaque sorte de monumens, faire courber ces règles devant d’inévitables exceptions ? Découvrira-t-on jamais une loi commune à toutes les productions architecturales de cette époque, une loi qui rende compte de leur inexplicable diversité ? Nous voulons bien ne pas en désespérer, tout en nous résignant, quant à présent, à ne déterminer que très approximativement et avec une grande réserve l’âge relatif de ces monumens.

Mais si l’époque de transition, considérée dans ses phases successives, est encore pleine d’obscurité, est-elle également impénétrable lorsqu’il s’agit seulement de fixer ses premières limites, de découvrir son véritable commencement ? Nous ne le pensons pas. Assurément personne ne saura jamais quel est le jour, quelle est l’année où, pour la première fois, un monument mi-parti d’ogives et de pleins cintres parut dans nos contrées. Ce n’est pas en ce sens que le problème peut être résolu ; mais nous croyons qu’il est permis d’affirmer, avec cette confiance qu’on accorde aux vérités historiques les mieux démontrées, que, dans celles de nos provinces où l’architecture s’est le plus hâtée d’accueillir les premiers essais du système nouveau, il n’a rien été construit d’après ce système tant qu’a duré le XIe siècle, et que c’est seulement vers les premières années du règne de Louis le Gros qu’on peut, avec quelque assurance, admettre l’apparition d’un petit nombre de monumens de transition.

Nous n’ignorons pas combien de controverses ont été soulevées à ce sujet. Presque tous ceux qui, de près ou de loin, ont porté leurs regards sur l’archéologie du moyen-âge, ont émis, à propos de cette question, les opinions les plus contradictoires, et presque toujours tranchantes et absolues. Les uns, plus érudits qu’archéologues, plus accoutumés à lire dans les livres que sur les monumens, ont soutenu, sur la foi de certains textes, les plus étranges paradoxes, et donné à quelques édifices qu’ils affectionnaient une vétusté tout-à-fait inconciliable avec le style de leur architecture ; d’autres, ne voulant voir dans ces découvertes paradoxales que de pieuses fraudes, ont nié sans pitié toutes ces prétendues exceptions, toutes ces précocités hors nature, et n’ont consenti à admettre l’existence des monumens de transition que dans la dernière moitié et presqu’à l’extrémité du XIIe siècle. Au nombre de ces derniers, il faut compter presque tous les écrivains de l’Allemagne et de l’Angleterre qui se sont occupés de ces matières avec le plus de distinction.

Tout en partageant sur beaucoup de points leur incrédulité, je ne puis me refuser d’admettre qu’ils sont allés trop loin. Ils ont subi malgré eux l’influence de ce qu’ils voyaient dans leur propre pays, et ont jugé qu’il en devait être nécessairement chez nous de même que chez eux. Or, nous ne saurions trop le dire, sans vouloir en tirer la moindre vanité nationale, l’antériorité des monumens à ogive français sur tous ceux du nord de l’Europe ne nous semble pas pouvoir être mise en doute. C’est un fait que les écrivains anglais en général ne font pas grande difficulté de reconnaître. M. Dawson Turner[2], M. Whittington[3], M. G. Wilson[4], M. Gally Knight[5], avouent franchement que l’ogive n’est pas d’invention anglaise, et qu’elle apparaît en France plus tôt qu’en Angleterre[6]. Des aveux aussi explicites sont plus rares sur le sol germanique ; mais les faits y parlent aussi clairement. On sait exactement à quelle époque ont été construits les principaux monumens de l’Allemagne ; combien n’en voit-on pas qui sont bâtis à la fin du XIIe siècle, sans que l’ogive s’y laisse apercevoir ! et même au commencement du XIIIe combien sont encore mi-partis d’ogives et de pleins cintres ! Voyez à Gelnhausen les ruines de cet admirable palais que construisit Frédéric Barberousse vers 1180, c’est-à-dire pendant que Notre-Dame de Paris était en pleine construction ; vous n’y trouverez pas la moindre ogive, et bien que les détails de sculpture soient traités avec ce luxe tout oriental qui appartient surtout à l’époque de transition, la masse de la construction est encore empreinte d’une rudesse et d’une sévérité qui pourraient la faire attribuer au siècle des Othon. Soit que vous suiviez les bords du Rhin, soit que vous pénétriez dans l’intérieur du pays, vous voyez pendant tout le XIIe siècle le plein cintre régner sans trouble et presque sans partage : s’il fait des concessions, c’est en maître, et quand vient l’époque où il succombe enfin, il n’abandonne que pied à pied son domaine. Chose étrange ! ce style à ogive, si long-temps arrêté dans sa marche en Allemagne, est réputé par quelques Allemands le style teutonique par excellence ! Sans doute il s’est acclimaté et naturalisé en Germanie, sans doute il y a produit de grandes et belles œuvres ; mais qu’il y soit né, jamais observateur de bonne foi ne pourra le soutenir. Les preuves du contraire sont palpables. Il y a dans la seule Picardie et dans l’Île-de-France, cette partie de notre sol où l’ogive semble avoir fait sa première apparition, quinze ou vingt monumens du premier ordre dont l’histoire repose sur des titres authentiques, et qui sont indubitablement de trente à quarante ans plus anciens que les monumens similaires en Allemagne. À moins donc de mettre de côté tout ce que les témoignages les plus irrécusables nous apprennent au sujet d’églises, telles que Notre-Dame de Paris, Notre-Dame de Senlis, Saint-Yved de Braisne, la cathédrale de Soissons, à moins de ne tenir aucun compte de faits aussi bien établis que l’époque où furent construits nos grands édifices du XIIIe siècle, la cathédrale de Reims, par exemple, celle de Bourges, celle d’Amiens, celle de Beauvais, je ne saurais, quelle que soit mon estime et ma déférence pour des hommes dont l’esprit et la science sont si justement honorés en Allemagne, leur accorder que cette antiquité, qu’on attribue chez nous à certains monumens à ogive, doive nécessairement être une fable grossière, par cela seul qu’au-delà du Rhin l’impossibilité d’un tel fait serait évidente et hors de tout débat. Pour faire une semblable concession, il faudrait avoir oublié qu’en l’an 1248 nous consacrions à Paris la Sainte-Chapelle du Palais, ce type accompli du style à ogive, lorsque sur les bords du Rhin, dans cette même année, on se disposait seulement à poser la première pierre du dôme de Cologne.

Mais si nous n’adoptons pas dans toutes ses conséquences le scepticisme des savans allemands, nous nous garderons bien, d’un autre côté, d’accepter sans contrôle les brevets d’ancienneté si libéralement accordés parmi nous, non-seulement à quelques monumens de transition, mais même à des constructions à ogive du style le plus pur, le plus fin, le plus élancé, tel que la cathédrale de Coutances, par exemple, ce modèle exquis de l’art de bâtir au XIIIe siècle, dont on veut faire remonter la fondation à l’an 1030 et l’achèvement à l’an 1083.

De tous les paradoxes qu’a suggérés l’archéologie du moyen-âge, c’est assurément là le plus hardi. Soutenue d’abord avec chaleur et conviction par le savant M. de Gerville, mais accueillie presque aussitôt par d’inflexibles objections et par une incrédulité à peu près générale, cette opinion semblait abandonnée, lorsque, il y a peu d’années, un nouveau champion, M. l’abbé Delamare, vicaire-général de Coutances, se présenta dans la lice avec un mémoire aussi remarquable par une parfaite bonne foi que par les plus grands efforts de patience et d’érudition[7]. Malheureusement l’auteur était mieux préparé aux recherches paléographiques qu’à l’étude des monumens. Il paraît en avoir peu vu, peu comparé ; de là vient qu’il fait si bon marché de toute classification chronologique, fondée sur l’étude et sur la comparaison des monumens eux-mêmes. Il lui semble presque puéril d’attacher, en pareille matière, quelque importance aux analogies et aux différences, comme si, en quelque matière que ce soit, la science humaine pouvait reposer sur autre chose. Si M. Delamare avait pour un moment laissé là les textes qu’il étudie si bien, et visité avec des yeux d’archéologue seulement quinze ou vingt monumens du XIIIe siècle pris au hasard ; si, retrouvant dans tous ces monumens les mêmes principes générateurs, au travers de quelques différences secondaires, il avait ensuite porté ses regards sur un certain nombre de monumens de transition, et qu’il eût retrouvé en eux les germes encore incomplets de ces principes communs à tous les monumens du XIIIe siècle, ne se serait-il pas dit, en refermant prudemment ses nécrologes et ses archives capitulaires : Il y a quelque chose de moins trompeur que les écrits des hommes, ce sont les lois nécessaires et constantes de l’esprit humain, et parmi ces lois il en est une qui n’est ni la moins constante ni la moins nécessaire, celle qui veut que ni l’homme ni l’espèce humaine ne fassent rien de complet et d’achevé du premier coup ? Les plus grands siècles comme les plus grands génies ont obéi à cette loi : point de chef-d’œuvre sans ébauche. Et vous voulez que cet admirable système de l’architecture à ogive, avec tous ses effets, avec tous ses secrets, avec sa coupe de pierres si compliquée et si neuve, avec cette audacieuse légèreté, résultat d’une foule de combinaisons que nous voyons éclore successivement et laborieusement pendant plus d’un siècle, vous voulez que tout cela, sans que rien y manque, ait été improvisé un certain jour à Coutances, près de deux cents ans avant que, dans aucun autre lieu du globe, ce système eût été complètement réalisé, et quatre-vingts ans au moins avant que partout ailleurs on songeât à introduire quelques pauvres ogives au milieu des antiques pleins cintres ! À quelle cause attribuer un tel prodige ? L’auteur ne le dit pas, et c’est à peine s’il le cherche, tant il paraît avoir peu conscience qu’il y a là quelque chose qui révolte la raison[8]. Il croit soutenir une opinion comme une autre, et bouleverse avec une tranquillité parfaite non-seulement toutes les données de l’histoire, mais les conditions premières de notre nature. Parce qu’il a lu, dans je ne sais quel registre, dont on ne retrouve plus nulle part l’original, registre désigné sous le nom de Livre noir, qu’en l’an 1030 une église a été fondée à Coutances, il se croit en droit d’affirmer que cette église est bien celle qui existe aujourd’hui, et prétend que ce n’est pas lui qui est tenu d’en administrer la preuve, mais que c’est à ceux qui voient dans cette église une œuvre du XIIIe siècle à fournir la démonstration écrite de ce qu’ils avancent.

Telle était déjà la prétention de M. de Gerville, mais elle s’est fortifiée chez son continuateur : en effet, et c’est là ce qu’il y a de neuf dans le travail de M. Delamare, après avoir établi, sur la foi de ce vieux cartulaire, aujourd’hui égaré, que l’église de Coutances, fondée en 1030, a été achevée en 1083, il fait passer sous nos yeux toutes les archives du chapitre, archives qui, selon lui, sont complètes et sans lacune, et il défie qu’on trouve, depuis l’année 1083 jusqu’au milieu du XIVe siècle, un seul moment où l’on puisse supposer qu’une nouvelle église ait pu être édifiée.

