Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg/1

NOTES
SUR
MA CAPTIVITÉ
EN RUSSIE,
DANS LES ANNÉES 1794, 1795 ET 1796.




I

BATAILLE DE MACIEIOWICE.


Situation de la Pologne après la levée du siége de Varsovie par les Russes et les Prussiens. — Fersen passe la Vistule. — Kosciuszko se décide à aller le combattre. — Il engage Niemcewicz à l’accompagner. — Bataille de Macieiowice. — Kosciuszko et Niemcewicz blessés et faits prisonniers. — Le triomphe des Russes, leur train, leurs idées, leurs pillages.


Les vingt-six mois de mon emprisonnement en Russie, les maux de tout genre que j’y ai soufferts y ont laissé dans mon âme des impressions profondes. Je vais en retracer ici les souvenirs.

Une histoire de la révolution polonaise de 1794, révolution si juste, si sacrée dans ses causes et ses principes, si fatale dans ses conséquences pour le pays et les individus qui y ont pris part, offrirait des récits intéressants et des leçons utiles ; mais dépourvu comme je suis à présent de toute espèce de matériaux nécessaires, je trouve cette tâche au dessus de mes forces ; je ne puis d’ailleurs ni me fier à ma mémoire, ni moins encore à mes talents ; je me bornerai donc à raconter ici les principales circonstances de ma captivité, depuis les moments qui ont immédiatement précédé la fatale journée du 10 octobre 1794[1], jusqu’à l’époque où la mort d’une usurpatrice impudique a brisé mes chaînes.

L’intrépidité avec laquelle nos troupes, pendant deux mois de siège, défendirent les retranchements de Varsovie, la saison pluvieuse et l’insurrection de la Grande Pologne, avaient forcé les armées combinées des Russes et des Prussiens à se retirer de devant la capitale. Le roi de Prusse marcha vers les provinces où l’insurrection venait de commencer, et les Russes se dirigèrent le long de la Vistule, nous procurant ainsi un répit aussi désiré que nécessaire, et dont nous profitâmes aussitôt pour détacher cinq à six mille hommes de troupes sous le commandement du général Dombrowski, pour faire une diversion dans la Prusse royale, arrachée à la Pologne à l’époque de son premier partage. Ce petit corps, grâce à sa valeur, à son enthousiasme et aux talents de son chef, battait l’ennemi partout où il le rencontrait ; il défit les troupes prussiennes sous le commandement de Sekuli et prit d’assaut la ville de Bromberg.

Pendant que ces succès répandaient la joie la plus vive dans le camp et dans la ville, le général Kosciuszko, dans la nuit du 4 au 5 octobre, reçut un courrier du général Poninski apportant la fâcheuse nouvelle que le général Fersen, à la tête de l’armée russe, qui s’était retirée de devant Varsovie, avait passé la Vistule près d’un village appelé Macieiowice, à vingt lieues[2] de la capitale. Poninski, avec trois mille hommes, avait été détaché pour observer et défendre le passage ; il n’en fit rien, et donna ensuite pour excuse, que l’ennemi, profitant d’un brouillard fort épais, passa le fleuve sans qu’il eût pu s’en apercevoir. Soit négligence de sa part, soit notre mauvaise étoile, ce passage nous menaçait des suites les plus funestes. Fersen allait se joindre à la grande armée de Suwarow, et alors tous les deux, avec des forces trois fois supérieures aux nôtres, nous auraient attaqués et écrasés sans ressource.

L’armée de Lithuanie, recevant des ordres vagues et contradictoires, éloignée de plus de cent lieues de Varsovie, errait à l’aventure. La petite division du général Sierakowski, après avoir combattu avec courage et gloire à Krupczyce contre toutes les forces de Suwarow, fut quelques jours après atteinte dans une position désavantageuse, et perdit presque toute son artillerie. Cette petite troupe, affaiblie et découragée, était la plus à portée d’être opposée à Fersen. Elle s’approcha à la distance de six lieues du détachement de Poninski, et c’est avec ces deux corps que le général Kosciuszko résolut de combattre l’armée de Fersen, forte d’environ vingt mille hommes et de cent cinquante canons.

Le quartier général de l’armée de Varsovie, qui même par les plus fortes pluies de l’automne, et après la retraite de l’ennemi, avait été au milieu du camp, venait d’être transféré à Mokotow, charmante villa de la princesse maréchale Lubomirska. Le dimanche au soir, 5 octobre, le général Kosciuszko donna ordre à deux régiments d’infanterie et à quelques canons de passer la Vistule par le pont de Praga, et de marcher vers la division du général Sierakowski ; il me dit ensuite, sous le sceau du plus grand secret, que le lendemain à la pointe du jour nous irions tous deux à cheval pour rejoindre ladite armée. Nous passâmes la soirée à Varsovie, chez le président Zakrzewski. Le maréchal Potocki ; Mostowski, Kochanowski, et plusieurs autres de mes meilleurs amis s’y trouvaient ; aucun d’eux ne savait rien du projet du lendemain ; seul le vice-chancelier Kolontay fut mis dans le secret. Le souper était gai et animé. J’étais assis à côté du maréchal Potocki[3], j’avais à mon doigt un scarabée étrusque de la plus grande beauté ; il tournait dans le chaton, et sur une des faces était gravé un soldat blessé s’appuyant sur son bouclier. Potocki l’admirait. — « Gardez-le, lui dis-je, jusqu’à ce que nous nous revoyions. » — Il n’entendait pas le vrai sens de mes paroles ; mon intention était, qu’en cas que quelque malheur m’arrivât, cet ami estimable conservât au moins un souvenir de moi. Nous nous quittâmes à une heure après minuit, aucun de nous ne prévoyant la longue séparation et les malheurs qui nous attendaient ; moi-même, je ne songeais guère que c’était pour la dernière fois que je visitais la capitale de la Pologne.

