Nos travers/Culture intellectuelle

C.O. Beauchemin & Fils (p. 19-21).

CULTURE INTELLECTUELLE

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Me voilà encore tentée de citer un évêque, et un évêque aimable aussi celui-là puisqu’il s’est occupé des femmes.

Mgr  Dupanloup, après avoir écrit quelque conseils aux hommes du monde sur l’éducation n’a pas cru déroger à la dignité de son état en complétant ces précieuses instructions par quelques conseils aux femmes du monde « sur le travail intellectuel qui leur convient. »

Les esprits éclairés, sans verser dans les excès de quelques socialistes féminines, commencent à s’apercevoir — et cela du côté des hommes — que la société a tout à gagner à instruire la femme.

La vieillie recette pour faire une femme parfaite tombe en désuétude : ravauder les bas, faire les confitures, surveiller le pot-au-feu (on a remarqué que les philosophes austères sont souvent gourmands et n’aiment pas les bourrelets à leurs chaussettes) obéir passivement à son mari, frotter, tracasser dans la maison tout le jour.

Le modèle du bon Dieu dont on a la définition dans la « femme forte » de l’Évangile se remet à prévaloir. C’est que, voyez-vous, la Providence a eu cette singulière idée de faire élever les fils par les mères. Il est vrai qu’on a tâché d’obvier à cela en mettant de bonne heure les garçons sous les soins de professeurs étrangers. Le système, tout ingénieux qu’il est, a ses lacunes ; et il faut toujours compter avec ce petit accident providentiel qui donne des mères aux hommes.

Des gens d’esprit comme Fénelon, autrefois, comme le célèbre évêque d’Orléans et Mgr  d’Hulst de nos jours, en ont courageusement pris leur parti. Ils ont se dire avec leur gros bon sens : « Puisqu’elles y sont, qu’elles demeurent, et que leur influence s’impose à notre fortitude même ; du moment qu’elles n’acceptent pas toutes ce beau rôle, cette mission admirable d’être les servantes de la moitié supérieure de l’humanité ; puisque ces rebelles cherchent, ou dans les plaisirs futiles ou jusques dans les livres la satisfaction d’une intelligence que le Créateur a oublié de ne pas leur donner, eh bien, arrangeons-nous pour ne pas trop en souffrir. »

Ils ne trouvèrent pas de meilleur moyen que de permettre aux femmes de leur ressembler un peu. Oh ! un tout petit peu. Ils leur assignèrent des limites — ce n’est pas moi qui les en blâmerai.

Ils la voulurent instruite ; pas savante. C’était sage, car cela suffit à moraliser sans rendre pédante ou infidèle aux devoirs essentiels de la mère et de l’épouse.

À la vérité le remède ne fut pas généralement approuvé. Beaucoup soutinrent que ces concessions aggraveraient les abus. Certaines fortes têtes refusaient de transiger et déclaraient qu’on devrait enfermer plutôt les femmes qui s’obstineraient à « sortir de leur sphère. »

Parmi ces Samsons, malheureusement, il y en avait beaucoup dont les cheveux n’étaient pas assez repoussés pour les mettre en état de prêter main forte à cette mesure de rigueur.

De sorte qu’il y eut toujours du « pour » et du « contre ».

Mais il est rassurant pour celles qui aiment à concilier leur devoir avec les aspirations de l’esprit, d’avoir de leur côté des personnages tels que ceux cités plus haut. Cela console d’en avoir bien d’autres contre soi, même Joseph de Maistre qui fut puni de son aigreur à l’endroit des « intellectuelles » par une fille supérieure.

Je conseille aux jeunes filles, aux mères qui veulent s’élever à la hauteur de leur mission d’éducatrices, de lire les « Conseils », de Mgr  Dupanloup, aux femmes chrétiennes, ainsi que ses « femmes studieuses et les femmes savantes ».

Après avoir établi qu’ « il y a pour toutes les femmes des devoirs sacrés, qu’avant tout elles doivent remplir », (ce dont toutes les femmes sensées demeurent d’accord), « Mais tous ces devoirs, une fois remplis, et la charité envers Dieu et envers le prochain satisfaite, il reste à se faire à soi-même la charité de travailler un peu pour soi, de cultiver son esprit, d’élever son âme par des habitudes de travail intellectuel sagement mesuré et bien ordonné »… Ces habitudes de travail intellectuel et d’occupations sérieuses, loin de nuire à l’accomplissement de ces premiers et essentiels devoirs de la femme chrétienne dans le monde, l’aideraient puissamment à les remplir dans toute leur étendue ».

«… La piété elle-même, la piété toute seule, ne suffirait pas à de tels devoirs. Ou plutôt la piété elle-même, sans ce solide fond et ces fortes habitudes, ne pourrait être qu’une piété, comme on en voit trop, amoindrie et superficielle, faible ou fausse, incapable, par conséquent, de donner la vigueur et l’énergie nécessaires. »

Le bon évêque cite à ce propos Mme  Swetchine, l’amie de Lacordaire qui disait un jour : « je dois avouer que la piété seule ne me suffit pas, s’il ne s’y joint le rayon lumineux d’intelligence. Alors seulement, je me sens dans mon état vrai et en possession de ma vie. »

Ne craignons donc pas, après cela, de perdre notre temps en consacrant chaque jour une heure ou deux à des lectures instructives. Nous avons le devoir de nous faire des loisirs pour ce soin. Quelques moments pris sur le sommeil, sur l’heure consacrée à se friser, sur les soirées employées aux « ouvrages de fantaisie » fourniront aisément ses loisirs.