Il faudrait, pour que cet argument négatif eût quelque valeur, admettre une chose presque aussi prodigieuse qu’une église du XIIIe siècle bâtie en l’an 1030, c’est à savoir l’existence d’archives capitulaires complètes et sans lacune. Quelle que soit notre confiance dans les savantes recherches de M. Delamare, nous ne saurions croire à la réalité d’un tel prodige. Mais, en supposant même que, par une exception merveilleuse, ces archives de Coutances, tenues exactement jour par jour, nous soient parvenues intactes et complètes, faudrait-il donc, si nous les trouvions muettes au sujet d’une reconstruction de l’église, faudrait-il en conclure que cette reconstruction n’aurait pas eu lieu ? N’avons-nous pas vu déjà quelle est l’insouciance des chroniqueurs et des archivistes du moyen-âge pour tout ce qui concerne l’édification des monumens qui s’élèvent sous leurs yeux ? Ne savons-nous pas que les seuls faits dont ils tiennent exactement registre sont les faits purement ecclésiastiques[9] ? Or c’est encore là une occasion d’erreur contre laquelle il importe de se tenir en garde. De ce que ces archives de Coutances font mention presque à chaque page, soit de cierges que des fidèles à leur lit de mort ordonnent d’entretenir dans la cathédrale, soit de services divins qui doivent y être célébrés, l’auteur en conclut qu’il n’a pas dû s’écouler un seul instant sans qu’il existât une église cathédrale à Coutances ; que, par conséquent, il n’y a eu ni destruction ni reconstruction, et que l’ancienne église a toujours subsisté. Mais comment oublier que, pendant le moyen-âge, c’était un usage constant et nécessaire que de faire succéder sans interruption, pour ainsi dire, l’église nouvellement reconstruite à l’église abandonnée ? Même au milieu des fouilles et des décombres, au milieu des échafaudages couverts de centaines d’ouvriers, il fallait assurer la perpétuité du culte, en conservant tout ou partie du vieil édifice jusqu’au moment où le nouveau pouvait être consacré. Les faits abondent pour certifier cet usage. Ainsi dans les archives capitulaires de Beauvais, on lit ces mots : [texte latin][10]. Ce fut donc, comme on voit, en 1272 que pour la première fois les chanoines de Beauvais célébrèrent les offices dans leur chœur nouvellement construit : or, leur cathédrale avait été incendiée en 1225 ; sa ruine avait été à peu près complète. Eh bien ! pendant les quarante-sept ans que durèrent les travaux de réédification, on ne trouve rien dans les archives capitulaires qui puisse faire supposer que l’église a cessé d’exister. On voit, comme par le passé, les évêques donner des revenus à telles ou telles chapelles de la cathédrale, fonder des messes singulis diebus celebrandas ; on continue enfin à voir enterrer les évêques dans l’église. N’est-il donc pas évident que la non interruption du service divin dans la cathédrale de Coutances ne peut détruire les raisons qui nous ordonnent de croire que, depuis sa fondation en 1030, elle a dû nécessairement être reconstruite ?

Quant à la prétendue impossibilité qu’une église édifiée au milieu du XIe siècle ait été rebâtie de fond en comble pendant le XIIIe, c’est-à-dire deux siècles à peine après sa construction primitive, sans que sa ruine ait été causée par une guerre ou par un incendie dont on garde le souvenir, c’est encore là, qu’on nous permette de le dire, un oubli complet de ce qui se passait tous les jours au moyen-âge ; c’est s’étonner d’une chose toute simple et tout ordinaire. Sans parler des innombrables églises que nous voyons reconstruire à partir de l’an 1000, bien que souvent elles n’eussent pas un siècle d’existence, combien n’en trouverait-on pas, même à l’époque qui nous occupe, qui furent ainsi renouvelées sans qu’il y eût absolue nécessité, mais seulement pour obéir, soit au vœu de riches testateurs, soit à la pieuse ardeur de paroissiens jaloux d’un temple construit à la moderne dans une ville du voisinage ! Ne prenons pas un exemple obscur : la belle église de Senlis a été réédifiée vers l’an 1155, achevée en 1184, et inaugurée en 1191. À quelle époque avait-elle été fondée pour la première fois ? Vers 1068[11], par conséquent moins d’un siècle avant qu’elle fût construite à nouveau. Ni la guerre, ni l’incendie, n’avaient causé sa ruine ; mais elle avait été probablement mal bâtie, on la trouvait déjà vieille et peu solide : on la rebâtissait pour la rendre plus belle et plus spacieuse. Pourquoi, si à Senlis il en était ainsi, n’en aurait-il pas été de même à Coutances ?

Nous ne suivons l’auteur, comme on voit, que sur le terrain où il se croit inattaquable. Si nous abordions la question sous un autre aspect, au point de vue de l’appréciation des styles, il serait facile de prouver combien il se méprend sur la valeur de ce qu’il appelle le système d’analogie, et à combien de jugemens erronés, faute de notions pratiques, il est conduit à son insu.

Ce n’est ici ni le moment ni le lieu d’entrer dans ces détails ; mais il est à souhaiter qu’une réfutation complète vienne bientôt dissiper jusqu’au moindre doute que peut soulever la lecture de ce mémoire. C’est un travail à faire en présence des archives de Coutances et surtout en présence du monument, travail qui n’aurait pas seulement pour résultat de faire justice d’un préjugé local, mais de donner un salutaire avertissement, en montrant à quelles chimériques conséquences un esprit distingué peut, de la meilleure foi du monde, être entraîné par une fausse méthode archéologique[12].

À côté de cette controverse sur la cathédrale de Coutances, toutes les autres semblent fades et décolorées. Partout ailleurs, en effet, c’est pour des années qu’on se dispute, tandis qu’à Coutances ce sont les siècles qui sont en jeu. C’est le règne de saint Louis qu’il s’agit de substituer au règne du roi Robert : nulle part on ne s’élève à de telles prétentions. Toutefois la cathédrale de Séez sert de texte à des récits qui ne sont guère moins extraordinaires. Quoique d’un style plus inégal et moins pur que celle de Coutances, la cathédrale de Séez appartient aussi à la belle époque de l’architecture à ogive ; ce n’est pas un monument de transition, le principe vertical et les formes aiguës s’y manifestent d’une manière presque exagérée. Qu’importe ? on vous prouve, l’histoire en main, que cette église a été fondée en 1053 ; à vingt-trois ans près, c’est aussi merveilleux qu’à Coutances. Cependant ici le paradoxe est soutenu avec moins de hardiesse, d’abord parce qu’à Séez il n’y a ni Livre noir, ni archives capitulaires ; en second lieu, parce qu’il est à peu près prouvé qu’en l’an 1150 la cathédrale et la ville furent incendiées de fond en comble. C’en est assez pour que les moins clairvoyans soient en garde contre la prétendue identité de la cathédrale actuelle et de la cathédrale de 1053.

Quant aux autres églises à dates merveilleuses, telles que la collégiale de Mortain, la cathédrale de Chartres, l’église de l’abbaye de Fécamp, ce sont au moins des constructions qui appartiennent en partie à l’époque de transition ; elles sont toutes d’un demi-siècle environ plus anciennes que les cathédrales de Coutances et de Séez, et comme on fait remonter leur fondation moins haut, il faut convenir qu’à leur égard la vraisemblance est moins outrageusement violée. Cela n’empêche pas qu’aucun de ces monumens ne peut avoir été construit aux époques qu’on leur assigne. Ainsi, à Mortain, il ne reste évidemment de la construction de 1082 qu’une seule porte, et cette porte est à plein cintre ; à Chartres, s’il est vrai, comme on le raconte, que la princesse Mahaut, veuve de Guillaume-le-Bâtard, ait fait couvrir de plomb, en 1088, le chœur, les transsepts et une partie de la nef de la cathédrale, il est parfaitement certain que ce n’était ni le chœur, ni les transsepts, ni la nef de la cathédrale actuelle, dédiée seulement en 1260. Notre-Dame de Chartres était à peine hors de terre, lorsqu’en 1145, au retour d’un voyage dans le pays chartrain, Hugues, archevêque de Rouen, écrivait à l’évêque d’Amiens Thierry que tous les habitans de la province, hommes, femmes, et enfans se livraient depuis peu avec une incroyable ardeur à la reconstruction de leur église[13]. Enfin, quant à Fécamp, on oublie, lorsqu’on veut voir dans l’église de son abbaye un monument de 1108, qu’en 1167 un incendie réduisit en cendres tout le monastère[14], et que l’abbé Henri de Suilly travaillait encore à relever l’église de ses ruines lorsqu’il mourut en 1188.

Ainsi, tout en regardant comme un fait incontestable que l’époque de transition commence dans le nord-ouest de la France beaucoup plus tôt que dans les pays voisins, il faut mettre de côté tous ces prétendus miracles qui ne font que rendre suspectes aux gens sérieux nos dates même les plus authentiques. Des monumens de transition, à partir de 1150, quelque rares qu’ils puissent être dans le reste de l’Europe, nous pouvons hardiment en montrer chez nous un bon nombre ; mais des constructions complètement à ogive avant cette époque, c’est courir après une chimère que de vouloir en trouver une seule.

Toutefois, quelques mots encore sur une église à laquelle on attribue, en Picardie, une ancienneté presque aussi extraordinaire que celle dont on fait honneur, en Normandie, à la cathédrale de Coutances. Nous voulons parler de l’ancienne cathédrale de Laon. L’histoire de cette grande église, remarquable à beaucoup d’égards par son architecture, est mêlée à celle des sanglantes catastrophes qui signalèrent, dans la ville de Laon, l’établissement de la commune. Au moment où les bourgeois venaient de massacrer leur évêque, la cathédrale, prise et reprise d’assaut, devint tout à coup la proie des flammes. L’incendie fut violent ; il dévora une moitié de la ville, et l’église fut en grande partie détruite. C’était en l’année 1112. Deux ans après, en 1114, grace à des quêtes abondantes, faites non-seulement en France, mais même en Angleterre, grace à l’ardeur du clergé et de la population, tout était réparé, et le culte était solennellement rétabli dans l’église[15].

Venait-on seulement de restaurer l’édifice ? l’avait-on reconstruit complètement ? L’opinion commune croit à une reconstruction[16]. Si cette opinion était fondée, si l’église qui subsiste aujourd’hui était celle de 1114, cet immense édifice serait l’œuvre de deux années et quelques mois ! Une telle supposition ne peut pas se soutenir. Quelque nombreux que fussent les ouvriers, quelque abondant que fût l’argent, il était matériellement impossible qu’un si vaste vaisseau pût être élevé et couvert dans l’intervalle de deux ans et demi. Un pareil tour de force ne serait pas plus admissible avec les procédés employés aujourd’hui qu’avec ceux dont on se servait alors. Ajoutons que, parmi les monumens du moyen-âge dont on sait exactement l’histoire, monumens moins grands, pour la plupart, que la cathédrale de Laon, plus richement dotés, soit par le zèle des fidèles, soit par la munificence de nos rois, comme l’église Saint-Yved de Braisne, par exemple[17], il n’en est pas un seul dont la construction n’ait duré vingt, trente, quarante et même jusqu’à soixante ans[18]. Il est donc évident que les travaux qui s’exécutèrent à Laon de 1112 à 1114 étaient des travaux, non de reconstruction complète, mais seulement de restauration. Comment d’ailleurs conserver le moindre doute, puisque le moine Herman, témoin oculaire du désastre, nous apprend que l’église n’avait pas été entièrement détruite, mais qu’elle avait seulement souffert de grands dommages.

