Notice chronologique sur les œuvres d’Arago/1

Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciencesGide ; Weigel13 : Tables (p. vii-xiii).
NOTICE CHRONOLOGIQUE
sur les
ŒUVRES D’ARAGO

I. – Introduction.

Dans la Notice autobiographique que M. Arago a intitulée : Histoire de ma jeunesse, l’illustre savant rapporte que la première lettre qu’il reçut, en arrivant au lazaret de Marseille (juillet 1809), après sa double captivité en Espagne et en Afrique, était d’un homme déjà en possession d’une réputation européenne, mais qu’il n’avait jamais vu. M. de Humboldt, suit ce qu’if avait entendu dire des malheurs de M. Arago, lui offrait son amitié.

Telle a été, ajoute M. Arago, la première origine d’une liaison qui a duré près d’un demi-siècle, sans qu’aucun nuage l’ait jamais troublée.

Lorsque, deux mois après, la mort de M. Arago, M. de Humboldt écrivit l’introduction placée à la tête des Œuvres de son illustre ami, il rappela cette circonstance, dont il avait conservé un souvenir aussi vif que M. Arago lui-même.

Au moment où il apprenait à Berlin la mort du secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences de Paris, M. de Humboldt rendait ce pieux hommage à celui qui venait de descendre dans la tombe : « Je suis fier de penser que, par mon tendre dévouement et par la constante admiration que j’ai exprimée dans tous mes ouvrages, je lui ai appartenu pendant quarante-quatre ans, et que mon nom sera quelquefois prononcé à côté de son grand nom. »

Lorsque deux grands hommes ont eu l’un pour l’autre de pareils sentiments, celui qui survit est bon juge du soin de la gloire de celui qui pour toujours a quitté ce monde.

M. Arago m’avait prescrit l’arrangement qu’il voulait que l’on adoptât dans la publication de ses Œuvres ; j’ai scrupuleusement suivi les indications que j’avais recueillies de sa bouche.

M. de Humboldt, en m’adressant de bienveillantes félicitations sur l’accomplissement de la tâche ardue qui m’était échue, a bien voulu ajouter ce conseil : « M. Arago est revenu à plusieurs reprises sur les diverses parties de ses Œuvres ; il en a retouché quelques-unes, même dans les dernières années de son existence. Il serait intéressant de savoir à quelles époques ont été composés ses principaux écrits, à quelles époques il a modifié ses idées sur quelques-uns des grands problèmes où il a le plus contribué porter la lumière. Il faudrait, autant que possible, fixer par des dates les pensées d’un homme dontla vie scientifique a été si intimement liée au mouvement des sciences dans la première moitié du xixe siècle. »

J’ai considéré ce conseil comme un ordre, et je viens remplir dans cette notice le devoir qu’il m’a imposé.

Je suivrai la classification adoptée dans la publication des Œuvres, et successivement je passerai en revue, pour en faire l’histoire, l’Astronomie populaire (4 volumes), les Notices biographiques (3 volumes), les Notices scientifiques (5 volumes), les Instructions, Rapports et Notices sur les questions à résoudre dans les voyages scientifiques (1 volume), les Mémoires scientifiques (2 volumes), les Mélanges (1 volume).

C’est en 1849 que M. Arago me fit l’honneur de me faire part de son désir de publier ses Œuvres. Déjà sa santé était profondément altérée. Sa vue s’affaiblissait de jour en jour. Il commençait à ne plus pouvoir ni lire ni écrire d’une manière continue. Bientôt il prit le parti de dicter, d’abord à des membres de sa famille, ensuite à une personne qui pourrait lui consacrer tout son temps.

M. Albert Terrien, ancien élève de l’École polytechnique, professeur de physique à l’école municipale Turgot, fut le premier secrétaire de M. Arago. Il ne put remplir cette fonction que pendant quelques mois.

M. Goujon, élève astronome de l’Observatoire, succéda à M. Terrien, et, jusque la veille de la mort de M. Arago, recueillit les paroles du maître vénéré.

Une grande partie des manuscrits qui ont servi à l’impression des Œuvres de M. Arago est de la main de M. Goujon, qui, pendant plus de trois ans, a écrit presque tous les jours, durant près de dix heures chaque jour, sous la dictée du savant astronome.

Le travail accompli par l’illustre directeur de l’Observatoire de Paris dans les dernières années de sa vie, a été immense. Il se faisait faire des lectures dès le matin, avant l’heure à laquelle M. Goujon venait pour prendre la plume, et, le plus souvent, les lectures recommençaient le soir, malgré la fatigue qu’avaient produite dix heures d’une dictée continue. Admirable, étonnante ardeur dans un vieillard devenu presque aveugle !

M. Arago ne pouvait plus faire de recherches bibliographiques ; il lui fallait quelqu’un qui, sur ses indications, sût retrouver facilement, surtout promptement, les passages qu’il avait remarqués dans les ouvrages les plus variés, dont il avait lu une prodigieuse quantité, et dont il se rappelait avec une précision merveilleuse de nombreuses pages. Il me confia ce soin.

