Notice sur l’Album de Villard de Honnecourt architecte du XIIIe siècle/3


III

COUPE DE PIERRE ET MAÇONNERIE


Si j’étais parvenu à faire dire aux figures de Villard de Honnecourt tout ce qu’elles signifient, ce chapitre serait de beaucoup le plus intéressant ; on y trouverait, réduite à ses principes, la science qui a présidé à la construction des édifices gothiques les plus grandioses. Je n’ai réussi qu’à en saisir quelques traits ; mais comme ce qui est resté inintelligible pour moi, sera certainement compris par d’autres, afin que les précieuses indications de l’album sur cette matière reçoivent le plus tôt possible les explications qu’elles comportent, je les reproduirai dans leur entier, texte et dessins.

Il n’est pas inutile de rappeler pour la plus grande intelligence de ce qui va suivre, que la difficulté de toute construction en pierre réside dans les voûtes ; que les voûtes gothiques étant fractionnées en une infinité de plans appuyés les uns sur les autres, n’ont de capital dans leur économie que les membrures sur lesquelles est leur premier appui ; qu’ainsi toute la difficulté de construction de ces voûtes est réduite à celle de la construction des membrures, simples arcs de pierre, formés de pièces isolées qui s’appliquaient l’une contre l’autre sans enchaînement. J’ajoute encore que les courbes de ces membrures, étant toutes des segments de cercle, ne peuvent donner lieu à aucun problème dont on ne sorte par la connaissance du rayon, toujours si facile à obtenir.

Voilà pour la théorie. Quant à la pratique, supposez qu’ont eût à construire aujourd’hui de ces sortes de membrures ; pour en exécuter les pièces ou voussoirs, la marche serait celle-ci. On dessinerait l’épure de chaque arc qu’on diviserait comme il convient pour en tirer le dessin d’un voussoir développé sur toutes ses faces. D’après ce dessin, on ferait des patrons (ce qu’on appelle des panneaux) donnant les formes propres aux diverses faces des voussoirs. Enfin, avec l’aide des panneaux, se ferait le travail du tailleur de pierre.

La méthode des panneaux ou plutôt l’art de les tracer, qu’on appelle le trait, passe pour être une invention des constructeurs gothiques. Ce qui le fait croire, c’est le contraste de l’ignorance manifeste qui a présidé à la construction des voûtes romanes, avec la précision progressive des coupes de pierre que l’on remarque dans les édifices bâtis depuis le XIIIe siècle jusqu’au commencement du XVIe. D’un autre côté, Philibert de Lorme, qui est le plus vieil auteur ayant écrit sur le trait, en parle comme d’une chose que les ouvriers de transmettaient entre eux de temps immémorial.

Arrivons à Villard de Honnecourt et à ses méthodes.

Exécution du modèle avant de construire un arc (fol. 20 r.). — Voici dès le premier énoncé, une notion importante pour l’histoire de l’art :c’est qu’au commencement du XIIIe siècle, on exécutait le modèle en relief avant d’opérer la construction. La figure, il est vrai, et la légende ne sont pas sans difficulté ; mais quelle que soit l’interprétation précise de l’une et de l’autre, le fait d’un relief préliminaire n’en restera pas moins acquis. La figure le prouve par la jauge qui est appliquée sur son segment extérieur. Le texte est encore plus explicite :Par chu tail om le mole d’on grant arc dedans iij. piés de terre ; « ainsi taille-t-on le moule d’un grand arc dedans trois pieds de terre » Tailler le moule, c’est découper avec ses élévations et profils, c’est sculpter un claveau qui, d’après les propriétés connues de l’arc plein cintre (que l’auteur appelle grand arc), pourra servir de modèle à tous les autres claveaux du même arc. Maintenant, que les mots dedans trois pieds de terre indiquent la surface ou le volume de terre suffisant pour l’exécution du modèle ; que trois pieds soit une quantité réelle ou seulement un indéfini synonyme de peu considérable ; que les trois demi-cercles concentriques de la figure, placés sous le segment que l’opération a pour but de produire, soient là pour enseigner la marche de l’opération ou à toute autre fin :peu importe ; l’exécution du modèle en relief est mise hors de doute. En dernière analyse, on n’opérait pas autrement pour les arcs de voûte que pour ceux des baies percées dans les massifs.