Ainsi la cathédrale consacrée en 1114 n’était autre que l’ancienne cathédrale, monument à plein cintre, d’une assez haute antiquité, qu’on venait de consolider, de réparer, afin de pourvoir aux besoins du culte. Au bout d’un demi-siècle environ, ces murailles calcinées auront de nouveau menacé ruine, et il aura fallu les rebâtir de fond en comble. De là l’église actuelle, construction faite évidemment d’un seul jet, bien qu’on y rencontre quelques disparates ; monument dont certains chapiteaux conservent encore une forme un peu romane, mais où l’ogive domine presque exclusivement, et qu’il est difficile de ranger parmi les œuvres de l’époque de transition, tant il semble appartenir plutôt au XIIIe siècle qu’au XIIe.

Est-il besoin de dire que, puisque les travaux de 1114 n’ont été nécessairement que des travaux de restauration, il est impossible de supposer que le monument restauré se soit conservé jusqu’à nos jours, et que ce soit encore lui que nous ayons devant les yeux. D’abord on ne découvre pas sur la maçonnerie de la cathédrale actuelle la moindre trace d’une reprise, d’une réparation aussi importante que dut être celle de 1114 ; en second lieu, la cathédrale de Laon, d’après le témoignage des historiens, était déjà très ancienne lorsqu’elle fut incendiée : croire à sa perpétuité, ce serait donc admettre l’existence d’un monument entièrement à ogive, non plus au début du XIe siècle, mais bien avant l’an 1000. Ce serait faire un acte de foi encore plus complaisant que celui qu’on nous demande pour la cathédrale de Coutances.

Cette thèse a pourtant été soutenue[19]. On a prétendu que les chroniqueurs ne parlant pas d’une reconstruction de la cathédrale postérieurement à 1114, cette reconstruction ne pouvait avoir eu lieu. Pour nous, elle n’en est pas moins certaine, et à défaut de toutes les raisons que nous venons d’en donner, il suffirait, pour se convaincre, de jeter les yeux sur un autre monument encore debout dans la ville de Laon, l’église de l’ancienne abbaye de Saint-Martin. Cette collégiale n’ayant été réformée et régularisée par saint Norbert qu’en 1124, et le nombre des religieux ne s’étant augmenté dans une proportion assez considérable pour motiver la reconstruction de l’église qu’environ douze ans après, on ne peut faire remonter cette reconstruction qu’à 1140, ou tout au plus à 1136. Eh bien ! à l’exception de la façade, qui est beaucoup plus récente, l’église entière n’est percée extérieurement que de fenêtres à plein cintre ; sa forme, son aspect général, les sculptures de la corniche, les moulures qui relient les cintres des fenêtres, tout en elle appartient au style roman de la dernière époque.

Que ceux qui verront cette église de Saint-Martin de Laon la comparent avec la cathédrale, et qu’ils se demandent s’il est possible de supposer que, de ces deux édifices, la cathédrale soit le plus ancien. Admettons même, si l’on veut, l’hypothèse d’une reconstruction totale en 1114, hypothèse démentie par les faits, comme on l’a vu plus haut ; il n’en sera pas moins hors de toute vraisemblance qu’à côté d’un monument où le style à ogive semble déjà presque parvenu à son entier développement, il se soit élevé, vingt ou trente ans plus tard, dans la même ville, un autre monument servilement fidèle, par ses formes extérieures, aux lois de l’ancienne architecture, et se rattachant à peine à l’époque de transition par quelques arcades à ogive qui se montrent timidement à l’intérieur[20].

Ainsi mettons de côté la cathédrale de Laon comme toutes les autres. Pas plus d’exceptions miraculeuses en Picardie qu’en Normandie. Partout l’art a suivi, non pas une marche uniforme et régulière, tant s’en faut, mais un certain mouvement de progression plus ou moins lent, plus ou moins rapide, sans jamais cesser d’être continu. Nulle part de ces pas de géant qui franchissent d’un bond la carrière ; nulle part de ces coups d’essai valant mieux que les coups de maître ; partout, au contraire, entre l’ancien et le nouveau style, un temps de passage, plein de diversité, variable dans sa durée comme dans ses formes, mais nécessaire ; partout, en un mot, une époque de transition.

C’est là le premier point qu’il importe de constater ; puis, une fois démontrée la nécessité et l’universalité de l’époque de transition, reste à déterminer, d’une manière générale, à quel moment elle commence.

Nous l’avons affirmé déjà, et nous le répétons avec plus d’assurance, ce n’est pas durant le XIe siècle. On peut à cette époque rencontrer des ogives éparses, on trouve même, à mesure que le siècle est plus proche de sa fin, de plus nombreux essais de la forme nouvelle ; mais ce ne sont que des essais isolés, des tentatives qui s’ignorent, des exemples sans imitateurs.

Pendant les premières années du XIIe siècle, ces essais ont dû se multiplier, sans toutefois qu’on puisse encore citer aucun monument à date certaine dans lequel l’ogive joue un rôle vraiment important.

De 1120 à 1140, au contraire, on aperçoit plus clairement un parti pris, une intention systématique de substituer la nouvelle forme à l’ancienne. Les ogives commencent à se montrer par séries et souvent même par étages superposés. Néanmoins, c’est presque uniquement dans l’intérieur des édifices, avec une sorte de mystère et de timidité, comme à Saint-Martin de Laon, par exemple, que les innovations osent se produire. Il semble que cette prise de possession des monumens, par leur intérieur, soit une loi commune à toutes les époques de transition. Ainsi, lorsqu’au XVIe siècle l’ogive est à son tour abandonnée pour le plein cintre, c’est encore dans l’intérieur des édifices que se manifestent de préférence les premiers essais du nouveau style. Combien ne citerions-nous pas d’églises bâties à cette époque, particulièrement en Normandie, dont les fenêtres à ogives sont encore parsemées de meneaux flamboyans, tandis qu’à l’intérieur le ciseau de la renaissance s’est promené sur la pierre et l’a couverte de ses légères arabesques ! Le même fait s’était produit quatre siècles auparavant ; voilà pourquoi nous trouvons tant d’églises qui, par leur aspect extérieur, semblent encore appartenir à la famille des édifices à plein cintre, tandis que leurs parois intérieures reposent sur deux rangées d’arcades aiguës. Il est vrai que, pour expliquer cette anomalie, on a prétendu que les croisés avaient trouvé, dans l’intérieur de l’église de Jérusalem, le tombeau du Sauveur entouré d’une colonnade à ogive, et que par un pieux souvenir nos constructeurs d’églises n’avaient d’abord songé à reproduire ce genre d’arcades qu’à la place qu’elles occupaient dans le lieu saint, c’est-à-dire dans l’intérieur des édifices[21]. Nous ne nous prononçons pas sur le mérite de cette explication ; nous constatons seulement comme un fait que, parmi les monumens de transition, ceux qui paraissent les plus anciens, et qu’on peut avec le plus de certitude faire remonter jusqu’à la première moitié du XIIe siècle, se distinguent assez généralement par cette circonstance, que l’ogive occupe en dedans une place de quelque importance, tandis qu’on l’aperçoit à peine au dehors.

Vers 1150, le nombre des monumens mi-partis va toujours en croissant, l’ogive se montre de plus en plus hardie, et il est bien peu de constructions, soit religieuses, soit civiles, où on ne la voie se mêler aux arcs semi-circulaires.

Enfin, après 1170 environ, l’emploi de l’ogive est devenu assez fréquent, assez habituel, non-seulement pour qu’il ne se construise plus un seul monument sans que cette forme y figure, mais pour qu’on commence à en construire où elle figure seule, à l’exclusion de toute autre forme architecturale. C’est là la dernière période de l’époque de transition, période qui finit par se confondre, vers les premières années du XIIIe siècle, avec l’âge du style à ogive proprement dit. Pendant cet intervalle, le plein cintre ne disparaît pas encore de la scène : on le voit même parfois lutter avec vigueur et jeter un dernier éclat, comme sur la tour méridionale de la cathédrale de Sens, bâtie en 1283 ; et quant à l’architecture à ogive, quoique déjà parvenue au terme de sa croissance, elle n’est pas encore en possession de tous ses moyens d’effet, elle n’a pas complètement le secret de son propre génie, sa légèreté est encore un peu robuste, et ses voûtes ont beau s’élancer vers le ciel, on croit y voir planer encore, comme à Saint-Yved de Braisne, je ne sais quel souvenir de plein cintre qui les rabaisse vers la terre. En un mot, quoique le but soit bien proche, il n’est pas atteint ; c’est encore l’époque de transition, c’est-à-dire la préparation à quelque chose de plus pur et de plus parfait.

Telles sont les seules données générales qu’il nous soit permis de hasarder au sujet de ce problème chronologique que nous avons en commençant déclaré presque insoluble, et qui en effet résisterait certainement, quant à présent du moins, à toute solution plus nette et plus précise. En ne donnant pas aux divisions que nous proposons un sens trop absolu, et surtout en ne sortant pas de cette partie du sol de la France que nous avons pris soin de circonscrire, nous croyons difficile qu’en nous suivant on risque de beaucoup s’égarer.

VIII.

Appliquons maintenant ces données à l’église Notre-Dame de Noyon.

Ne devient-il pas d’abord évident, ainsi que nous l’avons déclaré avec Guillaume de Nangis, que l’incendie de 1131 a dû détruire l’église de fond en comble, ou du moins qu’il a rendu nécessaire sa complète reconstruction ? Quelle que soit la part que le plein cintre conserve dans l’église actuelle, bien que cette part semble presque égale à celle de l’ogive, il n’en est pas moins vrai que l’ogive y règne à peu près en souveraine, et que le monument tout entier est conçu sous l’influence et dans l’esprit du système à ogive. Or, nous savons maintenant jusqu’à quel point il serait chimérique de supposer qu’un tel monument ait pu exister avant 1131.

Reste à savoir, ce qui est beaucoup plus difficile, à quel moment a dû s’effectuer la reconstruction : a-t-elle été entreprise immédiatement après l’incendie ? s’est-il, au contraire, écoulé un intervalle plus ou moins long avant qu’on se soit mis à l’œuvre ?

Sans pouvoir déterminer en quelle année commencèrent les travaux, nous ne pensons pas que la reconstruction ait été immédiate. D’abord, au moment du désastre, les finances de l’évêché ne devaient plus être florissantes. L’évêque Simon se livrait depuis sept ans avec un grand zèle à la fondation de la célèbre abbaye d’Ourscamp. Cette œuvre pieuse avait épuisé toutes ses ressources. Il est vrai qu’à la nouvelle de l’incendie, le pape vint, comme on l’a vu, au secours de l’évêque en écrivant la lettre que nous avons rapportée ; mais rien ne prouve que les évêques de Rouen et de Sens aient répondu avec beaucoup d’enthousiasme à la provocation du saint père. Il serait même possible que, pour complaire au pape lui-même, leur zèle se fût bientôt refroidi, car on voit, quelques années après, notre évêque encourir les censures de la cour de Rome pour avoir favorisé le divorce de son frère Raoul, comte de Vermandois. Cette disgrace dura long-temps et eut de fatales conséquences pour l’évêché de Noyon, car elle lui fit perdre l’espèce de suzeraineté qu’il exerçait sur le siége de Tournay. La réunion de ces deux évêchés s’était maintenue depuis plusieurs siècles, au grand désespoir des chanoines flamands ; l’évêque, en effet, résidait presque toujours à Noyon, et malgré l’apparente égalité des deux siéges, celui que n’occupait pas l’évêque était réellement soumis à l’autre. Profitant des mauvaises dispositions du pape à l’égard de Simon, les chanoines de Tournay obtinrent une bulle qui prononçait la séparation des deux siéges, et donnait à Tournay un évêque propre. De ce moment, ce n’est plus ni la fondation d’Ourscamp, ni le désastre de sa cathédrale, c’est la perte d’une de ses deux crosses qui devient la première affaire de l’évêque de Noyon. Nous le voyons aller à Rome pour tâcher de fléchir le saint père, puis, n’ayant pas réussi, venir implorer l’assistance de son cousin le roi Louis VII ; mais ce prince allait bientôt se brouiller lui-même avec la papauté : Simon, se liant étroitement à la personne et à la fortune de son royal parent, le suivit à la croisade, et mourut pendant l’expédition, à Seleucie, l’an 1148.

