Notices sur M. le comte Chaptal, et discours prononcés sur sa tombe, le 1er août 1832/Thénard
DISCOURS
DE M. le baron THÉNARD,
L’Académie des sciences prévoyait, depuis quelque temps, le nouveau coup dont elle vient d’être frappée dans l’un de ses membres les plus distingués. Atteint d’une maladie cruelle, que l’art ne pouvait guérir, M. le comte Chaptal devait bientôt nous être enlevé. Peut-être même que, profondément émus à l’aspect de tout ce qu’il souffrait, nous nous sommes surpris presque souhaitant que le ciel daignât abréger ses jours pour mettre un terme à ses douleurs.
Pourquoi donc tant de regrets lorsque le sacrifice est consommé ? C’est qu’aujourd’hui nous n’apercevons plus que les hautes qualités de notre digne confrère, et que sa mort, en nous rappelant d’irréparables pertes, réveille en nous de trop pénibles souvenirs.
N’attendez pas de moi, Messieurs, que je retrace ici tous les titres de M. Chaptal à la reconnaissance publique ; ils sont trop nombreux. Comment le suivre dans la carrière si pleine et si variée qu’il a parcourue ! comment redire tous les services qu’il a rendus !
Ses premiers pas étaient déjà de grands succès. Manufacturier, il enrichissait la France de procédés éminemment utiles ; négociant, il imposait les produits de notre sol aux nations étrangères ; professeur, il était cité comme un modèle de clarté et d’élégance : on dit que ses paroles étaient douces à entendre, et que ses auditeurs le chérissaient et le respectaient, comme autrefois Socrate et Platon étaient chéris et respectés de leurs disciples.
C’était à Montpellier, près de sa ville natale, qu’il préludait ainsi à la destinée que le sort lui réservait. Bientôt, transporté sur un plus grand théâtre, il déploie tous les talens que donnent l’étude et l’expérience aux esprits supérieurs. On le voit créer de vastes établissemens, instruire dans la première école du monde la jeunesse avide de l’entendre, éclairer le prince qui l’appelle à ses conseils, et passer dans le même jour des ateliers qu’il dirige à la chaire où il enseigne, et de cette chaire à la tribune, où il va soutenir les projets de loi que ses lumières ont fait prévaloir dans une réunion d’hommes d’État.
Son activité, son savoir suffisaient à tout. Ne soyons donc point surpris s’il fut choisi, pour le ministère de l’intérieur, par l’homme étonnant qui gouvernait alors la France.
Chargé de ses importantes fonctions, M. Chaptal en comprit toute l’étendue. Paris lui doit des embellissemens ; les hôpitaux, dont il fut l’un des administrateurs, d’immenses améliorations ; l’instruction publique, les arts, le commerce, l’agriculture, une impulsion toute nouvelle.
Et toutefois ce n’est pas seulement comme ministre qu’il leur est utile ; il fait plus que les protéger, il les sert par ses propres travaux. C’est à cette époque, en effet, lorsqu’il était encore au timon des affaires, et qu’il allait appartenir au premier corps de l’État, que, réunissant toutes les observations, fruits de sa longue expérience, il commença de publier ses nombreux et importans ouvrages sur l’industrie manufacturière, agricole et commerciale[1].
Son amour pour les arts était si grand que, retiré dans sa belle terre de Chanteloup, il y créa tout exprès une fabrique de sucre de betteraves pour étudier et naturaliser en France ce nouveau produit du sol européen.
La vie de M. Chaptal aurait dû s’écouler sans aucun trouble. Doué d’une ame aimante, d’un caractère doux et facile ; modéré dans ses goûts comme dans ses opinions ; plein de bienveillance pour tout le monde, d’affectueux égards pour ses confrères, de dévouement pour ses amis ; heureux d’accorder, lorsqu’il était au pouvoir, et doublant le bienfait en accordant avec grace ; malheureux d’être obligé de refuser, et toujours adoucissant le refus par des paroles qui peignaient la bonté de son cœur ; possesseur d’une belle fortune qu’il avait noblement acquise ; comblé d’honneurs, et ne laissant après lui que des regrets dans les hauts emplois qu’il avait occupés, M. Chaptal semblait devoir être à l’abri des coups du sort.
Cependant quelques revers, des chagrins qu’il était loin de prévoir et de mériter, vinrent obscurcir la fin de sa brillante carrière ; mais il sut les supporter avec dignité, sans murmure, sans exhaler la moindre plainte. C’était une dernière épreuve qui devait nous faire connaître tout entière l’élévation de son ame. Il se consola dans le sein de l’amitié par l’étude et par l’accomplissement de devoirs qui lui étaient imposés ou qu’il s’était créés. Puis, sentant sa fin approcher, trop éclairé pour se méprendre sur la source du mal dont il était atteint, il se résigna comme un sage, fit ses dispositions pour quitter un monde où il n’avait plus que quelques jours à passer, et mourut, chéri, entouré de sa nombreuse famille, en lui donnant sa bénédiction pour dernier adieu.
- ↑ Les principaux ouvrages de M. Chaptal sont les suivans : Élémens de Chimie, 3 vol. in-8o, dont la première édition a paru en 1790, et la quatrième en 1803. — Traité sur le Salpêtre, in-8o, 1796. — Essai sur le perfectionnement des arts chimiques en France, in-8o. 1800. — Art de faire, de gouverner et perfectionner les vins, 1 vol. in-8o, première édition, 1801 ; deuxième édition, 1819. — Traité théorique et pratique sur la culture de la vigne, avec l’art de faire le vin, les eaux de vie, esprits de vin et vinaigres, 2 vol. in-8o, première édition, 1801 ; deuxième édition, 1811. — Essai sur le Blanchîment, in-8o. 1801. — Chimie appliquée aux Arts, 4 vol. in-8o. 1807. — Art de la teinture du coton en rouge, in-8o. 1807. — Art du Teinturier et du Dégraisseur, in-8o. 1800. — De l’Industrie française, 2 vol. in-8o. 1819. — Mémoire sur le sucre de betteraves, in-8o, première édition, 1815 ; troisième édition, 1821. — Chimie appliquée à l’Agriculture, 2 vol. in-8o, première édition, 1823 ; deuxième édition, 1829.