Taille des voussoirs d’après le modèle (fol. 20 r.). — Avec le modèle en terre de la grandeur de l’exécution, on pouvait se passe de panneaux, et alors les ouvriers procédaient à la taille des voussoirs par la méthode qu’on appelle de dérobement, c’est-à-dire en opérant du ciseau, suivant les hauteurs et profondeurs du modèle. Ils faisaient comme les sculpteurs lorsqu’ils en viennent à exécuter au ciseau la figure qu’ils ont modelée d’abord.

Les diverses applications de cette méthode sont ainsi figurées et expliquées :

Fig. 1re. Par chu tail om vosure riulée, « ainsi on taille les pièces d’un arc de voûte réglé, » autrement dit les claveaux d’un arc droit par son profil. Les points marqués entre le modèle et l’exécution sont pour indiquer la profondeur du dérobement.

Fig. 2. Par chu tail om vosure d’estor de machonerie roonde. Je crois qu’il faut entendre par vosure d’estor, un arc garni de moulures ; de machonerie roonde complète l’explication en donnant à entendre que les profils de ces moulures sont courbes. Villard de Honnecourt a indiqué sur ce dessin l’emploi de la règle, qui fait voir comment on arrivait à former la courbe extérieure du voussoir.

Taille des voussoirs par d’autres méthodes. Aux opérations précédentes, qui nécessitaient la juxtaposition continuelle du modèle à la pièce de travail, on en substituait d’autres, un peu plus savantes, et plus expéditives.

Fig. 1re (fol. 20 v.). Par chu tail om vosors par asscandelon ; « ainsi l’on taille voussoirs par échelons, » c’est-à-dire au moyen d’une échelle de proportion établie entre la tête du voussoir et sa douelle.

Fig. 2 (fol. 21 r.). Par chu donom on vosoir se tumeie sens molle ; « ainsi on donne à un voussoir sa courbe sans moule, » au moyen d’une jauge que l’on faisait agir sur les faces latérales du voussoir, de manière à obtenir les sommets d’un polygone régulier, inscrit au cercle dont la courbe du même voussoir n’était qu’un segment.

Fig. 3. Par chu tail om vosure besloge ; « taiile des pieds d’une voussure barlongue. » L’analogie de besloge avec balonge ou berlonge, formes diverses de l’ancien adjectif barlong, me semble incontestable. Barlong voulait dire allongé. Voussure barlongue est l’équivalent de ce que nous appelons voussure plate ou plate-bande appareillée, ou bien encore architrave en claveaux. Il y a des exemples de ce système dans les constructions gothiques et même dans les constructions antérieures au gothique.

La figure de Villard de Honnecourt ne montre pas qu’on soit allé chercher dans le cercle la direction des joints sous lesquels devaient s’assembler les claveaux de plate-bande. Elle fait voir seulement une manière assez pénible de se servir de l’équerre pour donner à un claveau l’inclinaison inverse de celle du claveau auquel il doit adhérer.

Fig. 4 (fol. 21 r.). Par chu bevum erracement jagiis sens molle, par on membre. Cette légende est conçue dans un tel langage, qu’avant d’en hasarder l’interprétation, il est bon d’en discuter les termes.

Le dessin représente soit les naissances de plusieurs arcs dessinées en plan sur un même abaque, soit le calibre découpé selon le même plan pour tracer le dessin. Or, ces faisceaux d’arcs ou de membrures, qui sont en quelque sorte la tige d’où s’épanouit la voûte gothique, on les appelait jadis arrachements de voûte. Comme il est impossible de ne pas reconnaître le mot arrachement dans la forme erracement du manuscrit, la figure et le texte concordent, au moins en ce point, à éveiller l’idée d’un objet connu.