Il y avait dix-sept ans que la cathédrale avait été incendiée, et, selon toute apparence, on n’avait pas encore pu s’occuper sérieusement de sa reconstruction. Peut-être avait-on réparé, pour abriter le culte, les parties les moins endommagées de l’édifice, mais sous un épiscopat aussi agité, au milieu de circonstances aussi défavorables, il est plus que probable que le chapitre avait dû se borner à de simples travaux provisoires, et que la réédification de toute la cathédrale avait été ou ajournée ou poursuivie avec beaucoup de lenteur et d’hésitation.

Sous le successeur de Simon, au contraire, de meilleurs jours commencent à luire pour l’évêché de Noyon. La perte de Tournay n’est pas réparée, mais les vertus du nouveau prélat, Beaudoin II, son activité prévoyante, son administration calme, énergique et régulière, ont bientôt fait disparaître les désordres que les continuelles absences de Simon avaient encouragés. Honoré de la faveur de Suger, de l’amitié de saint Bernard, Beaudoin cherchait à prendre ces deux grands hommes pour modèles. Or, la construction des églises fut, comme on sait, une des grandes occupations de leur vie. N’est-il donc pas probable que Beaudoin, après avoir rétabli l’ordre dans son diocèse, dut se consacrer avec ardeur à la réédification de son église ? Un fait, que Levasseur a probablement puisé dans les archives capitulaires, et qu’il cite en passant sans y attacher d’importance, vient à l’appui de cette conjecture. Levasseur nous dit qu’en 1153 l’évêque Beaudoin confirma les autels de la cathédrale, et plus loin il ajoute que, par l’ordre du même Beaudoin, le corps du bienheureux saint Éloi (le patron, le saint tutélaire de Noyon) fut transféré dans une nouvelle châsse et exposé à la piété des fidèles.

Qu’était-ce que cette confirmation des autels ? S’agissait-il d’une consécration de chapelles nouvellement reconstruites ? n’était-ce pas plutôt une déclaration solennelle par laquelle l’évêque annonçait que, dans la nouvelle cathédrale, les anciens autels seraient maintenus, resteraient sous l’invocation des mêmes patrons, et conserveraient leurs priviléges et leurs revenus. Cette déclaration n’était-elle pas une sorte d’appel à la dévotion, et surtout à la générosité des fidèles ? Accoutumés à s’agenouiller de préférence devant certains autels, ils avaient besoin d’être assurés que, s’ils s’imposaient des sacrifices pour faire sortir la cathédrale de ses ruines, ils y retrouveraient encore les objets de leur culte et de leur prédilection. Quant à la châsse nouvelle pour les reliques de saint Éloi, n’était-ce pas encore un moyen de faire pleuvoir les offrandes et de se préparer des ressources pour le grand œuvre qu’il s’agissait d’entreprendre ? Enfin, si l’on se rappelle qu’un an avant cette confirmation des autels, la ville avait été ravagée par un nouvel incendie, n’y a-t-il pas lieu de supposer que les populations, frappées de terreur, durent attribuer le retour de ce fléau à l’état d’abandon où le temple à demi détruit était resté depuis vingt ans, que la nécessité de le relever devint plus pressante que jamais, et que l’évêque et son chapitre durent saisir cette occasion d’exalter plus vivement encore les esprits par le spectacle de cérémonies pieuses.

En somme, il nous paraît probable que, tant que vécut Simon, les travaux durent être languissans, et se borner, soit à l’enlèvement des décombres, soit à des démolitions ou à des réparations partielles, tandis que, sous Beaudoin II, ils furent certainement conduits avec ardeur et persévérance ; enfin, si l’on nous demandait de désigner l’année où la reprise de ces travaux dut commencer à devenir active et efficace, les faits que nous venons de citer nous feraient croire que c’est en 1153.

Maintenant, peut-on présumer que Beaudoin acheva son œuvre, et qu’à sa mort, en 1167, la construction de la cathédrale était complètement terminée ? Nous ne le pensons pas. D’abord nous avons vu combien, en général, les monumens du moyen-âge s’édifiaient lentement. Les travaux de la cathédrale de Senlis se sont continués sans interruption pendant plus de trente ans, spatio annorum tringinta et amplius[22], ceux de Braisne pendant trente-six ans ; ceux de la cathédrale de Paris étaient à peine achevés au bout d’un siècle[23]. Or nous ne voyons aucun motif pour qu’on eût fait preuve à Noyon d’une plus grande diligence. Nous avons au contraire une raison de supposer qu’en 1167, à la mort de Beaudoin, l’édifice n’était pas complètement terminé, car nous voyons que, contrairement à l’ancien usage, cet évêque ne fut pas enterré dans la cathédrale, et que son corps fut porté à Ourscamp[24]. N’en pourrait-on pas conclure que l’édifice, encore en voie de construction, n’était pas en état de recevoir dignement la dépouille du prélat. Ses deux successeurs, Beaudoin III et Étienne Ier, furent également ensevelis à Ourscamp, et ce n’est qu’en 1228, lors de la mort de l’évêque Gérard, que l’antique usage fut enfin rétabli pour se perpétuer ensuite sans exception jusqu’à la fin XIVe siècle.

Nous ne voudrions pas, sur la seule autorité de ce fait, affirmer qu’avant l’épiscopat de Gérard, c’est-à-dire avant 1221, la cathédrale de Noyon ne fût pas entièrement reconstruite ; nous voudrions encore moins soutenir le contraire. Quelle que soit l’homogénéité de la construction, et malgré le grand caractère d’unité qui résulte d’une persistance presque constante dans le même plan, nous sommes convaincus que les travaux ont dû se continuer long-temps. Se seront-ils prolongés au-delà de l’an 1200 ? personne n’en peut répondre ; mais, en examinant de près certaines parties de la nef et en particulier ces bases de colonnes au profil si vivement accentué, il nous semble permis de croire que, si elles n’ont pas été sculptées au XIIIe siècle, elles ne l’ont pas été du moins beaucoup plus tôt que la fin du XIIe.

Ainsi, en dernière analyse, la cathédrale de Noyon doit prendre rang, selon nous, parmi les monumens de transition de la deuxième et de la troisième époque : conçue et entièrement ébauchée de 1150 à 1170, elle n’aura été totalement sculptée, ragréée et parachevée que vers la fin du siècle, et peut-être même un peu au-delà.

Dans ce même intervalle, nous ne le dissimulons pas, on voit s’élever des monumens qui n’ont pas avec celui-ci une complète analogie : ainsi, pour ne pas sortir du voisinage de Noyon, nous citerons la cathédrale de Senlis ; on connaît assez exactement toutes les phases de sa construction. Elle aussi fut entreprise vers le milieu du XIIe siècle, en 1155 environ, et à peine terminée vers 1191. Les deux édifices sont donc contemporains, ils auront été conçus et exécutés presque simultanément, et cependant n’existe-t-il pas entre eux une différence fondamentale ? À Senlis, on a proscrit le plein cintre ; à Noyon, on l’a respecté[25].

Cette différence est grave assurément ; mais suffit-elle pour nous empêcher de croire à la simultanéité des deux constructions ? Ne savons-nous pas combien cette époque de transition est tolérante ? N’arrive-t-il pas souvent que, dans le même lieu et au même moment, elle laisse vivre ensemble presque tous les styles à la fois ? Lors donc que la cathédrale de Noyon serait empreinte des caractères les plus prononcés de l’ancienne architecture, il ne faudrait pas croire absolument impossible qu’à quelques lieues de là, vers le même temps, il se fût élevé une autre cathédrale sous l’inspiration du système nouveau. Mais ici, notez-le bien, il n’est pas question de pareils contrastes. Nous l’avons déjà dit, malgré ses pleins cintres, malgré ses transsepts en hémicycle, malgré l’effort qu’elle semble faire pour se donner un air d’ancienneté, la cathédrale de Noyon n’est au fond qu’une église à ogive ; elle ne vit que de la vie nouvelle ; dans toutes ses nervures, dans tous ses rameaux de pierre, la sève qui circule, c’est la même sève qu’à Senlis. Ses arcades à plein cintre elles-mêmes n’ont du plein cintre que la forme ; elles n’en ont ni l’esprit, ni le caractère : ce sont des ogives arrondies. Aussi, quelque nombreuses que soient ces arcades, elles sont sans influence, elles modifient à peine l’aspect général du monument. Il semble que ce soit par une usurpation, ou plutôt à l’aide d’une concession bénévole, que le plein cintre soit admis dans cette église. Il y occupe plus que sa part légitime et naturelle. Sa présence y fait l’effet d’une fiction ou d’un anachronisme. Ainsi, vous le voyez, la différence entre nos deux cathédrales n’est pas aussi grande qu’elle en a l’air ; les deux constructions ne se distinguent par aucune diversité réelle et profonde. C’est le même principe qui les a créées ; rien ne nous défend donc de les croire contemporaines.

Mais d’où vient à Noyon ce respect pour le plein cintre ? Cette sorte d’honneur qu’on lui rend a beau n’être qu’abstrait et nominal, pourquoi lui est-il rendu ? Pourquoi l’a-t-on laissé avec tant de complaisance régner seul dans toutes les parties supérieures de l’édifice ? Pourquoi, lorsque tous les membres de cette architecture semblent vouloir se développer selon les formes nouvelles, sont-ils contraints à suivre ou plutôt à simuler les anciennes formes, et tandis qu’à Senlis on s’abandonne sans résistance à la pente du siècle, pourquoi faire à Noyon de l’archaïsme à plaisir ?

Répondre que l’époque de transition nous fournit des exemples fréquens de monumens simultanément conçus dans un esprit purement novateur et de monumens empreints d’un caractère archaïque, est ne rien répondre, c’est résoudre la question par la question.

Ne voir dans les œuvres si étrangement diverses d’une même époque que les jeux d’un hasard aveugle, insouciant, inexplicable, c’est une façon trop commode de trancher la difficulté.

Sans doute, il y a des faits dont il serait aussi puéril qu’inutile de rechercher les causes ; mais ces grandes créations de la foi et de la patience de nos pères, ces monumens pleins de tant d’énigmes, ne méritent pas un tel dédain. Malgré nous, nous voulons percer le mystère de leur origine, et pénétrer jusqu’à la cause de leurs différences et de leurs analogies.

