Notice chronologique sur les œuvres d’Arago/9

Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciencesGide ; WeigelXIII : Tables (p. cclvi-cclxiii).

IX. — Résumé.

Depuis le moment où en 1805 il sortit de l’École polytechnique pour entrer à l’Observatoire de Paris, jusqu’à à sa mort, en 1853, M. Arago n’a pas cessé, ainsi que le démontrent les détails dans lesquels j’ai été obligé d’entrer pour rester un historien fidèle et exact, de faire chaque année des expériences d’une importance le plus souvent tout à fuit capitale. En même temps il a composé quarante-sept Notices biographiques, trente-trois Notices scientifiques, cinquante-six Mémoires ou Notes sur des faits nouveaux qu’il a découverts ou éclaircis, soixante-trois Rapports faits à l’Académie des sciences, au Bureau des Longitudes ou à la Chambre des députés. Il a en outre rédigé son Traité d’Astronomie populaire, et, comme secrétaire perpétuel de l’Académie, fait dix discours funéraires ; enfin il est monté à la tribune de la Chambre des députés pour prononcer cinquante-trois discours où la science a été toujours son point de vue principal. En joignant à tous ces travaux différentes Notes publiées dans la Connaissance des Temps, l’Annuaire du Bureau des Longitudes, les Annales de chimie et de physique, les Comptes rendus de l’Académie des sciences, le Bulletin de la Société philomatique, on trouve un total de près de cinq cents écrits divers. Il ne s’est pour ainsi dire pas écoulé un mois sans qu’il ait fait une communication de son propre fonds aux corps savants auxquels il a appartenu. Je ne compte pas les brillants comptes rendus qu’il donnait des Mémoires dont la présentation lui était confiée par tous les savants du monde. Dans ses improvisations académiques il mettait tant de chaleur et de talent que les auteurs qui sortaient de l’entendre trouvaient presque toujours qu’il avait fait ressortir les points saillants de leurs travaux beaucoup mieux qu’ils n’auraient pu le faire eux-mêmes. Après l’avoir écouté, les inventeurs avaient une plus haute idée de leurs propres découvertes.

M. Arago ne pensait pas que les académiciens fussent rigoureusement tenus à faire des rapports sur tous les travaux présentés à l’Académie des sciences ; il professait l’opinion que, sauf des circonstances exceptionnelles, les rapports académiques n’étaient pas nécessaires pour mettre en évidence les travaux d’un véritable mérite selon lui, la prompte publicité des Mémoires était la chose importante, l’impression créant seule des titres scientifiques qui finissent par donner à chacun le rang qui lui appartient. Cependant il regardait comme un devoir d’encourager les hommes se vouant au culte de la science, et comme, durant sa longue carrière d’académicien, il a fait en moyenne plus d’un rapport par année, on peut dire que nul n’a pris tant de soin de protéger les jeunes savants. Son influence sur le mouvement des sciences dans la première moitié du xixe siècle a été immense ; par ses conseils comme par ses travaux, un grand nombre de voies nouvelles se sont ouvertes, et un grand nombre de vérités ont été conquises.

Bien souvent on a répété que l’illustre secrétaire perpétuel de l’Académie s’était laissé extourner de l’étude des sciences par les occupations politiques. N’apercevant que le rôle brillant de l’orateur de l’opposition, quelques-uns affirmaient que, depuis qu’il était devenu membre de la Chambre des députés, il avait cessé de travailler utilement pour la science. Mais ses œuvres témoignent d’un bout à l’autre que jamais il n’a abandonné aucune de ses recherches. Il y a même ceci de saillant et de tout à fait remarquable dans sa manière de travailler, qu’il portait pendant de longues années ses méditations sur plusieurs sujets à la fois, quoique presque tous ces sujets exigeassent une attention soutenue et fussent d’une nature ardue. Souvent dans la même journée, après les distractions de la vie politique ou de la vie du monde, il faisait les expériences ou écrivait successivement sur plusieurs matières différentes. Il quittait sans peine une question d’astronomie pour traiter une question de physique ou de météorologie, ou même pour étudier quelque projet de loi, ou écouler les nombreux savants qui venaient lui demander des conseils ou des recommandations. Lorsqu’un problème le préoccupait fortement et qu’il n’en trouvait pas immédiatement une solution satisfaisante, il cessait momentanément de s’en occuper et cherchait dans d’autres sujets une diversion profonde. C’est ainsi qu’en changeant souvent de point de vue, son regard ne se fatiguait pas. Son intelligence, reposée par la variété des conceptions, revenait avec une vigueur nouvelle pour franchir les obstacles que d’abord elle n’avait pu vaincre. Il mit, pendant toute sa vie, à profit un conseil qui l’avait frappé dans sa jeunesse, celui de d’Alembert à un jeune homme arrêté par des difficultés dans ses études mathématiques : « Allez en avant, monsieur, et la foi vous viendra. » Par sa persévérance à sonder les mystères de la nature, l’illustre physicien fit on mille occasions jaillir la lumière.

À tous ses travaux, qui dénotant une opiniâtreté et une énergie bien rares, M. Arago joignait encore de très-nombreuses lectures. Sa mémoire était extrême ; il se souvenait de passages tout entiers qu’il n’avait fait que lire il y avait bien des années. Il se plaisait même à réciter de longues pièces de vers. Dans ses lectures, il avait l’habitude de prendre souvent des notes, et bien des fois c’est sur la marge même des qu’il inscrivait ses réflexions. Je citerai quelques-unes de celles que je trouve sur les volumes qu’il m’a laissés.