Le lendemain, lundi 6 octobre, à cinq heures du matin, le général Kosciuszko y ayant fait courir le bruit qu’il allait en ville, et confiant le commandement temporaire de l’armée au général Zaionczek, monta à cheval. Il ne voulut avoir d’autre compagnon que moi. Nous partîmes par le pont de Praga ; à trois lieues, nous laissâmes nos chevaux et prîmes ceux des paysans. Comme nous allions toujours au galop, nous fûmes obligés de changer très-souvent de monture ; les marches et les contre-marches de l’armée, et plus encore le pillage des Cosaques, avaient absolument ruiné le pays ; les chevaux étaient on ne peut plus misérables, les selles sans sangles, et souvent une simple corde mise dans la bouche du pauvre bidet, lui servait de mors et de bride. Nous ne nous cassâmes pas cependant le cou, la destinée nous réservait à quelque chose de mieux. À quatre heures de l’après-midi, nous rencontrâmes la première vedette du général Sierakowski, et à cinq nous descendîmes à son quartier général.

Le général Poninski, ayant laissé son corps à six lieues, arriva ; il y eut un petit conseil, et je fus fort surpris que Poninski ne reçût point l’ordre de rejoindre aussitôt la division du général Sierakowski. Je passai la nuit dans un chariot couvert du brigadier Kopec.

Le lendemain, mardi 7 octobre, la petite armée, sans attendre les renforts de Varsovie ni le corps de Poninski, se mit en marche ; le temps était beau, les soldats riaient et chantaient. Nous fîmes halte près de Zelechow, petit bourg entièrement ruiné par les Russes. Vers le soir, nous arrivâmes à Korytnica, village plus ruiné encore. La maison du propriétaire fut destinée au quartier général. Les Cosaques y avaient passé peu de jours auparavant ; tout y était sens dessus dessous ; les chaises coupées à coups de sabre, les bureaux, les commodes, les secrétaires enfoncés, les tiroirs, les livres, les papiers hachés en morceaux et jonchant le parquet. Derrière le village s’élevaient deux chaînes de collines, séparées par un ravin profond et hérissé de ronces. Notre petite armée, occupa une de ces chaînes, ayant devant elle le ravin, les deux flancs couverts par des bois. Le lendemain il fit une pluie très-forte ; vers midi, une de nos patrouilles amena dix hussards russes du régiment de Wolkoff et un major des ingénieurs ; envoyé pour reconnaître le pays et en dresser la carte. Ce malheureux, appelé Podczaski, était un Polonais du palatinat de Braclaw ; plus mort que vif, il nous dit que, poussé par la misère, il était entré au service russe depuis longtemps, et ne pouvait jamais obtenir son congé ; nous aurions pu le faire pendre comme portant les armes contre sa patrie, mais nous nous contentâmes d’exiger de lui des renseignements sur l’état et la situation du camp ennemi ; ce qu’il fit avec la plus grande sincérité et la meilleure foi du monde. Il nous dessina le plan du camp russe, et spécifia le nombre d’hommes et de canons. Nous vîmes clairement que l’ennemi était en hommes et en artillerie quatre fois plus fort que nous ; nous le vîmes, mais nous ne voulûmes pas le croire. Le soir, le capitaine Molski arriva comme courrier de l’armée du général Dombrowski avec la nouvelle de la défaite des Prussiens à Bromberg. Nous publiâmes aussitôt cette victoire dans notre petite armée, l’invitant à égaler par ses exploits la gloire de ses compagnons d’armes. Le soir, la pluie cessa un peu, l’armée chargea ses armes à neuf. Le général Kaminski, mon ami et camarade de collège, arriva au quartier général ; nous nous promenions dans la cour, en nous entretenant de la journée du lendemain et en mêlant à tout cela des souvenirs des beaux jours de notre jeunesse, quand, au milieu de cette conversation, nous vîmes dans les airs une nuée de corbeaux volant à notre droite. « Vous rappelez-vous votre Tite-Live ? me dit-il : ces corbeaux sont à notre droite, c’est un mauvais augure. — Il le serait pour des Romains, lui dis-je, mais non pas pour nous. Vous verrez que quoique cela paraisse difficile, nous battrons les Moscovites. — Je le crois aussi, » me répondit-il.

