Notes sur quelques arbres

Mercure de France (p. 259-265).

NOTES SUR QUELQUES ARBRES



Les carrières du ciel d’hiver s’éboulent et les nuages descendent sur la terre pour se fixer aux branches nues et laissent le vide bleu s’installer à leur place. Ici des nuages blancs et roses font un fruitier ; là des nuages lilas, mauves et couleur de chair, font un jardin d’agrément ; ici des nuages noirs font une forêt ; là des nuages de pur soleil font une bande d’ajoncs.

Je veux écrire l’éloge de quelques arbres :

Premièrement, du pêcher. — Il est pareil à un essaim d’abeilles qui seraient roses et aussi parfumées que leurs rayons. C’est pourquoi son fruit, velu comme l’abeille, a la couleur du miel.

Deuxièmement, du pommier. — Il est rond. Son fruit est rond et rose et blanc comme est blanche, rose et ronde la joue de ce petit enfant maraudeur qui saute le mur du verger.

Troisièmement, de l’amandier. — Les doigts de Dieu ont aplati l’amande et laissé sur l’écorce un peu d’encens et dans la coque un peu de lait caillé.

Quatrièmement, du poirier. — Il est comme un pèlerin vêtu d’une robe conique, appuyé sur un bâton noueux, et qui assiste à ce miracle que ses gourdes puisent leur eau fraîche dans le feu du soleil.

Cinquièmement, du prunier. — La peau de ses fruits est si fine, que lorsqu’on la détache, elle forme des lanières transparentes. Et la chair mise à vif est toute saignante de soleil.

Sixièmement, du cerisier. — Le cerisier est le corail de la mer céleste. Et un rameau chargé de cerises est plus lourd qu’on ne pourrait croire.

Septièmement, du néflier. — Ses fleurs sont des églantines blanches. La peau de son fruit rond, creusé au sommet en couronne, est lisse, rousse et parfois argentée comme la jeune branche de chêne ; la chair acide et douce, couleur de tan, contient plusieurs noyaux osseux. La nèfle ne se mange que décomposée, en décembre. On dirait d’une crème de feuilles mortes, et elle porte la bure parce qu’elle demeure solitaire dans le verger.

Huitièmement, du lilas. — L’azur s’enflamme au bout de ses branches et la jeune fille qui tient ces torches parfumées sur son cœur qu’elles dévorent pense que tout le ciel brûle aussi.

Neuvièmement, du marronnier d’Inde. — Ses mains d’ombre ridées entourent mille thyrses saumon ou blancs tachés de rose. Ses boules vertes puis brunes, hérissées comme des masses d’armes, tombent et s’ouvrent en laissant échapper d’une peau blanche et glissante les marrons rebondissants, vernis comme de vieux meubles.

Dixièmement, du citronnier. — Sa canne, veinée comme une noix muscade, s’élève d’une caisse verte et carrée. Feuilles et fleurs sont roides, et ces dernières si parfumées que l’on dirait de grains d’encens que le soleil liquéfie et qui s’égouttent dans l’allée. Le fruit, d’un jaune clair, si on le coupe transversalement, a la forme et la transparence d’une rosace d’église.

Onzièmement, de l’acacia-boule. — Sa forme est celle d’un grand bilboquet. Il n’indique que la présence d’une administration des ponts et chaussées. Il ne fleurit jamais. Planté au bord des routes, il se sent assimilé à une borne kilométrique.

Douzièmement, du peuplier. — Quand Sully, qui les fit planter au long des avenues de France, encourageait les travaux des campagnes, les fuseaux des fileuses aimaient les quenouilles des peupliers. Ensemble ils chantaient ou ronflaient. Ici le fil avait un nœud et là le feuillage un nid d’oiseau. Les fuseaux et les peupliers tombent sans que personne les relève.

Treizièmement, de l’ormeau. — C’est la fête du village. Sur la place quatre ménétriers font danser des couples. Une bouteille de limonade luit sur la table devant l’auberge. Les branches des ormeaux, qui sont tordues comme des éclairs, retiennent un tel amas de feuillage que l’on dirait des blocs de nuit en plein jour.

Quatorzièmement, du saule pleureur. — C’est une averse de verdure.

Quinzièmement, du bouleau. — Les feuilles triangulaires et très mobiles du bouleau font un bruit de pluie. Le tronc, qui pèle finement, a la blancheur de la chaux avec, çà et là, des cicatrices noires qui ressemblent à des yeux d’après des méthodes de dessin.

Seizièmement, du charme. — Il ne faut le considérer que taillé, creusé, dirigé. Les amoureux ne s’enfoncent pas dans ses couloirs, faits de petits cœurs plissés, sans une secrète angoisse. La jeune fille qui, avant d’y pénétrer, est pâle comme la moitié d’une cerise, est souvent, lorsqu’elle en sort, rouge comme l’autre moitié.

Dix-septièmement, du platane. — Son écorce, qui s’enlève par plaques, donne au tronc l’aspect d’un serpent moucheté. Ce tronc, à l’endroit où il se ramifie, représente souvent un torse humain dont la peau se plisse dans un effort. La feuille est trilobée, à pans aigus, parcheminée, large, plane, et les chatons forment des pompons de bourre tondue. Aux jours des fortes chaleurs le mendiant bénit l’avenue de platanes. Elle donne beaucoup d’ombre et promet quelque belle fontaine dont l’eau lumineuse jaillit gaîment. Une allée de platanes ne se rencontre guère que dans une ville bien entretenue.

Dix-huitièmement, du figuier. — La feuille trilobée, à pans arrondis, d’un vert profond, donne aux doigts l’impression d’une joue rasée. Et, détachée de la branche très flexible dont elle couronne l’extrémité de ses frais bouquets, elle laisse perler un âcre lait. La figue mûre est, à l’extérieur, verte ou vineuse selon l’espèce ; à l’intérieur, plus ou moins couleur de chair et de miel. Elle a l’air d’un petit animal obèse dont la tête et les pattes se seraient atrophiées jusqu’à disparaître.

Dix-neuvièmement, du noisetier. — Il y a des nids d’oiseaux, des nids de fleurs et des nids de fruits. On surprend les nids de noisettes au bord des eaux, sur quelque branche flexible, et soudées entre elles par la base de leurs collerettes vertes et acides. Dépouillée de sa collerette, la coque de bois clair de la noisette a la forme et la grosseur d’un œuf de petit oiseau.