— Mot très-juste de Fontenelle : « En fait d’astronomie, il vaut mieux voir que calculer. »

— Delambre remarque avec raison qu’en France, lorsqu’il s’agit d’autorité à accorder aux savants, les préférences sont toujours assurées aux étrangers.

— Platon a dit que la géométrie et l’arithmétique sont les ailes de l’astronomie ; outre les ailes, les oiseaux ont une queue qui leur sort de gouvernail ; dans l’astronomie, le gouvernail est, suivant Horrockes, dans les causes

physiques ; mais le véritable gouvernail est l’observation.

— Kepler avait raison de dire : « Je n’aurais pas cédé mes ouvrages pour le duché de Saxe. »

— Aujourd’hui, comme du temps de Kepler, les géomètres se donnent souvent beaucoup de peine pour des questions inutiles.

— Proverbe arabe : « Parlez vaut quelquefois de l’argent ; se taire vaut toujours de l’or. »

— Pensée de Benjamin Constant : « Il n’y a aucun but qui mérite aucun effort. » Réfuter cette pensée dans l’occasion.

L’illustre savant aimait, aussi à consigner, le soir, dans ses carnets, quelques-unes des anecdotes qu’il avait entendues pendant la journée.

En voici une sur Newton : « De fortes études sont généralement préconisées comme un remède infaillible contre de vives douleurs morales. On a tort de prétendre qu’elles ont aussi le pouvoir de calmer les passions. Voyez Newton ! Au milieu de ses sublimes conceptions, il avait formé le projet d’aller rejoindre ses coreligionnaires des Cévennes pour y combattre les dragons de Louis XIV. Un événement fortuit fit manquer son projet, lorsque tout était déjà préparé pour le départ. — Je tiens l’anecdote de lord Brougham. »

L’anecdote suivante témoigne que l’esprit gaulois était aussi celui de l’illustre astronome : « M. Arnaud conduit un jeune poëte chez un poëte célèbre. Le pauvre enfant reçoit un accueil très-froid. Arnaud en demande la raison : — C’est, répond l’homme illustre, que ce versificateur manquera toujours d’inspiration et de sensibilité. — Et à quel signe l’avez-vous reconnu, s’il vous plait ? – C’est qu’il n’a pas été ému en me voyant. »

Néanmoins, la bonté même pour les plus petits et les plus faibles était le caractère de M. Arago. Il aimait à élever et non pas à abaisser ceux qui l’approchaient. Les enfants et les femmes se groupaient souvent autour de lui pour l’entendre parler ; jamais il n’était plus heureux que lorsqu’il avait, avec de douces paroles, semé l’amour de la science autour de lui.

Ce n’est pas la vie de mon vénéré maître que je me suis proposé d’écrire. J’ai seulement cherché à faire connaître ses travaux scientifiques et à préciser les circonstances au milieu desquelles ils ont été accomplis. Cependant le tableau que j’ai tracé serait incomplet si je n’ajoutais pas encore quelques lignes.

Après la mort de l’illustre secrétaire perpétuel de l’Académie une souscription nationale a été ouverte dans le dessein d’élever un monument qui attestât à la postérité la reconnaissance et le respect des contemporains pour l’homme de génie que ses découvertes avaient mis au premier rang parmi les grands hommes du xixe siècle.

Il a été décidé que ce monument serait un tombeau et une commission a été nommée pour veiller à son érection.

La commission a été composée de MM. Combes, président de l’Académie des sciences l’année de la mort de M. Arago, président ; Flourens, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences ; Villemain, secrétaire perpétuel de l’Académie française ; Jomard, membre de l’Académie des inscriptions ; Horace Vernet, membre de l’Académie des beaux-arts ; L. Havin, ancien président de l’Assemblée constituante, directeur politique du Siècle ; Barral, secrétaire.

Le monument construit par M. Duban, membre de l’Académie des beaux-arts, consiste en un cippe de granit surmonté du buste monumental en bronze de l’illustre astronome, dû au ciseau de David. Sur chacune des quatre faces du cippe sont gravées les inscriptions suivantes :

I
FRANÇOIS ARAGO
SOUSCRIPTION NATIONALE ET ÉTRANGÈRE
II
prolongation de la méridienne
polarisation colorée
magnétisme de rotation
méthode et observations photométriques
III
né à estagel le 26 février 1786
membre de l’institut, 1809 ; du bureau des longitudes, 1822
secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, 1830
directeur de l’observatoire, 1843
mort à paris 2 octobre 1853
IV
membre de la chambre des députés, 1831 à 1848
du conseil municipal de paris, 1830 à 1851
du gouvernement provisoire
et président de la commission exécutive, 1848

Encore un fait. Comme ministre de la marine en 1848 et membre du gouvernement provisoire, M. Arago fit adopter et signa l’acte d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. On lui demanda de ne pas décider la mise en liberté immédiate des esclaves, de n’ordonner leur affranchissement que par termes successifs, il répondit : « Je ne remettrai pas au lendemain un acte qui libère des opprimés. Si je ne signais pas aujourd’hui, qui sait si l’esclavage ne durerait pas encore de longues années sur le sol français ! »

L’abolition de l’esclavage a eu lieu sans amener aucune des terribles catastrophes qu’on prédisait au grand citoyen.

Cet acte honore sa mémoire comme ses découvertes honorent sa patrie.

J.-A. Barral.