Le jour du 9 octobre était aussi beau que les précédents pluvieux. De grand matin, le colonel Krzycki amena les deux régiments détachés du camp de Varsovie. Ses soldats, excédés de faim et de fatigue, étaient de mauvaise humeur ; mais les exhortations des officiers et quelques verres d’eau-de-vie les eurent bientôt remis en gaîeté. Nous n’avions aucune nouvelle de Poninski, et vers les neuf heures du matin, toute notre petite armée se montant à peu près à cinq mille huit cents hommes, avec vingt et une bouches à feu, se mit en marche. À quatre heures de l’après-midi, nous sortîmes du grand bois et nous approchâmes du village de Macieiowice. Le général Kosciuszko et moi, avec quelques chevau-légers, prîmes les devants. Nous ne fûmes pas longtemps sans découvrir l’armée ennemie. Elle était campée le long de la Vistule aussi loin que la vue pouvait s’étendre. Quoique la grande distance ne permît pas de discerner distinctement les objets, le coup d’œil général était on ne peut plus imposant ; les rayons du soleil couchant se réfléchissaient sur les armes des colonnes épaisses d’infanterie ; le hennissement des chevaux et le bourdonnement de toute cette multitude armée remplissaient l’air d’un bruit sourd, confus, et qui ne laissait pas d’avoir quelque chose de terrible. Nous jetâmes nos chasseurs dans le bois qui se prolongeait sur nos flancs, et nos postes avancés commencèrent une escarmouche avec les Cosaques dans la plaine qui s’étend depuis la digue qui est devant la maison de Macieiowice jusqu’à la Vistule. Nos cavaliers en tuèrent quelques-uns, lorsqu’un corps considérable, les attaquant tout à coup en demi-cercle (selon leur coutume), nous obligea de nous replier. Je ne sais comment nous ne fûmes pas pris, car deux fois, le général et moi nous en fûmes enveloppés ; les chevau-légers de Kaminski les repoussèrent ; enfin, vers les cinq heures, tout devint tranquille, et toute notre petite armée arriva sur les lieux.

Le village de Macieiowice est situé dans le bas-fond au sortir du bois ; à quelque distance est une plate-forme élevée, couverte de champs et de quelques broussailles ; une grande maison à deux étages, bâtie en briques, s’élève du côté de la Vistule ; au devant est une pente, qui conduit à une digue bordée de saules ; à droite, une petite rivière ; le reste de la plate-forme est entouré par des prairies marécageuses. Cette position nous parut excellente : toute l’armée fut rangée sur la plate-forme ; on plaça une batterie devant la maison, qui enfilait toute l’avenue de la digue ; on y plaça aussi le régiment des fusiliers et celui de Dzialynski, sous le général Sierakowski. Derrière la maison, les deux grands segments du cercle depuis la rivière jusqu’à un bouquet d’arbres à gauche de la maison, étaient bordés par le reste de notre infanterie, la ligne du côté du village sous les ordres du colonel Krzycki, la cavalerie, composée de la brigade de Kopec, des chevau-légers de Kaminski, de deux escadrons du régiment des gardes à cheval de la couronne et de deux escadrons de la milice du palatinat de Brzesc, faute d’espace, le long de la petite rivière et au centre. Le général Kosciuszko ordonna de jeter quelques épaulements ; mais la nuit tombante empêcha de les élever, à peine étaient-ils commencés. Toute l’armée bivouaqua. On fit doubler les postes avancés, en mêlant des chasseurs parmi les cavaliers ; enfin, la nuit venue, nous nous retirâmes dans le quartier général, placé dans la maison de briques mentionnée ci-dessus.

Qu’on me parle tant qu’on voudra de pressentiments ! C’était, la veille du plus malheureux jour de ma vie, jour où je perdis ma liberté, et, ce qui est mille fois plus affligeant, où je vis les événements qui précipitèrent la ruine totale de ma patrie : j’étais cependant calme et, qui plus est, gai. La maison où nous étions avait été pillée et ravagée comme toutes celles où les Russes avaient passé. Elle appartenait anciennement à la famille Macieiowski et ensuite à celle de Zamoyski. On voyait dans la salle du premier étage des portraits de famille représentant des primats, des grands chanceliers, des grands généraux, des évêques, etc. Tous ces personnages avaient les yeux percés, les figures sabrées et mutilées par les Cosaques. Telle était l’armée de la grande Catherine, cette protectrice des arts et des sciences. Nous ne trouvâmes plus de livres ; c’était toujours la part des officiers généraux ; russes, qui les emportaient partout où ils pouvaient en trouver ; une caisse seulement avec des brochures et une collection de gazettes polonaises depuis le commencement du siècle, était brisée, et le contenu couvrait le parquet d’une chapelle ruinée comme le reste. Je ramassai un paquet de ces gazettes, elles contenaient la relation de la mort d’Auguste II et le journal de la diète de convocation ; les discours ampoulés et farcis de mauvais latin m’amusaient extrêmement, j’en lus quelques morceaux au souper. Nous parlâmes de la force de notre position, de la difficulté, de l’impossibilité presque pour l’ennemi de nous y attaquer. À deux heures après minuit, nous reçûmes un exprès du général Poninski. Le général Kosciuszko lui fit écrire de hâter sa marche pour nous joindre le plus tôt possible ; mais, hélas ! c’était déjà trop tard. Le 10 octobre, vendredi, au point du jour, nous fûmes avertis que toute l’armée ennemie s’avançait en ordre de bataille.