Les arrachements de voûte commencèrent au déclin du XIIe siècle à être taillés dans une seule pierre. Cela ne fut pas sans offrir beaucoup de difficulté aux ouvriers du temps, parce que les arcs qui partaient de l’arrachement, ayant des rayons différents, il fallait incliner différemment le plan sur lequel chacun devait poser. C’est, je crois, un procédé pour exécuter ce travail avec économie de temps et de peine que propose Villard de Honnecourt. Le verbe bever, dont il se sert, doit être analogue au mot beveau, buveau ou biveau, qui désigne un instrument à prendre les angles sous faces biaises ; bevum équivaut donc à on biaise. Jagiis est certainement une forme de jaugé, et nous reporte à un procédé que la figure ne représente pas, pour donner à chaque naissance d’arc, d’abord sa projection en avant et ensuite l’inclinaison de son plan supérieur, qui devait être celle sous laquelle étaient taillées les faces de joint des claveaux appartenant au même arc. Par membres enfin, j’entends les diverses saillies de l’arrachement répondant à chacun de ses arcs. Le sens de la légende est donc :« Par ce moyen, on bive (ou biaise) arrachements de voûte jaugés membre par membre, sans le secours d’un modèle en relief. »

Fig. 5 (fol. 20 r.). Par chu tail om erracemmens ; « ainsi on taille arrachements ». Cette opération est le complément de la précédente. Elle consiste à donner à chaque membre de l’arrachement, après qu’il a reçu son inclinaison, la voussure qui lui convient ; et cela avec l’aide de l’équerre et d’un calibre.

Fig. 6 (fol. 21 r.). Par chu tail om vosure engenolie ; « ainsi on taille voussoir engenouillé. » Je ne vois pas là non plus l’opération ; mais seulement le profil de la pièce exécutée avec le trait d’équerre qui a servi de guide à l’ouvrier pour en bien diriger l’arête. C’est à la présence de cette arête que j’attribue l’épithète d’engenouillé donné au voussoir.

Fig. 7 (fol. 20 v.). Par chu tail om pendans riulés ; « ainsi l’on taille pendants réglés. » Et à cette explication, l’auteur ajoute :metés le bas et haut ; c’est-à-dire que dans la construction, c’est l’extrémité large de la figure qui est en haut. Pendant est le nom donné aux voussoirs qui composent la couverte des voûtes gothiques. On pouvait, à cause de leur petitesse, les tracer simplement à la règle, comme l’indique Villard de Honnecourt, et sans se préoccuper aucunement de leur coupe. Le maçon y pourvoyait au moment de la pose, par du mortier ou par quelques coups de hachette.

4° Trait de la clef du tiers et du quint point (fol. 20 v.). — Ce qui précède ne nous a montré qu’une fois la description géométrique appliquée à la coupe des pierres, et encore dans un cas hypothétique. L’emploi de cette méthode me parait résulter incontestablement de deux dessins de l’album, quoique je ne puisse pas retrouver les opérations dont ces dessins sont le produit. A cause de l’importance que je leur attribue, et pour qu’on ne manque d’aucun des éléments de critique qui peuvent conduire à les expliquer, je crois nécessaire de reproduire leur disposition respective et jusqu’au fac-simile de leur légendes. Les voici :

Ce que j’ai à dire là-dessus n’est que de la pure conjecture, comme on va voir.

Clef del tiirc de la première légende est évidemment en rapport de symétrie avec clef del quint point de la seconde. L’auteur veut donc parler d’abord de la clef du tiers-point.

Tiers-point, dans le langage actuel de l’industrie, est le sommet du triangle équilatéral :d’où l’application du même nom à l’arc gothique dont les deux centres et les naissances coïncident, parce que les trois cordes d’un tel arc forment un triangle équilatéral. Mais il faut remarquer que c’est l’usage moderne qui a restreint l’application de tiers-point au triangle équilatéral, et qu’autrefois on dénommait ainsi tout triangle isocèle ; or, comme tout arc gothique produit un triangle isocèle en joignant ses naissances à son sommet, et que réciproquement les trois sommets d’un triangle isocèle déterminent un arc gothique, tout arc gothique était appelé autrefois arc tiers-point. C’est là le mot technique employé au moyen âge, et au XVIe siècle encore, il n’avait point changé d’acceptation, puisque Philippe de Lorme s’en sert pour dénommer l’arc brisé en général. Clef du tiers-point est donc la clef de l’arc brisé ou gothique.

