Notes d’un musicien en voyage/Chapitre 25

Calmann Lévy (p. 241-243).
SOIRÉE D’ADIEU

A mon retour du Niagara, je donnai le concert promis. Les placards immenses dont on avait couvert les murs de la ville annonçaient tous que je paraissais pour la dernière fois. Jamais je n’avais vu mon nom sous cet aspect. Les lettres aussi hautes que moi et quatre fois aussi larges.

Le public américain se montra à la hauteur de cette réclame nationale. Tout New-York élégant et riche s’était donné rendez-vous dans le jardin Gilmore. Dès mon entrée dans l’arène musicale je fus salué de vivat, de hourrahs et d’applaudissements enthousiastes. Et on dit que les Américains sont un peuple froid ! Je vous ferai grâce des détails de cette soirée, car outre que je me suis juré de parler le moins possible de moi, je dois vous avouer que je n’ai pas très-bien saisi tout ce qui se passait autour de moi, tellement j’étais ému par cette démonstration inattendue.

Après le concert, je trouvai difficilement quelques paroles pour remercier une dernière fois mes musiciens du concours qu’ils m’avaient prêté pendant mon séjour parmi eux, et je leur souhaitai avec une sincérité dont ils ne pouvaient douter de continuer après mon départ le succès qu’ils méritaient si bien. Ils me remercièrent à leur tour de la représentation que j’avais donnée au bénéfice de leur association et me firent promettre que je reviendrais en Amérique dans deux ou trois ans. Je promis comme on promet dans ces moments-là, mais les circonstances s’y prêtant, je vous assure qu’il me serait très-agréable de retourner en Yankee-land et de faire plus ample connaissance avec un pays aussi merveilleux et un grand peuple qui m’a témoigné une sympathie dont le souvenir me sera toujours cher.