Nicolas Nickleby (traduction La Bédollière)/03

Nicolas Nickleby. Édition abrégée
Traduction par Émile de La Bédollière.
Eugène Ardant et Cie (p. 15-22).

CHAPITRE III.


Dans la grande salle de l’auberge de la Tête de Maure, était assis le pédagogue dont dépendaient les destinées de Nicolas.

L’extérieur de M. Squeers ne prévenait pas en sa faveur[1]. Il n’avait qu’un œil, et les préjugés populaires veulent que l’on en ait deux. Cet œil unique était incontestablement utile, mais ne pouvait en aucune façon servir d’ornement, étant d’un gris verdâtre, et ressemblant par sa forme au vasistas d’une porte bâtarde. Le mauvais côté de sa figure était ridé et couturé, ce qui lui donnait un aspect très-sinistre ; quand il souriait surtout, sa physionomie dénotait presque de la scélératesse. Ses cheveux étaient plats et luisants, excepté aux extrémités ; il les relevait en huppe sur un front bas et proéminent. Il avait de cinquante-deux à cinquante-trois ans, était d’une taille un peu au-dessus de la moyenne, et portait une cravate blanche à longs bouts, et le costume noir scolastique ; mais les manches de son habit étant beaucoup trop longues, et ses culottes beaucoup trop courtes, il semblait mal à son aise dans ses vêtements, et perpétuellement surpris de se trouver un costume aussi respectable.

Non loin de M. Squeers, on voyait une petite malle entourée d’un bout de corde, et sur cette malle était juché un enfant grêle et chétif. Ses bottines et ses culottes de peau dansaient en l’air ; il avait la tête enfoncée entre les épaules, les mains jointes sur ses genoux, et regardait timidement par intervalles le maître de pension avec une expression évidente de crainte et d’appréhension.

— Trois heures et demie ! murmura M. Squeers quittant la fenêtre et jetant tristement les yeux sur la pendule du restaurant, il ne viendra personne aujourd’hui !

Considérablement vexé de cette réflexion, M. Squeers regarda si le petit garçon ne faisait rien qui pût servir de prétexte pour le battre ; et comme en ce moment l’enfant ne faisait rien du tout, M. Squeers se contenta de lui appliquer un coup de poing sur l’oreille en lui disant de ne plus recommencer.

— À la mi-été, murmura M. Squeers reprenant le cours de ses jérémiades, j’ai emmené dix enfants ; dix fois vingt font deux cents livres sterling. Je m’en retourne demain matin à huit heures, et je n’en ai que trois. Trois fois zéro font zéro, trois fois deux font six ; soixante livres sterling. Que deviennent tous les enfants ? qu’est-ce que les parents ont dans la tête ? qu’est-ce que cela signifie ?

Ici, le petit garçon perché sur la malle éternua avec violence. — Oh ! Monsieur ! grommela le pédagogue en se retournant ; qu’est-ce que cela, Monsieur ? — Rien, Monsieur, répondit l’enfant. — Rien ! s’écria M. Squeers. — Ne vous en déplaise, Monsieur, j’ai éternué, reprit l’enfant tremblant de manière à ébranler la malle qui lui servait de siège. — Oh ! vous avez éternué ! Alors, pourquoi avez-vous dit : Ce n’est rien, Monsieur ?

À défaut de bonne réponse à cette question, l’enfant porta ses poings à ses yeux, et se mit à pleurer. Là-dessus, M. Squeers le jeta à bas de la malle en le frappant d’un côté de la figure, et le remit en place en le frappant de l’autre côté.

Le domestique entra sur ces entrefaites. — Monsieur Squeers, dit-il, voici quelqu’un qui vous demande. — Faites entrer, répondit M. Squeers d’une voix douce ; et vous, petit drôle, mettez votre mouchoir dans votre poche, ou je vous exterminerai quand ce monsieur sera parti.

Le maître d’école eut à peine murmuré ces mots, que l’étranger parut. Affectant de ne pas le voir, M. Squeers feignit d’être occupé à tailler sa plume, et à donner à son jeune élève de bienveillants conseils.

