Notes d’un condamné politique de 1838/18

Librairie Saint-Joseph (p. 170-174).


XVIII

EN QUÊTE D’UNE SITUATION.


J’avais conservé, dans un repli du couvert de mon livre de prières, quelques pièces d’or apportées du Canada, et qui, de cette sorte, avaient échappé à la confiscation générale opérée à bord du Buffalo : à cette ressource s’ajoutaient les quelques schellings de salaire qui m’avaient été payés par les confiseurs.

J’allai me pensionner chez un homme qui était venu nous rendre quelquefois visite à Long-Bottom. La raison de l’intérêt que ce colon de Sydney nous portait venait de ce qu’il avait autrefois habité Montréal, où il avait appris à parler passablement le français. Ce souvenir du Canada qui l’avait porté, lui, à nous rendre visite, me porta, moi, à aller prendre pension dans sa famille.

Le brave capitaine McLean m’avait donné de sages conseils, et m’avait averti que je rencontrerais beaucoup de difficultés à trouver de l’emploi dans Sydney : il m’avait mis au fait de l’état extrême de gêne qui paralysait les affaires et m’en avait expliqué les causes. Le fait est que toute la colonie subissait, en ce moment, une crise financière épouvantable ; on était menacé d’une banqueroute générale, et chaque jour était marqué par l’annonce de faillites plus ou moins considérables.

Les causes de cette crise tenaient au mode de colonisation, adopté depuis quatre ou cinq ans par le gouvernement, et à la rage de spéculation qui s’était, en conséquence, emparée de cette population pleine de convoitises, avide des jouissances matérielles, et que ne retenait guère le souci de la religion.

Jusqu’à l’époque que je viens de mentionner, le gouvernement anglais donnait les terres, par lots considérables souvent, à tous les colons sujets britanniques et aux forçats libérés. L’Angleterre dépensait de plus dans la colonie des sommes considérables, et les administrations pénales fournissaient aux colons un travail à bon marché, dans la personne des condamnés non encore pardonnés. De plus, les travaux des grandes routes, les travaux des ports de mer, étaient faits par les forçats nourris, entretenus et gardés par le gouvernement de la mère patrie.

Cette abondance de biens arrivant ainsi aux colons, sous forme d’octrois gratuits de terres, de main-d’œuvre à bon marché, en un mot de secours de toutes sortes sortant des trésors de l’Angleterre, avait donné à ces établissements lointains des développements rapides ; bon nombre de gens faisaient des affaires magnifiques. Le bruit de ces succès se répandit dans les trois royaumes et les immigrés commencèrent à affluer.

Le gouvernement anglais, voyant la valeur des terres augmenter, crut devoir changer de système de colonisation. On se mit à vendre les terres à l’encan, au lieu de les donner, et on employa le produit de ces ventes à donner des passages gratuits à tous ceux qui se présentaient pour émigrer.

Ce système, dénué de toute prévoyance et de tout esprit de charité, produisit naturellement des effets désastreux. Une rage de spéculation s’empara des anciens colons déjà en possession de quelques capitaux : on fit monter les terres à des prix qui n’étaient nullement en rapport avec les conditions d’exploitation et de marchés. Non-seulement on épuisa ainsi tout le capital du pays, non-seulement on escompta le capital à venir, mais on monta des compagnies, qui, au moyen de quelques capitaux réels obtenus d’Angleterre et des capitaux fictifs souscrits sur place, firent d’immenses achats de terrains, et des dettes proportionnellement plus considérables encore.

Pendant que ceci se passait dans les opérations de finances, les flots d’une immigration pauvre et misérable inondaient la colonie. Il n’y avait pas d’ouvrage, chez les anciens colons, pour toute cette population ainsi subitement transplantée dans un monde tout nouveau pour elle : ces nouveaux immigrants, de leur côté, n’avaient aucun moyen d’acheter les terres, aux prix fous que la spéculation y avait établis. Tout le capital flottant avait été absorbé par l’achat des terres, et, au lieu de circuler dans la colonie, était passé tout entier dans les mains des armateurs anglais qui avaient transporté aux terres australes ces masses d’immigrés dénués de tout.

Alors arrivèrent successivement la gêne, l’escompte usuraire, puis le sacrifice des propriétés, puis les banqueroutes. Les spéculateurs, qui avaient acheté, sans même les connaître, des terres situées au fond des forêts au prix extravagant de plusieurs livres sterling l’acre, ne pouvaient déjà plus réaliser un seul denier comptant de terres excellentes placées dans le voisinage de Sydney, même à des prix excessivement réduits.

La misère était telle que le gouvernement fut obligé de faire construire des abris pour les immigrants, et de nourrir ces malheureux pendant un temps assez considérable.

Telle était la situation de la Nouvelle-Galles du Sud, au moment où je sortais du bureau du brave capitaine McLean, pour chercher de l’emploi dans la ville de Sydney. Les gens en quête de positions se coudoyaient dans les rues et dans les boutiques : les négociants et les industriels se voyaient assaillis par plus de solliciteurs que de chalands.

Pendant quinze jours, j’allai frapper aux portes et aux cœurs, heurté partout par des compétiteurs nécessiteux, sans pouvoir trouver la moindre chose à faire. J’avais d’abord cherché quelqu’emploi qui fût en rapport avec mes goûts et mes aptitudes, puis je m’étais rabattu sur des emplois moins acceptables, puis enfin je m’étais offert pour le premier emploi venu : mais tout avait été inutile.

Pendant ce temps, mes quelques pièces d’or et mes quelques schellings avaient disparu. Au bout de trois semaines, mon hôte, qui était cordonnier et qui commençait aussi lui à manquer d’ouvrage, me donna l’ordre de ne pas rester chez lui plus longtemps. Il était payé, et il savait que j’avais épuisé mes ressources.