Nous voilà donc conduits en dehors du sol un peu aride de la pure chronologie, sol sur lequel, jusqu’ici, nous nous sommes renfermés. C’est vers le problème historique qu’il faut maintenant tourner nos regards ; ce sont les générations qui virent élever ces monumens, c’est la société du XIIe siècle, c’est son histoire qu’il faut interroger ; en un mot, il ne suffit plus d’exposer, il faut expliquer l’époque de transition.

Nous avons déjà fait nos réserves, ce ne sont que des aperçus que nous allons hasarder. Loin de nous l’espoir d’atteindre le but, nous ne voulons qu’indiquer une voie qui nous semble pouvoir y conduire.

IX.

La révolution architecturale dont le XIIe siècle est témoin ne provient-elle que d’un de ces changemens de goût matériel, d’un de ces besoins de nouveauté que les hommes éprouvent nécessairement à certains intervalles ? L’ogive est-elle née seulement parce qu’il y avait trop long-temps que le plein cintre durait ? N’y a-t-il là qu’une affaire de mode ? Cette explication, dont quelques-uns se contentent, n’en est réellement pas une. La mode elle-même ne doit-elle pas avoir sa cause ? Cette cause est futile et insaisissable, s’il ne s’agit que du caprice de quelques individus ; mais ne peut-elle pas être grave et profonde, lorsqu’il est question des habitudes de tout un peuple ? Or, d’où est née la mode qui, pendant le XIIe siècle, fit adopter universellement, dans une moitié de l’Europe, un nouveau genre de construction ? La question, comme on voit, reste toujours au même point.

Cette révolution doit-elle être attribuée uniquement, comme d’autres l’ont voulu, à la nécessité toujours croissante d’exhausser les églises, soit par zèle religieux, pour mieux honorer la Divinité, soit par motif de salubrité, pour prévenir l’asphyxie des fidèles ? L’ogive, il est vrai, s’emploie utilement dans les constructions d’une grande hauteur ; mais on peut faire des monumens très élevés sans se servir de l’ogive. Les cathédrales de Mayence, de Worms, de Spire, ont tout autant d’élévation que beaucoup de grandes églises du XIIIe siècle, et leurs arcades sont toutes à plein cintre. L’architecture à ogive ne serait donc pas devenue d’un usage nécessaire, universel et exclusif, s’il n’y avait eu d’autre motif de l’adopter que le besoin d’élever de très hautes murailles. Ce n’est encore là qu’une cause secondaire, ce n’est pas l’explication que nous cherchons.

La trouverons-nous, comme on l’a souvent prétendu, dans ces voyages en Orient, si fréquens à la fin du XIe siècle ? Mais, comme il n’existe en Orient de monumens réellement analogues à nos monumens à ogive que ceux qui y ont été construits depuis le XIIIe siècle par des Européens, peu nous importe que les croisés aient eu occasion d’apercevoir çà et là quelques arcs brisés sur des pans de murailles arabes ; il est probable qu’en cherchant bien, ils en auraient trouvé même en Occident. Ce qu’ils ne pouvaient, au contraire, rencontrer nulle part, c’était l’architecture à ogive, car elle n’est arrivée toute faite ni d’Orient ni d’aucun autre point du globe. Elle s’est formée dans nos climats[26] : comment et pourquoi s’est-elle formée ? c’est là toujours qu’est la question.

Un point nous paraît évident, c’est qu’elle n’a pas été le produit d’une cause unique, et qu’elle résulte du concours d’une foule de circonstances diverses. Ainsi la tendance à exhausser de plus en plus les constructions aura certainement contribué à son développement : le souvenir du tombeau de Jésus-Christ, s’il est vrai qu’il fût dès lors entouré d’ogives, aura dû concourir à sanctifier, à populariser cette nouvelle sorte d’arcades ; mais toutes ces causes, et tant d’autres également secondaires, auraient été sans vertu par elles-mêmes, si elles n’eussent été dominées et mises en mouvement par une cause supérieure.

Cette cause n’est autre, selon nous, que l’esprit même du XIIe siècle, esprit novateur, hasardeux, systématique. N’est-ce pas à lui que sont dus les premiers combats de la raison contre l’autorité, de la bourgeoisie à sa naissance contre la féodalité à son déclin, des langues populaires et vivantes contre la langue antique et sacerdotale, près de devenir langue morte ? Au milieu de cette lutte générale, de ce mouvement universel des esprits, lorsque tout change et se transforme, l’architecture pouvait-elle rester immuable ? Le style qu’elle avait adopté depuis tant de siècles n’avait-il pas même durée, même origine, même fondement, pour ainsi dire, que cette autorité qu’on attaquait à coups redoublés ? Le plein cintre n’était-il pas comme identifié avec l’ancien état de la société ? n’en était-il pas le représentant, le type, le symbole ? À la société nouvelle, à cette société tourmentée d’une fièvre d’affranchissement, il fallait un nouveau type, un nouveau symbole, un autre drapeau. Maintenant, pourquoi l’ogive plutôt que toute autre forme, plutôt que la ligne horizontale et l’architrave, par exemple ? C’est là, qu’on nous permette de le dire, le petit côté de la question. Toute révolution est à la fois accidentelle et nécessaire. Ce qui était purement accidentel alors, c’était la forme qu’adopterait la nouvelle architecture : ce qui était nécessaire, c’était qu’il se formât un style nouveau, que ce style se rattachât à l’ancien par de nombreux élémens communs, mais qu’il s’en séparât par certains élémens propres et par une originalité visible et saisissante. L’ogive s’est trouvée là, favorisée et mise en évidence par ces causes multiples et accessoires que nous avons signalées ; sa forme insolite semblait prédestinée à caractériser un mouvement tout nouveau des esprits. Tel est, selon nous, le secret de sa fortune.

Et qu’on ne croie pas que ce sont là de chimériques conjectures. Montrons combien sont réels les rapports qui rattachent l’origine et les progrès de l’ancienne architecture à la révolution sociale du XIIe siècle.

Le caractère dominant de cette époque, ce n’est pas seulement le besoin de l’émancipation, c’est la tendance à la sécularisation. La société, jusque-là exclusivement monacale, aspire pour la première fois à devenir laïque. La puissance temporelle de l’église, après avoir atteint son apogée, est sourdement menacée jusque dans ses fondemens. La foi ne perd rien de son ardeur, mais elle aussi se sécularise pour ainsi dire. On commence à admettre la possibilité de faire son salut ailleurs que dans un cloître : l’université de Paris se croit et se proclame aussi bonne catholique que l’église ; en un mot, la société laïque, en même temps qu’elle cherche à se constituer et à s’entourer de garanties vis-à-vis des pouvoirs purement temporels, s’exerce peu à peu à faire par elle-même tout ce qui était jusque-là l’apanage exclusif de la société sacerdotale.

Voilà le spectacle que présentent les deux sociétés ; voyons maintenant les deux architectures.

Un fait incontestable, c’est qu’avant le XIIe siècle on ne construit pas un seul édifice religieux dans le nord de l’Europe sans que l’architecte soit moine, chanoine, ou tout au moins ecclésiastique. Presque toutes les sciences, il est vrai, n’avaient alors d’autres adeptes que les hommes d’église ; mais parmi toutes les sciences, celle de l’architecture était réputée sainte et sacrée par excellence. Un des premiers devoirs de l’abbé, du prieur, du doyen d’une communauté, était de savoir tracer le plan d’une église et de pouvoir en diriger la construction. On voit des moines entreprendre de longs voyages, aller jusqu’à Constantinople pour se fortifier dans cette étude, pour puiser les saintes traditions à leur source. Et ce n’est pas seulement dans le clergé régulier que cette science est obligatoire ; il faut que les évêques président aux travaux de leurs cathédrales, comme les moindres prêtres à ceux de leurs églises. En un mot, la règle est générale, jusqu’au XIIe siècle point d’architecte qui ne soit religieux.

Un autre fait non moins incontestable, c’est qu’à partir du XIIIe siècle, sauf quelques exceptions presque imperceptibles, nous ne voyons plus d’autres architectes que des laïques. Les Robert de Luzarches, les Thomas de Cormont, les Hugues Libergier, les Robert de Coucy, les Pierre de Montereau, les Jean de Chelles, les Erwin de Steinback, les Eudes de Montreuil, n’appartiennent ni à l’église ni à aucun ordre ; ils sont tous bourgeois, vivant de leurs œuvres, et la plupart mariés.

Ainsi, avant le XIIe siècle, avant la première apparition du style à ogive, l’architecture est dans les mains du clergé, elle n’a que lui pour interprète ; au XIIIe siècle, au contraire, lorsque l’ogive est souveraine, l’art de bâtir n’appartient qu’aux laïques ; il reste à peine dans le fond des cloîtres quelques vieux moines essayant encore de manier l’équerre et le compas.

Du rapprochement de ces deux faits ne résulte-t-il pas que, dans l’époque intermédiaire, pendant le XIIe siècle, lorsque les deux architectures étaient en lutte, lorsque la victoire semblait encore indécise, les deux sortes d’architectes devaient aussi se trouver en présence : d’un côté, la cohorte cléricale, les champions de l’esprit d’autorité, s’efforçant de maintenir le système et les traditions du plein cintre ; de l’autre, les libres constructeurs, les maîtres d’œuvres, comme ils s’intitulaient, s’appropriant l’ogive, s’en façonnant un système, et s’en servant comme d’une arme pour se rendre maîtres à leur tour de l’art de bâtir.

Jamais toutefois ce système laïque n’aurait triomphé, si ceux qui le soutenaient n’eussent été que des individus isolés. Aux associations monacales, dépositaires des traditions hiératiques, il fallait opposer d’autres associations organisées avec assez de force pour durer et pour devenir à leur tour gardiennes de traditions, avec assez de mystère pour ne pas éveiller dès le début de dangereuses résistances. Telles furent les confréries maçonniques, les fraternités de constructeurs (fraternitates) dont l’existence dès le XIIe siècle, dans l’Île-de-France et dans la Picardie, ne saurait être mise en doute. Il est vrai que c’est seulement vers la fin du XIVe, et principalement aux bords du Rhin, que la grande institution des francs-maçons commence à prendre un caractère historique, c’est alors qu’elle s’organise sur une vaste échelle, et qu’elle cherche à donner à ses statuts une nouvelle autorité ; mais cela même est une preuve qu’elle existait depuis long-temps. Les francs-maçons du XIVe et du XVe siècle n’avaient plus rien à inventer de nouveau, l’architecture qu’ils professaient était triomphante, incontestée, et avait produit ses plus beaux chefs-d’œuvre. Si nous les apercevons alors pour la première fois dans l’histoire, tandis qu’antérieurement il faut les y deviner, c’est que, leur institution se relâchant, ils commençaient à divulguer eux-mêmes leur propre existence. Pourquoi dans leurs nouveaux statuts se recommandent-ils si sévèrement le secret ? Parce qu’ils se surprenaient sans doute à ne le plus bien garder. La formation des loges allemandes du XVe siècle passe donc à tort pour la création des confréries maçonniques ; elle n’en est qu’une réorganisation, motivée probablement par des symptômes de décadence. Le propre de ces sortes d’institutions est de n’avoir jamais autant de vigueur et de discipline que dans leurs commencemens ; il est donc permis de croire non-seulement que la confrérie des francs-maçons existait depuis au moins deux siècles, lors de l’établissement pour ainsi dire officiel des loges, mais que les jours de sa plus grande, de sa réelle puissance étaient déjà passés.

