Nostradamus (Bonnellier)/Tome 2/Et le problème ?…

Abel Ledoux (2p. 325-330).


XXIV.

ET LE PROBLÈME ?…


Nostredame, portant une petite lampe allumée et sur un de ses bras une robe blanche tachée de sang, s’arrêta à quelques pas de la première porte ; son fils le soutenoit. — Halte, — dit-il avec fermeté.

César s’agenouilla fondant en larmes.

— Silence ! mon fils. — Ici finit ma route sur la terre ; ici, voyageurs, dont l’un est arrivé et l’autre ne l’est pas, il faut nous séparer.

— Laissez-moi descendre avec vous, — je recueillerai vos derniers mots, votre dernier soupir, je fermerai vos yeux…

— Silence ! ménage les paroles, mon temps est court… Ma dernière pensée, si je l’écris, ne sera connue que le jour où tu viendras te ranger à mes côtés… c’est ma dernière volonté… Tu veux descendre avec moi ?… la tombe ne rend à la terre qu’une matière immonde, et tu dois vivre encore !… Je te l’ai dit, c’est à cette place qu’il faut nous quitter.

— Mais si une fois cet épouvantable seuil franchi, vous alliez m’appeler ?…

— Je n’appellerai que Dieu !

— Si une angoisse,… un repentir,… un regret.

— Enfant, je te pardonne ces craintes !… respecte ton père, et fais silence ! — Il posa sa droite sur la tête découverte de César de Nostredame. — Dieu m’entend !… dit-il avec une profonde émotion, — mon fils, je te bénis !…

— Quoi ! plus un mot, plus un regard ! — s’écria le jeune homme avec désespoir.

— Sois honnête homme… et crois en Dieu ! — cria à son tour Nostredame d’une voix puissante.

César tomba sur la terre.

Le médecin de Salon, avec l’assurance qu’il auroit mise à franchir la barrière d’une route conduisant à un but connu, franchit la première grille et la ferma. Il étoit bien débile, bien accablé, il fut long-temps à parcourir le dernier trajet, et il eut l’angoisse que la pente ne fît abattre son corps affaissé sur ses jambes chancelantes. Arrivé à la dernière grille, il s’arrêta, reprit haleine — comme ceux qui vont recommencer une grande course, — regarda en arrière en élevant sa petite lampe, dont la foible clarté fut ternie par le rayon brisé du jour. Sans que son cœur battît plus fortement que ne le vouloit son agonie, — il fit un pas de plus ; il saisit un barreau de la grille, réunit tous ses efforts, tira ; la grille se ferma, la pierre tomba — avec le bruit sourd d’un coup de canon dans le lointain, — et un cri aigu, déchirant, retentit dans le caveau.