Notre petite armée se tenait prête à la bien recevoir. Comme l’ennemi avait des bouches à feu d’un plus grand calibre que les nôtres, il commença la canonnade de fort loin ; ses énormes boulets se faisant jour à travers les broussailles, fracassant avec un bruit effroyable les branches et les sommets d’arbres, venaient tomber au milieu de nous. Nous n’avions que trois ou quatre pièces de douze ; et aussitôt que l’ennemi fut à leur portée, nous le foudroyâmes aussi avec un tel succès, qu’on pouvait voir ses colonnes flotter et la terreur gagner ses rangs. Nous étions sur un terrain sec et élevé, les Russes marchaient sur des marais où les canons et les hommes même enfonçaient à chaque pas. Pendant près de trois heures nous conservâmes un avantage décidé, au point que le général Sierakowski, placé avec ses troupes juste en face de l’ennemi et devant la maison en briques, vint nous dire qu’il lui semblait que les Russes allaient abandonner l’attaque et se retirer. Mais ce fut bientôt tout le contraire : l’ennemi quatre fois aussi fort que nous, ayant un parc d’artillerie immense, comptant d’ailleurs la vie de ses soldats pour rien, ne se rebutait pas par les difficultés du terrain et continuait à s’avancer. Son feu devint de plus en plus rapide et terrible ; une grêle de boulets de tout calibre, de mitraille et d’obus, qui, en éclatant, portaient la mort de tous côtés, pleuvaient sur nous. Un de ces obus éclata juste entre le général Kosciuszko, son aide de camp Fischer[4] et moi ; et ses éclats, en passant par-dessus nos têtes, allèrent frapper à cinquante pas, un canonnier qui tomba roide mort.

Au commencement de l’affaire, le général Kosciuszko, craignant que l’ennemi ne parvint à se loger dans un village contre lequel notre gauche s’appuyait, donna l’ordre de l’incendier. Aussitôt les boulets rouges partent, des flammes, des tourbillons de fumée s’élèvent ; et les pauvres paysans de ce village se sauvant avec leurs femmes et leurs enfants éplorés, dans les bois, me rappellent une des plus cruelles scènes que j’aie jamais vues.

Vers midi le feu devint encore plus terrible : la mort volait et frappait de tous côtés, presque tous nos chevaux d’artillerie étaient tués ou estropiés ; aucun des nôtres ne quittait cependant sa place. L’ennemi était déjà à portée de fusil ; un feu terrible de mousqueterie commença alors de part et d’autre, la terre se couvrait de morts et de blessés et l’air retentissait de leurs gémissements. La grêle des balles, leur sifflement aigu, furent si continuels, que je ne conçois pas comment un seul d’entre nous put échapper. Cependant nos munitions s’épuisèrent, et nos canons se turent entièrement. Le soldat, fatigué de rester exposé sans bouger à un feu continuel de cinq heures, perdit enfin patience. La ligne placée depuis le village jusqu’à la pointe de la plate-forme, sous le commandement du colonel Krzycki, s’avance pour attaquer l’ennemi ; une décharge de canons à mitraille fait reculer et ensuite met en déroute un bataillon de paysans armés de faux, j’en avertis le général Kosciuszko et le préviens en même temps qu’à travers les broussailles la cavalerie ennemie s’avance au galop pour nous prendre en flanc. Un escadron de la milice de ma province (de Brzesc), placé au fond de la plate-forme ; commençait à chanceler et à vouloir quitter le champ de bataille, je courus pour l’animer, et m’étant mis à sa tête, j’allais m’opposer à la cavalerie ennemie. Nous allions la joindre, lorsque je fus frappé par une balle, au bras droit, au-dessus du coude ; mon sang ruisselait à flot. Je me rappelle que la douleur ne fut pas le premier sentiment que j’éprouvai dans cet instant, ce fut au contraire l’orgueil d’avoir aussi versé mon sang pour la patrie. Mais ce plaisir romanesque de patriotisme, qui flattait mon amour-propre, fut bientôt dissipé par l’aspect de la déroute générale de notre armée. Les cavaliers que je menais, se dispersèrent ; la confusion régnait partout ; toute l’armée ennemie s’avançait et nous entourait. Notre infanterie affaiblie présentant des vides et des lacunes partout, ne bougeait point ; elle reçut l’attaque de la phalange des baïonnettes russes ; la boucherie commença et après un combat opiniâtre, où les défenseurs de ma patrie se couvrirent d’une gloire immortelle, l’ennemi ne resta maître du champ de bataille qu’en marchant à travers des rangs de cadavres de nos soldats, occupant encore après la mort la même place qu’ils avaient occupée dans le combat.

Je cherchais partout le général Kosciuszko ; je l’avais vu dans la petite plaine du côté de la rivière ; la perte de mon sang m’affaiblissait, mon sabre me tomba de la main. Un officier me voyant dans cet état, défit sa cravate et me la noua autour du bras. Je joignis enfin le général, occupé à réunir un petit corps de cavalerie ; un boulet tua son cheval, on lui en présenta un autre. Tout à coup un nouveau corps de cavalerie ennemie se montra vis-à-vis de nous ; nous l’attaquons, nous le repoussons, mais bientôt tous les chevau-légers russes fondent sur nous ; les Cosaques nous prennent par les deux flancs ; notre petite troupe tourne le dos, et chacun se sauve comme il peut, le bois promettant de couvrir notre retraite.