Rien que ce premier résultat nous fixe déjà sur l’acceptation de clef qui peut signifier dans l’architecture du moyen âge, des choses essentiellement différentes ; car la pierre commune à deux membrures de voûtes diagonales, au point de leur intersection, est une clef ; et les deux pierre placées à la brisure des arcades et arcs doubleaux, sont aussi des clefs. Les nervures diagonales étant des pleins cintres, le nom de clef du tiers-point ne saurait convenir à leur clef, et ainsi, c’est de la clef des arcades et doubleaux gothiques qu’il est ici question.

J’achève l’interprétation de la légende.

Villard de Honnecourt dit que l’opération par laquelle on fait une clef du tiers-point sert aussi à justicier one scere, c’est-à-dire à vérifier la justesse d’une équerre ou d’un trait d’équerre (autrement dit de la perpendiculaire élevée à l’extrémité d’une droite). Or cette vérification se faisait en inscrivant dans un demi-cercle l’angle droit produit ; et c’est certainement là ce que veut dire le cercle de notre dessin marqué de trois points sur une moitié de sa circonférence. L’assimilation établie par l’auteur entre le trait d’équerre et la méthode qu’il veut exposer relativement aux clefs d’arc, prouve que cette méthode consiste aussi en un tracé. Il s’agit donc du trait de la clef en question, trait dont l’exécution exigera qu’on élève en premier lieu une perpendiculaire figurant la flèche de l’arc, sur une horizontale figurant la ligne de ses impostes.

Je ne discerne rien au-delà sur le procédé graphique employé par Villard de Honnecourt. La figure représente seulement la clef développée sous trois de ses faces.

Passons au quint-point.

On rencontre fréquemment dans les édifices du XIVe et du XVe siècle une forme d’arc gothique dont chaque branche est composée de deux segments de cercles de rayons différents, mais ayant un point commun. C’est ce que M. Willis appelle dans son Traité des voûtes gothiques, l’arc à quatre centres. Comme pour décrire un tel arc la connaissance de cinq points est nécessaire, je suppose que c’est celui-là que Villard appelle quint-point. A la vérité les premières églises gothiques n’offrent guère de ces sortes de courbes ; mais les architectes pouvaient en connaître la construction et ne l’appliquer que rarement. D’ailleurs a-t-on procédé à l’examen des monuments du XIIIe siècle la règle et le compas à la main, et ne peut-il pas se faire que des courbes prises par l’œil pour des segments d’un seul cercle soient reconnues, vérification faite, pour décrites de deux centres ?Quoi qu’il en soit, ma conjecture sur le quint-point reçoit une grande force de la présence d’une spirale à côté de la dernière figure. En effet, chaque révolution de spirale étant composée de deux demi-cercles décrits d’un rayon différent avec leurs centres sur la même ligne, il s’ensuit qu’un segment pris au-dessus et au-dessous du point où les deux courbes se confondent, remplit parfaitement les conditions de l’arc gothique formulé ci-dessus.

Reste à savoir ce que l’auteur appel ici la clef. Ce ne peut pas être le voussoir placé à la brisure de l’arc, car ce voussoir ne diffère ni par sa coupe, ni en conséquence par son tracé de l’analogue de l’arc tiers-point. La même analogie avec le tiers-point existe pour tous les voussoirs contenus dans chacun des deux segments générateurs de le courbe ; mais celui des voussoirs sur lequel s’opère la jonction des deux segments, celui-là est dans une condition exceptionnelle, car chacune de ses faces de joint se trouve avoir une coupe différente à cause de la différence des rayons. Je conjecture que c’est ce voussoir que la légende appelle clef du quint-point ; ses propriétés seraient indiquées sur la spirale, par les points ou passe la cathète. Quant à l’opération pour arriver au développement de ses faces, elle n’est pas plus indiquée pour le quint-point que pour le tiers-point.

Exemples de liaison. — On appelle liaison, en maçonnerie, une façon de superposer les pierres par un enchaînement tel que les faces de lit de l’assise supérieure couvrent les joints de l’assise inférieure. Les architectes du moyen âge ont souvent sophistiqué cette partie de la construction en cherchant des combinaisons extraordinaires pour leurs joints qu’ils obliquaient ou courbaient ou faisaient pénétrer les uns dans les autres par enchevêtrement.