C’est pendant la lutte entre les deux styles, quand il fallait triompher des habitudes et des routines du passé, quand il fallait diriger dans des voies régulières, méthodiques, savantes, le système vainqueur, c’est alors que les confréries maçonniques durent déployer leur plus grande énergie et faire preuve de cette persévérance que l’esprit d’association peut seul inspirer. Sans le secours de ces confréries, jamais, encore une fois, l’architecture à ogive n’aurait accompli sa destinée. Ce système de proportions, ce système de construction, ce système d’ornementation végétale et indigène, dont nous avons constaté l’existence ; l’unité, l’harmonie, la conséquence qui règnent dans les œuvres de cette architecture une fois parvenue à sa perfection, tout cela était impossible sans les confréries, c’est-à-dire sans une science à la fois traditionnelle et expérimentale transmise comme un mot d’ordre de générations en générations. Si l’art de bâtir, échappant aux mains de l’église, fût tombé à la merci des caprices individuels et d’une liberté non organisée, au lieu des chefs-d’œuvre du XIIIe siècle, nous aurions eu un pêle-mêle anarchique de tous les styles. Heureusement la foi, l’oubli de soi-même, toutes les vertus qui font naître et durer les associations, étaient encore vivaces dans ce monde : l’art pouvait impunément se séculariser ; à défaut de l’église spirituelle, il trouvait dans la franc-maçonnerie une sorte d’église laïque, au sein de laquelle il devait se perpétuer et se maintenir pendant trois siècles, comme un secret, mystérieux et respecté.

Ainsi, pour tout résumer, peu importe que l’ogive, en tant que forme géométrique et architecturale, ait été mise en faveur par telle ou telle cause accidentelle, et que ces causes soient plus ou moins nombreuses ; ce qui est d’un véritable intérêt, c’est de savoir par qui, comment et pourquoi elle a été convertie en système, et d’où est venue à ce système une physionomie si tranchée, si originale, si exclusive, si incompatible avec tout autre genre d’architecture. Une fois qu’il est reconnu que l’esprit de liberté, l’esprit séculier et laïque, l’esprit du XIIe siècle, est, sinon le créateur, du moins le principal promoteur de ce système ; que la fortune du plein cintre, au contraire, se lie à celle des idées et des institutions dont la société nouvelle tend à s’affranchir, dès-lors les mélanges, les amalgames, les contradictions de l’époque de transition ne sont plus des bizarreries inintelligibles, nous en pénétrons le sens, nous leur trouvons une signification. L’architecture devient pour nous un reflet, presque toujours fidèle, des évènemens dont la société est le théâtre. Ainsi, dans celles de nos villes où les tentatives d’émancipation sont tardives, timides ou immédiatement comprimées, dans les abbayes, dans les communautés, dans tous ces pieux asiles défendus par une triple enceinte contre les invasions des idées nouvelles, l’ancien style persiste long-temps, et ce n’est que peu à peu et comme à regret qu’il se laisse altérer par quelques tentatives de nouveauté ; dans les lieux, au contraire, où la victoire reste de bonne heure aux idées de réforme, et où, soit de gré, soit de force, une bourgeoisie improvisée s’est mise en possession des droits de cité et de commune, on s’aperçoit bien vite que les nouveaux constructeurs ont dû trouver la porte ouverte pour ainsi dire, et qu’ils se sont établis avec liberté et hardiesse, sans se soucier des anciennes traditions ; enfin, lorsque les franchises municipales, nées de transactions pacifiques ou d’octrois bénévoles, sont tempérées, incomplètes, et laissent une large part à la vieille autorité, il n’est pas rare que les deux styles semblent se marier et se fassent à chacun leur part en bonne harmonie et d’un mutuel consentement.

Or, c’est là précisément le spectacle que nous offre notre cathédrale de Noyon. Le plein cintre et l’ogive sont en présence, mais sans qu’il y ait entre eux la moindre hostilité : l’ogive domine, mais en quelque sorte malgré elle, et en laissant voir une sorte de soumission inaccoutumée vis-à-vis du plein cintre. Cette singularité devient toute naturelle si l’on fait attention aux circonstances qui amenèrent et qui suivirent l’établissement de la commune dans la ville de Noyon. Ce ne fut pas, comme à Laon, comme à Reims, au moyen de violentes insurrections et au prix de leur sang que les habitans de Noyon obtinrent leurs franchises. Ils étaient gouvernés, vers le commencement du XIIe siècle, par un évêque nommé Baudry, homme sage, clairvoyant et de bonne foi ; avant d’être élevé à l’épiscopat, Baudry, simple chapelain de l’évêché de Cambrai, avait assisté aux troubles sanglans de cette ville, et s’était convaincu qu’on ne gagnait rien à résister aux tentatives d’indépendance qui éclataient alors de toutes parts ; que mieux valait les prévenir par d’habiles concessions, et qu’une fois ces concessions faites, elles devaient être fidèlement respectées. Il n’attendit donc pas que la révolte se fît entendre ; il alla au-devant d’elle, et, dès l’an 1108, de son propre mouvement, il présenta aux habitans de la ville une charte de commune, jura de l’observer, et tint parole. Les droits octroyés par cette charte n’étaient pas, comme le remarque M. Thierry[27], tout-à-fait aussi étendus que ceux qui avaient été conquis de vive force dans d’autres villes ; mais les bourgeois de Noyon s’en contentèrent, et comme les successeurs de Baudry eurent la sagesse d’imiter son exemple, on ne vit point à Noyon, comme dans tout le voisinage, ces fausses trêves sans cesse rompues par le meurtre et la violence : la paix y fut sincère et durable, et le bon accord ne cessa de régner entre la ville et son seigneur.

Ainsi, lorsque, vers 1150, Beaudouin II entreprit, comme nous le supposons, la reconstruction de sa cathédrale, il existait à Noyon une commune depuis long-temps établie et consacrée par une paisible jouissance, mais placée en quelque sorte sous la tutelle de l’évêque. C’est le reflet de cette situation que nous présente l’architecture de l’église. Le nouveau style avait déjà fait trop de chemin à cette époque pour qu’il ne fût pas franchement adopté, surtout dans un édifice séculier et dans une ville en possession de ses franchises ; mais en même temps le pouvoir temporel de l’évêque avait encore trop de réalité pour qu’il ne fût pas fait une large part aux traditions canoniques[28]. Nous ne prétendons pas que cette part ait été réglée par une transaction explicite, ni même qu’il soit intervenu aucune convention à ce sujet ; les faits de ce genre se passent souvent presque à l’insu des contemporains : que de fois nous agissons sans nous douter que nous obéissons à une loi générale ! et cependant cette loi existe, c’est elle qui nous fait agir, et d’autres que nous viendront plus tard en signaler l’existence et en apprécier la portée. C’est ainsi que l’évêque et les chanoines, tout en confiant la conduite des travaux à quelque maître d’œuvre laïque, parce que le temps le voulait ainsi, tout en le laissant bâtir à sa mode, lui auront recommandé de conserver quelque chose de l’ancienne église, d’en rappeler l’aspect en certaines parties, et de là tous ces pleins cintres dont l’extérieur de l’édifice est percé, de là ces grandes arcades circulaires qui lui servent de couronnement tant au dedans qu’au dehors. Il est vrai que les profils déliés de ces arcades les rendent aussi légères que des ogives : l’obéissance de l’artiste laïque ne pouvait pas être complète ; elle consistait dans la forme et non pas dans l’esprit.

C’est encore certainement pour complaire aux souvenirs et aux prédilections des chanoines que le plan semi-circulaire des transsepts aura été maintenu : la vieille église avait probablement ses bras ainsi arrondis, suivant l’ancien type byzantin : mais, tout en conservant cette forme, on semble avoir voulu racheter l’antiquité du plan par un redoublement de nouveauté dans l’élévation. Remarquez en effet que ces transsepts en hémicycle sont percés de deux rangs de fenêtres à ogive, tandis que, dans la nef, bien qu’elle soit évidemment postérieure, toutes les fenêtres sont à plein cintre.

Il est très probable aussi que la forme arrondie de ces deux transsepts a été conservée en souvenir de la cathédrale de Tournay, cette sœur de notre cathédrale. À Tournay, en effet, les deux transsepts byzantins subsistent encore aujourd’hui dans leur majesté primitive, avec leur ceinture de hautes et massives colonnes. En 1153, la séparation des deux siéges n’était prononcée que depuis sept années. La mémoire de ces admirables transsepts était encore toute fraîche, et c’est peut-être en témoignage de ses regrets, et comme une sorte de protestation contre la bulle du saint père, que le chapitre de Noyon voulut que les transsepts de sa nouvelle église lui rappelassent, au moins par leur plan, ceux de la cathédrale qu’il avait perdue. Cette conjecture s’accorde avec toutes celles qui précèdent ; c’est une explication de plus de ce mélange de traditions et d’inventions, de formes anciennes et de style novateur, qui est le caractère dominant de la cathédrale de Noyon.

Qu’on applique à tous les monumens de l’époque de transition les deux ou trois principes que nous venons d’émettre, et nous avons la presque certitude qu’après une étude attentive, précédée d’une sage défiance envers les dates et les récits consacrés, on verra toujours, au moins sur quelques points, se justifier nos prévisions. Il y a plus de douze ans que nous avons indiqué sommairement ces idées[29], et depuis ce temps nous n’avons rien trouvé qui ébranlât notre croyance ; elle s’est plutôt fortifiée par le résultat de constantes observations, et bien qu’aucun texte précis, aucun document incontestable ne donne encore à ces aperçus une véritable consistance, nous ne perdons pas l’espoir de pouvoir quelque jour invoquer en leur faveur une révélation positive. Déjà une récente découverte semble justifier cet espoir : on vient de trouver en Allemagne quelques fragmens du journal d’un franc-maçon, et il résulte des notes tracées sur ce journal que le triangle équilatéral était bien réellement la base fondamentale du système à ogive : voilà donc déjà un de ces principes auxquels on pouvait jusque-là contester toute valeur scientifique, qui commence à prendre un caractère de certitude. Avec de persévérantes recherches, on pénétrera plus avant, on retrouvera quelque autre secret des confréries maçonniques, on obtiendra la confidence de leur origine, de leur constitution, de leur véritable but. Que tous ceux à qui ces questions inspirent un sérieux intérêt cessent de s’évertuer à prouver, les uns que l’ogive nous est venue d’Orient, les autres qu’elle est indigène, querelles vides et oiseuses ; qu’ils cherchent par qui a été mis en œuvre le système à ogive, pourquoi l’influence de ce système a été si grande et si universelle, comment pendant trois siècles il a pu exercer sur une moitié de l’Europe une absolue souveraineté ; qu’ils cherchent enfin si la naissance et les progrès de ce système ne sont pas inséparablement liés à la grande régénération des sociétés modernes dont le XIIe siècle voit éclore les premiers germes.