Un officier, ayant avec lui une vingtaine de cavaliers, me crie : « Joignez-vous à notre troupe, hâtez-vous, nous ne tomberons pas au pouvoir de l’ennemi. — Tout est perdu, lui répondis-je, n’importe ce que je deviendrai. » — Il s’éloigna avec vitesse ; moi, je n’avais ni la force ni même la volonté de pousser mon cheval ; une bande de Cosaques m’environna aussitôt. Je n’avais plus de sabre, mes pistolets étaient déchargés, et je ne pouvais lever mon bras ; ils saisirent mon cheval par la bride et je fus fait prisonnier[5].

Après m’avoir conduit dans le bois, ils se dispersèrent à la poursuite de nouvelles prises, me laissant seul avec leur officier. Ce gentilhomme me demanda d’abord l’inventaire de tout ce que j’avais sur moi : il commença par prendre ma montre, ensuite ma bourse ; puis voyant une bague au doigt de ma main blessée et considérablement enflée, il essaya de l’ôter, et ne pouvant y parvenir, il mit mon doigt dans sa bouche et me l’aurait infailliblement coupé de ses dents, si, saisi d’indignation, je ne l’eusse repoussé, puis ôtant non sans difficulté et douleur cette bague, je ne la lui eusse jetée à la figure. De voleur, mon officier devint alors valet de chambre, et se mit en devoir de me déshabiller, il m’ôta ma cravate, mon habit vert, mon gilet, etc., et me couvrit d’un uniforme qu’il avait arraché du corps d’un de nos soldats morts ; il prit ensuite mon cheval et me mit sur le sien : je mourais de douleur et

de lassitude, tandis que lui s’amusait à me promener, à travers les nombreux bataillons russes, enflés de l’orgueil que leur inspirait leur victoire, et remplissant l’air de leurs insolentes clameurs. Plusieurs de leurs officiers criaient à mon conducteur : Pourquoi ne pas le tuer ? tue-le ! tue ! et il m’aurait peut-être rendu ce service, dont je n’aurais pas été fâché pour ce moment-là ni pour la suite, sans l’arrivée d’un commandant de régiment nommé Miller, qui me parla avec civilité et humanité, gronda l’officier qui m’avait dépouillé, et se chargea lui-même de me conduire au quartier général.

Nous traversâmes encore une fois, tout le champ de bataille ; la terre était jonchée de cadavres déjà tous dépouillée et laissés nus. Ce spectacle déchirant avait quelque chose de grand, même dans son horreur. Tous ces soldats ayant pour la plupart six pieds de haut, étendus, la poitrine percée de baïonnettes, ces membres nerveux couverts d’un sang déjà figé, la menace ou le désespoir qui se peignait encore dans leurs traits livides et glacés par la mort, mais surtout l’idée que ces braves étaient morts pour la patrie en la couvrant de leur sein, remplissait mon âme d’une impression aussi douloureuse que profonde, et qui ne s’effacera jamais.

Nous trouvâmes le commandant en chef, Fersen, se promenant dans la cour de la maison de briques avec sa suite ; au lieu d’uniforme, il avait un habit de pluche rouge, bordé d’un petit galon d’or ; point d’épée, autant que je m’en souviens ; en un mot, on ne pouvait pas être mis plus bourgeoisement le jour d’un combat. Je fus présenté et mené ensuite dans la même maison qui, sept heures auparavant, nous avait servi de quartier général. Je trouvai la chambre remplie de généraux russes et de plusieurs des nôtres : les généraux Kaminski, Sierakowski, Kniaziewicz, le brigadier Kopec. Nous ne pûmes retenir nos larmes, en nous voyant tous réunis par ce malheur commun. Le rapport de la mort du général Kosciuszko augmentait encore notre douleur, et surtout la mienne. Les généraux russes Chruszczew, Tormansow, Denisow, Engelhard, connaissaient tous ma famille ; ils vinrent me consoler, en me faisant des protestations d’intérêt et des offres de service : « Nous ne sommes pas des barbares, » répétaient-ils sans cesse à l’envi les uns des autres. L’empressement de se justifier de ne pas être des barbares, montrait combien leur propre conscience leur faisait ce reproche : ils ne l’étaient cependant pas quant à leur conduite envers nous. On n’est pas méchant quand on se sent heureux, et ils l’étaient tous ! Ils sortaient victorieux d’un combat cruel et opiniâtre ; ils étaient venus à bout d’un adversaire avec la chute duquel ils croyaient la guerre finie pour toujours ; en un mot, les fatigues de la campagne, les dangers des combats, disparaissaient à leurs yeux, et un avenir brillant, des récompenses de tout genre, des cordons, des roubles, des diamants, des dons de villages, enfin tout ce qui flatte la vanité et la cupidité, se présentait à leur imagination. C’est nous qui étions les instruments de tout ce bonheur, comment pouvaient-ils nous haïr ? Je répéterai donc que, dans ces premiers instants de leur joie, ils se perdaient en attentions de tout genre pour nous.