— Mon cher enfant, dit M. Squeers, tout le monde a ses peines. La vôtre, celle qui vous rend le cœur gros, qu’est-elle en définitive ? Rien, moins que rien. Vous quittez vos amis, mais vous trouverez un père en moi, et une mère en madame Squeers, dans le délicieux village de Dotheboys (Yorkshire), où les jeunes gens sont nourris, habillés, blanchis, fournis d’argent pour leurs menus plaisirs, pourvus de tout ce qui leur est nécessaire… — Vous êtes monsieur Squeers, je crois ? dit l’étranger interrompant le maître d’école dans la répétition de son annonce. — Lui-même, Monsieur, répondit M. Squeers simulant une extrême surprise. — C’est vous, dit l’étranger, qui avez fait insérer une annonce dans le Times ? — Le Morning-Post, le Morning-Chronicle et l’Advertiser, relativement à l’académie appelée le château de Dotheboys, dans le délicieux village de Dotheboys, près de Greta-Bridge (Yorkshire). Vous venez pour affaire, Monsieur, je le vois par mes jeunes amis. Comment vous portez-vous, mes petits messieurs ?

À ces mots, M. Squeers tapa familièrement sur la tête de deux enfants aux yeux creux, aux formes grêles, que le visiteur avait amenés avec lui, et attendit de plus amples explications. — Je suis marchand d’huile et de couleurs, mon nom est Snawley, Monsieur, dit l’étranger.

Squeers fit une inclination de tête comme pour dire : — C’est un bien joli nom.

L’étranger poursuivit — J’ai pensé, monsieur Squeers, à placer mes deux garçons dans votre pension. — Ce n’est pas à moi à le dire, Monsieur, répondit M. Squeers, mais je ne pense pas qu’il vous soit possible de mieux faire. — Hem ! c’est vingt livres sterling par an, je crois, monsieur Squeers ? — Vingt guinées, reprit le maître d’école avec un sourire persuasif. — Quarante livres pour deux, je pense, monsieurs Squeers, dit gravement M. Snawley. — Je ne crois pas que ce soit possible, Monsieur, répliqua Squeers comme s’il eût envisagé cette question pour la première fois. Permettez ; quatre fois cinq font vingt, doublez, et déduisez-en… Eh bien ! cette difficulté ne doit pas nous empêcher de traiter ensemble, vous me recommanderez à vos parents ; c’est une affaire conclue. — Ils ne sont pas grands mangeurs, dit M. Snawley. — Oh ! cela n’y fait rien : dans notre établissement, nous n’avons pas égard à l’appétit des enfants.

Cette assertion était vraie à la lettre. Squeers poursuivit : — Toutes les délicatesses que peut procurer le Yorkshire, toutes les sublimes leçons de morale que madame Squeers peut donner, enfin tout le bien être domestique que peut désirer un enfant, tel sera leur partage, monsieur Snawley. — Je désirerais que l’on cultivât particulièrement leur moral, dit M. Snawley. — J’en suis enchanté, répliqua le maître d’école en se rengorgeant ; sous ce rapport ils ne sauraient être venus à meilleure enseigne. — Vous êtes vous-même un homme moral ? dit M. Snawley. — J’ose m’en flatter, Monsieur. — J’ai la satisfaction d’en être convaincu, Monsieur ; j’ai pris des renseignements sur vous, et l’on m’a dit que vous étiez très-pieux. — Mais, oui, Monsieur, j’espère être dans la bonne voie. — J’espère y être aussi, reprit M. Snawley. Puis-je vous dire quelques mots dans le cabinet voisin ? — Rien ne s’y oppose, répondit M. Squeers. Mes amis, causez une ou deux minutes avec votre nouveau camarade. C’est un élève qui part demain avec moi, et c’est sur son bagage qu’il est assis. Chacun des enfants est tenu d’apporter deux habillements complets, six chemises, six paires de bas, deux bonnets de nuit, deux mouchoirs de poche, deux paires de souliers, deux chapeaux et un rasoir. — Un rasoir ! s’écria M. Snawley en entrant dans le cabinet voisin : et pourquoi ? — Pour se raser ! répondit Squeers d’un ton lent et mesuré.

Il n’y avait pas grand’chose dans ces trois mots, mais le ton dont ils furent prononcés était sans doute susceptible d’attirer l’attention ; car le maître d’école et son compagnon se regardèrent fixement pendant quelques secondes, et échangèrent ensuite un sourire d’intelligence. Snawley était un homme roide et compassé, revêtu d’un costume sombre, portant de longues guêtres noires, et dont le maintien respirait l’austérité, ce sourire, sans motif apparent, en était d’autant plus remarquable.