C’est dans ce sens, encore une fois, qu’il reste à faire de profitables découvertes. C’est là le véritable problème, le problème historique de l’époque de transition. Les révolutions architecturales ainsi envisagées ne se confondent plus avec ces fantaisies futiles et éphémères qui font préférer telle étoffe à telle autre pendant un certain temps ; elles sont de sérieuses, de véritables révolutions ; elles expriment des idées. Il faut que l’archéologie, en même temps qu’elle constate et qu’elle analyse les faits dans leurs plus minutieux détails, les généralise parfois et fasse planer sur eux un coup-d’œil d’ensemble. C’est ainsi qu’elle prend rang parmi les sciences utiles, puisque en nous révélant, à la vue des monumens, l’état des sociétés qui les virent construire, elle nous fournit un des meilleurs moyens d’investigation, un des plus sûrs instrumens de critique historique.


Nous voici au terme de cet essai.

Pour parvenir à notre but, c’est-à-dire pour déterminer à quelle époque doit avoir été construite l’église Notre-Dame de Noyon, nous avons suivi successivement deux routes différentes : l’une purement historique, l’autre théorique.

Historiquement, nous nous sommes appuyé, à défaut de preuves plus directes, sur quelques faits d’une certitude incontestable qui nous ont permis d’établir par induction la date dont nous avions besoin.

Théoriquement, nous avons essayé de démontrer que les monumens du moyen-âge, et particulièrement ceux de l’époque à ogive, se prêtent à une classification méthodique fondée sur des lois constantes, et nous servant de cette classification comme d’un moyen de contrôle, nous avons reconnu qu’elle confirmait en tous points les inductions tirées de nos recherches historiques.

Enfin, pour justifier encore mieux ces inductions, nous nous sommes livré à une étude particulière de l’époque à laquelle notre monument nous semblait appartenir, l’époque de transition ; nous en avons tracé les limites, nous en avons fixé, autant qu’il est possible, les subdivisions chronologiques ; puis, nous plaçant à un point de vue plus général, nous avons indiqué dans quel sens devraient être dirigées les recherches de ceux qui aspirent à connaître la véritable signification historique de la révolution architecturale que cette époque a vu s’accomplir.

De quelque manière qu’on envisage l’église Notre-Dame de Noyon, qu’on l’examine avec le microscope de l’archéologue, ou avec le coup d’œil de l’historien, on y trouvera une ample matière à observations, un sujet d’études neuves et fécondes. C’est une mine que nous n’avons pas la prétention d’avoir exploitée : puissions-nous seulement avoir réussi à en signaler la richesse et l’importance.


L. Vitet.
  1. Voyez la livraison du 15 décembre 1844.
  2. Voyage en Normandie, 1820.
  3. Revue historique des antiquités ecclésiastiques de France, 1829.
  4. Remarques sur l’architecture gothique à la suite du spécimen de Pugin, 1821.
  5. Voyage archéologique en Normandie, 1836. — Excursion monumentale en Sicile et en Calabre, 1839.
  6. Il est maintenant établi et reconnu par presque tous les archéologues anglais que ce fut seulement vers les dernières années du règne de Henri II (mort en 1189) que la lutte entre le style semi-circulaire et le style à ogive commença à se manifester en Angleterre. (V. Gally Knight, Voyage archéologique, Londres, 1836.) Ainsi, dans l’abbaye de Kirkstal, bâtie de 1153 à 1170, on trouve les premiers essais d’ogive bien authentiquement constatés. La crypte de la cathédrale d’York, où l’on voit aussi des ogives, est de 1170. On peut encore citer la partie à ogive de l’église du Temple à Londres, qui fut consacré en 1185 ; le chœur de la cathédrale de Canterbury, reconstruit dans le style à ogive, après l’incendie de 1175, par jean de Sens, architecte français ; l’extrémité occidentale et la grande tour de la cathédrale d’Ély, bâtie par l’évêque Ridel, qui mourut en 1189. Toutes ces constructions portent le caractère de la transition : ce sont des essais du style à ogive. Ce style n’atteint sa perfection en Angleterre que sous le règne de Henri III, vers le milieu du XIIIe siècle.

    Ce qui prouve combien il rencontra d’obstacles à sa naissance, combien l’hésitation entre les deux styles fut longue et persistante, c’est que même après Henri II, même sous Henri III, on voit encore construire des monumens à plein cintre. Ainsi la nef de la cathédrale de Peterborough, celle de la cathédrale de Rochester, bâties de 1170 à 1194, ne contiennent pas la moindre trace du style à ogive ; le plein cintre y règne seul. Il en est de même de l’abbaye de Fontaine, construite de 1204 à 1244, et enfin dans l’église de Ketton (Rutlandshire), qui date de 1252, ou retrouve encore un exemple de portail semi-circulaire.

  7. Essai sur la véritable origine et sur les vicissitudes de la cathédrale de Coutances, par M. l’abbé Delamare ; 124 pages in-4o ; inséré dans le XIIe volume des Mémoires de la société des antiquaires de Normandie, années 1840 et 1841.
  8. L’auteur ne donne qu’une seule explication à ceux qui lui demandent : Pourquoi une église du style à ogive le plus perfectionné aurait-elle été bâtie à Coutances si long-temps avant qu’on en construisit ailleurs d’un style même imparfait ? Cette explication la voici : les Tancrède étaient nés près de Coutances ; ils ont fourni à l’évêque Geoffroy de Montbray d’abondantes richesses pour bâtir sa cathédrale ; les Tancrède ont construit en Sicile des monumens à ogives ; Geoffroy de Montbray s’est rendu de sa personne auprès d’eux pour réclamer leur secours : il aura rapporté non-seulement leurs trésors, mais la science de l’architecture à ogive.

    Tout cela n’est que fiction. Nous savons quels monumens les Tancrède ont construits en Sicile ; nous savons le rôle que joue l’ogive dans ces monumens. Si, après les avoir vus, Geoffroy de Montbray est venu bâtir du premier coup la cathédrale de Coutances, nous le tenons pour tout aussi devin, pour tout aussi sorcier que s’il n’eût trouvé en Sicile que le temple d’Agrigente ou le théâtre de Thaurmine. Entre ces basiliques siciliennes, conçues dans un système à moitié latin, à moitié oriental et nos églises du XIIIe siècle, il y a, pour quiconque a quelques notions d’architecture, de ces différences tellement profondes, qu’aucun homme et aucune époque ne peuvent les franchir d’un seul bond. L’ogive, dans les basiliques siciliennes, peut être remplacée par le plein cintre, sans qu’une seule moulure de l’édifice en soit altérée : c’est une forme purement capricieuse, et qui n’influe en rien sur le système général de la construction, tandis que l’ogive, dans nos monumens du XIIIe siècle, c’est le principe même de leur architecture, c’est la racine d’où tout émane, et sans laquelle rien ne peut subsister.

    C’est faute d’avoir fait ces distinctions essentielles entre ce qu’on peut appeler l’ogive accidentelle et l’ogive systématique, que l’auteur, malgré son incontestable habileté, tombe à chaque pas dans de si étranges erreurs, dès qu’il s’agit d’apprécier le style des monumens.

    Ainsi, il consacre un chapitre à prouver que les Tancrède ont dû contribuer à la construction de la cathédrale actuelle de Coutances, puisqu’on avait placé leurs statues dans une certaine partie de l’édifice, et il ne s’aperçoit pas que, ces statues étant incontestablement de la fin du XIIIe siècle ou plutôt du XIVe, d’après les dessins même qu’il en donne, il y a là une preuve de plus que la cathédrale a été reconstruite, et que, conformément à un usage dont le moyen-âge donne tant d’exemples, en reconstruisant l’édifice dans un nouveau style, on a refait, selon la mode du temps, ces statues qui probablement avaient décoré l’église de 1030.

    Que dirons-nous des inductions que l’auteur croit pouvoir tirer de la forme des sceaux ovoïdes, pour prouver que l’usage du style à ogive remonte bien au-delà du XIIe siècle ? Comme s’il y avait le moindre rapport entre l’ogive, dont le principe est le triangle équilatéral, et toute espèce de forme ovoïde ! Comme si le principe de ces sceaux (presque tous ecclésiastiques) n’était pas une tout autre forme que l’ogive, la forme symbolique connue sous le nom de vesica piscis ?

    L’étude des monumens aurait, nous le répétons, empêché l’auteur de tomber dans des méprises de ce genre, erreurs matérielles qui viennent sans cesse détruire ce qu’il y a souvent de spécieux dans les inductions qu’il sait tirer de ses recherches paléographiques.

  9. S’il était besoin de donner de nouvelles preuves des chances d’erreur auxquelles on s’expose en acceptant sur parole ce que les chroniqueurs du moyen-âge nous disent des monumens, quand par hasard ils en parlent, nous n’aurions que l’embarras du choix. Ne lisons-nous pas, dans un manuscrit cité par le Gallia christiana, que l’église de Jumiéges tout entière fut rebâtie en 1230, lorsqu’il est aussi clair que le jour que l’ancienne nef du XIe siècle est encore debout aujourd’hui, et que le chœur seul fut reconstruit au XIIIe siècle ? Ne trouvons-nous pas encore, dans le Gallia christiana (t. XI, col. 920), que Guillaume Le Roy, abbé de Lessay, en 1385, a été le fondateur de l’église de son abbaye : ecclesiam inchoasse dicitur. Or cette église est un monument du XIe siècle, sans aucune addition postérieure. Évidemment Guillaume Le Roy n’avait entrepris, en 1385, que quelques réparations.

    Encore une fois, les écrivains du moyen-âge ne doivent être consultés par l’archéologue qu’avec la plus grande circonspection. S’il s’agit de priviléges concédés ou refusés à l’église, de legs ou de donations, de discussions entre l’évêque et son chapitre, de conflits de juridiction, de questions de discipline, de fondation de chapelles, d’autels ou de services, d’actes de dévotion, de procès avec les seigneurs voisins, en un mot d’affaires ecclésiastiques, vous pouvez à peu près compter sur l’exactitude et sur l’intelligence des narrateurs ; mais quant à ces phrases si rares, si laconiques et si obscures, qui leur échappent à l’occasion des monumens, il faut n’en faire usage qu’en marchant avec précaution, comme sur un terrain où l’on peut rencontrer un piége.