J’étais couvert de sang, et mon bras n’avait pas été encore pansé ; les colonels Moronzow[6] et Chlebow, envoyèrent chercher leurs chirurgiens-majors, qui, comme on peut penser, n’étaient alors que trop occupés. On sonda ma blessure ; la balle avait passé d’outre en outre, déchiré toutes les veines qui avoisinent l’artère à l’endroit où l’on saigne, sans cependant endommager ni toucher l’os. Je souffris peu pendant qu’on me sondait et qu’on me mettait le premier appareil ; je ne m’attendais pas aux tourments que j’allais endurer bientôt.

Cependant le quartier général se remplissait de plus en plus. Parmi les arrivants, nous vîmes la femme du général Chruszczew avec ses filles et sa nièce ; elle venait du côté où le combat avait été le plus meurtrier, et rien ne prouvait mieux combien ces dames étaient aguerries, que de les voir sauter légèrement par-dessus les corps nus des grenadiers qui, à chaque pas, obstruaient leur passage.

Entre les quatre et cinq heures du soir, nous vîmes une troupe de soldats s’approcher du quartier général, portant sur un brancard, fait à la hâte, un homme à demi mort : c’était le général Kosciuszko. Le sang, qui couvrait son corps et sa tête contrastait d’une manière horrible avec la pâleur livide de son visage. Il avait une large blessure de sabre à la tête et trois coups de pique dans le dos, au dessus des reins. Il respirait à peine. Ce spectacle me déchira le cœur ; le silence, une morne stupeur, fut enfin interrompue par des sanglots et des cris d’une douleur aussi vive que sincère. J’embrassai le général, qui n’avait pas encore repris connaissance ; et, depuis ce moment jusqu’à celui où nous fûmes jetés dans des cachots solitaires, je ne m’en suis plus séparé.

Un chirurgien pansa ses blessures, mais n’osa rien prononcer sur son état. Il continuait à ne donner aucun signe de connaissance. On le transporta dans une grande salle, au premier étage, et il ne resta auprès de lui que moi, pleurant à côté de son lit, et un grenadier à chaque porte dans l’intérieur même de la salle. Vers la nuit tombante, Fersen ayant besoin de cet appartement pour son dîner et, son conseil, on transporta encore une fois le malade dans une chambre au-dessus de la cave. La nuit qui succéda à ce jour malheureux fut une des plus douloureuses de ma vie. Couché sur un tas de paille auprès du général Kosciuszko, je souffrais mille fois plus au moral qu’au physique. La foule des officiers qui remplissait toute la maison s’étant enfin retirée, aussitôt les voix confuses, les ris immodérés de cette cohue, firent place aux gémissements, aux imprécations des mourants et des blessés. Or, il faut savoir que, vers la fin du combat ou plutôt du carnage, une centaine de soldats du régiment de Dzialynski et de celui des fusiliers s’étaient retirés dans la maison qui avait été le quartier général de notre armée. Ces braves gens s’y défendirent jusqu’à la dernière extrémité ; les munitions leur ayant manqué, les Russes entrèrent en force dans l’intérieur ; c’est alors que la boucherie commença : on s’égorgeait, on se perçait pêle-mêle de coups de baïonnette dans toutes les chambres, et surtout dans la cave, où les nôtres avaient pris leur dernier refuge. Le carnage ne cessa que lorsqu’il ne resta que des morts ou des mourants, qui y étaient encore quand on nous transporta dans la chambre immédiatement au-dessus. Quelques-uns d’entre eux, succombant sous la douleur aiguë des blessures, poussaient des gémissements et des cris déchirants ; d’autres, brûlés d’une soif dévorante, demandaient à boire ; ceux-là criaient qu’on les achevât, tandis que la plupart se déchaînaient en imprécations pour avoir été, selon leur opinion, imprudemment sacrifiés à un ennemi aussi supérieur en nombre. C’est au milieu de ces gémissements de douleur, de désespoir et de mort, ayant devant mes yeux un ami expirant, souffrant de ma propre blessure ; frissonnant du froid qui commençait à être très-vif, le cœur déchiré, l’esprit accablé de mille réflexions sur cette malheureuse journée et ses suites aussi funestes pour ma malheureuse patrie, c’est au milieu, dis-je, de tous ces tourments, que j’ai passé la nuit la plus cruelle qu’il soit donné à un mortel de supporter.

L’aurore dissipa enfin ces horribles ténèbres. Le général Kosciuszko s’éveilla comme un homme qui sort d’une profonde léthargie, et me voyant blessé à côté de lui, me demanda ce que c’était et où nous étions. « Hélas ! lui dis-je, nous sommes prisonniers des Russes ! je suis avec vous et ne vous abandonnerai jamais. » — « Que je suis heureux dans mon malheur d’avoir un tel ami, » me répondit-il les larmes aux yeux. Bientôt je me convainquis avec joie qu’il n’était pas aussi dangereusement blessé que je l’avais cru. L’arrivée des officiers russes ne nous permit pas de nous entretenir davantage en particulier ; et, si la joie de la victoire, les embarras et les arrangements à la suite du combat, n’avaient pas permis à nos ennemis de s’occuper beaucoup de nous le jour précédent, dès ce matin même ils y songèrent très-sérieusement. On désigna des officiers et des soldats qui durent nous garder, nous suivre, ne nous perdre jamais de vue. Nous eûmes pour surveillants : le général Kosciuszko, le major Iwan Petrowicz Titow ; moi, le capitaine Zmiewski ; Fischer, aide de camp du général, le lieutenant Karpen ; on y ajouta encore le lieutenant Mitrowski et trois vieux grenadiers. L’instruction de ces anges gardiens était d’épier toutes nos actions et toutes nos paroles, de nous empêcher de communiquer ensemble, de dresser tous les jours un rapport sur ce qu’ils auraient vu, entendu ou observé dans la journée.