— Jusqu’à quel âge gardez-vous donc les enfants dans votre pension ? demanda-t-il enfin. — Aussi longtemps que leurs amis payent les trimestres à mon agent de Londres, ou jusqu’à ce qu’ils prennent la clef des champs. Convenons de nos faits, je vois que nous nous entendrons à merveille. Que sont ces enfants ? — Je ne suis pas leur père, monsieur Squeers. Je ne suis que leur beau-père. — Oh ! voilà ce qui en est, dit le maître d’école, l’affaire s’explique aisément. Je me demandais pourquoi vous vouliez les envoyer au fond du Yorsksire. Ah ! ah ! je comprends maintenant. — Vous voyez que j’ai épousé leur mère, poursuivit Snawley, c’est fort coûteux de garder des enfants chez soi, et comme elle a peu de fortune de son côté, monsieur Squeers ! j’ai peur qu’elle ne fasse pour eux d’inutiles dépenses, ce qui causerait leur ruine, vous le savez. — Je vois, reprit Squeers se renversant sur sa chaise et agitant la main. — C’est donc, reprit Snawley, ce qui m’a donné l’envie de les mettre dans quelque pension bien éloignée, où il n’y ait point de congés, point de ces vacances de Pâques et de septembre si mal conçues, et qui dérangent l’esprit des enfants, vous comprenez ? — Qu’on paye régulièrement, nous n’en demanderons pas davantage. — C’est ce qu’il faut, reprit Snawley. Et vous veillerez attentivement sur leur moral. — Avec le plus grand soin. — Vous ne laissez pas vos élèves écrire trop souvent à leurs parents ? dit le beau-père après un moment d’hésitation. — Une seule fois, à Noël, pour dire qu’ils n’ont jamais été aussi heureux, et qu’ils espèrent qu’on ne les enverra jamais chercher. — C’est parfait, dit le beau-père en se frottant les mains. — Alors, dit Squeers, comme nous nous entendons à merveille, permettez que je vous demande si vous me considérez comme un homme de haute vertu ; de mœurs régulières, de conduite exemplaire, et si vous avez la confiance la plus absolue dans ma probité, ma générosité, mes principes religieux et mes talents d’instituteur. — Certainement, répondit le beau-père ripostant à la grimace de Squeers par une grimace, analogue. — Peut-être ne vous refuserez-vous pas à le déclarer, si j’envoie prendre des renseignements auprès de vous ? — Pas le moins du monde. — Fort bien ; l’affaire est terminée, et voilà ce que j’aime.

Après avoir pris l’adresse de M. Snawley, le maître d’école eut à accomplir une tâche encore plus agréable : celle de prendre l’argent du premier terme payé d’avance ; il venait de signer le reçu, quand on entendit la voix de quelqu’un qui demandait M. Squeers.

— Me voici, répondit le maître d’école ; qu’y a-t-il ? — Une petite affaire, Monsieur, dit Ralph Nickleby se présentant, suivi de près par Nicolas : il y avait une annonce de vous dans les journaux de ce matin ? — Oui, Monsieur, dit Squeers ; voulez-vous vous asseoir ? — Mais je n’en serais pas fâché, répondit Ralph conformant l’action aux paroles et mettant son chapeau sur la table placée devant lui. Voici mon neveu, M. Nicolas Nickleby. — Comment vous portez-vous, Monsieur ? dit Squeers.

Nicolas salua, dit qu’il se portait à merveille, et parut très-étonné de l’extérieur grotesque du propriétaire du château de Dotheboys. — Peut-être vous souvenez-vous de moi ? dit Ralph regardant en face le maître d’école. — C’est vous qui pendant quelques années m’avez réglé un petit compte à chacun de mes voyages de semestre. — C’est moi, reprit Ralph. — Pour les parents d’un nommé Dorker, qui malheureusement… — Malheureusement mourut au château de Dotheboys, dit Ralph achevant la phrase. — Je me le rappelle très-bien, Monsieur. Ah ! Monsieur, madame Squeers avait autant d’affection pour cet enfant que s’il eût été le sien. Si vous saviez l’attention qu’elle lui a montrée pendant sa maladie ! Elle lui offrait des rôties et du thé matin et soir, à une époque où il ne pouvait plus rien avaler ; il y eut de la chandelle dans sa chambre à coucher la nuit même de sa mort, et le meilleur dictionnaire de la classe lui servait d’oreiller. Je ne regrette point tous ces soins, il est doux de penser qu’on a fait son devoir.

