Notes et impressions d’une parisienne/11


Bijoux tragiques


5 décembre 1898.


Après la vente des diamants de l’ancienne présidente de la République, partie dans la sérénité d’une mort tranquille, au milieu des siens, voici les bijoux à demi calcinés, reliques mondaines des victimes du Bazar de la Charité.

Ayant admiré les belles pierreries qui appartenaient à Mme Carnot, je voulus voir aussi les débris, tordus, enchevêtrés, fondus à demi, les bracelets déchiquetés, les bagues contournées, trouvés au lendemain de l’incendie, dans la terre chaude encore où crépitaient des tisons fumants : bois de charpente et loques humaines.

C’est tout là-bas, dans le quartier Monge, au commencement de la rue des Écoles, dans une bâtisse ancienne, garde-meuble des friperies de l’État, que sont relégués ces minables souvenirs.

Il est nuit, il fait triste dans ce coin ; un petit frisson me gagne lorsque je pénètre dans la grande salle où gisent, pêle-mêle, des caisses, des bustes de vieilles Mariannes, mélancoliques sous leur bonnet phrygien, des tableaux, tout le tohu-bohu sinistre d’un « décrochez-moi-ça » de bas brocanteur.

Le gardien de l’immeuble s’arrête devant une lourde boîte de chêne à compartiments, et simplement, la voix un peu émue, il dit :

— C’est là.

Avec respect, une à une il prend les larges enveloppes jaunes où par séries ont été enfermés les objets.

Voici d’abord, tout seul, un énorme bloc de métaux fondus.

Le plomb, l’argent, l’or se sont liquéfiés, amalgamés, ramassant pour les incruster au flanc du lingot de tessons de poterie.

Affreux et étrange, ce morceau informe !

C’est ensuite un lot d’épingles de cravates ; les unes sont en or, tel un trèfle à quatre feuilles (un porte-bonheur !) parfaitement conservé et une tête de femme artistement travaillée ; les autres sont en argent ou en cuivre.

Les épingles à chapeaux son nombreuses, hélas ! il y en a de toutes formes, de simples et de riches : des épingles de deux sous et de petits chefs-d’œuvre d’art. À côté d’une abeille en or, d’un serpent avec une tête d’émeraude, on aperçoit une pauvre verroterie imitant le rubis.

Le gardien étale sur une vieille planche qui sert de table une poignée de montres. Particularité curieuse : toutes marquent à peu de variantes près l’heure de la catastrophe. Une toute mignonne, en or jaune, chiffrée d’un grand C avec 22 62 comme numéro matricule, est arrêtée à 4 h. 32 ; un gros cadran d’acier bruni à 4 h. 33 ; puis voici 4 h. 40 à cette montre de  ; h. 30 et 5 h. 15 à deux montres d’hommes.

Les malheureux propriétaires de ces bijoux-là ont dû lutter plus longtemps, tomber les derniers.

Le gardien ouvre d’autres enveloppes.

Voilà des bagues, avec des perles, des grenats, des émeraudes, le tout noirci, effrité.

Un anneau rond attire mon attention, il ressemble à une alliance ouvragée de méandres grecs, entremêlés de six roses. À l’intérieur très distinctement on aperçoit des initiales :

C. P.
13 juin 1860.

Puis viennent des épingles à cheveux en écaille blonde, avec pluie de brillants, des bracelets d’enfants, de mignonnes boucles d’oreilles petites et charmantes, des solitaires dépareillées, des dés, des faces-à-main, d’or, d’écaille, une boucle de jarretière ornée d’une tête égyptienne, et un lot de lorgnons.

Les chapelets sont en nombre, il y en a deux assez curieux qui ont sûrement appartenu à des religieuses. L’un est en buis, l’autre en ivoire, à peine jauni, les « pater » sont ouvragés, la croix est sculptée et représente un christ naïf, mais la monture surtout, en corde fine et lisse, mérite d’être signalée. C’est une originale particularité.

Une croix de première communion en argent porte au verso cette inscription :

Pauline à Hélène
28 avril 1887.

Le triste inventaire s’achève, c’est maintenant dans une longue boîte un fouillis de bibelots épars, de fragments innombrables : couvercles de boîtes à poudre, médailles de la Vierge, sous fondus, bourses éventrées, fermoirs de ridicules, et jusqu’à des râteliers garnis encore de fausses dents.

Je ferme les yeux, lassée, écœurée par le spectacle poignant de ce lamentable bazar, et c’est de toute mon âme que j’appuie le vœu de cette inconnue qui réclamait hier, dans un journal du matin, que ces déchets, reliques sacrées et chères, dignes de respect, ne fussent point profanées par des curieux ou des mercantis, mais descendues pieusement dans les caveaux de l'église que l'on élève sur le terrain de la rue Jean-Goujon, qui demeurera si tristement célèbre.