Sur les dix heures, nous eûmes la premiẻre visite du général en chef Fersen, il dit à Kosciuszko : « Je plains votre état, mais tel est le sort de notre métier de soldat » Comme il ne parlait que russe et allemand, je servis d’interprète ; la conversation ne dura pas longtemps. Je m’aperçus au ton de Fersen avec moi, et cela me fut confirmé d’un autre côté, qu’il me considérait comme l’ennemi le plus violent des Russes et de l’impératrice personnellement. À midi, on célébra la victoire de la veille par une triple décharge de toute la mousqueterie et l’artillerie. On peut facilement imaginer combien ces salves de joie remplissaient mon âme de désespoir.

À la suite de toutes ces démonstrations de triomphe, il y eut un dîner de cent couverts pour le moins ; et ce repas, comme toujours, ne coûta pas un sou au général qui le donnait : les provisions, les vins, tout était pillé dans les campagnes adjacentes. Dieu sait le nombre des santés insolentes qu’on y a portées. On nous permit ce jour d’écrire à Varsovie pour faire venir nos gens et quelques effets : je me servis de ma main gauche pour tracer quelques mots au général Zaionczek. Le lendemain fut encore consacré au repos après le combat, et peut-être après le diner de la veille. Ce ne fut que le lundi, 13 octobre, que toute l’armée, avec ses prisonniers, se mit en marche. On plaça le général Kosciuszko dans une petite voiture avec un chirurgien à côté ; on nous mit quatre et le major Titow dans une autre plus grande ; des détachements de cavalerie par devant et par derrière. Nous eûmes la douleur de voir dans la cour de la maison un grand nombre de nos prisonniers, et le chagrin bien vif d’entendre leurs murmures. « Où sont donc ces terres, ces maisons, cette vie bienheureuse que vous nous promettiez, disaient-ils ; c’est en Sibérie que nous allons les chercher[7]. »

Après bien des délais, nous nous mîmes enfin en marche. Quel train ! Rien ne ressemblait plus à l’armée de Darius. Je puis affirmer, sans aucune exagération, que le bagage des officiers d’état major, le nombre des chariots menant l’immense butin fait dans les palais et les maisons de la noblesse, pillés de fond en comble, ainsi que les chevaux et le bétail enlevés aux campagnes, occupaient un espace presque égal à celui de l’armée. Tous les officiers généraux, les brigadiers, et même les colonels, se prélassaient dans de belles voitures, avec leurs femmes ou leurs maîtresses, suivies de femmes de chambre, de cuisiniers, de domestiques, etc., Le général Fersen, vieillard plus que sexagénaire, décharné et cassé, voyageait dans une charmante berline lilas et argent, attelée de six chevaux gris-pommelé ; à côté de lui était assise une charmante fille de seize ans, belle comme un ange, espiègle et folâtre comme un lutin. En nous avançant vers le centre de l’armée, nous eûmes un spectacle bien différent : deux mille de nos prisonniers marchaient tristement ; venaient après eux vingt canons qu’on nous avait enlevés, et un chariot sur lequel on avait mis quelques drapeaux et deux ou trois étendards de cavalerie nationale richement brodés. Nous ne pûmes retenir nos larmes à la vue de ces monuments de notre malheureuse défaite. Après avoir marché six lieues, nous arrivâmes à la fin du jour à Korytnica.

Le lendemain, l’armée y fit encore halte ; je commençais à ressentir à la main des douleurs cuisantes. Sur les dix heures, arrivèrent de Varsovie les gens du général avec ses bagages, et François, mon domestique, avec un portemanteau. Le Conseil National suprême avait envoyé avec eux un des aides de camp du général avec une lettre pour lui, conçue en termes pleins de sensibilité et de noblesse ; on offrait au commandant russe, en échange du général Kosciuszko, tous les généraux, officiers et soldats russes prisonniers des Polonais, au nombre de plus de 3,000. Je traduisis aux généraux russes la proposition du gouvernement polonais ; mais ces offres ne furent point acceptées. La lettre adressée au général Kosciuszko était accompagnée de quatre mille ducats en or, d’une boite et de trois montres ; il en garda la moitié et donna l’autre à nos officiers et soldats prisonniers.