Une grande mémoire, dont j’avais eu occasion de lui donner quelques preuves, a été la raison d’un choix que je regarde comme un précieux honneur. C’est encore à cause de ma mémoire que M. Arago improvisait devant moi de longs chapitres. Il ne voulait pas que leur composition se ressentit de l’impatience que lui donnait la nécessité d’attendre que la main alourdie de son secrétaire pût suivre l’expression habituellement si rapide et si vive de sa pensée. J’étais chargé de reproduire ensuite ce que j’avais entendu. Mes notes, qui lui étaient relues, étaient alors corrigées et rectifiées.

La grande préoccupation de M. Arago pendant tout ce temps était de pouvoir achever ses Œuvres, compléter ses recherches, vérifier des faits qu’il avait soupçonnés ou aperçus. MM. Fizeau, Léon Foucault, Jamin, Laugier, Petit, Goujon, Charles Mathieu, se sont occupés de poursuivre plusieurs des expériences qui avaient été commencées ou du moins indiquées dans leur principe par M. Arago ; je reçus aussi la mission de vérifier quelques conséquences prévues par mon vénéré maître. Ce qu’il souhaitait surtout, c’était que la mort ne vint pas le saisir avant que ses manuscrits fussent en état d’être livrés à l’impression. À cet égard, ses vœux ardents ont été satisfaits. Mais il eût voulu que cette impression fût commencée de son vivant ; déjà il s’était mis en rapport avec plusieurs éditeurs pour discuter les conditions dans lesquelles aurait lieu la publication. Il hésitait cependant à conclure un traité. Jamais il n’avait affronté sans beaucoup d’hésitation l’épreuve, selon lui redoutable, de l’impression. Il lisait et relisait ses manuscrits, les corrigeant sans cesse ; il donnait connaissance à ses amis des passages pour lesquels il redoutait la critique ; il recueillait les avis afin de les peser mûrement, et afin d’y faire droit plus tard, dit trouvait fondées les observations qui lui avaient été faites. On conçoit qu’avec de telles habitudes, il devait appréhender de remettre ses Œuvres entre les mains d’un imprimeur à une époque où, devenu presque aveugle, il ne pouvait plus surveiller lui-même leur correction typographique. Déjà, avant que sa santé fût altérée, il communiquait ses épreuves à plusieurs membres de sa famille, notamment à MM. Mathieu et Laugier, en leur demandant leurs corrections ; il les faisait aussi passer sous les yeux de M. Babinet, dont la vaste érudition lui inspirait la plus grande confiance. Sa perplexité était devenue excessive ; dès 1851, il ne pouvait plus la cacher.

En insérant dans l’Annuaire du Bureau des longitudes pour cette année, sous forme d’une notice scientifique, un livre de son Traité d’astronomie populaire, relatif au calendrier, il disait : « Quoique j’aie pris tous les soins dont je suis capable pour éviter les inexactitudes que j’avais à craindre en traitant une question qui exigeait à la fois des recherches scientifiques, historiques et d’érudition ; quoique j’aie puisé aux meilleures sources, telles que Clavius, Gassendi, Blondel, Delambre, Daunou, etc., je ne sais si je dois me flatter que des erreurs plus ou moins graves ne se seront pas glissées dans mon travail. Je recevrai avec reconnaissance les rectifications qu’on voudra bien m’indiquer, ma seule prétention ayant été de répandre un peu de clarté sur un sujet que les astronomes de profession eux-mêmes abordaient avec répugnance, à cause de sa complication. Au reste, l’état actuel de mes yeux m’autorise à réclamer l’indulgence du public ; il aura la bonté de songer, en parcourant ce long article, que je n’ai pu corriger les épreuves moi-même. »

L’année suivante, en publiant sa Notice sur la scintillation, il avait soin de la faire précéder de cette note : « Je dois prier le lecteur de vouloir bien excuser les négligences de rédaction et les fautes d’impression qui se seront sans doute glissées dans ce long article. On aura la bonté de considérer qu’un quasi-aveugle ne pouvait pas présider convenablement à la correction des épreuves. »

Enfin, en livrant à l’impression, au commencement de 1853, année de sa mort, la biographie de Bailly, il disait : « Je demande excuse d’avance pour les fautes typographiques, et même, s’il y a lieu, pour les incorrections grammaticales qui auront pu se glisser dans les pages qu’on va lire. Le public, qui m’a toujours honoré de sa bienveillance, aura la bonté de remarquer qu’étant devenu presque complétement aveugle, je n’ai pas pu présider directement à la révision des épreuves. »

Les scrupules extrêmes de M. Arago m’étant bien connus, j’ai peut-être eu trop d’audace d’accepter la mission de surveiller la publication de ses Œuvres ; à ce moment au moins, je pouvais avoir l’espoir d’être soutenu par sa haute intelligence dans l’accomplissement du devoir que M. Arago imposait à mon admiration pour son génie, a mon dévouement pour sa personne. La mort ne tarda pas à m’enlever sa bienveillante direction, qui eût couvert ma responsabilité devant le public. Je suis malheureusement resté seul. Quoique j’aie fait tous mes efforts pour remplir dignement la lourde tâche qui m’incombait, je sais que quelquefois j’ai dû faillir. Je recevrai avec reconnaissance l’indication de toutes les erreurs qui peuvent s’être glissées dans mon travail, et je ferai corriger sur les clichés les fautes qui me seront signalées. Un dernier tirage des Œuvres de mon illustre et vénéré maître pourra ainsi être transmis à la postérité sans aucune erreur qui le dépare.