Notes d’une frondeuse/PRÉFACE

H. Simonis Empis (p. vii-x).

PRÉFACE


« LEUR AVENIR »

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« Je ne souhaite de malheur à personne ; mais, vraiment, le jour où, entrant dans la lâcheté du Parlement comme dans du beurre, un général ayant un coq peut-être au lieu d’un aigle à son képi — qu’importe ! — nous emballerait pêle-mêle : les socialistes, les radicaux et les tricolores, ce jour-là, je ne pourrais m’empêcher de rigoler un brin de la penauderie de mes voisins, poussés dans le panier à salade à coups de pied au derrière, comme en Décembre, et se grattant la place avec un gros soupir.

» Nous, les socialistes, on nous fusillerait d’emblée et avec colère, parce qu’on ne redoute que nous ; et que, depuis que notre idée est sortie du sol, on en veuf tuer la graine. On a raison, car, seuls, nous sommes un danger, et nous méritons le mur, ayant toujours accepté la révolte, même quand elle nous paraissait précoce ou d’avance écrasée.


» Mais il est possible qu’à la prochaine razzia on canarde, à l’hasard de la fourchette, les Spuller comme les Vingtras.

» Nous qui avons secoué le prunier, nous nous attendons à recevoir des prunes ; et, si dur à passer que soit le moment où elles pleuvent, comme on s’y attend depuis le commencement de sa carrière — puisqu’on s’en est payé pendant l’orage — on en prend son parti sans trop geindre. La mort était l’atout promis dans le jeu que l’on joue — on reçoit l’atout et c’est fini.

» Il n’en serait pas de même pour ceux qui se sont crus des malins — de vrais malins ! — qui font de petites moues de pitié quand on parle devant eux du péril en épaulettes ; et qui ont l’air de dire que c’est de la rhétorique de plumitifs.

» Quelle grimace, mes enfants ! Et il n’y aurait pas à les traiter de poltrons, ces votants de Panurge, qui passeraient, en une nuit, du pré à l’abattoir.


» D’où me viennent ces idées goguenardes et cruelles ?

» C’est que je sors de la pétaudière où ils jacassent, du poulailler où ils pondent leurs phrases.

» Ils devaient se plumer comme des coqs, s’ouvrir le crâne à coups de bec, s’enfoncer les ergots dans le cœur ; les aigles du ministère devaient enlever la minorité dans leurs serres, les oies de l’opposition devaient sauver le Capitole.

» Et toute la volière est du salmis de coup d’État !


» Leur affaire est claire, ça leur pend au croupion !

» Il y a de braves gens et des gens braves là-dedans — des fourvoyés ! Mais le soudard en question n’a qu’à montrer son nez pour que la rigolade que nous nous promettons, mes camarades et moi, nous soit servie toute chaude.

» Ou bien, ces « honnêtes et modérés » reprendront les traditions scélérates des égorgeurs de Juin et de Mai. Ils feront foncer sur le peuple roussins et soldats. Ces infamies ont leur envers :

Qui du glaive a vécu, périra par le glaive.

» Je ne les vois pas blancs, quoi qu’il arrive !

» Une nation a besoin du sabre ou de l’idée.

» L’idée, ils la roulent dans des périodes longues, bêtes, lourdes, qui l’empâtent et la tuent.

» Reste le sabre — qui coupera la gorge du socialisme, mais qui empalera le Parlement ! »

JULES VALLÈS.
(Cri du peuple, 1er novembre 1883.)

Pour bien donner à ce livre sa véritable signification, pour bien en souligner l’indépendance, pour bien affirmer quels sentiments il traduit, nulle autre préface n’eût valu cet article de Vallès, prédisant l’aventure cinq ans à l’avance — et redevenu d’actualité aujourd’hui… cinq ans après !

SÉVERINE.