Nos bagages arrivés, on nomma un comité d’offîciers pour les visiter. On ouvrit toutes les malles, portemanteaux, et on vida leur contenu sur le plancher ; là, chaque pièce fut déployée, tournée et retournée pour voir s’il n’y avait pas quelques instruments, poisons ou lettres cachés. L’insigne bêtise de mon pauvre François leur fournit bientôt une ample provision de ce qu’ils cherchaient. Ce pauvre garçon, en faisant ma malle, au lieu de la remplir de linge, habits et autres effets nécessaires, y fourra toutes les brochures et écrits que j’avais publiés dans les dernières années. On peut s’imaginer que ces productions n’épargnaient guère ni l’impératrice, ni les Russes. Il y avait dans le nombre une Élégie sur le second partage de la Pologne, une Épître aux traîtres ; une autre d’un prétendu officier russe, un Plan de la constitution de Targowica, un fragment de la Bible de Szczesny[8]. Ces deux derniers écrits étaient d’une sanglante ironie, et, je puis ajouter, ne manquaient pas de sel ; aussi fallait-il voir la joie de tous les commis de cette nouvelle espèce de douane à la vue de tant de trésors. Ils en ramassèrent jusqu’à la dernière feuille, et coururent vite les porter à leur chef. Cette bêtise de mon domestique ne contribua pas peu à toutes les rigueurs inusitées qu’on me fit éprouver par la suite.


Séparateur

  1. C’est le jour de la bataille de Macieiowice que perdit Kosciuszko contre Ferzen.
  2. L’auteur, en se servant du mot lieues, entend toujours parler de lieues ou milles de Pologne, de quinze au degré géographique ; les distances ainsi désignées doivent être considérées presque doubles en lieues de France.
  3. Ignace Potocki, maréchal de la cour, et puis grand maréchal de Lithuanie, était un des principaux auteurs de la constitution du 3 mai 1791, qui avait pour but la régénération politique de la Pologne. Patriote aussi remarquable par son esprit que par son caractère, Ignace Potocki se fit toujours respecter, même par ses ennemis. Il mourut en 1809, au moment où il allait plaider la cause de son pays auprès de Napoléon à Schœnbrunn ; à l’époque des brillants succès des armées du duché de Varsovie contre les Autrichiens. M. Serra, ministre de France à Varsovie, lui fit l’épitaphe suivante :
    « Hic jacet ob patriam ærumnas et vincula passus,
    « Eripiturque eodem, quo inchoat illa, die »
  4. Cet officier servit plus tard avec distinction dans les légions polonaises en France, devint général de division et chef de l’état-major de l’armée du duché de Varsovie, et fut tué dans la campagne de Russie à Taroutino.
  5. Nous croyons devoir citer ici la description de la bataille de Macieiowice, tirée de l’ouvrage intitulé ; Histoire de la révolution de Pologne en 1794, par un témoin oculaire (le général Zaionczek): « Kosciuszko quitta Varsovie le 29 septembre, et donna la bataille de Macieiowice le 10 octobre, ou plutôt il la reçut ; car n’ayant point trouvé Poninski à l’armée de Sierakowski ; et Zielinski ne lui ayant envoyé que quelques escadrons de mauvaise cavalerie, le général en chef aurait voulu pour lors éviter le combat ; mais Fersen aima mieux en venir à une action que de laisser derrière lui une armée qui l’aurait gêné dans sa marche sur Brzesc. Cette affaire fut très-meurtrière ; les Polonais y eurent un instant du succés ; quelques bataillons russes y très-maltraités par les insurgés, avaient plié et abandonné leurs canons ; mais la division russe aux ordres de Denisow, venant à percer sur le flanc gauche des Polonais, les rompit et les mit en confusion. L’endroit par où l’ennemi exécuta ce passage devait être occupé par la division de Poninski, qui n’arriva pas à temps. Kosciuszko fit tout ce qui dépendait de lui pour rétablir le combat, mais ce fut en vain. La bataille fut perdue. Une grande partie de l’armée polonaise y périt ; le reste fut prisonnier. Kosciuszko chercha à se faire jour à la tête de quelque cavalerie ; mais entouré, blessé trois fois, il tomba sans connaissance sous le dernier coup qu’il reçut. Reconnu par l’ennemi, il fut transporté du champ de bataille au quartier général des Russes. Sierakowski, Kniaziewicz et Kaminski, officiers généraux, furent faits aussi prisonniers. Niemcewicz, ami de Kosciuszko, reçut une blessure dangereuse dans ce combat. Ce jeune homme était brave, spirituel et poëte comme Eschyle ; mais le Grec eut le bonheur de chanter le triomphe de sa patrie, auquel il avait contribué à la journée de Marathon ; tandis que le Polonais, fait prisonnier à celle de Macieiowice, pleure les malheurs de son pays au fond d’un cachot. Poninski, instruit par les fuyards de ce qui venait d’arriver à Kosciuszko, se replia sur Varsovie. »
  6. Ce Moronzow avait été grièvement blessé et fait prisonnier à la journée de Raclawice ; il était gardé à Cracovie, lorsque, à mon passage par cette ville, je fus lui rendre une visite.
    (Note de l’auteur.)
  7. Le général Kosciuszko, dans ses proclamations à l’armée, avait promis à chaque soldat une maison et un certain nombre d’arpents de terre.
    (Note de l’auteur.)
  8. Szczesny veut dire en polonais Félix. La brochure en question était dirigée contre Félix Potocki, un des chefs de la confédération de Targowica, qui avait paralysé la défense nationale en 1792.