Voici les exemples fournis par Villard de Honnecourt :

Par chu fait on on piler de quatre cuinsvenir à loison (fol. 20 v.) :« ainsi fait-on venir à liaison un pilier quadrangulaire. » Les joints sont dirigés obliquement suivant une ligne qui unit deux points pris au tiers de chaque côté opposé du carré. Il est évident que les joints de l’assise supérieure seraient dirigées à l’inverse, suivant la ligne conduite à l’autre tiers des côtés du carré.

Chi prennés matère d’on piler metre à droite loisons (fol. 15 v.) ; « ici prenez matière de construire un pilier avec la liaison qui lui convient. » Deux colonnettes opposées font queue dans chaque assise du noyau.

Procédés de construction. — Ils sont, comme on va voir, d’une barbarie surprenante, vu les produits qui nous sont resté de leur emploi.

Fig. 1 (fol. 20 v.). Par ceste raison montom l’aguile d’one toor et taille les moles ; « de cette façon on monte l’aiguille d’une tour et l’on en taille les moules. » Ainsi pour obtenir l’inclinaison des faces de la pyramide, on opérait d’après un moule ou patron qui était ou un relief, comme pour la construction de l’arc, ou peut-être seulement une planche profilée sous l’angle voulu.

Fig. 2 (Ibidem). Par chu montom dous pilers d’one hautece sens plom et sens livel ; « ainsi l’on monte deux piliers de même hauteur sans fil-à-plomb et sans niveau. » Procédé bien primitif qui consistait à abattre de côté et d’autre sous le même angle, une échasse montée sur une cheville ronde à distance égale des deux piliers.

Fig. 3 (fol. 20 r.). Par chu vosom une arc le cintreel devers le ciel. La figure n’offre aucun secours pour éclaircir le langage par trop laconique de la légende. Il s’agit de la construction des grands arcs ou nervures diagonales de la voûte gothique. Si les traits marqués entre les deux circonférences intérieures, figuraient le cintre, il faudrait entendre qu’on voit là comment se forme la voussure d’un arc lorsque le cintre est monté. La jauge appliquée sur l’arc serait pour éviter les jarrets dans la pose des voussoirs.

Fig. 4 (fol. 20 v.). Par chu tail om vosure pendant ; manière de taille voussure pendante. » Voussure pendante est l’équivalent de ce que nous appellerions pendentif de voûte, c’est-à-dire l’un de es compartiments dont sont formées les voûtes du moyen âge par-dessus les nervures.

Chacun des compartiments étant une portion du cylindre que le rayon d’extrados des arcs diagonaux engendrerait par sa révolution tout le long de l’axe des arcs latéraux, il s’ensuit qu’en faisant agir entre les branches des arcs diagonaux une corde fixée à leur point centre sous leur clef commune, corde que l’on développerait à mesure qu’on approcherait des arcs latéraux ; en faisant cette opération, dis-je, on produirait les courbes d’un solide répondant aux conditions ci-dessus énoncées. Villard de Honnecourt nous fait voir que, grâce à cette manœuvre, les constructeurs de son temps se passaient de cintres pour exécuter les pendentifs de voûte. Lorsque les nervures étaient construites, l’ouvrier, après avoir établi une ligne faîtière du sommet des diagonales à celui des latérales disposait ses assises de pendants entre cette ligne et l’extrados une corde tendue au centre de la travée de voûte et dont il avait l’autre bout dans la main. Comme dans le cours de ce travail il y avait à modifier dans cesse la coupe peu précise des pendants, l’auteur se sert du mot tailler comme équivalent de maçonner.

Cette méthode, certainement abandonnée lorsque l’art gothique se perfectionna, donne raison d’un fait qu’un architecte anglais très versé dans la connaissance du gothique, M. Willis, a établi sans pouvoir l’expliquer :c’est l’inclinaison des assises de pendants sur les nervure diagonales, inclinaison qui règne dans toutes les voûtes du temps de Philippe-Auguste[1]. M. Willis avait fini par y soupçonner une recherche de perspective ; mais il est évident que la seule explication à donner est l’intersection oblique du cylindre engendré, par les plans suivants lesquels on manœuvrait la corde.

  1. Voyez le beau mémoire de cet auteur sur la construction des voûtes gothiques dans la Revue de l’architecte de M. César Daly, vol. de 1843