Ralph sourit et promena ses regards sur les personnes présentes. L’enfant campé sur la malle et ses nouveaux camarades s’observaient avec de grands yeux, sans prononcer un mot, et faisaient une multitude de contorsions singulières, selon l’usage des enfants qui se voient pour la première fois.

— Voici quelques-uns de mes élèves, dit Wackford Squeers. Monsieur est un parent qui a la bonté de me féliciter du système d’éducation adopté au château de Dotheboys, qui est situé dans le délicieux village de Dotheboys, près de Greta-Bridge (Yorkshire), où les enfants sont nourris, habillés, blanchis, fournis de livres et d’argent pour… — Oui, nous le savons, Monsieur, interrompit brusquement Ralph Nickleby, c’est dans l’annonce. — Vous avez raison, Monsieur, c’est dans l’annonce, répondit Wackford Squeers. — Vous avez demandé un sous-maître capable. — Précisément. — Et vous en avez réellement besoin ? — Certainement. — En voici un. C’est mon neveu Nicolas ; il est encore tout chaud du collège ; tout ce qu’il a appris fermente dans sa tête, et rien ne fermente dans sa poche ; c’est justement l’homme qu’il vous faut. — J’ai peur, dit Squeers embarrassé de cette requête, j’ai peur que le jeune homme ne me convienne pas. — Il vous conviendra dit Ralph ; j’en suis sûr. — Ne vous laissez pas abattre, Monsieur, vous instruirez en moins d’une semaine tous les jeunes gens de noble famille qui sont au château de Dotheboys, à moins que M. Squeers n’y mette un entêtement dont je ne le crois pas susceptible. — Je crains, dit Nicolas s’adressant à M. Squeers, que vous ne m’objectiez ma jeunesse et l’absence du titre de bachelier ès-lettres. — C’est un obstacle, répondit M. Wackford Squeers avec toute la gravité dont il était capable et non moins déconcerté par la candeur du neveu et les manières mondaines de l’oncle que par cette incompréhensible allusion aux jeunes gens de noble famille confiés à ses soins. — Faites attention, Monsieur, dit Ralph, je vais en deux secondes vous montrer l’affaire sous son véritable point de vue. — Si vous voulez avoir cette bonté… — Cet individu est un enfant, un jeune homme, un adolescent, un grand garçon, donnez-lui le nom que vous voudrez, de dix-huit à dix-neuf ans… — C’est ce que je vois, dit le maître d’école. — Son père est mort ; il ne connaît point le monde, il n’a aucune espèce de ressource, et cherche à s’occuper. Je l’adresse à votre magnifique établissement, comme pouvant le mener à la fortune, s’il sait en tirer parti. Voyez-vous cela ? — Tout le monde doit le voir, répondit Squeers, dont le regard prit à demi l’expression d’ironie de celui que Ralph lançait à son naïf parent. — Je le vois, dit Nicolas avec empressement. — Il le voit, vous le voyez, nous le voyons, dit Ralph avec le même ton sec et dur. Si, par quelque caprice, il néglige cette heureuse occasion, je me considère comme dispensé de secourir sa mère et sa sœur. Regardez-le, et songez combien il peut vous être utile d’une demi-douzaine de manières. Il s’agit de savoir si, en tout cas, il ne vous conviendra pas mieux que vingt autres que vous pourriez trouver. Ceci ne mérite-t-il pas d’être pris en considération ? — Certes, dit Squeers répondant par un signe de tête au signe de tête de Ralph Nickleby.

— C’est bien, permettez que je vous dise deux mots.

Ces deux mots furent échangés à part ; et au bout de deux minutes M. Wackford Squeers annonça que Nicolas Nickleby était promu à l’emploi de premier sous-maître du château de Dotheboys, et installé en cette qualité.

— La recommandation de votre oncle a tout fait, monsieur Nickleby, dit Wackford Squeers.

Nicolas, enchanté de son succès, secoua avec chaleur la main de son oncle, et il eût volontiers adoré Squeers sur la place.

— Il a un air étrange, pensait-il, mais qu’importe ! Le savant Person, le docteur Johnson avaient l’air étrange. C’est ainsi que sont tous ces rats de bibliothèque. — La voiture part demain matin à huit heures, monsieur Nickleby, dit Squeers, il faut être ici un quart d’heure avant pour emmener ces enfants. — Comptez sur moi, dit Nicolas. — J’ai payé, grommela Ralph, ainsi tout ce que vous avez à faire, c’est de vous tenir chaudement.