  10. Gallia christiana, t. IX, col. 745.
  11. Selon qu’on admet que le fondateur a été Odon Ier ou Odon II, on fait remonter la fondation à l’an 990 ou à l’an 1068. La différence n’est pas grande, puisque, entre la fondation primitive et la reconstruction, il se serait écoulé, dans un cas, 87 ans, dans l’autre, 165 ans. Voici les textes relatifs à la cathédrale de Senlis « [texte latin] » (Gallia christiana, t. X, col. 1378.) « [texte latin] » (Lettre de Louis VII aux archevêques, évêques, abbés, etc., à l’occasion de la reconstruction de la cathédrale de Senlis, « [texte latin] ») « … [texte latin] » Gallia christiana, t. X, col. 1406.)
  12. Nous craignons de nous être étendu trop longuement sur la cathédrale de Coutances, et cependant nous ne pouvons nous empêcher de déposer encore ici les impressions que la vue toute récente de ce beau monument nous a fait éprouver. Nous l’avons interrogé pierre par pierre, nous avons cherché avec une minutieuse attention si, dans cette architecture en apparence si pure, si régulière, si achevée, il n’existerait pas quelques singularités, quelques bizarreries cachées, quelque chose, en un mot, d’insolite et d’inconnu, qui permettrait d’y voir une construction unique en son genre, une œuvre d’exception. Non-seulement nous n’avons rien trouvé de semblable, mais nos recherches nous ont conduit à un résultat tout contraire. Nous avons reconnu que, parmi les monumens les plus parfaits que le XIIIe siècle a produits, il n’en est peut-être pas un où se trouvent réunies à un aussi haut degré cette pureté de forme, cette justesse de proportions, cette grandeur de conception dans l’ensemble, et cette finesse d’exécution dans les détails qui caractérisent un style parvenu à son apogée. Quand on a passé en revue chaque membre de cette architecture, chaque moulure, chaque filet, chaque fleuron, on n’est pas seulement étonné de cette netteté vigoureuse des profils, qui n’appartient qu’à l’art au terme de sa croissance, dans sa plus belle maturité ; mais on acquiert la conviction que, dans toute cette église, il n’y a pas une seule pierre taillée à la romane, pas un reflet des anciens procédés, pas une trace d’hésitation, de doute ou de tâtonnement. Conduisez l’homme le plus ignorant dans cette église, et dites-lui que c’est là le début, le premier essai d’une nouvelle architecture ; le simple bon sens lui défendra de vous croire. Pour moi, je veux bien qu’on nous dise que les anges sont venus bâtir en 1030 la cathédrale de Coutances ; mais ce que je n’admettrai jamais après l’avoir vue, c’est que des hommes aient taillé et posé une seule des pierres qui la composent, non pas cent soixante-dix ans, mais un seul jour avant que le XIIIe siècle eût commencé de luire sur nos contrées.
  13. Voyez Remarques de l’abbé Lebeuf sur le tome VI des Annales bénédictines de dom Mabillon publié par dom Martenne. Mercure de France, juin 1739.
  14. « 1167 : Fiscannense monasterium combustum, etc. » Robertus de Monte, in append. ad Sigebertum.)
  15. [texte latin] Gallia christiana, t. IX, col. 530.
  16. V. Dom Lelong. Histoire du diocèse de Laon, in-4o, p. 215.
  17. L’église Saint-Yved de Braisnes fut commencée en 1180, par Agnès, femme de Robert, comte de Dreux, fils de Louis VI. En 1216, on y travaillait encore lorsque l’archevêque de Reims et l’évêque de Soissons la consacrèrent ; les travaux n’avaient pas été interrompus : les largesses de la fondatrice permettaient de les pousser avec la plus grande activité.

    Cette belle église, comblée des faveurs royales, ne put cependant être terminée plus vite ; il est vrai qu’elle fut exécutée avec un soin extrême. C’est un admirable modèle de ce style, qui, quoique entièrement à ogive, porte encore un léger caractère de transition.

  18. Les travaux de la cathédrale de Reims durèrent trente ans sans interruption. À Saint-Denis, la reine des abbayes, la reconstruction du XIIIe siècle commence en 1231 et se poursuit sans relâche jusqu’en 1281.
  19. Voyez Devismes, Histoire de Laon, t. Ier, p. 226.
  20. On pourra dire, nous le savons, que l’église Saint-Martin dépendait d’une abbaye ; que le clergé régulier était en général très attaché aux traditions anciennes, très peu enclin aux innovations ; qu’il ne serait donc pas étonnant que les moines de Saint-Norbert, en construisant leur église, n’eussent pas pris modèle sur la brillante cathédrale qu’ils avaient devant les yeux. L’observation est vraie, mais seulement dans une certaine mesure. Entre une abbaye et une église séculière bâties à même époque, il y a presque toujours une certaine différence, c’est-à-dire un peu plus de tendance aux idées novatrices dans l’église séculière, un peu plus de respect pour les anciennes traditions dans l’abbaye ; mais ni d’un côté ni de l’autre on ne saute deux ou trois degrés intermédiaires, soit en arrière, soit en avant. Les différences se bornent à des nuances peu sensibles. Ici, au contraire, deux styles entièrement opposés sont en présence ; leur apparition simultanée serait déjà un vrai prodige, mais on va plus loin. On veut que celle de ces deux églises qui est la plus moderne en apparence, c’est-à-dire la cathédrale, soit en réalité la plus ancienne. Ce premier point établi, on n’est malheureusement pas maître de rendre la cathédrale plus ancienne seulement de vingt ou trente ans ; l’hypothèse d’une reconstruction totale, en 1114, est, comme on sait, inadmissible : il faut donc remonter à un siècle ou deux pour assister à la construction première de l’édifice ; dès-lors les moines de Saint-Martin, en construisant leur église, ont dû faire un terrible effort rétrospectif, puisque l’aspect qu’ils lui ont donné est plus ancien que celui d’un monument qui aurait été bâti plus de deux siècles auparavant.

    N’avions-nous pas raison de dire que cette observation, sur les caractères de l’architecture propre aux abbayes et aux églises séculières, n’était vraie que dans une certaine mesure, et l’application qu’on en voudrait faire ici ne serait-elle pas complètement dépourvue de fondement ?

  21. Voyez le Voyage en Alsace de Schweighauser.
  22. Gallia christiana, t. IX.
  23. Les constructions entreprises par Suger à Saint-Denis furent beaucoup plus rapidement exécutées, en trois ans et trois mois ; mais aussi Suger cite le fait comme un miracle. Dans cette même abbaye de Saint-Denis, à une époque où le trésor n’était pas moins riche que du temps de Suger, et où les moyens d’exécution étaient au moins aussi puissans, on voit les travaux de reconstruction du chœur et de la nef se continuer pendant cinquante ans, de 1231 à 1281. Aussi les constructions du XIIIe siècle ont duré jusqu’à nos jours, tandis que celles du XIIe, si promptement terminées, menaçaient ruine au bout de quatre-vingts ans
  24. L’évêque Simon avait aussi été enseveli dans l’église d’Ourscamp. Comme il en était le fondateur, cette exception, en ce qui le concerne, s’expliquerait assez naturellement ; mais les trois successeurs de Simon furent comme lui enterrés à Ourscamp : or, il n’existait à leur égard aucun motif de violer une règle si constamment observée. Avant la mort de Simon, on ne pouvait citer que deux évêques de Noyon qui n’eussent pas été ensevelis dans la cathédrale, savoir, Beaudoin Ier, enterré, en 1068, dans le couvent de Saint-Barthélemy, et Fulchaire, enterré, en 955, dans le monastère de Saint-Éloi. Tous les autres évêques, depuis 936 jusqu’en 1148, et depuis 1228 jusqu’à la fin du XIVe siècle, ont été ensevelis dans la cathédrale. Pendant la réunion des deux évêchés, certains prélats voulurent être enterrés à Tournay, d’autres à Noyon, mais jamais hors de l’une des deux cathédrales. N’avons-nous donc pas quelque raison d’attacher une certaine importance à cette interruption d’un usage si ancien, surtout lorsqu’elle correspond à une période pendant une grande partie de laquelle la cathédrale devait, selon toute apparence, être en voie de reconstruction ?
  25. Ce n’est pas seulement la cathédrale de Senlis qu’il faudrait comparer avec celle de Noyon ; il y a dans l’ancien diocèse de Senlis une autre église, moins célèbre que la cathédrale, mais non moins digne d’intérêt, l’église de Saint-Leu d’Esserent, qui offre peut-être matière à un parallèle encore plus instructif et à des contrastes plus frappans. L’église de Saint-Leu présente de telles analogies avec la cathédrale de Noyon, soit par la conception du plan, soit par la nature des profils et de toutes les particularités essentielles de la construction, qu’il n’est guère possible de ne pas les regarder comme à peu près contemporaines. Eh bien ! à Saint-Leu on ne trouve pas un seul plein cintre, ni au dedans ni au dehors de la nef et du chœur ; il n’en existe que sur la façade occidentale. C’est uniquement sur cette partie de l’édifice qu’il a été fait une concession à l’ancien style ; partout ailleurs il est exclu. Non-seulement le plein cintre n’apparaît pas dans l’église, mais il n’y est question ni de l’alternance des supports multiples et des supports cylindriques, ni des annelures, ni des transsepts arrondis. Tous ces souvenirs des anciennes traditions ne pénètrent pas à Saint-Leu, et néanmoins, entre Saint-Leu et Noyon, l’analogie est extraordinaire et leur contemporanéité est évidente. D’où vient donc qu’à Saint-Leu aussi bien qu’à Senlis on a, dans le même moment, suivi d’autres erremens qu’à Noyon ? C’est ce que nous essayons d’expliquer dans le paragraphe suivant. (Voir la note de la page 72.)
  26. Si elle eût existé en Orient, comment aurait-elle pénétré si difficilement et si imparfaitement dans les pays de l’Europe méridionale ? comment serait-elle devenue si populaire dans le Nord ?
  27. Lettres sur l’Histoire de France, in-8o, p. 268.
  28. Il n’en était pas de même à Senlis, ni par conséquent à Saint-Leu d’Esserent. Le territoire du diocèse de Senlis faisait partie du domaine royal. L’émancipation communale et laïque s’y était accomplie librement et sans restriction, et en ne laissant à l’évêque qu’une faible part de pouvoir temporel.

    À Noyon, au contraire, l’évêque avait, comme seigneur féodal, un pouvoir très étendu : il était à la fois grand vassal de la couronne, en vertu de fiefs immédiats réunis à son siége, et seigneur indépendant du Vermandois, qui relevait de son évêché. Comme grand vassal, il était un des pairs ecclésiastiques, et portait le baudrier au sacre du roi de France ; comme suzerain du Vermandois, il traitait d’égal à égal avec le pouvoir royal. Aussi, lorsqu’en 1191, après la mort de Philippe d’Alsace, comte de Vermandois, Philippe-Auguste eut réuni le Vermandois à la couronne, il fallut qu’il transigeât avec l’évêque de Noyon. Le roi et le prélat se donnèrent des lettres doubles ou lettres d’échange, scellées de leurs sceaux, en date du mois d’août 1213, par lesquelles, d’un côté, Étienne, évêque de Noyon, déclare qu’il remet et quitte au roi Philippe l’hommage dû à son église pour le conté de Vermandois, et le roi, en échange, lui cède les terres et fiefs qu’il possédait à Lassigny et à Coye. Dans ce marché, c’était l’évêque qui gagnait du pouvoir temporel. Est-ce seulement à partir de cette époque, et comme une compensation de plus accordée par le roi, que les évêques de Noyon prirent le titre de comte ? le portaient-ils, au contraire, trois ou quatre siècles auparavant, comme semble l’indiquer une charte du roi Eudes de 893 ? D. Mabillon est de ce dernier avis ; Colliette, l’auteur des Mémoires sur le Vermandois, soutient l’opinion contraire. Peu nous importe ; ce qu’il nous suffit de constater, et ce qui est parfaitement établi, c’est que le pouvoir temporel des évêques de Noyon était considérable, et que, même au milieu de la crise du XIIe siècle, au lieu de déchoir, il ne fit que se fortifier. (Voir les Recherches historiques de M. Lafons, pag. 22 à 27 ; l’Art de vérifier les dates, t. IX, pag. 184-193, et t. XII, pag. 201. — Voir ci-dessus la note de la page 63.

  29. Rapport sur les monumens historiques des départemens de l’Aisne, de l’Oise, du Nord, de la Marne et du Pas-de-Calais, in-8o, 1831, pages 10 et suiv.