C’était encore un exemple de la générosité de Ralph. Nicolas fut si touché de cette bonté inattendue, qu’il eut peine à trouver des paroles pour exprimer sa reconnaissance. Il n’était pas à la moitié de son discours de remerciement, quand ils prirent congé du maître d’école, et sortirent de l’auberge de la Tête de Maure.

— Je me trouverai ici demain pour vous voir embarquer, dit Ralph. — Je vous remercie, Monsieur, je n’oublierai jamais cette bienveillance. — Et vous aurez raison. Maintenant vous ferez bien de retourner à la maison, et de vous occuper de vos bagages. Pensez-vous que vous puissiez d’abord trouver le chemin de Golden square ? — Certainement, il m’est facile de demander. — S’il en est ainsi, dit Ralph en lui présentant un petit paquet, remettez ces papiers à mon commis, et dites-lui d’attendre mon retour.

Nicolas se chargea avec joie de la commission, fit à son oncle de tendres adieux, auxquels le sensible Ralph répondit par un grognement sourd, et se dirigea à la hâte vers Golden square.

Il y arriva bientôt ; et lorsqu’il atteignit les marches de la maison, M. Noggs, qui avait été se distraire une ou deux minutes à la taverne, ouvrait la porte au moyen de son passe-partout.

— Qu’est-ce que cela ? demanda Noggs en montrant le paquet. — Des papiers que vous envoie mon oncle, répondit Nicolas ; et vous aurez la bonté d’attendre son retour, s’il vous plaît. — Votre oncle ! s’écria Noggs. — M. Nickleby, dit Nicolas jugeant cette explication indispensable. — Entrez.

Sans en dire davantage, Newman Noggs conduisit Nicolas dans le corridor, et de là dans le bureau. Il fit asseoir le visiteur, et montant sur son grand tabouret, les bras roides et pendant le long de son corps, il le regarda fixement comme du haut d’une tour d’observation.

— Il n’y a pas de réponse, dit Nicolas mettant le paquet sur la table.

Newman ne dit rien ; mais croisant les bras et penchant la tête en avant pour mieux voir Nicolas, il examina attentivement tous les traits de celui-ci.

— Point de réponse, dit à voix haute Nicolas assez disposé à croire que Newman Noggs était sourd.

Newman mit ses mains sur ses genoux, et sans prononcer une syllabe continua à contempler de près le visage de Nicolas.

Cette conduite de la part d’un étranger était si singulière, et la tournure de Newman Noggs était si originale, que Nicolas, qui saisissait assez vivement les ridicules, ne put s’empêcher de sourire en demandant si M. Noggs avait des ordres à lui donner.

Noggs secoua la tête et soupira ; là-dessus Nicolas se leva, dit qu’il était pressé, et lui souhaita le bonjour.

La démarche subséquente de Noggs lui coûta beaucoup, et l’on en est à comprendre aujourd’hui comment il s’y détermina, son interlocuteur lui étant parfaitement inconnu. Quoi qu’il en soit, il poussa un long soupir, et dit à haute voix, et sans s’arrêter, que, si le jeune gentleman n’avait point de motif pour tenir la chose secrète, lui, Newman, désirerait savoir ce que son oncle allait faire pour lui.

Nicolas ne s’y refusa point ; au contraire, il fut charmé de trouver l’occasion de parler du sujet qui occupait ses pensées ; il se rassit donc, et, son imagination ardente s’échauffant à mesure qu’il parlait, il entama une description brillante et animée de tous les honneurs et avantages qu’il allait tirer de son installation dans le scientifique séjour de Dotheboys.

— Mais qu’y a-t-il ? êtes-vous malade ? dit Nicolas, s’interrompant soudain, en voyant son compagnon prendre une multitude d’attitudes bizarres, mettre ses mains sous le tabouret, et faire craquer les articulations de ses doigts comme s’il eût voulu se casser tous les os.

Newman Noggs ne fit point de réponse, mais il continua à hausser les épaules, à faire craquer ses doigts, à sourire affreusement, à tenir ses yeux fixes et à fleur de tête d’une manière épouvantable. D’abord Nicolas pensa que l’homme mystérieux était fou ; mais, après plus ample examen, il décida qu’il avait bu, et songea prudent de battre en retraite.

  1. Le lecteur va rire assurément de ce qui suit. Mais qu’il rie seulement de l’esprit charmant qui fait passer cette exagération
    (Note des Éditeurs.)